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Boudah Talenka

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Préparation d’un voyage initiatique (Hennebont-Melgven)

samedi 30 juillet 2011 à 00:00

Voilà je compte partir en pèlerinage au long cours, à la fin de ma thèse, et je suis en train de me préparer. L'idée c'est de partir de ma Bretagne natale, de traverser la France jusqu'à la franche-comté, puis passer en Suisse au Cern (Genève) en passant par les alpes, puis à Venise, puis voir la Croatie, aller à Budapest, puis à Talenka ! (Talne, Ukraine), puis je veux voir la Lettonie, le pays le plus geek de l’Europe, puis je veux voir les pays scandinaves, je veux en voir aussi un peu plus de l'Allemagne, je veux voir Amsterdam, l’Angleterre et l’Irlande. Bref plus de 10000 Km. Je ne pourrai pas tout faire à pied bien sûr !

>> Mon itinéraire probable sur Google Maps

Pourquoi je veux faire ça ?

D'abord j'aime voyager, le virus m'a été transmis par mes parents également routards de la première heure. Ce goût de voyage s'était un peu endormi pendant mes études, parce qu'on a créé une association, parce que je suis tombé amoureux. Mais maintenant que cet amour est parti, et que j'ai recommencé à voyager (notamment pendant mon doctorat), hé bien je sens que le moment est venu. J'y pensais déjà après le Bac, j'y ai repensé après la licence, à chaque fois j'ai remis ce projet à plus tard. Et là encore, on me dit qu'après ma thèse il est mal vu de prendre une année sabbatique. Je ne sais pas si ça durera une année, mais je prend le risque.

Par ailleurs, c'est aussi la conséquence logique de la dizaine d'année que j'ai passé influencé par les idées d'anarchie (pas le chaos), de décroissance, de beauté omniprésente. La fin de l'ère de l'énergie abondante et bon marché est à mon avis le moment pour tirer certaines conclusions sur notre mode de vie. La première, la plus fondamentale : nous vivons dans une relation d'interdépendance avec notre environnement (fini !) et avec les autres êtres vivants (qui nous nourrissent, nous soignent, nous habillent, nous tiennent compagnie). La seconde, corolaire de la première : la vie est courte, et il est hors de question de rester malheureux dans un mode de vie qui ne nous plaît pas quand d'autres modes de vie, préférables, soutenables, sont à notre portée.

La fin de l'énergie abondante va être le déclencheur de transformations radicales des sociétés. Les technologies, dont celles que j'essaie de développer, en sont gourmandes. Et les scientifiques n'ont pas réussi à trouver un remplaçant valable au pétrole et à la fission nucléaire (la fusion nucléaire arrivera-t-elle assez tôt ? et à quel prix ?). Sans transport de masse, sans chauffage de masse, sans textiles/joujou/... de masse, sans télécommunication de masse, sans hôpitaux super-équipés. Que restera-t-il du paradis occidental ? Se rajoute à cette crise énergétique une prise de conscience globale que l'individualisme, l'obsolescence programmé, le travail, qui sont les valeurs véhiculées par nos sociétés, sont impuissants à pourvoir aux besoins de plus grand nombre, et à nous rendre heureux et libres. En fait, nous assistons à l'exact contraire.

En me coupant du confort, de la sécurité, et des préjugés habituels, j'espère être à même de comprendre ce nouveau monde qui se profile. Et voici comme je vais m'y préparer.

Préparation physique

Préparation matérielle

Bon d'abord je vais vider mon sac en vous montrant comment je compte m'équiper.

Le sac à dos lui-même (2,49 Kg)

Hygiène (680g)

Sécurité / Santé (230g)

Navigation (220g)

Divers (580g)

Alimentation (725g)

Vêtements (3,470 Kg)

Couchage (2490g)

Contenu du sac : 53 objets / 9,18 Kg

Les chaussures (1,3 Kg)

Quand on fait de la marche à pied son activité principale, le soin des pieds devient évidemment prédominant. Il faut bien choisir ses chaussures (et ses chaussettes). Par dessus tout, les pieds doivent rester aussi secs que possible pour éviter les moisissures, les champignons, mais également le gel par grands froids (et aussi pour le confort tout simplement). À mon sens, la combinaison idéale est donc d'avoir des chaussettes résistantes mais surtout respirantes, et des chaussures qui évacue au mieux l'humidité, sans laisser l'eau rentrer. Les textiles/plastiques qui permettent cela sont sensibles à la poussière. Pour cela et pour plein d'autres raisons, nettoyer fréquemment vos chaussures !

Un conseil : prenez des chaussures au moins une demie-pointure au-dessus de votre taille habituelle, car ce qui est chaud gonfle. Personnellement, j'ai choisit des Salomon Quest GoreTeX, qui sont juste idéales à mes yeux (quoiqu'un peu chaude en été). Avant d'acheter le matériel : n'hésitez pas à passer beaucoup de temps sur les sites généralistes (decathlon.fr, auvieuxcampeur.fr) pour voir les retours d'utilisation des produits. Pour savoir quoi emmener en voyage cela dépend bien sûr de la durée et de la difficulté du trajet.

Je dirais qu'il y a 4 type de randonnée/raid :

Mise en jambe : Hennebont-Melgven, 50 km à pied

Dimanche après-midi, après 3 jours intenses (comprenez bien arrosés d'eaux de pluie et de vie) au concours hippique d'Hennebont, je me suis dit que tenter le retour à pied serait un bon premier entrainement pour mon pèlerinage d'un an autour de l’Europe, et qu'il me permettrait de tester mon matériel et ma motivation : mission accomplie

Je suis parti le dimanche après-midi peu après que la pluie ait cessée, en pensant que je ferai la route sous la flotte, mais les cieux furent clément. J'ai d'abord traversé Hennebont en en profitant pour visiter la cité médiévale et une expo de peintre amateurs. C'est peu après que les ennuis ont commencés ;-)

En quittant Hennebont, je me suis retrouvé devant des croisements qui n'étais pas sur ma carte et ma boussole, assez peu précise, ne m'a pas été très utile... Je me suis donc pommé au plein milieu des champs ! Finalement au bout d'une heure je suis tombé un peu par hasard sur un petit bled appelé caudan, qui par chance était sur la carte et d'où j'ai pu repartir... Il y a d'ailleurs un truc assez étrange là-bas : un monument qui commémore la reddition des armées allemandes... avec dessus plein de pin's de vieilles bagnoles !

Bon an mal an je suis arrivé à Pont-Scorff et sa rivière où j'ai pu me désaltérer (j'avais déjà presque entièrement bu le litre que j'avais emporté !), me laver et me rafraichir. Puis en continuant ma route, j'ai croisé la superbe église de Pont-Scorff où il y avait un concert de harpe celtique assez sympa mais trop mou à mon goût. À ce moment une quinzaine de tracteurs me sont passer devant, et le dernier a perdu une cale, ce qui bloquait la longue file de tuture qui suivait, heureusement super-boudah était là ! ^^

Je commençait déjà à fatiguer, alors je me suis mis en quête d'un endroit où planté la tente, mais je n'ai finalement trouvé un lieu suffisamment peu habité que 2 km après la sortie de Pont-Scorff, il était 20h. Je me suis arrêté devant un champ d'herbes hautes où il y avait une seule vache en train de lécher la tête de son veau, trop meugnon ! Comme il y avait la baraque du paysan en vue, j'ai planté ma tente dans le coin du champ le moins exposé (et accessoirement le plus loin de la route). Je l'ai ensuite un peu camouflé avec les herbes qu'il y avait autour (les bords de ma tente sont oranges fluo, c'est pas génial pour rester discret). Finalement, après m'être allongé un peu, j'ai fait quelques étirements et je suis resté regarder le coucher de soleil (et de la vache et son veau à quelques mètres de moi).

