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Ploum

source: Ploum

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À mes écrivains favoris

jeudi 24 octobre 2013 à 19:32
lecteur

Chers écrivains,

Depuis ma plus tendre enfance, vous me bercez de vos rêves, de vos idées, de vos univers. Je suis né au milieu de vos livres et de vos histoires. D’ailleurs, mon tout premier achat dans mon premier appartement fut une bibliothèque. Vous marquez ma vie au point que je veuille vous imiter.

Pourtant, je dois vous faire une confidence.

J’ai constitué mon « mur de livre » pratiquement sans vous verser un centime. L’énorme majorité de mes livres a été acheté en seconde-main, dans les marchés aux puces, les bouquineries ou récupérés auprès de connaissances qui vidaient leur grenier. Depuis ma plus tendre enfance, je vous lis sans presque vous payer grâce aux emprunts divers et aux bibliothèques (qui vous reversent néanmoins une petite somme).

Cette manière de faire n’a jamais posé de problème au législateur et je suppose que vous n’y voyez pas non plus d’inconvénients.

Peut-être peut-on imaginer que j’ai le droit de lire un livre sans vous payer parce que celui qui vous a payé a lui perdu le droit de vous lire ? Mais, en tant qu’auteur, je suppose que cela vous attriste autant que moi de savoir que quelqu’un a perdu le droit de vous lire. Je n’arrive pas à m’imaginer un écrivain qui voudrait volontairement que son œuvre soit limitée à un nombre fixé de personnes, qui voudrait interdire d’être lu.

Piratage ?

Quand on y pense, je suis un peu un pirate de vos livres depuis ma plus tendre enfance. C’est amusant car on commence seulement à parler du piratage dans le cadre des livres. La musique et les films étant des œuvres numériques, elles ont été très rapidement partagées sur Internet. Les ayants-droits ont tenté de lutter contre ce partage en l’appelant piratage et en mettant en place des filtrages rendus possibles par la grande taille des fichiers échangés et la difficulté des les échanger.

Pour les livres, la situation est différente. Le piratage était anecdotique car la lecture sur écran est particulièrement désagréable. Les liseuses électroniques sont en train de changer la donne. Cependant, un livre électronique reste un fichier très petit, indétectable et très facilement échangeable. Les mesures prises, sans grand succès d’ailleurs, par l’industrie du film et de la musique se révèlent donc inapplicables dans le cas du livre. Sans compter que, selon certains militants, partager un livre pourrait relever de la liberté d’expression et serait donc sacralisé dans des pays comme les États-Unis.

En tant que lecteur, ma consommation de livres n’a jamais été aussi importante que depuis que j’ai une liseuse électronique. En tant qu’Internaute, je n’ai jamais eu autant de choix de lecture. En tant qu’auteur, vous devriez certainement vous réjouir de cette situation !

L’offre des livres électroniques

Je lis beaucoup d’auteurs décédés des siècles passés. C’est avec beaucoup de bonheur que je me suis plongé dans le projet Gutenberg.

Si le passé est riche, la liseuse électronique est également une opportunité de découvrir le présent. Mais en dehors de trop rares projets, j’ai été très étonné. Tout d’abord par le prix : certains livres électroniques peuvent monter à 20€ ! En dehors des livres universitaires, je ne me souviens pas d’avoir souvent payé un tel prix pour un livre. Quelle ironie de voir un fichier électronique coûter dix fois plus cher que son équivalent en arbres morts dans une de mes bouquineries fétiches.

Nonobstant le prix, j’ai surtout prêté attention aux conditions d’achat des livres électroniques. Je ne suis pas de ceux qui estiment « Je l’ai payé donc c’est à moi ». La propriété n’a, pour moi, pas beaucoup de sens en ce qui concerne une œuvre imaginaire. Mais je veux être sûr de pouvoir finir un livre, quelle que soit l’humeur d’un quelconque avocat ou quelles que soient les frontières que je franchis. Je veux également pouvoir faire découvrir ce livre à mes amis ou mes enfants, aujourd’hui ou dans dix ans. Il était donc or de question pour moi d’acheter des « droits de lectures temporaires » sur Amazon, Google Books ou la Fnac.

