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Le fichage au regard de l’histoire

mercredi 9 mai 2012 à 08:29

Au XXe siècle, les fichiers étaient policiers, administratifs, ou commerciaux. Au XXIe siècle, les fichiers sont aussi nourris, maintenus et promus par ceux-là même qui sont fichés.

Le web en général, et les réseaux sociaux en particulier, ont bouleversé la façon d'être "fiché", et donc la notion de "vie privée". Pour autant, on aurait tort de renvoyer dos à dos le partage -volontaire- d'informations sur le web ou les réseaux sociaux et le fait d'être fiché, "à l'insu de son plein gré", comme c'est le cas dans les fichiers administratifs ou policiers.

A l'occasion de la parution d'Aux origines de la police scientifique, son éditeur organise ce samedi 12 mai 2012 un débat autour des "enjeux actuels du fichage au regard de l’histoire", occasion de remettre les pieds dans le plat.

Tant d'âneries sur la notion "vie privée"...

On n'a jamais autant parler de "vie privée" que depuis que les gens se sont rués sur l'Internet pour s'y exprimer et, donc, y mener une... "vie publique". D'aucuns s'en plaignent, ce que l'on qualifie de "paradoxe de la vie privée" (plus on s'exprime sur les réseaux sociaux, plus on a peur d'être espionné ou surveillé), d'autres tentent de recadrer le débat, à l'instar de Daniel Kaplan, dans Informatique et libertés 2.0 :

"La valeur de la vie privée, c’est de nous permettre d’avoir une vie publique !"

Quand on s'exprime, c'est pour être entendu. Ce pour quoi il est pour le moins paradoxal de qualifier d'atteinte à la "vie privée" le fait d'être, sinon entendu, tout du moins écouté. Je ne parle pas là, bien évidemment, des mails et messages privés, mais bien de ce que l'on publie & partage volontairement sur le www, qu'il s'agisse de parler de soi, ou bien d'autres, toutes choses qui relèvent de la notion de "liberté d'expression".

Or, et dans le même temps, on n'a jamais entendu autant d'âneries sur la notion "vie privée", à commencer par ceux qui justifient -ou relativisent- les dérives du fichage administratif et policier au motif que Facebook ou Google feraient pires, et seraient le nouveau "Big Brother" de ce XXIe siècle...

Pour un peu, et en tirant cette logique jusqu'au bout, on pourrait aussi qualifier les journalistes d'investigation d'"espions", et leur interdire de publier leurs enquêtes au motif qu'elles attenteraient à la "vie privée" des sujets de leurs révélations...

Une chose est de décider de poser nu devant un photographe, une autre est d'être photographié, nu, à son insu. Et ce n'est pas parce qu'une femme bronze les seins nus qu'on a le droit de les toucher, ou de la violer. Le contrat social qui nous lie fait que l'on a le droit de décider de rendre publics certains pans intimes (relevant d'ordinaire) de sa vie privée, sans que cela autorise pour autant les autres à en abuser.

Le problème, avec les fichiers administratifs et policiers, c'est qu'ils sont quasi-systématiquement nourris, et entretenus, à notre insu, sans que l'on sache ce qui s'y trouve, à quoi ils servent, pourquoi, et comment, et sans que l'on puisse, généralement, s'y opposer (voir, notamment, Le vrai danger, ce n’est pas Orwell, c’est Kafka).

Des "enjeux actuels du fichage au regard de l’histoire"

Si vous avez raté "Fichés", la passionnante exposition rétrospective, le billet que j'avais consacré à ce sujet vous donnera une petite idée de l'histoire (et de la montée en puissance) du fichage en France.

Vous pouvez aussi réécouter l'émission de France Culture Tous fichés ! Y sommes-nous ?, avec Pierre Piazza, maître de conférences en science politique à l'université de Cergy-Pontoise, et l'un des plus fins connaisseurs de ces questions. J'y avais également été invité, ce qui me valu une petite passe d'armes avec Raphael Enthoven, en mode "les RG l'ont rêvé, Facebook l'a fait", raccourci simpliste que je m'étais évertué à brocarder :


Les matins - Pierre Piazza par franceculture

Vous pouvez également vous rendre ce samedi 12 mai 2012 au débat consacré aux "enjeux actuels du fichage au regard de l’histoire", et même vous y inscrire sur... Facebook. Le fait de lire le Coran ne fait pas de vous un terroriste, le fait de s'inscrire sur Facebook à un débat sur le fichage ne devrait pas non plus vous valoir d'être fiché par les policiers. On peut, en tout cas l'espérer /-)

Le débat, à l'occasion de la parution d'Aux origines de la police scientifique, ouvrage collectif dirigé par Pierre Piazza, aux éditions Karthala, réunira, outre Pïerre Piazza, Emmanuel Filhol, spécialiste de l'histoire des Tsiganes et auteur, notamment, de Un camp de concentration français. Les Tsiganes alsaciens-lorrains à Crest, 1915-1919, Stéphanie Solinas, auteure de plusieurs déclinaisons iconographiques en marge de cet ouvrage, et d'un article intitulé Comment la photographie a inventé l’identité. Des pouvoirs du portrait.