J'ai halluciné le nombre d'insecte et d'animaux qui se mettent à bouger quand on reste immobile et silencieux plus de 10 minutes : un hérisson à tenter de sodomiser ma tente (j'ai dû le faire fuir, je voulais pas qu'il la perce), il y avait plein de lucioles allumées alors qu'il faisait encore jour, et à à peine quelques centimètres de ma tête (seule partie en dehors de la tente), a commencé à bouger la chenille la plus étrange que j'ai vu : un espèce d'oursin noir et allongé, avec des interstices d'un jaune pétant. flippant. Je me suis finalement endormi vers 22h en écoutant du Neil Young et en mettant mon réveil à 6h du matin pour partir avant que le paysan ne se réveille...

2ème jour

Je me réveille en crevant de chaud dans mon sarcophage... il était déjà 8h ! j'avais pas dû entendre le réveil sonner. Je plis bagage, je mange un pitch et je finis ma bouteille d'eau. Je laisse finalement ma vache et son veau à 8h30. Pendant les 3 premières heures, pas réveillé, j'avais à peine conscience d'où j'allais, j'étais en pilote automatique. à un moment je croise une boulangerie ou j’espérais trouver à manger et à boire, mais elle étais fermée pour les vacances... c'est seulement en arrivant vers midi à quimperlé que j'ai pu me restaurer. Entre temps, j'avais passé la frontière du Finistère !

Quimperlé c'est bof bof... la ville a plein de monuments jolis, et j'ai vu plein de scout qui faisaient le pèlerinage de St-Jacques de Compostelle. Mais à part ça, rien. Les gens se regardent encore moins les uns les autres que dans les autres villes que je connais. Et puis c'est surtout des vieux, ça doit pas être une ville super agréable à vivre.

Je me suis donc arrêter dans une supérette où j'ai pris 1,5 L d'ice tea et une salade piémontaise... c'est drôle hein quand on a faim, tout ce qu'on mange est bien meilleur ! bien sûr ç'a pas loupé, j'ai sonné au portique en sortant, trop gêné ! En fait c'était l'antivol de mon sac à dos et de mon sac de couchage décathlon ! Pensez bien à les retirer pour éviter une fouille de votre linge sale devant les autres clients médusés. Ce sont des rectangles de tissus blancs marqués d'un ciseau, qui sont souvent derrière l'étiquette... Je les avais pas vu...

J'ai attendu d'être sorti de Quimperlé pour manger, je me suis arrêter derrière une petite chapelle près de la voie express. Devant moi, un jardin à la pelouse et les arbustes taillés au millimètre. Au milieu du jardin, un puits. Sur le puits, trois chèvres (vivantes), immobiles, qui sont rester me fixer pendant tout mon repas, tandis que je leur faisait un regard du genre “nan je vous en laisserai pas !”

À chaque fois que je me suis arrêté, même cinq minutes, j'ai pris le temps d'enlever chaussures et chaussettes, ça fait trop du bien. C'est seulement sur les derniers kilomètres que j'étais pressés de finir que j'ai pas pris le temps, et paf une cloque !

Le début d'aprem a été un peu ennuyeux, juste une série de route qui se ressemblaient, en plus je transpirait comme un bœuf sous la cagnard et alors que j'étais en pleine digestion. J'ai fini mon 1,5L d'ice tea à 15h, et il me restait encore au moins 2 heures à tenir. La je suis arrivé à un bled ma foi fort pittoresque, à à peine 15 bornes de chez moi, plein de petit jardin, de petit muret de pierre, et avec une fontaine ! ouf sauvé...

La fin du périple fut de même, sauf que je me suis encore perdu, et qu'au final je me suis retrouvé à Kernével où j'en ai profité pour faire une overdose de mûres sur le bord de la route, et pour aller voir ma grand-mère qui habitait sur le chemin. À partir de là, j'ai dû faire des pauses tout les 500 m parce que mon entrejambes commençait à chauffer XD

Finalement, après 12h de marche, j'aperçois ma maison !

Au bilan, si j'avais une leçon à retenir de tout ça c'est : prendre beaucoup plus d'eau ! Et puis aussi, les voitures sont vraiment la nuisance sonore la plus importante dans notre société, et à en juger par l'incroyable quantité de déchets sur les routes, certains automobilistes sont vraiment des porcs !

Bon en tout cas, je suis arrivé en pleine forme alors que j'étais parti fatigué, même si j'ai eu des courbatures le lendemain. Et je sais aussi qu'il est largement possible de faire 40km en un jour...

talenka.org

mercredi 4 mai 2011 à 00:00

But du projet : créer une interface de discussion et de partage entre les membres de notre association. L'accent est mis sur l'ergonomie et la sécurité de l'application. Plus encore, la variété des supports et la diversité des utilisateurs imposent des contraintes fortes en terme de disponibilité, de performance et de versatilité. Le projet est en évolution constante, au gré des besoins.

i.talenka.org (accès restreint)

Documentation

talenka.org

mercredi 4 mai 2011 à 00:00

But du projet : créer une interface de discussion et de partage entre les membres de notre association. L'accent est mis sur l'ergonomie et la sécurité de l'application. Plus encore, la variété des supports et la diversité des utilisateurs imposent des contraintes fortes en terme de disponibilité, de performance et de versatilité. Le projet est en évolution constante, au gré des besoins.

i.talenka.org (accès restreint)

Documentation

Indignez-vous (Stéphane Hessel)

jeudi 21 octobre 2010 à 00:00

93 ans. C'est un peu la toute dernière étape. La fin n'est plus bien loin. Quelle chance de pouvoir en profiter pour rappeler ce qui a servi de socle à mon engagement politique : les années de résistance et le programme élaboré il y a soixante-six ans par le Conseil National de la Résistance ! C'est à Jean Moulin que nous devons, dans le cadre de ce Conseil, la réunion de toutes les composantes de la France occupée, les mouvements, les partis, les syndicats, pour proclamer leur adhésion à la France combattante et au seul chef qu'elle se reconnaissait : le général de Gaulle. De Londres où j'avais rejoint le général de Gaulle en mars 1941, j'apprenais que ce Conseil avait mis au point un programme, l'avait adopté le 15 mars 1944, proposé pour la France libérée un ensemble de principes et de valeurs sur lesquels reposerait la démocratie moderne denotre pays [1].

De ces principes et de ces valeurs, nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin. Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l'égard des immigrés, pas cette société où l'on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance.

À partir de 1945, après un drame atroce, c'est une ambitieuse résurrection à laquelle se livrent les forces présentes au sein du Conseil de la Résistance. Rappelons-le, c'est alors qu'est créée la Sécurité sociale comme la Résistance le souhaitait, comme son programme le stipulait : Un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ; une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. Les sources d'énergie, l'électricité et le gaz, les charbonnages, les grandes banques sont nationalisées. C'est ce que ce programme préconisait encore, le retour à la nation des grands moyens deproduction monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandesbanques ; l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie. L'intérêt général doit primer sur l'intérêt particulier, le juste partage des richesses créées par le monde du travail primer sur le pouvoir de l'argent. La Résistance propose une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l'image des États fascistes », et le Gouvernement provisoire de la République s'en fait le relais.