Je me suis tourné vers des librairies électroniques indépendantes qui fournissaient des epubs « garantis sans DRM ». Parfait, me suis-je dit ! Mais, surprise, j’ai découvert que chaque livre acheté était « marqué » à mon nom. Que ce soit de manière visible ou invisible. De cette manière, si mon exemplaire se retrouvait sur Internet, on pourrait me retrouver et me poursuivre.

J’ai été outré. Non seulement le partage a, de tout temps, été pour moi une expérience essentielle de la lecture, mais surtout, je ne me voyais pas payer pour avoir la chance d’être peut-être poursuivi en justice. Un comble !

J’ai alors découvert la Team Alexandriz qui accomplit, gratuitement, un travail extraordinaire pour promouvoir vos œuvres.

Rémunération

Le problème, nous sommes bien d’accord, est que je ne vous paie pas. Je ne le faisais pas non plus avant (je rémunérais le vendeur du livre ou le bouquiniste) mais peut-être est-ce l’occasion d’améliorer la situation.

Je ne suis pas intéressé par acheter une pile de papier. Ma bibliothèque est déjà pleine à, littéralement, craquer. J’ai pas non plus l’intérêt de payer une fortune pour un « droit de lire » qui va surtout engraisser les intermédiaires.

Aussi, je vous propose la solution suivante, que j’ai d’ailleurs mise en place pour mes propres écrits : laissez-moi vous payer ! Pas grand chose, quelques euros. Le prix que j’aurais payé dans une bouquinerie. Ou peut-être un peu plus suivant mon appréciation. Si vous estimez que d’autres personnes sont intervenues dans la réalisation du livre (éditeurs, traducteurs, relecteurs), vous êtes bien entendu libre de partager avec eux !

Je suis prêt à vous payer via Flattr (j’explique son fonctionnement ici), en bitcoins (que j’explique ici) ou via un transfert IBAN/SEPA. Étant  personnellement plutôt opposé à Paypal, que je n’utilise que lorsqu’il y a déjà de l’argent sur le compte, je suis prêt à vous aider à mettre en place Flattr ou Bitcoin.

Bien sûr, tout seul, je ne vais pas changer votre vie avec une poignée d’euros. Mais peut-être que vous pourriez donner l’idée à vos lecteurs de faire comme moi ? À mon humble niveau, j’ai tenté l’expérience et je peux vous avouer : mes lecteurs ont changé ma vie !

Peut-être que le plaisir de savoir ses écrits librement accessibles, être lu et en vivre ne sont plus antinomiques ? Je vous invite à essayer, on ne sait jamais que ça marche !

Avec toute ma gratitude et mon amour,

 

Photo par Jeff Werner. Relecture par Poussah, Nico

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9 ans de blog : le défi NaNoWriMo

dimanche 20 octobre 2013 à 15:31
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Nous avons une propension naturelle à aimer les chiffres ronds. C’est purement arbitraire mais je vais céder à la convention. Car, demain matin, ce blog entrera dans sa dixième année. Vous pouvez d’ores et déjà marquer le 20 octobre 2014 dans votre agenda. Il me reste un an pour trouver une idée de ce que nous ferons pour fêter une décennie de longs et indigestes billets prétentieux.

Vous avez pu constater que j’aimais écrire mais que j’étais un procrastinateur indécrotable. Et grâce à vous, qui me lisez, qui me partagez, qui me corrigez, j’ai trouvé une nouvelle motivation. Cela fait 20 ans que j’ai envie d’écrire mais il a fallu votre coup de pouce pour que je passe à l’action.

Et pourquoi ne pas commencer cette dixième année de blog en passant à la vitesse supérieure ? Pour cela, je me propose de participer au NaNoWriMo.

Le NaNoWriMo est un challenge bien connu sur Internet. Les participants s’engagent à écrire 50.000 mots d’une œuvre écrite durant le mois de novembre. À titre de comparaison, mes longs billets font généralement 1000 mots. Cela signifie que le défi est de taille : l’équivalent de 50 billets en 30 jours !