Le débat sera modéré par l'avocat David Forest, auteur d'un excellent Abécédaire de la société de surveillance, et se tiendra à la librairie Pédone, 13 rue Soufflot, 75005 Paris, à partir de 15h30 (cliquez pour ouvrir les flyers) :


Voir aussi, sur ces questions :
Informatique et libertés 2.0
Et si on vidéosurveillait les chambres à coucher ?
Le vrai danger, ce n’est pas Orwell, c’est Kafka
Les commissaires politiques de la CNIL – Ma décennie Sarkozy S2E3

De Kafka à Minority Report – Ma décennie Sarkozy S2E4

vendredi 4 mai 2012 à 14:08

Dans l'épisode précédent, Les commissaires politiques de la CNIL, on découvrait le double jeu de certains commissaires de la CNIL qui, en tant que députés, valident et encouragent l'explosion du nombre de fichiers policiers, alors même que la CNIL n'a de cesse, depuis 2001, de dénoncer les problèmes posés par ces fichiers...

L'épisode de ce jour revient sur ces enfants de Tchernobyl empêchés de venir se soigner en France, ces enfants de 6 ans placés en garde à vue sans que leurs parents n'en soient tenus au courant, ces réfugiés qui en arrivent à se mutiler les doigts pour ne pas être identifiés, ces femmes violées à qui l'on refuse l'asile politique (au motif que le viol relèverait de... la "vie privée" -sic)... bref, sur les mauvais traitements que la France, dans sa traque éperdue aux sans papiers, inflige à certains types d'étrangers.

Expulsion au croisement des rues de l'Egalité, de la Liberté et de la Fraternité

Sans papiers, refoulés, incarcérés, violées, et "doigts brûlés"

Avril 2009. L'association Les enfants de Tchernobyl, qui accueille chaque année environ 200 enfants issus de familles défavorisées afin de leur offrir des vacances, et de les soigner, décide d'alerter les parlementaires : les enfants sont bloqués à la frontière...

"Sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, le Conseil européen du 8 juin 2004 avait décidé la mise en œuvre de visas biométriques pour les Ukrainiens et Russes invités à séjourner en France.

L'application de cette disposition engendre pour nos projets d'accueil d'enfants ukrainiens et russes en France un accroissement important des difficultés logistiques et un surcoût remarquable."

Été 2009. Le sous-préfet de Calais révèle que le tiers des demandeurs d'asile se mutilent les doigts, afin d'"effacer" leurs empreintes digitales, de sorte de ne pas être reconnu par les systèmes automatisés d'identification biométrique... à la manière du héros de Minority Report :

"Depuis le 5 mai, cent soixante-dix personnes ont été reçues aux permanences de la sous-préfecture. Cinquante et une ont été identifiées par leurs empreintes digitales comme étant passées par les bornes Eurodac en Grèce et en Italie. Cinquante-sept ont des empreintes effacées."

En enquêtant à ce sujet, je découvre que les associations d'aide aux migrants leur ont donné un surnom, les doigts brûlés, et qu'ils le font au fer rouge, avec des clous chauffés à blanc, de l'acide sulfurique ou de produits chimiques plus ou moins divers, des rasoirs de type "Bic", du plastique ou du papier de verre, pour éviter de "voir leur corps se transformer en un élément qui joue en leur défaveur"...

Octobre 2009. Je découvre que la France refoule 12% des artistes africains, quand bien même ils ont été invités, et programmés, dans des festivals français.

A mes chers parents gaulois, par Fadel DiaTous n'ont pas le profil de "musulmans d'apparence" désireux de venir en France pour piquer le travail des Français, et leur piquer les allocs. Ainsi de Fadel Dia, 71 ans, ancien secrétaire général de la "Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant en partage le français" (la plus ancienne des institutions francophones, créée en 1960), un écrivain sénégalais auteur de deux romans, dont "Mon village aux temps des Blancs", publié chez l'Harmattan, et un essai, "A mes chers parents gaulois", ou "La France et l'Afrique passées au crible du regard d'un ancien colonisé" :

"Je suis un enfant de la colonisation, j'ai fréquenté les bancs de l'école coloniale, j'ai appris que mes ancêtres étaient les Gaulois et on m'a initié à Chateaubriand…

Tout au long de ma carrière d'enseignant et de haut fonctionnaire, j'ai été amené à côtoyer des officiels français aux yeux desquels je ne suis jamais resté qu'un sous-fifre."

Un sénateur UMP révèle, dans son rapport d'information parlementaire sur l'amélioration de la gestion des centres de rétention administrative, que 80% des sans papiers arrêtés sont relâchés.

En dépit d'une "forte hausse de près de 90%" du nombre d'interpellations entre 2003 et 2008, le sénateur (UMP) remarque en effet un "effondrement du taux d'exécution des mesures d'éloignement forcé prononcées, passé de 62,1 % en 2002 (10.067 éloignements forcés effectifs pour 16.406 prononcés) à 19,4 % en 2008 (19.724 éloignements réalisés pour 101.539 prononcés) : moins d'une mesure d'éloignement forcé sur cinq est aujourd'hui effectuée".