Une véritable démocratie a besoin d'une presse indépendante ; la Résistance le sait, l'exige, en défendant la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères. C'est ce que relaient encore les ordonnances sur la presse, dès 1944. Or, c'est bien ce qui est aujourd'hui en danger.

La Résistance en appelait à la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction la plus développée, sans discrimination ; or, les réformes proposées en 2008 vont à l'encontre de ce projet. De jeunes enseignants, dont je soutiens l'action, ont été jusqu'à refuser de les appliquer et ils ont vu leurs salaires amputés en guise de punition. Ils se sont indignés, ont « désobéi », ont jugé ces réformes trop éloignées de l'idéal de l'école républicaine, trop au service d'une société de l'argent et ne développant plus assez l'esprit créatif et critique.

C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd'hui remis en cause [2].

Le motif de la résistance, c'est l'indignation.

On ose nous dire que l'État ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes. Mais comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l'Europe était ruinée ? Sinon parce que le pouvoir de l'argent, tellement combattu par la Résistance, n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'État. Les banques désormais privatisées se montrent d'abord soucieuses de leurs dividendes, et des très haut salaires de leurs dirigeants, pas de l'intérêt général. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches n'a jamais été aussi important ; et la course à l'argent, la compétition, autant encouragée.

Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemblede la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous, d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j'ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint ce courant de l'histoire et le grand courant de l'histoire doit se poursuivre grâce à chacun. Et ce courant va vers plus de justice, plus de liberté mais pas cette liberté incontrôlée du renard dans le poulailler. Ces droits, dont la Déclaration universelle a rédigé le programme en 1948, sont universels. Si vous rencontrez quelqu'un qui n'en bénéficie pas, plaignez-le, aidez-le à les conquérir.

Deux visions de l'histoire

Quand j'essaie de comprendre ce qui a causé le fascisme, qui a fait que nous ayons été envahis par lui et par Vichy, je me dis que les possédants, avec leur égoïsme, ont eu terriblement peur de la révolution bolchévique. Ils se sont laissés guider par leurs peurs. Mais si, aujourd'hui comme alors, une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève. Certes, l'expérience d'un très vieux comme moi, né en 1917, se différencie de l'expérience des jeunes d'aujourd'hui. Je demande souvent à des professeurs de collège la possibilité d'intervenir auprès de leurs élèves, et je leur dis : vous n'avez pas les mêmes raisons évidentes de vous engager. Pour nous, résister, c'était ne pas accepter l'occupation allemande, la défaite. C'était relativement simple. Simple comme ce qui a suivi, la décolonisation. Puis la guerre d'Algérie. Il fallait que l'Algérie devienne indépendante, c'était évident. Quant à Staline, nous avons tous applaudi à la victoire de l'Armée rouge contre les nazis, en 1943. Mais déjà lorsque nous avions eu connaissance des grands procès staliniens de 1935, et même s'il fallait garder une oreille ouverte vers le communisme pour contrebalancer le capitalisme américain, la nécessité de s'opposer à cette forme insupportablede totalitarisme s'était imposée comme une évidence. Ma longue vie m'a donné une succession de raisons de m'indigner.

Ces raisons sont nées moins d'une émotion que d'une volonté d'engagement. Le jeune normalien que j'étais a été très marqué par Sartre, un aîné condisciple. La Nausée, Le Mur, pas L'Être et le néant, ont été très importants dans la formation de ma pensée. Sartre nous a appris à nous dire : Vous êtes responsables en tant qu'individus. C'était un message libertaire. La responsabilité de l'homme qui ne peut s'en remettre ni à un pouvoir ni à un dieu. Au contraire, il faut s'engager au nom de sa responsabilité de personne humaine. Quand je suis entré à l'École normale de la rue d'Ulm, à Paris, en 1939, j'y entrais comme fervent disciple du philosophe Hegel, et je suivais le séminaire de Maurice Merleau-Ponty. Son enseignement explorait l'expérience concrète, celle du corps et de ses relations avec le sens, grand singulier face au pluriel des sens. Mais mon optimisme naturel, qui veut que tout ce qui est souhaitable soit possible, me portait plutôt vers Hegel. L'hégélianisme interprète la longue histoire de l'humanité comme ayant un sens : c'est la liberté de l'homme progressant étape par étape. L'histoire est faite de chocs successifs, c'est la prise en compte de défis. L'histoire des sociétés progresse, et au bout, l'homme ayant atteint sa liberté complète, nous avons l'État démocratique dans sa forme idéale.

Il existe bien sûr une autre conception de l'histoire. Les progrès faits par la liberté, la compétition, la course au "toujours plus", cela peut être vécu comme un ouragan destructeur. C'est ainsi que la représente un ami de mon père, l'homme qui a partagé avec lui la tâche de traduire en allemand À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. C'est le philosophe allemand Walter Benjamin. Il avait tiré un message pessimiste d'un tableau du peintre suisse, Paul Klee, l'Angelus Novus, où la figure de l'ange ouvre les bras comme pour contenir et repousser une tempête qu'il identifie avec le progrès. Pour Benjamin qui se suicidera en septembre 1940 pour fuir le nazisme, le sens de l'histoire, c'est le cheminement irrésistible de catastrophe en catastrophe.

L'indifférence : la pire des attitudes

C'est vrai, les raisons de s'indigner peuvent paraître aujourd'hui moins nettes ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il n'est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n'avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C'est un vaste monde, dont nous sentons bien qu'il est interdépendant. Nous vivons dans une interconnectivité comme jamais encore il n'en a existé. Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vousallez trouver. La pire des attitudes est l'indifférence, dire « je n'y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composant esessentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables : la faculté d'indignation et l'engagement qui en est la conséquence.

On peut déjà identifier deux grands nouveaux défis:

  1. L'immense écart qui existe entre les très pauvres et les très riches et qui ne cesse de s'accroître. C'est une innovation des XXème et XXIème siècle. Les très pauvres dans le monde d'aujourd'hui gagnent à peine deux dollars par jour. On ne peut pas laisser cet écart se creuser encore. Ce constat seul doit susciter un engagement.
  2. Les droits de l'homme et l'état de la planète. J'ai eu la chance après la Libération d'être associé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Organisation des Nations unies, le 10 décembre 1948, à Paris, au palais de Chaillot. C'est au titre de chef de cabinet de Henri Laugier, secrétaire général adjoint de l'ONU, et secrétaire de la Commission des Droits de l'homme que j'ai, avec d'autres, été amené à participer à la rédaction de cette déclaration. Je ne saurais oublier, dans son élaboration, le rôle de René Cassin, commissaire national à la Justice et à l'Éducation du gouvernement de la France libre, à Londres, en 1941, qui fut prix Nobel de la paix en 1968, ni celui de Pierre Mendès France au sein du Conseil économique et social à qui les textes que nous élaborions étaient soumis, avant d'être examinés par la Troisième commission de l'assemblée générale, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles. Elle comptait les cinquante-quatre États membres, à l'époque, des Nations unies, et j'en assurais le secrétariat. C'est à René Cassin que nous devons le terme de droits « universels » et non « internationaux » comme le proposaient nos amis anglo-saxons. Car là est bien l'enjeu au sortir de la seconde guerre mondiale : s'émanciper des menaces que le totalitarisme a fait peser sur l'humanité. Pour s'en émanciper, il faut obtenir que les États membres de l'ONU s'engagent à respecter ces droits universels. C'est une manière de déjouer l'argument de pleine souveraineté qu'un État peut faire valoir alors qu'il se livre à des crimes contre l'humanité sur son sol. Ce fut le cas d'Hitler qui s'estimait maître chez lui et autorisé à provoquer un génocide. Cette déclaration universelle doit beaucoup à la révulsion universelle envers le nazisme, le fascisme, le totalitarisme, et même, par notre présence, à l'esprit de la Résistance. Je sentais qu'il fallait faire vite, ne pas être dupe de l'hypocrisie qu'il y avait dans l'adhésion proclamée par les vainqueurs à ces valeurs que tous n'avaient pas l'intention de promouvoir loyalement, mais que nous tentions de leur imposer [3].