Mais ce challenge, je ne vais pas le réaliser seul. Car je fais appel à vous pour me tirer durant tout le long du mois de novembre.

Devenez supporter de mon NaNoWriMo

Pour devenir supporter, rien de plus simple. Il suffit de payer mais, comme à l’accoutumée, avec un prix entièrement libre. Vous m’envoyez un mail à lionel@ploum.net avec, en sujet [Supporter NaNoWriMo]. Je vous fait entièrement confiance quand à la contribution ou au paiement que vous apporterez : je ne vérifierai pas.

Peut-être avez-vous déjà suffisamment contribué à ce blog ? Peut-être voulez-vous relire et corriger mon orthographe ? Ou, tout simplement, vous m’envoyez des sioux par virement, Paypal, Flattr, Patreon ou tout autre de votre choix.

Car l’argent reste le nerf de la guerre. Par tranche de 100€ reçue pour ce projet, je prendrai un jour de congé dédié entièrement à l’écriture. Il est aussi évident que, durant un mois, je vais grandement diminuer la fréquence de mes billets même si j’espère pouvoir continuer Printeurs en parallèle.

Le suivi au jour le jour

En tant que supporter, vous aurez accès à une communauté privée (probablement sur G+, si vous n’avez pas de compte Google, signalez-le moi dans votre mail).

Vous aurez également accès au texte au fur et à mesure qu’il se construit, vous pourrez discuter avec les autres supporters, critiquer, suggérer et recueillir en temps réel mes anecdotes et mon ressenti.

Le résultat final sera publié gratuitement sur mon blog. Si le projet s’avère faire plus que 50.000 mots, ce qui est fort probable, je vous tiendrai informés jusqu’à la complétion du livre, même si le rythme pourrait se ralentir après Novembre.

Le choix du projet

En tant que supporter, vous avez le droit de choisir, parmi deux projets très différents, le sujet sur lequel je vais travailler pendant un mois. Dans votre mail de soutien, indiquez donc bien votre préférence.

Projet 1: Un monde pirate

Le premier projet est un essai qui concatène mes expériences au sein du Parti Pirate et ma vision pirate des grands sujets de société. Le Parti Pirate n’a pas de réel programme. Dans « Un monde pirate », je souhaite développer pourquoi je n’ai pas eu besoin de programme pour être convaincu et comment je vois le monde évoluer si les idées pirates parvenaient à percoler. Pas franchement très amusant mais peut-être pertinent à l’aube des élections de 2014.

Beaucoup d’idées déjà développées sur ce blog se retrouveront, d’une manière ou d’une autre, reprises et reformulées dans cet essai.

Projet 2: L’écume du temps

« L’écume du temps » est un projet de roman qui me tient à cœur depuis près de 10 ans. Commencé comme un scénario d’une série de court-métrages, cela fait près de trois ans que je travaille au synopsis détaillé de cette intrigue particulièrement complexe et que j’enfile des poignées de bouquins en guise de documentation afin de coller autant que possible à la réalité historique.

Dans un futur très proche, Mats travaille sur une expérience de physique expérimentale impliquant des récentes découvertes en physique quantique. Une expérience qui ne semble pas plaire à une organisation secrète qui tente plusieurs fois d’attenter à la vie de Mats, heureusement protégé par un mystérieux homme en noir.

Pour Zoé, l’égyptologue, les récents événements sont étroitement liés avec le début du règne d’Akhénaton, le pharaon maudit. Que s’est-il passé de si important il y a 3500 ans pour que la société humaine toute entière soit accrochée à ce point nodal de l’espace temps ? Comment la simple existence d’un Mats traqué, pourchassé et trahi remet-elle en question le passé, mettant en péril notre civilisation toute entière ?

Commençant comme un thriller où la science-fiction n’est finalement que très légère et très accessoire, « L’écume du temps » se veut une histoire changeante et pleine d’imprévus, emportant le lecteur à travers l’histoire de l’humanité. Si le résumé ci-dessus semble assez banal, j’espère que le résultat final vous surprendra.