La raison de cet "effondrement" ? La "forte augmentation du nombre d'interpellations" (sic), du fait de la politique du chiffre instaurée au ministère de l'Intérieur : plus on en arrête, moins on en expulse...

Cette culture du chiffre est telle que nos forces de l'ordre en arrivent à placer en centre de rétention des nourrissons, et placer en garde à vue des enfants de 6 ans sans que ni les parents ni les enseignants n'en soient tenus au courant... (voir Au pays des droits de l’enfant).

Les violences faites aux femmes

Décembre 2009. La lutte contre les violences faites aux femmes vient d'être désignée, par François Fillon, "Grande Cause nationale 2010". On sait moins que le fait d'être violée ne peut servir d'argument lors d'une demande d'asile, au motif que "la persécution des femmes ne relève pas du champ du politique". Aussi révoltant que cela puisse paraître : en France, le viol des réfugiées « relève de leur vie privée ».

L'information figure dans l'avant-dernier des 83 témoignages collectés par l'"Observatoire pour l’accueil des demandeurs d’asile" (OASIS), lancé par trois associations d'accueil de migrants (cliquez sur la flèche pour écouter le témoignage audio) :

La jurisprudence accessible sur le site de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) permet ainsi de découvrir le cas de Melle N., une cambodgienne dont les parents avaient été tués par les Khmers rouges, internée dans un camp de travail de 11 à 14 ans, réduite en esclavage par le militaire qui l'en avait sortie, "vendue" (à quatre reprises), prostituée de force, violée, et dont la demande avait été rejetée. Tout comme celle de Melle F., sénégalaise, "enlevée et retenue dans un camp durant une semaine et victime de sévices, notamment sexuels", du fait de l'engagement politique de son père, son frère et son fiancé (le premier en est mort, les deux autres ont "disparus")...

Occasion de rappeler cette déclaration solennelle de Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence, le 7 avril 2007 :

"Chaque fois qu'une femme sera martyrisée dans le monde, cette femme devra être reconnue comme citoyenne française et la France sera à ses côtés. Il faut mettre les droits de l'homme au service des droits de la femme dans le monde."

Dans le prochain épisode de "Ma décennie Sarkozy", on verra ce pour quoi, et comment, Nicolas Sarkozy et ses ministres croient souvent naïvement que la technologie peut tout, et qu'il suffit de multiplier portiques de sécurité et caméras de vidéosurveillance pour tout régler.


La photo, reproduite à l'envi sur les blogs, et qui aurait été prise par Jack Guez de l'AFP, serait celle de l'expulsion de familles d'immigrés le 2 septembre 2005 -jour de la rentrée scolaire- d'un immeuble situé au croisement de trois rues parisiennes : les rues de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité...

Voir aussi :
Ma décennie Sarkozy - le premier quinquennat
Ma décennie Sarkozy S2E1 - de l'autocensure à l'autopromo
Ma décennie Sarkozy S2E2 - du fichier Edvige aux fichiers Edwige²
Les commissaires politiques de la CNIL - Ma décennie Sarkozy S2E3
Ma décennie Sarkozy S2E4 - de Kafka à Minority Report
Ma décennie Sarkozy S2E5 – le technologique, c’est magique

Les commissaires politiques de la CNIL – Ma décennie Sarkozy S2E3

jeudi 3 mai 2012 à 13:35

Dans l'épisode précédent de "Ma décennie Sarkozy", S2E2 – du fichier Edvige aux fichiers Edwige², on découvrait ce pour quoi, et comment, le scandale du fichier Edvige -qui entraîna LeMonde.fr à me proposer de créer ce blog- n'était jamais que la partie émergée de l'iceberg des (problèmes posés par les) fichiers policiers.

Aujourd'hui, on découvrira le double jeu de certains commissaires de la CNIL qui, en tant que députés, valident et encouragent l'explosion du nombre de ces fichiers policiers, alors même que la CNIL n'a de cesse, depuis 2001, de dénoncer les problèmes posés par ces fichiers...

Hadopi et les députés godillots de la CNIL

Mai 2009. Plus d'une centaine d'articles de presse relaient les vives critiques que la CNIL vient de faire au sujet de la Hadopi, à l'occasion de la publication du rapport annuel (voir La CNIL est partout).

De mon côté, avec le Canard Enchaîné, je notais que quatre des cinq parlementaires membres de la CNIL ont voté "pour" la Hadopi, à commencer par Alex Türk, son président (cf La CNIL tacle la Hadopi, son président la vote).

Fait aggravant : Philippe Gosselin, député UMP de la Manche, surnommé le "godillot en chef" de la Hadopi, celui qui s'est le plus, et le mieux, battu pour faire adopter cette loi considéré par beaucoup comme liberticide, n'est autre que l'un de ces "commissaires" de la CNIL... accusant les opposants au projet de loi d'être des "post-soixante-huitards attardés" qui "prennent les gens en otage".