Je ne résiste pas à l'envie de citer l'article 15 de la Déclaration universelle des Droits de l'homme : Tout individu a droit à une nationalité ; l'article 22 : Toute personne, entant que membre de la société, a droit à la Sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays. Et si cette déclaration a une portée déclarative, et non pas juridique, elle n'en a pas moins joué un rôle puissant depuis 1948 ; on a vu des peuples colonisés s'en saisir dans leur lutte d'indépendance ; elle a ensemencé les esprits dans leur combat pour la liberté.

Je constate avec plaisir qu'au cours des dernières décennies se sont multipliés les organisations non gouvernementales, les mouvements sociaux comme Attac (Association pour la taxation des transactions financières), la FIDH (Fédération internationale des Droits de l'homme),Amnesty... qui sont agissants et performants. Il est évident que pour être efficace aujourd'hui, il faut agir en réseau, profiter de tous les moyens modernes de communication.

Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation — le traitement faits aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez !

Mon indignation à propos de la Palestine

Aujourd'hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Ce conflit est la source même d'une indignation. Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009 sur Gaza, dans lequel ce juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l'armée israélienne d'avoir commis des « actes assimilables à descrimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l'humanité » pendant son opération "Plomb durci" qui a duré trois semaines. Je suis moi-même retourné à Gaza, en 2009, où j'ai pu entrer avec ma femme grâce à nos passeports diplomatiques afin d'étudier de visu ce que ce rapport disait. Les gens qui nous accompagnaient n'ont pas été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza. Là et en Cisjordanie. Nous avons aussi visité les camps de réfugiés palestiniens mis en placedès 1948 par l'agence des Nations unies, l'UNRWA, où plus de trois millions de Palestiniens chassés de leurs terres par Israël attendent un retour de plus en plus problématique. Quant à Gaza, c'est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s'organisent pour survivre. Plus encore que les destructions matérielles comme celle de l'hôpital du Croissant rouge par "Plomb durci", c'est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vu confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. On nous a confirmé qu'il yavait eu mille quatre cents morts — femmes, enfants, vieillards inclus dans le camp palestinien — au cours de cette opération "Plomb durci" menée par l'armée israélienne, contre seulement cinquante blessés côté israélien. Je partage les conclusions du juge sud-africain. Que des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c'est insupportable. Hélas, l'histoire donne peu d'exemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire.

Je sais, le Hamas qui avait gagné les dernières élections législatives n'a pas pu éviter que des rockets soient envoyées sur les villes israéliennes en réponse à la situation d'isolement et de blocus dans laquelle se trouvent les Gazaouis. Je pense bien évidemment que le terrorisme est inacceptable, mais il faut reconnaître que lorsque l'on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente.

Est-ce que ça sert le Hamas d'envoyer des rockets sur la ville de Sdérot? La réponse est non. Ça ne sert pas sa cause, mais on peut expliquer ce geste par l'exaspération des Gazaouis. Dans la notion d'exaspération, il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent. Alors, on peut se dire que le terrorisme est une forme d'exaspération. Et que cette exaspération est un terme négatif. Il ne faudrait pas ex-aspérer, il faudrait es-pérer. L'exaspération est un déni de l'espoir. Elle est compréhensible, je dirais presque qu'elle est naturelle, mais pour autant elle n'est pas acceptable. Parce qu'elle ne permet pas d'obtenir les résultats que peut éventuellement produire l'espérance.

La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre

Je suis convaincu que l'avenir appartient à la non-violence, à la conciliation des cultures différentes. C'est par cette voie que l'humanité devra franchir sa prochaine étape. Et là, je rejoins Sartre, on ne peut pas excuser les terroristes qui jettent des bombes, on peut les comprendre. Sartre écrit en 1947 : Je reconnais que la violence sous quelque forme qu'elle se manifeste est un échec. Mais c'est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence. Et s'il est vrai que le recours à la violence reste la violence qui risque de la perpétuer, il est vrai aussi c'est l'unique moyen de la faire cesser [4]. À quoi j'ajouterais que la non-violence est un moyen plus sûr de la faire cesser. On ne peut pas soutenir les terroristes comme Sartre l'a fait au nom de ce principe pendant la guerre d'Algérie, ou lors de l'attentat des jeux de Munich, en 1972, commis contre des athlètes israéliens. Ce n'est pas efficace et Sartre lui-même finira par s'interroger à la fin de sa vie sur le sens du terrorisme et à douter de sa raison d'être. Se dire « la violence n'est pas efficace », c'est bien plus important que de savoir si on doit condamner ou pas ceux qui s'y livrent. Le terrorisme n'est pas efficace. Dans la notion d'efficacité, il faut une espérance non-violente. S'il existe une espérance violente, c'est dans la poésie de Guillaume Apollinaire : « Que l'espérance est violente » ; pas en politique. Sartre, en mars 1980, à trois semaines de sa mort, déclarait : « Il faut essayer d'expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n'est qu'un moment dans le long développement historique, que l'espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections, et comment je ressens encore l'espoir comme ma conception de l'avenir [5]

Il faut comprendre que la violence tourne le dos à l'espoir. Il faut lui préférer l'espérance, l'espérance de la non-violence. C'est le chemin que nous devons apprendre à suivre. Aussi bien du côté des oppresseurs que des opprimés, il faut arriver à une négociation pour faire disparaître l'oppression ; c'est ce qui permettra de ne plus avoir de violence terroriste. C'est pourquoi il ne faut pas laisser s'accumuler trop de haine.

Le message d'un Mandela, d'un Martin Luther King trouve toute sa pertinence dans un monde qui a dépassé la confrontation des idéologies et le totalitarisme conquérant. C'est un message d'espoir dans la capacité des sociétés modernes à dépasser les conflits par une compréhension mutuelle et une patience vigilante. Pour y parvenir, il faut se fonder sur les droits, dont la violation, quel qu'en soit l'auteur, doit provoquer notre indignation. Il n'y a pas àtransiger sur ces droits.

Pour une insurrection pacifique

J'ai noté — et je ne suis pas le seul — la réaction du gouvernement israélien confronté au fait que chaque vendredi les citoyens de Bil'id vont, sans jeter de pierres, sans utiliser la force, jusqu'au mur contre lequel ils protestent. Les autorités israéliennes ont qualifié cette marche de « terrorisme non-violent ». Pas mal... Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non-violence. Il faut surtout être embarrassé par l'efficacité de la non-violence qui tient à ce qu'elle suscite l'appui, la compréhension, le soutien de tous ceux qui dans le monde sont les adversaires de l'oppression.