En résumé

Si vous souhaitez soutenir ma participation au NaNoWriMo, vous m’envoyez un mail à lionel@ploum.net avec en sujet [Supporter NaNoWriMo]. Vous me dites la contribution que vous souhaitez apporter, vous me donnez l’adresse de votre compte Google, vous me dites sur quel projet vous souhaitez que je travaille en priorité et votre avis sur l’initiative en général. Est-ce trop ambitieux ? Trop prétentieux ? Préférez-vous que je continue à bloguer normalement ?

En tout cas, le défi est lancé. Je me suis toujours demandé si j’étais capable de faire le NaNoWriMo. Mais si vous êtes nombreux à me soutenir, je sais que je n’aurais pas le choix !

 

Photo par Will Clayton. Relecture par Pit.

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Printeurs 9

vendredi 18 octobre 2013 à 14:57
sofa
Ceci est le billet 9 sur 10 dans la série Printeurs

Une légère sonnerie se fait entendre. Nullement surpris, Georges se dirige vers la porte de l’ascenseur à l’instant où celle-ci s’ouvre sur un personnage en costume élégant. Il n’est plus tout jeune mais fait partie de ces personnes dont on perçoit instantanément qu’elles sont bien conservées, moins par le sport et une vie saine que grâce à l’argent et la richesse. Lorsque l’on peut se payer un cuisinier, des repas bios, des massages, des petites retouches chirurgicales de temps en temps et un traitement de régénération de l’ADN, le passage du temps doit paraître moins inquiétant.
— Bonjour Georges, fait l’individu. Je te croyais seul !
— Bonjour Warren, ne t’inquiète pas. Il s’agit de deux jeunes chercheurs très prometteurs qui ont toute ma confiance. D’ailleurs, nous t’attendions, je venais de servir un quatrième verre de Whisky. Nellio, Eva, je vous présente Warren, administrateur du conglomérat de la zone industrielle.

Sans hésiter, il tend au visiteur le verre qu’il vient de sortir de notre… printeur, à défaut d’autre mot pour décrire notre invention. Je reste un instant suffoqué par son audace et son naturel. Ce verre de whisky est historique et Georges le sert au premier visiteur venu. Constatant mon air ahuri, il m’adresse un clin d’œil complice.

Je m’approche d’Eva.
— Georges est dingue ! Ce mec aurait pu surprendre notre expérience !
Elle me regarde, d’un air légèrement hautain :
— Bien sûr que non, il n’aurait pas laissé la porte de l’ascenseur s’ouvrir !
— Mais elle est automatique, non ?
— Georges possède un neurex autrement plus perfectionné que nos gadgets. Le sien est calibré sur certains ordres précis, par exemple l’invitation à entrer. Une image de la personne est projetée dans ses lentilles. S’il a la moindre réaction de rejet ou d’hésitation, la porte se bloque et il faut l’ouvrir manuellement.
— Bref, c’est la version moderne de l’œil-de-bœuf.
— Si tu veux.
— Mais… Comment es-tu au courant de tout cela ?

Sans me répondre, elle me fait signe d’observer le nouveau venu porter le verre offert à ses lèvres. Une grimace déforme soudain ses traits. Mon cœur s’arrête de battre ! Et si notre printeur n’était tout simplement pas au point ? Dieu sait quel liquide Georges avait offert à son invité !
— Du Glenlivet ! Bon dieu Georges, tu n’as donc aucun goût ? C’est juste bon à allumer le barbecue. Tu veux me tuer ?
— J’oubliais que monsieur est un fin connaisseur, goguenarde Georges en reposant le verre. Mais je suppose que tu n’es pas venu ici pour critiquer mes goûts.

D’un air légèrement interrogatif, Warren nous jette un regard. Georges le rassure :
— Ne t’inquiète pas, ils ont toute ma confiance.
— C’est au sujet de ta fondation pour les conditions de travail des ouvriers. C’est très joli tout ça mais ça induit des coûts qui vont se répercuter sur les ventes.
— Il faut bien que les ouvriers aient des avantages sur les télé-passifs ! J’essaie de t’aider Warren. Si tu ne cèdes pas progressivement, tu risques de voir apparaître des syndicats !