En novembre 2009, Philippe Gosselin et Sébastien Huyghe, députés UMP et commissaires de la CNIL, votaient également "contre" une proposition de loi visant à mieux encadrer les fichiers policiers, alors même que la CNIL n'a de cesse, depuis 2001, de dénoncer les problèmes posés par ces fichiers.

Suite au scandale Edvige, l'Assemblée avait demandé à Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP), de lui rendre un rapport sur les fichiers policiers. Les deux députés avaient jeté un froid en révélant que le nombre de fichiers avait augmenté de 70% ces trois dernières années, et que 25% d'entre-eux, faute de bases légales, étaient "hors la loi" (voir Le quart des 58 fichiers policiers est hors la loi).

Dans un geste suffisamment rare pour être relevé, Batho et Bénisti avaient ensuite co-signé une proposition de loi, adoptée dans la foulée, et à l'unanimité, par la commission des lois, présidée par un député UMP, afin d'améliorer l'encadrement des fichiers policiers (voir Comment légaliser les fichiers policiers ?).

Mais sur ordre du gouvernement, l'ensemble des UMP ont donc décidé d'enterrer la proposition de loi, qualifiée de... "socialiste". Bénisti, lui, préféra s'abstenir. Philippe Gosselin et Sébastien Huyghe, commissaires à la CNIL, mais également secrétaires de la commission des lois de l'Assemblée, eux, ont voté "contre", le doigt sur la couture du pantalon (voir Fichiers policiers: les (gros) godillots de l’UMP… et de la CNIL).

Docteur Alex et Mister Türk

Pour mieux comprendre cette façon schizophrénique de ne pas faire, en tant que parlementaires, ce qu'ils avaient préconisés, en tant que commissaires de la CNIL, il faut savoir que, et c'était le titre et l'objet de mon tout premier billet sur ce blog, La Cnil surveille, mais ne dénonce pas, préférant souvent régler les problèmes en coulisse plutôt que de les exposer sur la place publique. Lors d'une occupation de la CNIL -au motif que "La CNIL, c'est CNUL !" (sic)-, on avait ainsi découvert que les services Communication et Gestion des sanctions partageaient le même bureau... tout un symbole.

D'autre part, et surtout, la CNIL venait de virer à droite : 11 de ses 17 membres étaient en effet, soit apparentés UMP, soit "d’avance acquis aux positions du gouvernement" (voir La CNIL vire à droite; mais que fait le PS ?). Alex Türk avait ainsi réagi, en commentaire, pour expliquer ne pas avoir exprimé ce vote (sur la Hadopi) le cœur léger, mais qu'il l’assumait.

C'est d'ailleurs parce qu'il avait soutenu un amendement, lors de la refonte de la loi informatique et libertés en 2004, afin d'autoriser la création par des entreprises privées fichiers d’auteurs présumés d’infraction, ce qui était jusque là interdit, que la Hadopi a pu être créée. La boucle est bouclée (voir Hadopi : fini de rire ?).

Alex Türk, que j'avais qualifié de Nicolas Hulot de la vie privée, avait précédemment été nominé trois fois (en 2003, 2004 et 2005) aux Big Brother Awards qui, en 2010, lui décernèrent un prix Orwell pour l'ensemble de son oeuvre.

En 2011, je découvre que Le président de la CNIL a aussi voté « pour » la Loppsi, cette 42ème loi sécuritaire votée par le Parlement depuis que, en 2002, Nicolas Sarkozy est arrivé place Beauvau, avant d'accéder à l'Elysée.

L'AFP, peu suspecte de partialité et réputée pour son traitement factuels de l'actualité, la qualifie elle-même de "vaste fourre-tout législatif déclinant les orientations sécuritaires du gouvernement, (qui) traite aussi bien de la cybercriminalité, de la vidéosurveillance, des peines plancher, des fichiers, de la police municipale et des permis à points que des expulsions locatives." L'opposition, elle y voit "un projet de société où dominent le contrôle social et la surveillance généralisée".

Interrogé par les Inrocks, Alex Türk "assume", au motif qu'il aurait obtenu un meilleur contrôle des systèmes de vidéosurveillance (voire, cf Les petits bras musclés de la Cnil s'ouvrent à la vidéosurveillance), tout en reconnaissant avoir du "accepté des dispositions problématiques" et avoir "été obligé d’avaler la couleuvre complète".

Pour être tout à fait exact, Alex Türk ne s'est pas contenté d'"avaler la couleuvre" : il a aussi fourni la vaseline permettant aux autres sénateurs d'en faire passer une partie. Invité à expliquer ce pour quoi il allait voter pour le remplacement, très "novlangue", du terme "vidéosurveillance" par celui de « vidéoprotection », Alex Türk s’est en effet justifié en avançant que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche” (voir Docteur Alex et Mister Türk) :

"J’en conviens, il s’agit avant tout de communication politique. Mais si cette expression permet d’aider les maires qui ont fait le choix, comme c’est leur droit, de recourir à un tel système, je ne vois pas pourquoi on les empêcherait de l’utiliser."

Comme le note le Canard Enchaîné, “si ce n’est que ça, il n’y a qu’à baptiser le Flash-Ball “bubble-gum”, la matraque “bâton de zan”, la fouille corporelle “guili-guili” et offrir à Türk un nez rouge pour amuser les enfants…”.