La pensée productiviste, portée par l'Occident, a entraîné le monde dans une crise dont il faut sortir par une rupture radicale avec la fuite en avant du "toujours plus", dans le domaine financier mais aussi dans le domaine des sciences et des techniques. Il est grand temps que le souci d'éthique, de justice, d'équilibre durable devienne prévalent. Car les risques les plus gravesnous menacent. Ils peuvent mettre un terme à l'aventure humaine sur une planète qu'elle peut rendre inhabitable pour l'homme.

Mais il reste vrai que d'importants progrès ont été faits depuis 1948 : ladécolonisation, la fin de l'apartheid, la destruction de l'empire soviétique, la chute du Mur de Berlin. Par contre, les dix premières années du XXIème siècle ont été une période de recul. Ce recul, je l'explique en partie par la présidence américaine de George Bush, le 11 septembre, et les conséquences désastreuses qu'en ont tirées les Etats-Unis, comme cette intervention militaire en Irak. Nous avons eu cette crise économique, mais nous n'en avons pas davantage initié une nouvelle politique de développement. De même, le sommet de Copenhague contre le réchauffement climatique n'a pas permis d'engager une véritable politique pour la préservation de la planète. Nous sommes à un seuil, entre les horreurs de la première décennie et les possibilités des décennies suivantes. Mais il faut espérer, il faut toujours espérer. La décennie précédente, celle des années 1990, avait été source de grands progrès. Les Nations Unies ont su convoquer des conférences comme celles de Rio sur l'environnement, en 1992 ; celle de Pékin sur les femmes, en 1995 ; en septembre 2000, à l'initiative du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, les 191 pays membres ont adopté la déclaration sur les « Huit objectifs du millénaire pour le développement », par laquelle ils s'engagent notamment à réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015. Mon grand regret, c'est que ni Obama ni l'Union européenne ne se soient encore manifestés avec ce qui devrait être leur apport pour une phase constructive, s'appuyant sur les valeurs fondamentales.

Comment conclure cet appel à s'indigner ? En rappelant encore que, à l'occasion du soixantième anniversaire du Programme du Conseil national de la Résistance, nous disions le 8 mars 2004, nous vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France libre (1940-1945), que certes le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et soeurs de la Résistance et des Nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice est toujours intacte [6].

Non, cette menace n'a pas totalement disparu. Aussi, appelons-nous toujours à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.

À ceux et celles qui feront le XXI' siècle, nous disons avec notre affection:

« CRÉER, C'EST RÉSISTER. RÉSISTER, C'EST CRÉER. »

Notes

[1] Créé clandestinement le 27 mai 1943, à Paris, par les représentants des huit grands mouvements de Résistance ; des deux grands syndicats d'avant-guerre : la CGT, la CFTC (confédération française des travailleurs chrétiens) ; et des six principaux partis politiques de la Troisième République dont le PC et la SFIO (les socialistes), le Conseil national de la Résistance (CNR) tint sa première réunion ce 27 mai, sous la présidence de Jean Moulin, délégué du général de Gaulle lequel voulait instaurer ce Conseil pour rendre plus efficace la lutte contre les nazis, renforcer sa propre légitimité face aux alliés. De Gaulle chargeait ce conseil d'élaborer un programme de gouvernement en prévision de la libération de la France. Ce programme fit l'objet de plusieurs va et vient entre le CNR et le gouvernement de la France libre, à la fois à Londres et à Alger, avant d'être adopté le 15 mars 1944, en assemblée plénière par le CNR. Ce programme est remis solennellement au Général de Gaulle par le CNR le 25 août 1944, à l'hôtel de Ville de Paris. Notons que l'ordonnance sur la presse est promulguée dès le 26 août. Et qu'un des principaux rédacteurs du programme fut Roger Ginsburger, fils d'un rabbin alsacien; alors, sous le pseudonyme de Pierre Villon, il est secrétaire général du Front national de l'indépendance de la France, mouvement de résistance créé par le Parti communiste français, en 1941, et représente cemouvement au sein du CNR et de son bureau permanent.

[2] D'après une estimation syndicaliste, on est passéde 75 à 80% du revenu comme montant des retraites à environ 50%, ceci étant un ordre degrandeur. Jean-Paul Domin, maître de conférence en Économie à l'Université de Reims Champagne-Ardennes, en 2010, rédige pour l'Institut Européen du Salariat une note sur « L'assurance maladie complémentaire ». Il y révèle combien l'accès à une complémentaire de qualité est désormais un privilège dû à la position dans l'emploi, que les plus fragiles renoncent à des soins faute d'assurances complémentaires et de l'importance du reste à payer ; que la source du problème est de n'avoir plus fait du salaire le support des droits sociaux — point central desordonnances des 4 et 15 octobre 1945. Celles-ci promulguaient la Sécurité sociale et plaçaient sa gestion, sous la double autorité des représentants des travailleurs et de l'État. Depuis les réformes Juppé de 1995 prononcées par ordonnances, puis la loi Douste Blazy (docteur de formation), de 2004, c'est l'État seul qui gère la Sécurité sociale. C'est par exemple le chef de l'État qui nomme par décret le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Ce ne sont plus comme aux lendemains de la Libération, des syndicalistes qui en sont à la tête des caisses primaires départementales mais l'État, via les préfets. Les représentants des travailleurs n'y tiennent plus qu'un rôle de conseiller.

[3] La Déclaration universelle des droits de l'homme fut adoptée le 10 décembre 1948, à Paris, par l'Assemblée générale des Nations unies par 48 États sur les 58 membres. Huit s'abstinrent : l'Afrique du Sud, à cause de l'apartheid que la déclaration condamnait de fait ; l'Arabie saoudite, du même, à cause de l'égalité hommes femmes ; l'Union soviétique (la Russie, l'Ukraine, le Biélorussie), la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, estimant quant à eux que la Déclaration n'allait pas assez loin dans la prise en compte des droits économiques et sociaux et sur la question des droits des minorités ; on note cependant que la Russie en particulier s'opposa à la proposition australienne de créer une Cour internationale des Droits de l'homme chargée d'examiner les pétitions adressées aux Nations unies ; il faut ici rappeler que l'article 8 de la Déclaration introduit le principe du recours individuel contre un État en cas de violation des droits fondamentaux ; ce principe allait trouver en Europe son application en 1998, avec la création d'une Cour européenne des droits de l'homme permanente qui garantit ce droit de recours à plus de 800 millions d'Européens.

[4] Jean-Paul Sartre, « Situation de l'écrivain en 1947 o, in Situations II, Paris, Gallimard, 1948.

[5] Jean-Paul Sartre, « Maintenant l'espoir... (III) » in Le Nouvel Observateur, 24mars 1980.

[6] Les signataires de l'Appel du 8 mars 2004 sont : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.

Indignez-vous (Stéphane Hessel)

jeudi 21 octobre 2010 à 00:00

93 ans. C'est un peu la toute dernière étape. La fin n'est plus bien loin. Quelle chance de pouvoir en profiter pour rappeler ce qui a servi de socle à mon engagement politique : les années de résistance et le programme élaboré il y a soixante-six ans par le Conseil National de la Résistance ! C'est à Jean Moulin que nous devons, dans le cadre de ce Conseil, la réunion de toutes les composantes de la France occupée, les mouvements, les partis, les syndicats, pour proclamer leur adhésion à la France combattante et au seul chef qu'elle se reconnaissait : le général de Gaulle. De Londres où j'avais rejoint le général de Gaulle en mars 1941, j'apprenais que ce Conseil avait mis au point un programme, l'avait adopté le 15 mars 1944, proposé pour la France libérée un ensemble de principes et de valeurs sur lesquels reposerait la démocratie moderne denotre pays [1].