Eva semble passionnée et ne perd pas une miette de la conversation. Quand à moi, j’avoue y trouver un profond ennui. Je m’éloigne au milieu du bourdonnement des voix et m’installe dans un canapé de cuir blanc. Ce que j’avais pris pour un coussin se déplie soudain et vient se frotter contre moi. Un chat ! Il ronronne, se frotte le museau contre mon bras.
— Salut minou !

D’autorité, il plante ses griffes dans mes cuisses et se met à les pétrir avec ardeur. La douleur est légère, je rigole doucement. Il pousse un bref miaulement avant de se lover entre mes deux jambes. Je suis prisonnier !

Georges s’approche de moi.
— Je vois que vous avez fait connaissance tous les deux ! Félicitations Nellio, le Roi Arthur est très exigeant quand à la qualité de ses coussins royaux. Tu es l’un des rares élus !

Je souris.
— Où est Warren ?
— Il est sorti, cela fait un moment que nous discutions et nous ne t’avons pas entendu.
— Désolé, je crois que je n’ai pas vu le temps passer.
— C’est que le Roi Arthur a utilisé sur toi sa terrible emprise spatio-temporelle ! Ses victimes sont dans un espace temps à écoulement différé. Redoutable !
— Au fait Georges, sans vouloir être indiscret, tu me sembles bien occupé. Après notre recherche, des sociétés, j’apprends que tu présides également une fondation pour les conditions de travail dans les usines. As-tu encore le temps de tourner des films ?

Georges a l’air sincèrement surpris :
— Pourquoi faire ?
— Et bien, c’est ton métier, non ?

Il éclate de rire !
— Oh, dit-il, je croyais que tout le monde était au courant. J’ai tourné quelques segments clés dans mon jeune temps afin de construire mon book. Le reste est entièrement réalisé en simulation 3D par les techniciens. Je donne mon accord pour l’utilisation de mon image et je touche des royalties. De temps en temps, je dois tourner un nouveau segment qui n’est pas réalisable à partir de ceux existants. Cela ne prend guère plus d’une journée.

Je reste interdit.
— Mais… Les prix d’interprétation que tu as obtenus ?
— C’est la partie ennuyeuse de mon travail. Lorsque les producteurs ont décidé d’acheter un prix parce que cela fait partie de leur plan marketing, je dois me farcir la cérémonie. Pas moyen d’y échapper, c’est une des clauses de mes contrats. Mais bon, je suppose que ça fait partie du job, je n’ai pas à me plaindre.

Eva nous regarde fixement. Ses lèvres s’entrouvrent un moment, comme si elle était sur le point de dire quelque chose. Puis, prenant une décision, elle s’approche de moi et, sans mot dire, se saisit du Roi Arthur.

S’emparer d’un chat qui dort et qui n’a pas envie de bouger n’est pas une mince affaire. Surtout si ce chat s’appelle Roi Arthur et n’a visiblement jamais connu d’autorité supérieure que celle de son bol de croquettes. Parvenir à maintenir ce chat dans le scanner multi-modal durant un temps suffisant devrait relever de l’exploit impossible. Pourtant, le visage complètement impassible, la peau à peine entamée par les coups de griffes, c’est ce qu’Eva est en train de réaliser sous nos yeux ébahis. L’espace désormais constellé de poils au creux de mes cuisses n’a pas le temps de refroidir que, déjà, Eva relâche le souverain Pendragon qui, offusqué, s’en va soigner sa dignité blessée en son île d’Avalon, sous le canapé. Ni Georges ni moi n’avons élevé la moindre protestation. Eva pianote sur le clavier.

Je retiens mon souffle. Georges est paralysé, il n’ose intervenir. Eva enfonce une dernière touche et l’aquarium se met à bouillonner. De manière étonnante, le bouillonnement me semble moins intense que pour le verre de whisky. Peut-être est-ce l’habitude ? Ou le fait que l’air soit probablement saturé de poussières et de particules de chat ? Je ne peux dire combien de temps nous sommes restés immobiles, figés jusqu’à ce que, brusquement, le liquide se stabilise. Pas le moindre remous, le moindre clapotis. Une immobilité immédiate, surnaturelle. Je me rappelle alors que notre liquide est en fait composé de milliards de nano-robots. Eva est paralysée, elle fixe le contenu de l’aquarium.