Tel est pris qui croyait prendre

Last but not least, il serait dommage de clore cette recension des exploits de la CNIL en Sarkozye sans mentionner le dérapage de Francis Delattre, l'un des principaux responsables des dérives que connaît la France en matière de fichage policier.

Député UMP, Francis Delattre était également commissaire à la CNIL lorsque, en 2004, il fut nommé rapporteur de la refonte de la loi dite "informatique et libertés". A ce titre, il fit adopter un étonnant amendement visant à permettre aux fichiers policiers de rester "hors la loi" jusqu'en octobre 2010... afin de leur donner le temps de les nettoyer, et de les mettre en conformité.

Résultat ? Sur la base de fichiers policiers erronés, Francis Delattre accuse, en février 2010, la tête de liste PS aux élections régionales dans le Val-d'Oise, Ali Soumaré, d'être un "délinquant mutirécidiviste chevronné", démontrant par la même le peu de fiabilité que l'on pouvait attendre des fichiers policiers, dès lors que l'on s'en sert servilement, sans vérifier ce qu'il y a d'écrit dedans.

Janvier 2011. A l'occasion de la cinquième "journée internationale de la protection des données", l'Association Française des Correspondants à la protection des Données à caractère Personnel (AFCDP) révèle que 82% des organismes ne respectent pas la loi informatique et libertés. 51% des organismes interrogés tentent certes de le faire, mais sans y parvenir, ou mal, et 31 % ne se donnent même pas la peine de s'y essayer...

Février 2011. Signe de l'importance accordée par le gouvernement aux questions de surveillance et de vie privée, notamment sur le Net, je découvre que la CNIL a mis 32 ans pour obtenir un budget de 13 millions d'euros. La Hadopi, un an. La CNIL avait effectué 300 contrôles l'an passé. La Hadopi, qui compte pourtant trois fois moins de salariés que la CNIL, envoyait de son côté 10 000 avertissements, par jour... (voir Hadopi vs Cnil : l'une chante, l'autre pas).

Juin 2011. Rapporteur du projet de loi sur sur les "jurys populaires", qui "a pour premier objectif d'améliorer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale", Sébastien Huyghe dépose un amendement de sorte que les fichiers de police soient consultés pour sélectionner les jurés, afin de jauger "des raisons de contester leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité"...

Commissaire à la CNIL et très proche d'Alex Türk, il est pourtant bien placé pour savoir que ces fichiers sont truffés d'erreurs, et que des jurés populaires seront inévitablement écartés sur la base de fichiers erronés. Fait aggravant : les personnes, fichées à tort, ou en violation de la loi, et empêchés d'être jurés, ne sauront pas ce qui leur est reproché, et ne pourront pas se défendre.

Une bien belle façon d'encourager la "participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale", du nom de ce projet de loi. Une très haute idée de la Justice. Et une curieuse conception des valeurs, issues de la loi informatique et libertés, et que la CNIL est censée incarner (voir Jurys populaires, fichiers policiers).

Dans le prochain épisode de "Ma décennie Sarkozy", on verra ce pour quoi, et comment, certains migrants préfèrent se mutiler les doigts (parce qu'ils sont fichés) en mode "Minority Report", mais également pourquoi, et comment, des femmes violées peuvent être déboutées du droit d'asile, ou des enfants (et nourrissons) peuvent être incarcérés...


Voir aussi :
Ma décennie Sarkozy - le premier quinquennat
Ma décennie Sarkozy S2E1 - de l'autocensure à l'autopromo
Ma décennie Sarkozy S2E2 - du fichier Edvige aux fichiers Edwige²
Ma décennie Sarkozy S2E3 - la CNIL, c'est CNUL
Ma décennie Sarkozy S2E4 - de Kafka à Minority Report
Ma décennie Sarkozy S2E5 – le technologique, c’est magique

Ma décennie Sarkozy S2E2 – du fichier Edvige aux fichiers Edwige²

mercredi 2 mai 2012 à 15:51

Dans l'épisode précédent de "Ma décennie Sarkozy", S2E1 – de l’autocensure à l’autopromo, on découvrait un taux anormalement élevé de censure dans la presse et d'invités du dîner du Fouquet's décorés de la Légion d'honneur.

Aujourd'hui, on verra ce pour quoi, et comment, le scandale du fichier Edvige -qui entraîna LeMonde.fr à me proposer de créer ce blog- n'était jamais que la partie émergée de l'iceberg des (problèmes posés par les) fichiers policiers.

Quand Edvige fait oublier Cristina

Eté 2008. Le fichier EDVIGE fait scandale, parce qu'il vise notamment à ficher, "directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle" des "personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif", dès l'âge de 13 ans.

De mon côté, je m'étonnais du silence entourant Cristina, le nouveau fichier classifié "secret défense" de la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dans la mesure où la Sous-direction de l’information générale (Sdig), succédané des Renseignements généraux (RG) pour qui EDVIGE avait été créé, ne comptait plus "que" de 1000 policiers (quand les RG en recensait 4000), alors que la DCRI, qui succédait à la DST, passait de son côté de 2000 à 4000 policiers.