De ces principes et de ces valeurs, nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin. Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l'égard des immigrés, pas cette société où l'on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance.

À partir de 1945, après un drame atroce, c'est une ambitieuse résurrection à laquelle se livrent les forces présentes au sein du Conseil de la Résistance. Rappelons-le, c'est alors qu'est créée la Sécurité sociale comme la Résistance le souhaitait, comme son programme le stipulait : Un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ; une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. Les sources d'énergie, l'électricité et le gaz, les charbonnages, les grandes banques sont nationalisées. C'est ce que ce programme préconisait encore, le retour à la nation des grands moyens deproduction monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandesbanques ; l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie. L'intérêt général doit primer sur l'intérêt particulier, le juste partage des richesses créées par le monde du travail primer sur le pouvoir de l'argent. La Résistance propose une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l'image des États fascistes », et le Gouvernement provisoire de la République s'en fait le relais.

Une véritable démocratie a besoin d'une presse indépendante ; la Résistance le sait, l'exige, en défendant la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères. C'est ce que relaient encore les ordonnances sur la presse, dès 1944. Or, c'est bien ce qui est aujourd'hui en danger.

La Résistance en appelait à la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction la plus développée, sans discrimination ; or, les réformes proposées en 2008 vont à l'encontre de ce projet. De jeunes enseignants, dont je soutiens l'action, ont été jusqu'à refuser de les appliquer et ils ont vu leurs salaires amputés en guise de punition. Ils se sont indignés, ont « désobéi », ont jugé ces réformes trop éloignées de l'idéal de l'école républicaine, trop au service d'une société de l'argent et ne développant plus assez l'esprit créatif et critique.

C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd'hui remis en cause [2].

Le motif de la résistance, c'est l'indignation.

On ose nous dire que l'État ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes. Mais comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l'Europe était ruinée ? Sinon parce que le pouvoir de l'argent, tellement combattu par la Résistance, n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'État. Les banques désormais privatisées se montrent d'abord soucieuses de leurs dividendes, et des très haut salaires de leurs dirigeants, pas de l'intérêt général. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches n'a jamais été aussi important ; et la course à l'argent, la compétition, autant encouragée.

Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemblede la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous, d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j'ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint ce courant de l'histoire et le grand courant de l'histoire doit se poursuivre grâce à chacun. Et ce courant va vers plus de justice, plus de liberté mais pas cette liberté incontrôlée du renard dans le poulailler. Ces droits, dont la Déclaration universelle a rédigé le programme en 1948, sont universels. Si vous rencontrez quelqu'un qui n'en bénéficie pas, plaignez-le, aidez-le à les conquérir.

Deux visions de l'histoire

Quand j'essaie de comprendre ce qui a causé le fascisme, qui a fait que nous ayons été envahis par lui et par Vichy, je me dis que les possédants, avec leur égoïsme, ont eu terriblement peur de la révolution bolchévique. Ils se sont laissés guider par leurs peurs. Mais si, aujourd'hui comme alors, une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève. Certes, l'expérience d'un très vieux comme moi, né en 1917, se différencie de l'expérience des jeunes d'aujourd'hui. Je demande souvent à des professeurs de collège la possibilité d'intervenir auprès de leurs élèves, et je leur dis : vous n'avez pas les mêmes raisons évidentes de vous engager. Pour nous, résister, c'était ne pas accepter l'occupation allemande, la défaite. C'était relativement simple. Simple comme ce qui a suivi, la décolonisation. Puis la guerre d'Algérie. Il fallait que l'Algérie devienne indépendante, c'était évident. Quant à Staline, nous avons tous applaudi à la victoire de l'Armée rouge contre les nazis, en 1943. Mais déjà lorsque nous avions eu connaissance des grands procès staliniens de 1935, et même s'il fallait garder une oreille ouverte vers le communisme pour contrebalancer le capitalisme américain, la nécessité de s'opposer à cette forme insupportablede totalitarisme s'était imposée comme une évidence. Ma longue vie m'a donné une succession de raisons de m'indigner.

Ces raisons sont nées moins d'une émotion que d'une volonté d'engagement. Le jeune normalien que j'étais a été très marqué par Sartre, un aîné condisciple. La Nausée, Le Mur, pas L'Être et le néant, ont été très importants dans la formation de ma pensée. Sartre nous a appris à nous dire : Vous êtes responsables en tant qu'individus. C'était un message libertaire. La responsabilité de l'homme qui ne peut s'en remettre ni à un pouvoir ni à un dieu. Au contraire, il faut s'engager au nom de sa responsabilité de personne humaine. Quand je suis entré à l'École normale de la rue d'Ulm, à Paris, en 1939, j'y entrais comme fervent disciple du philosophe Hegel, et je suivais le séminaire de Maurice Merleau-Ponty. Son enseignement explorait l'expérience concrète, celle du corps et de ses relations avec le sens, grand singulier face au pluriel des sens. Mais mon optimisme naturel, qui veut que tout ce qui est souhaitable soit possible, me portait plutôt vers Hegel. L'hégélianisme interprète la longue histoire de l'humanité comme ayant un sens : c'est la liberté de l'homme progressant étape par étape. L'histoire est faite de chocs successifs, c'est la prise en compte de défis. L'histoire des sociétés progresse, et au bout, l'homme ayant atteint sa liberté complète, nous avons l'État démocratique dans sa forme idéale.

Il existe bien sûr une autre conception de l'histoire. Les progrès faits par la liberté, la compétition, la course au "toujours plus", cela peut être vécu comme un ouragan destructeur. C'est ainsi que la représente un ami de mon père, l'homme qui a partagé avec lui la tâche de traduire en allemand À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. C'est le philosophe allemand Walter Benjamin. Il avait tiré un message pessimiste d'un tableau du peintre suisse, Paul Klee, l'Angelus Novus, où la figure de l'ange ouvre les bras comme pour contenir et repousser une tempête qu'il identifie avec le progrès. Pour Benjamin qui se suicidera en septembre 1940 pour fuir le nazisme, le sens de l'histoire, c'est le cheminement irrésistible de catastrophe en catastrophe.

L'indifférence : la pire des attitudes

C'est vrai, les raisons de s'indigner peuvent paraître aujourd'hui moins nettes ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il n'est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n'avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C'est un vaste monde, dont nous sentons bien qu'il est interdépendant. Nous vivons dans une interconnectivité comme jamais encore il n'en a existé. Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vousallez trouver. La pire des attitudes est l'indifférence, dire « je n'y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composant esessentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables : la faculté d'indignation et l'engagement qui en est la conséquence.