Dans le silence religieux qui s’est emparé de la pièce, les coups de langues du Roi Arthur original qui se lèche vigoureusement derrière les oreilles résonnent comme des coups de tonnerre.

 

Photo par Carole & Aldo.

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Nous sommes tous d’extrême droite…

mercredi 16 octobre 2013 à 15:08
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Que ce soit en Grèce, en France ou dans mon propre pays, je ne peux que m’inquiéter à chaque fois que j’entends parler de « lutter contre l’extrême droite », de « peste brune » ou des actions « antifafs ».

Comme si le monde était entièrement polarisé entre les « mauvais », l’extrême droite, et les « gentils ». Comme si il fallait stigmatiser une partie de la population avant de la détruire. Faudra-t-il bientôt un passeport certifiant que nous ne sommes pas d’extrême-droite ? N’est-ce pas appliquer exactement les méthodes tant décriées ?

Au fond, ne sommes nous pas tous un peu d’extrême droite ? Des milliers de personnes votent extrême droite et sont, pourtant, des gens plein de qualités voire de gentillesse. Nous avons tous connu cette personne sympathique, cet oncle rigolo qui, à un moment ou un autre, dira « Les étrangers, il faut tous les foutre dehors ». On peut se braquer, on peut refuser de discuter avec lui. Il n’empêche qu’on le trouvait sympa avant d’entendre son opinion politique.

Car l’extrême droite, après tout, ce n’est qu’une simple erreur de jugement. La simpliste pensée, savamment orchestrée par des campagnes de communication, que les étrangers sont la source de tous nos maux, que nous en débarrasser serait une solution. Prendre conscience que cette pensée est fausse est un exercice de logique relativement complexe. Aussi, est-il humain et compréhensible que beaucoup fassent cette erreur. Doit-on pour autant les rejeter ? Ou, au contraire, essayer de les écouter pour pointer les failles du raisonnement ? Que celui qui ne s’est jamais trompé me jette la première pierre !

Les étrangers prennent notre boulot

C’est la crise et beaucoup d’entre nous sont au chômage. La quantité de postes à pourvoir à temps plein est limitée. Il parait donc très logique que choisir arbitrairement de supprimer une partie de la population créera des emplois pour les autres. Les étrangers représentent une catégorie facile à identifier. Cela entraîne l’axiome : « Je n’ai rien contre les étrangers mais nous, les purs, devons avoir priorité pour obtenir un travail. »

Facile, simple et, honnêtement, avouez que c’est très tentant de se laisser aller à ce genre de raisonnement lorsqu’on craint pour sa propre situation.

Évidemment, comme tout raisonnement simpliste, on oublie de dire que les étrangers sont également des consommateurs. Que s’ils partent, une grande partie du travail disparaîtra avec eux. Qu’une grande partie de nos « purs compatriotes » travaillent également à l’étranger.

Les étrangers nous agressent

Je ne connais pas les chiffres mais je veux bien admettre que, proportionnellement, il y a plus de délinquants et de voyous parmi les immigrés que parmi les « purs nationaux ».

N’est-il pas tentant de vouloir réduire le nombre de voyous ? Avouez, cela semble tellement facile !

Ici, nous sommes en plein dans la confusion traditionnelle entre la corrélation et la cause. Vu qu’il y a plus de voyous parmi les immigrés, on arrive inconsciemment à la conclusion qu’être immigré fait de vous un voyou.

Or, tous les indicateurs le montrent : la réelle cause de la délinquance, c’est la paupérisation d’une partie de la société. Les « purs nationaux » défavorisés sont tout autant susceptibles de devenir des délinquants que les émigrés. Il est également parfaitement logique de constater qu’une grande partie d’immigrés, ces gens qui ont quitté leur pays parce qu’il n’arrivaient pas à s’en sortir et qui arrivent les mains vides sont pauvres. Et donc plus susceptibles de tomber dans la délinquance.