Dit autrement, EDVIGE n'était que la partie immergée de l'iceberg du renseignement policier, et donc l'arbre qui cachait la forêt (voir A qui profite la CNIL ? (Edvige, Cristina, la DST, les RG, et caetera) :

La question, en résumé, revient à se demander s’il est plus dangereux, pour une démocratie :

- de constituer une police politique dont on sait qu’elle s’intéresse tout autant aux personnalités publiques (politiques, syndicales, religieuses, médiatiques) qu’aux délinquants potentiels, mais avec quatre fois moins de policiers qu’avant (du temps des RG),
et/ou
- de constituer une police politique dont on ne sait pas à qui elle s’intéresse exactement, sinon que la surveillance et l’écoute des télécommunications fait expressément partie de ses missions, et qu’elle dispose de deux fois plus de policiers qu’avant (du temps de l’ex-DST)…

Les livres-enquêtes L'espion du président. Au coeur de la police politique de Sarkozy puis Tarnac, magasin général, ont depuis montré à quel point la DCRI relevait aussi, de fait, d'une forme de basse police politique...

Automne 2008 : LeMonde.fr, où j'écris en tant que journaliste, me propose d'ouvrir ce blog, au motif que les questions de fichage, de surveillance, de libertés et (donc) de vie privée, font désormais partie des questions et débats politiques qui intéressent les citoyens.

De l'épuration des fichiers (#oupas)

Décembre 2008 : la préfecture de l'Isère met en ligne un formulaire d'incitation à la délation, qui sera étrangement, et sans explication, retiré de la circulation après qu'une quarantaine de sites et blogs en aient parlé...

Entre temps, j'apprends qu'un syndicaliste lycéen de 19 ans a été menacé par un fonctionnaire du SDIG (le service ayant succédé aux RG) au motif que son militantisme pourrait lui fermer des portes, notamment dans la fonction publique, ce qui m'entraîna à préciser que plus d'un million de personnes (aspirants gendarmes ou policiers, à la légion d'honneur, la nationalité française ou au renouvellement d'un titre de séjour, photographes aériens ou arbitres de pelote basque...), sont elles aussi concernées par ces "enquêtes administratives de moralité" (sic) consistant essentiellement à vérifier si elles sont fichées dans les fichiers policiers... sans pour autant vérifier si elles y sont fichées à tort, ou pas, et alors même que la CNIL n'avait de cesse de déplorer le nombre d'erreurs dans les fichiers policiers (voir Futurs fonctionnaires, ou potentiels terroristes ?).

Le STIC, qui est (encore aujourd'hui) le plus gros de tous les fichiers policiers, répertoriait alors en effet 5 millions d’individus "mis en cause" (et donc forcément "suspects" ou, pour reprendre l'expression médiatique consacrée, "défavorablement connus des services de police"), mais également 18 millions de victimes, soit plus du tiers des Français. Fautes de frappe aidant, certaines victimes étaient (et sont encore) fichées comme suspectes, et vice versa. En 2001, la CNIL avait relevé que plus de 25% des fichiers STIC qu'elle avait contrôlés étaient erronés, pas à jour, voire non justifiés.

Fin 2004, le ministère de l’intérieur reconnaissait ainsi avoir « mis en oeuvre un programme automatique d’épurement des données touchées par la limite de durée de conservation (qui) a abouti à la suppression de 1 241 742 fiches relatives à des personnes mises en cause »... ce qui n'empêcha le nombre d'erreurs d'exploser : en 2005, le taux d'erreurs relevé par la CNIL était en effet de 44%, puis de 53% en 2006.

En 2008, la CNIL constate 83% d’erreurs dans les fichiers policiers qu'elle avait été amené à contrôler... En 2009, on découvre même que le quart des 58 fichiers policiers est hors la loi ! Rien que de très normal : en vertu de la loi informatique et libertés, telle qu'elle fut revue et corrigée en 2004, Les fichiers policiers ont le droit d’être « hors la loi » (jusqu’en 2010 en tout cas).

Ce même mois de décembre 2008, le "Groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie", présidé par Alain Bauer, publie un rapport qui, en annexe, "balance en "exemple", un extrait (non anonymisé) de fichier STIC révèlant les noms et coordonnées d'un certain Manuel D., mais également du brigadier chef Mireille G. (c'est moi qui les anonymise), tout en précisant que la seconde avait enquêté sur le premier dans le cadre d'une affaire d'infraction à la législation sur les stupéfiants (mais sans que l'on sache s'il avait été -ou non- inculpé, condamné ou disculpé)... voir Les fichiers soi-disant fermés de l’Intérieur étaient truffés d'erreur).

Suite à mon billet, cette annexe du rapport, opportunément intitulé "Mieux contrôler la mise en oeuvre des dispositifs pour mieux protéger les libertés" (sic), fut anonymisée, sans autre forme de procès, ni explication. A contrario, et comme on le verra plus tard, le policier qui contribua à rendre public deux fichiers STIC afin d'en dénoncer les dysfonctionnements fut, lui, placé en garde à vue, inculpé, et mis à la retraite d'office...