On peut déjà identifier deux grands nouveaux défis:

  1. L'immense écart qui existe entre les très pauvres et les très riches et qui ne cesse de s'accroître. C'est une innovation des XXème et XXIème siècle. Les très pauvres dans le monde d'aujourd'hui gagnent à peine deux dollars par jour. On ne peut pas laisser cet écart se creuser encore. Ce constat seul doit susciter un engagement.
  2. Les droits de l'homme et l'état de la planète. J'ai eu la chance après la Libération d'être associé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Organisation des Nations unies, le 10 décembre 1948, à Paris, au palais de Chaillot. C'est au titre de chef de cabinet de Henri Laugier, secrétaire général adjoint de l'ONU, et secrétaire de la Commission des Droits de l'homme que j'ai, avec d'autres, été amené à participer à la rédaction de cette déclaration. Je ne saurais oublier, dans son élaboration, le rôle de René Cassin, commissaire national à la Justice et à l'Éducation du gouvernement de la France libre, à Londres, en 1941, qui fut prix Nobel de la paix en 1968, ni celui de Pierre Mendès France au sein du Conseil économique et social à qui les textes que nous élaborions étaient soumis, avant d'être examinés par la Troisième commission de l'assemblée générale, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles. Elle comptait les cinquante-quatre États membres, à l'époque, des Nations unies, et j'en assurais le secrétariat. C'est à René Cassin que nous devons le terme de droits « universels » et non « internationaux » comme le proposaient nos amis anglo-saxons. Car là est bien l'enjeu au sortir de la seconde guerre mondiale : s'émanciper des menaces que le totalitarisme a fait peser sur l'humanité. Pour s'en émanciper, il faut obtenir que les États membres de l'ONU s'engagent à respecter ces droits universels. C'est une manière de déjouer l'argument de pleine souveraineté qu'un État peut faire valoir alors qu'il se livre à des crimes contre l'humanité sur son sol. Ce fut le cas d'Hitler qui s'estimait maître chez lui et autorisé à provoquer un génocide. Cette déclaration universelle doit beaucoup à la révulsion universelle envers le nazisme, le fascisme, le totalitarisme, et même, par notre présence, à l'esprit de la Résistance. Je sentais qu'il fallait faire vite, ne pas être dupe de l'hypocrisie qu'il y avait dans l'adhésion proclamée par les vainqueurs à ces valeurs que tous n'avaient pas l'intention de promouvoir loyalement, mais que nous tentions de leur imposer [3].

Je ne résiste pas à l'envie de citer l'article 15 de la Déclaration universelle des Droits de l'homme : Tout individu a droit à une nationalité ; l'article 22 : Toute personne, entant que membre de la société, a droit à la Sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays. Et si cette déclaration a une portée déclarative, et non pas juridique, elle n'en a pas moins joué un rôle puissant depuis 1948 ; on a vu des peuples colonisés s'en saisir dans leur lutte d'indépendance ; elle a ensemencé les esprits dans leur combat pour la liberté.

Je constate avec plaisir qu'au cours des dernières décennies se sont multipliés les organisations non gouvernementales, les mouvements sociaux comme Attac (Association pour la taxation des transactions financières), la FIDH (Fédération internationale des Droits de l'homme),Amnesty... qui sont agissants et performants. Il est évident que pour être efficace aujourd'hui, il faut agir en réseau, profiter de tous les moyens modernes de communication.

Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation — le traitement faits aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez !

Mon indignation à propos de la Palestine

Aujourd'hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Ce conflit est la source même d'une indignation. Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009 sur Gaza, dans lequel ce juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l'armée israélienne d'avoir commis des « actes assimilables à descrimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l'humanité » pendant son opération "Plomb durci" qui a duré trois semaines. Je suis moi-même retourné à Gaza, en 2009, où j'ai pu entrer avec ma femme grâce à nos passeports diplomatiques afin d'étudier de visu ce que ce rapport disait. Les gens qui nous accompagnaient n'ont pas été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza. Là et en Cisjordanie. Nous avons aussi visité les camps de réfugiés palestiniens mis en placedès 1948 par l'agence des Nations unies, l'UNRWA, où plus de trois millions de Palestiniens chassés de leurs terres par Israël attendent un retour de plus en plus problématique. Quant à Gaza, c'est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s'organisent pour survivre. Plus encore que les destructions matérielles comme celle de l'hôpital du Croissant rouge par "Plomb durci", c'est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vu confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. On nous a confirmé qu'il yavait eu mille quatre cents morts — femmes, enfants, vieillards inclus dans le camp palestinien — au cours de cette opération "Plomb durci" menée par l'armée israélienne, contre seulement cinquante blessés côté israélien. Je partage les conclusions du juge sud-africain. Que des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c'est insupportable. Hélas, l'histoire donne peu d'exemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire.

Je sais, le Hamas qui avait gagné les dernières élections législatives n'a pas pu éviter que des rockets soient envoyées sur les villes israéliennes en réponse à la situation d'isolement et de blocus dans laquelle se trouvent les Gazaouis. Je pense bien évidemment que le terrorisme est inacceptable, mais il faut reconnaître que lorsque l'on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente.

Est-ce que ça sert le Hamas d'envoyer des rockets sur la ville de Sdérot? La réponse est non. Ça ne sert pas sa cause, mais on peut expliquer ce geste par l'exaspération des Gazaouis. Dans la notion d'exaspération, il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent. Alors, on peut se dire que le terrorisme est une forme d'exaspération. Et que cette exaspération est un terme négatif. Il ne faudrait pas ex-aspérer, il faudrait es-pérer. L'exaspération est un déni de l'espoir. Elle est compréhensible, je dirais presque qu'elle est naturelle, mais pour autant elle n'est pas acceptable. Parce qu'elle ne permet pas d'obtenir les résultats que peut éventuellement produire l'espérance.

La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre

Je suis convaincu que l'avenir appartient à la non-violence, à la conciliation des cultures différentes. C'est par cette voie que l'humanité devra franchir sa prochaine étape. Et là, je rejoins Sartre, on ne peut pas excuser les terroristes qui jettent des bombes, on peut les comprendre. Sartre écrit en 1947 : Je reconnais que la violence sous quelque forme qu'elle se manifeste est un échec. Mais c'est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence. Et s'il est vrai que le recours à la violence reste la violence qui risque de la perpétuer, il est vrai aussi c'est l'unique moyen de la faire cesser [4]. À quoi j'ajouterais que la non-violence est un moyen plus sûr de la faire cesser. On ne peut pas soutenir les terroristes comme Sartre l'a fait au nom de ce principe pendant la guerre d'Algérie, ou lors de l'attentat des jeux de Munich, en 1972, commis contre des athlètes israéliens. Ce n'est pas efficace et Sartre lui-même finira par s'interroger à la fin de sa vie sur le sens du terrorisme et à douter de sa raison d'être. Se dire « la violence n'est pas efficace », c'est bien plus important que de savoir si on doit condamner ou pas ceux qui s'y livrent. Le terrorisme n'est pas efficace. Dans la notion d'efficacité, il faut une espérance non-violente. S'il existe une espérance violente, c'est dans la poésie de Guillaume Apollinaire : « Que l'espérance est violente » ; pas en politique. Sartre, en mars 1980, à trois semaines de sa mort, déclarait : « Il faut essayer d'expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n'est qu'un moment dans le long développement historique, que l'espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections, et comment je ressens encore l'espoir comme ma conception de l'avenir [5]

Il faut comprendre que la violence tourne le dos à l'espoir. Il faut lui préférer l'espérance, l'espérance de la non-violence. C'est le chemin que nous devons apprendre à suivre. Aussi bien du côté des oppresseurs que des opprimés, il faut arriver à une négociation pour faire disparaître l'oppression ; c'est ce qui permettra de ne plus avoir de violence terroriste. C'est pourquoi il ne faut pas laisser s'accumuler trop de haine.

Le message d'un Mandela, d'un Martin Luther King trouve toute sa pertinence dans un monde qui a dépassé la confrontation des idéologies et le totalitarisme conquérant. C'est un message d'espoir dans la capacité des sociétés modernes à dépasser les conflits par une compréhension mutuelle et une patience vigilante. Pour y parvenir, il faut se fonder sur les droits, dont la violation, quel qu'en soit l'auteur, doit provoquer notre indignation. Il n'y a pas àtransiger sur ces droits.