La délinquance est un produit de la pauvreté et expulser les étrangers ne résoudra pas le problème de la pauvreté. Mais c’est plus facile de le croire et d’en être convaincu.

L’argument moral

Les deux arguments ci-dessus sont les fers de lance de l’extrême droite. Comme vous avez pu le constater, il est très facile de se tromper, surtout dans une situation de crise où vous craignez pour votre propre bien-être !

Si vous me lisez, il y a de grande chance que vous ayez une éducation assez poussée et que vous ne soyez jamais tombé dans le panneau. Mais doit-on nécessairement rejeter les personnes qui font ces deux erreurs ? Qui pensent, sincèrement, que leurs problèmes pourront être résolu en expulsant les étrangers ou, au moins, en donnant la priorité aux « purs » ? Pourriez-vous jurer que vous n’auriez jamais tenu ces raisonnements si vous n’aviez pas reçu votre éducation ou vécu vos expériences ? N’avez-vous pas tout simplement dompté cette peur de l’autre qui existe en chacun de nous ?

Ils votent extrême-droite mais ce sont des humains, comme nous, pour la plupart gentils et aimants. Comme je l’ai déjà entendu : « J’aimerais qu’on puisse accueillir les étrangers mais y’a un moment ou c’est chacun pour soi. C’est dommage, c’est pas que je les aime pas, c’est juste la survie. »

Face à ce genre de réaction, le seul argument qu’ils entendent, surtout de la bouche des politiciens ou des intellectuels : « Mais c’est du racisme ! » ou « C’est de l’extrême droite ! ». Comme si l’invocation suffisait à stopper toute discussion.

Ce à quoi ils répondent : « Oui, et alors ? Je préfère survivre en étant raciste que crever de faim. » Peut-on réellement leur donner tort ? N’est-ce pas une réaction profondément humaine ?

Les étrangers de l’humanité

Oui, il y a des gros cons. Des gens dangereux. Mais, surprise, ils ne sont pas tous d’extrême droite. Et derrière les bulletins de vote extrémistes se cachent souvent des hommes et des femmes qui vous inviteraient volontiers à partager leur repas, qui pourraient garder vos enfants ou venir nourrir votre chat pendant les vacances.

Ils n’ont tout simplement pas eu la chance de recevoir une éducation comme la vôtre. Ou sont incapables de l’utiliser. Ils ont vécu dans leur univers et ne se sont jamais posé la question cruciale, le talon d’Achille de l’extrême droite : comment détermine-t-on la « pureté » ? Qui est étranger et qui est un national ? Pouvez-vous tracer une frontière précise ?

Discutez avec eux. Demandez leur les critères précis pour déterminer ceux qui sont « nationaux ». Cela va prendre du temps. Pour chacune de leurs idées, il faudra trouver des cas limites, les exceptions. Et, finalement, ils devront se rendre à l’évidence : soit la frontière est « tout ce qui n’est pas comme moi », un cri de solitude et de désespoir, soit elle est juste assez large pour englober l’humanité entière.

On ne lutte pas contre l’extrême droite en la diabolisant, en rejetant toute personne qui vote ou professe ses idées. Pour la plupart, ils sont déjà terriblement seuls. On la réduit à néant en écoutant, en éduquant et en humanisant. L’humanité, tu peux apprendre à l’aimer car nous ne voulons pas que tu la quittes. Reste avec nous ! L’humanité t’aime, même si tu as voté extrême droite !

 

Photo par Thzami Gamour.

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La bonne discrimination

mardi 15 octobre 2013 à 13:13
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Je suis né au bon endroit, dans la bonne partie de la population avec les bons attributs. Pour moi, la discrimination restait un concept abstrait, un phénomène que je ne risquais pas vraiment de connaître. Jusqu’au jour où…

Nous étions quatre amis qui avions décidé de passer ensemble la soirée aux thermes. Je suis friand de saunas et cela devait être une bonne soirée.