Edvige est morte, vive Edwige² !

Mars 2009 : suite au scandale, le gouvernement a décidé de retirer le décret portant création d'Edvige... mais confirme que le nouveau fichier permettra de "répondre aux demandes d'enquêtes de recrutement imposées par la loi", et donc d'effectuer ces fameuses "enquêtes administratives de moralité" (voir EDVIGE servira à recruter… et licencier).

Ironie de l'histoire, le ministère de l'Intérieur, qui avait décidé d'"enterrer Edvige" et d'en finir avec la notion de "fichiers policiers" décida donc de le remplacer par... deux nouvelles "bases de données", aux noms bien moins sexy.

PASP, pour "Prévention des atteintes à la sécurité publique" est "ciblé sur les bandes, les hooligans et les groupuscules", et permettra de ficher les "activités publiques, comportement et déplacements", adresses physiques et électroniques des personnes -mineurs de 13 ans compris- susceptibles de "porter atteinte à la sécurité publique".

EALSP, de son côté, fichera le million de personnes faisant l'objet d'"Enquêtes administratives liées à la sécurité publique" à vérifier qu'il ne font pas montre de "comportements contraires aux bonnes moeurs", mais également à vérifier que leur "motivation politique, religieuse, philosophique ou syndicale" ne s'avérerait pas incompatible avec l'exercice de leurs fonctions.

Ironie de l'histoire, Brice Hortefeux décida d'en signer les décrets.... le jour de la Sainte Edwige, un an jour pour jour après la Journée nationale d’action du 16 octobre 2008 contre le défunt projet Edvige. Ça ne s'invente pas.

Plus de 75% des gens fichés génétiquement sont innocents

Octobre 2009. Je découvre que plus de 75% des gens dont l'ADN est fiché, en France, sont pourtant toujours "présumés innocents" de ce pour quoi ils avaient un jour été suspectés, mis en cause, et fichés :

Dans le prochain épisode de "Ma décennie Sarkozy", on verra ce pour quoi, et comment, la CNIL n'a eu de cesse, depuis 2001, de dénoncer les problèmes posés par l'explosion des fichiers policiers, alors même que plusieurs de ses commissaires validaient dans le même temps le fait de créer encore plus de fichiers policiers, sans pour autant chercher à régler les problèmes posés par la CNIL qu'ils étaient pourtant censés représenter...


Voir aussi :
Ma décennie Sarkozy - le premier quinquennat
Ma décennie Sarkozy S2E1 - de l'autocensure à l'autopromo
Ma décennie Sarkozy S2E2 - du fichier Edvige aux fichiers Edwige²
Ma décennie Sarkozy S2E3 - la CNIL, c'est CNUL
Ma décennie Sarkozy S2E4 - de Kafka à Minority Report
Ma décennie Sarkozy S2E5 – le technologique, c’est magique

Ma décennie Sarkozy S2E1 – de l’autocensure à l’autopromo

lundi 30 avril 2012 à 14:29

Quand on cherche sur DailyMotion les vidéos les plus vues au mot clef Sarkozy, on trouve celle-ci, Le Vrai Sarkozy, en 4e position. Mise en ligne en juillet 2006, vue près de 2,7 millions de fois, elle illustre bien le premier quinquennat de Nicolas Sarkozy, du temps où il n'était "que" ministre de l'Intérieur :

M'appuyant sur les archives des Big Brother Awards (BBA), une ONG créée pour récompenser ceux qui s'illustrent en matière d'atteintes aux libertés et à la vie privée, je rappelais la semaine passée, dans "Ma décennie Sarkozy – le premier quinquennat", à quel point Nicolas Sarkozy était un cas :

"C'est le seul à avoir été, par trois fois, exclu de la compétition, pour « racolage actif et passif, dopage, exhibitionnisme et outrage à magistrat », il avait par ailleurs été nominé six fois en sept ans, dont deux fois pour l’« ensemble de son œuvre »".

Suite de la première saison, avec la recension de ce que j'ai pu écrire sur Nicolas Sarkozy, en tant que président de la République... Et comme il y avait beaucoup à dire, cette odyssée en Sarkozye fera l'objet de plusieurs épisodes. Au menu du premier : de la censure, de l'autopromo, et des breloques.

De la prédisposition génétique à la censure médiatique

En 2007, Nicolas Sarkozy était de nouveau, et pour la troisième fois en cinq ans, exclu de la compétition par le jury des Big Brother Awards :

"En réexaminant son cas, nous sommes arrivés à la conclusion, au vu des propos qu’il a tenu au philosophe Michel Onfray, que son problème devait probablement être d’ordre génétique. Et qu’il pouvait donc être présumé "irresponsable", au sens juridique, de ses actes répétés contre la vie privée et les libertés fondamentales, ce qui ne lui permettrait certes pas d’échapper à quelque condamnation que ce soit, mais, au contraire, de se voir doté, à vie, d’un bracelet de surveillance électronique.