Pour une insurrection pacifique

J'ai noté — et je ne suis pas le seul — la réaction du gouvernement israélien confronté au fait que chaque vendredi les citoyens de Bil'id vont, sans jeter de pierres, sans utiliser la force, jusqu'au mur contre lequel ils protestent. Les autorités israéliennes ont qualifié cette marche de « terrorisme non-violent ». Pas mal... Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non-violence. Il faut surtout être embarrassé par l'efficacité de la non-violence qui tient à ce qu'elle suscite l'appui, la compréhension, le soutien de tous ceux qui dans le monde sont les adversaires de l'oppression.

La pensée productiviste, portée par l'Occident, a entraîné le monde dans une crise dont il faut sortir par une rupture radicale avec la fuite en avant du "toujours plus", dans le domaine financier mais aussi dans le domaine des sciences et des techniques. Il est grand temps que le souci d'éthique, de justice, d'équilibre durable devienne prévalent. Car les risques les plus gravesnous menacent. Ils peuvent mettre un terme à l'aventure humaine sur une planète qu'elle peut rendre inhabitable pour l'homme.

Mais il reste vrai que d'importants progrès ont été faits depuis 1948 : ladécolonisation, la fin de l'apartheid, la destruction de l'empire soviétique, la chute du Mur de Berlin. Par contre, les dix premières années du XXIème siècle ont été une période de recul. Ce recul, je l'explique en partie par la présidence américaine de George Bush, le 11 septembre, et les conséquences désastreuses qu'en ont tirées les Etats-Unis, comme cette intervention militaire en Irak. Nous avons eu cette crise économique, mais nous n'en avons pas davantage initié une nouvelle politique de développement. De même, le sommet de Copenhague contre le réchauffement climatique n'a pas permis d'engager une véritable politique pour la préservation de la planète. Nous sommes à un seuil, entre les horreurs de la première décennie et les possibilités des décennies suivantes. Mais il faut espérer, il faut toujours espérer. La décennie précédente, celle des années 1990, avait été source de grands progrès. Les Nations Unies ont su convoquer des conférences comme celles de Rio sur l'environnement, en 1992 ; celle de Pékin sur les femmes, en 1995 ; en septembre 2000, à l'initiative du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, les 191 pays membres ont adopté la déclaration sur les « Huit objectifs du millénaire pour le développement », par laquelle ils s'engagent notamment à réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015. Mon grand regret, c'est que ni Obama ni l'Union européenne ne se soient encore manifestés avec ce qui devrait être leur apport pour une phase constructive, s'appuyant sur les valeurs fondamentales.

Comment conclure cet appel à s'indigner ? En rappelant encore que, à l'occasion du soixantième anniversaire du Programme du Conseil national de la Résistance, nous disions le 8 mars 2004, nous vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France libre (1940-1945), que certes le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et soeurs de la Résistance et des Nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice est toujours intacte [6].

Non, cette menace n'a pas totalement disparu. Aussi, appelons-nous toujours à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.

À ceux et celles qui feront le XXI' siècle, nous disons avec notre affection:

« CRÉER, C'EST RÉSISTER. RÉSISTER, C'EST CRÉER. »

Notes

[1] Créé clandestinement le 27 mai 1943, à Paris, par les représentants des huit grands mouvements de Résistance ; des deux grands syndicats d'avant-guerre : la CGT, la CFTC (confédération française des travailleurs chrétiens) ; et des six principaux partis politiques de la Troisième République dont le PC et la SFIO (les socialistes), le Conseil national de la Résistance (CNR) tint sa première réunion ce 27 mai, sous la présidence de Jean Moulin, délégué du général de Gaulle lequel voulait instaurer ce Conseil pour rendre plus efficace la lutte contre les nazis, renforcer sa propre légitimité face aux alliés. De Gaulle chargeait ce conseil d'élaborer un programme de gouvernement en prévision de la libération de la France. Ce programme fit l'objet de plusieurs va et vient entre le CNR et le gouvernement de la France libre, à la fois à Londres et à Alger, avant d'être adopté le 15 mars 1944, en assemblée plénière par le CNR. Ce programme est remis solennellement au Général de Gaulle par le CNR le 25 août 1944, à l'hôtel de Ville de Paris. Notons que l'ordonnance sur la presse est promulguée dès le 26 août. Et qu'un des principaux rédacteurs du programme fut Roger Ginsburger, fils d'un rabbin alsacien; alors, sous le pseudonyme de Pierre Villon, il est secrétaire général du Front national de l'indépendance de la France, mouvement de résistance créé par le Parti communiste français, en 1941, et représente cemouvement au sein du CNR et de son bureau permanent.

[2] D'après une estimation syndicaliste, on est passéde 75 à 80% du revenu comme montant des retraites à environ 50%, ceci étant un ordre degrandeur. Jean-Paul Domin, maître de conférence en Économie à l'Université de Reims Champagne-Ardennes, en 2010, rédige pour l'Institut Européen du Salariat une note sur « L'assurance maladie complémentaire ». Il y révèle combien l'accès à une complémentaire de qualité est désormais un privilège dû à la position dans l'emploi, que les plus fragiles renoncent à des soins faute d'assurances complémentaires et de l'importance du reste à payer ; que la source du problème est de n'avoir plus fait du salaire le support des droits sociaux — point central desordonnances des 4 et 15 octobre 1945. Celles-ci promulguaient la Sécurité sociale et plaçaient sa gestion, sous la double autorité des représentants des travailleurs et de l'État. Depuis les réformes Juppé de 1995 prononcées par ordonnances, puis la loi Douste Blazy (docteur de formation), de 2004, c'est l'État seul qui gère la Sécurité sociale. C'est par exemple le chef de l'État qui nomme par décret le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Ce ne sont plus comme aux lendemains de la Libération, des syndicalistes qui en sont à la tête des caisses primaires départementales mais l'État, via les préfets. Les représentants des travailleurs n'y tiennent plus qu'un rôle de conseiller.

[3] La Déclaration universelle des droits de l'homme fut adoptée le 10 décembre 1948, à Paris, par l'Assemblée générale des Nations unies par 48 États sur les 58 membres. Huit s'abstinrent : l'Afrique du Sud, à cause de l'apartheid que la déclaration condamnait de fait ; l'Arabie saoudite, du même, à cause de l'égalité hommes femmes ; l'Union soviétique (la Russie, l'Ukraine, le Biélorussie), la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, estimant quant à eux que la Déclaration n'allait pas assez loin dans la prise en compte des droits économiques et sociaux et sur la question des droits des minorités ; on note cependant que la Russie en particulier s'opposa à la proposition australienne de créer une Cour internationale des Droits de l'homme chargée d'examiner les pétitions adressées aux Nations unies ; il faut ici rappeler que l'article 8 de la Déclaration introduit le principe du recours individuel contre un État en cas de violation des droits fondamentaux ; ce principe allait trouver en Europe son application en 1998, avec la création d'une Cour européenne des droits de l'homme permanente qui garantit ce droit de recours à plus de 800 millions d'Européens.

[4] Jean-Paul Sartre, « Situation de l'écrivain en 1947 o, in Situations II, Paris, Gallimard, 1948.

[5] Jean-Paul Sartre, « Maintenant l'espoir... (III) » in Le Nouvel Observateur, 24mars 1980.

[6] Les signataires de l'Appel du 8 mars 2004 sont : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.