Lorsque nous sommes arrivés, nous avons chacun payé notre entrée. J’étais le dernier de notre petite file mais, lorsque ce fut mon tour, la personne chargée de l’accueil m’a regardé et m’a dit : « Vous, vous n’avez droit qu’à vingt minutes ! »

Étonné, j’ai regardé les trois autres à qui rien n’avait été précisé. De derrière son comptoir, l’homme m’a tendu une feuille : « Je suis désolé mais c’est le règlement. Je n’y peux rien ! ». Et, effectivement, de notre petit groupe, j’étais le seul concerné par une clause d’exclusion écrite en toutes lettres sur le papier.

Nous nous sommes entretenus, à quatre, pour décider de la démarche à suivre. Je n’ai pas voulu gâcher leur soirée. J’ai dit que cela n’était pas grave, que je les attendrai à la cafétéria à l’extérieur. Ajoutant, avec un clin d’œil: « Pour peu qu’on veuille bien de moi là bas ! » Rires !

Mais ce n’était pas vrai. Je me suis senti exclu. J’avais tant envie de profiter, de me détendre, de passer une soirée avec mes amis. Pourtant, ce n’était pas de ma faute. J’étais né comme ça. Je ne pouvais rien y changer !

Plus tard, lorsque nous nous sommes retrouvés, nous avons discuté de cette péripétie. De manière amusante, mes amis n’étaient pas réellement choqués. Nous aurions du mieux nous renseigner avant. Nous aurions du lire le règlement. C’était de notre faute. Uniquement de notre faute.

Car il est logique de discriminer des gens comme moi. Si c’est appliqué chez nous, dans notre pays, dans notre ville, c’est que c’est une « bonne discrimination », non ?

Il parait qu’il y a des personnes qui ne peuvent souffrir la promiscuité avec les gens comme moi. Peut-être est-ce une bonne chose de m’exclure afin de leur laisser de l’espace. Mais leur intolérance est-elle donc plus acceptable que ce que je suis et que je n’ai pas choisi d’être ?

Il parait également que certaines personnes comme moi se montrent particulièrement désagréables voire même agressives. Il s’agit donc de préserver une forme de paix. Mais, personnellement, je n’ai jamais été agressif. Si je suis d’accord pour expulser les fauteurs de troubles, pourquoi généraliser ? Et quid de ceux qui ne sont pas tout à fait comme moi mais en partie seulement ? Ceux qui ne rentrent pas dans une case précise ? Ceux qui sont entre deux catégories ? Ils existent pourtant !

Oh et puis, ce n’est qu’une anecdote, un détail ! Qui suis-je pour me plaindre moi qui n’avais jusque là jamais connu la discrimination ? Beaucoup connaissent bien pire, certains le vivent au quotidien.

C’est vrai. Il n’empêche que je ne peux m’empêcher, dans un pays qui prône l’égalité et la liberté, de me sentir discriminé à cause d’une simple caractéristique physique de naissance que je n’ai pas choisie et que je ne peux changer. Il faut reconnaître que, dans mon cas, cette caractéristique est plus souvent un avantage qu’un inconvénient. La discrimination se fait principalement dans l’autre sens. Mais, ce soir-là, j’ai réalisé qu’elle n’était jamais acceptable, qu’elles que soient les intentions. Il n’y a pas de « bonne discrimination », uniquement une discrimination arbitraire, particulièrement inique lorsqu’elle se base sur des attributs physiques impossibles à changer.

Je ne peux sortir de mon esprit l’idée qu’on ne lutte pas contre certains débordements ou contre l’intolérance en acceptant des discriminations, fussent-elles minimes.

Contrairement à beaucoup de billets de ce blog, cette histoire est entièrement véridique. Alors que je me rendais aux thermes de ma ville en compagnie de trois amies, j’ai appris que ce soir particulier de la semaine était réservé aux femmes à partir de 20h.

J’étais, vous l’avez compris, le seul homme de notre petit groupe. Un fait qui, jusqu’à l’entrée des thermes, ne m’avait pas particulièrement frappé.

 

Photo par Serg C.

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