Ah, si seulement la loi punissait la promotion de la surveillance et des atteintes à la vie privée…"

Au vu du nombre grandissant d'articles et informations (auto-) censurées afin de ne pas nuire à l'image du nouveau Président de la République, je lançais, en novembre 2007, et 6 mois seulement après son début de quinquennat, un Observatoire de la censure façon Nicolas Sarkozy.

Du licenciement du patron de Paris Match (qui avait osé faire sa "une" sur l’escapade amoureuse de Cécilia avec le publicitaire Richard Attias) jusqu'à la censure d'un article du JDD expliquant que Cécilia Sarkozy n'avait pas voté pour Nicolas Sarkozy en passant (notamment) par la censure d'un reportage du JT de France 2 où l’on voyait des policiers tabasser des jeunes des cités, j'en dénombrais alors une trentaine, en 1 an 1/2 seulement...

En janvier 2009, je faisais moi-même les frais de ce climat d'auto-censure (voir Direct Matin m’a censuré, et Le Monde avec). L'interview que j'avais accordée à un journaliste du Monde qui préparait, pour Direct Matin Plus (édité par le groupe Bolloré), un article au sujet des problèmes posés par le « passe » Navigo en terme de traçabilité (voir Le passe Navigo “anonyme” n’existe pas), fut en effet censurée, au profit d'une belle page colorée de publicité :

Ce qui devait être publié :
Ce qui l’a été :

C’était la deuxième fois que Direct Matin censurait un article du groupe Le Monde. La première fois, c’était un article d’un ancien consul hongrois, paru dans le Courrier International, sur la façon toute particulière que peuvent avoir les policiers français d’accueillir des musiciens tziganes à la douane, et qui se concluait ainsi :

Il y a trente ans, à l’époque brejnévienne, les autorités soviétiques agissaient de manière plus démocratique que ne l’ont fait, il y a quelques jours, les fonctionnaires français de notre histoire.

Travailler plus pour ne gagner rien ?

La censure va généralement de pair avec la propagande. En l'espèce, je découvrais en 2008 que le site web des États généraux de la presse écrite, lancés pour "apporter des réponses aux difficultés économiques que rencontre la presse écrite, notamment face au développement de l’Internet et des journaux gratuits", était en fait un copié/collé du site web de l'Élysée, lui même copié/collé de sarkozy.fr, l'ex-site web de campagne électorale de Nicolas Sarkory... Etonnant, non ? (voir Les états généraux de la presse écrite de la télé de l’Elysée)

Dans la foulée, sur Twitter, par mail et blogs interposés, plusieurs internautes me faisaient remarquer que le site avait également été copié/collé pour promouvoir "toutes les réformes" de Nicolas Sarkozy, son "Grand Pari de l'agglomération parisienne", sa "modernisation des institutions de la Ve République", sa "présidence française de l’Union européenne", mais également LoNgEviTV, "la première webTV pour « vieillir jeune »" (sic, créée par le frère de Nicolas Sarkozy, et où les journalistes sont remplacés par les annonceurs), ou encore le site web de présidence du Cameroun de Paul Biya connu, notamment, pour ses "biens mal acquis"...


Faire la com de Sarkozy, c'est gratuit! par Infodujour-LePost

Interrogé par LePost.fr suite à mon billet, François de la Brosse, papa de NSTV -la télévision de campagne de Nicolas Sarkozy-, qui bénéficiait à l'époque d'un bureau à l'Elysée, et qui se trouvait être le mari d'une amie de Cécilia ex-Sarkozy, expliqua qu'il travaillait "gratuitement" et "bénévolement" pour Nicolas Sarkozy... En tout bien tout honneur. Evidemment. Ou comment travailler plus pour ne gagner rien.

Une France forte, et solidaire...

En matière de copinage, cette histoire est, cela dit, de la roupie de sansonnet comparée à ce que les étudiants du Centre de formation des journalistes (CFJ) ont découvert lorsque l'on m'a demandé d'enquêter avec eux sur le fameux dîner du Fouquet's organisé pour fêter l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

En mai 2009, nous découvrons en effet que sur les 56 "happy few" invités par le chef de l'Etat à fêter la victoire au soir du 6 mai 2007, Christian Clavier, Isabelle Balkany, Jean Reno, Vincent Bolloré ou encore Alain Minc avaient ensuite été décorés de la Légion d'honneur, ou promus s'ils l'avaient déjà été. En tout, et en deux ans seulement, 16 des 56 invités du Fouquet's obtinrent une breloque, soit ... 28 % de l'assistance !

Depuis, le flot s'est quelque peu tari, et seuls Roger Karoutchi en 2009 puis, en 2010, Christine Albanel et Martin Bouygues, ont été promus à la Légion d'honneur. 33% des 56 invités du Fouquet's ont donc été décorés ou promus depuis 2007. C'est aussi à cela que l'on reconnaît une "France forte"...

Dans le prochain épisode de "Ma décennie Sarkozy", on verra ce pour quoi, et comment, le scandale du fichier Edvige -qui entraîna LeMonde.fr à me proposer de créer ce blog- n'était jamais que l'arbre qui cachait la forêt des (problèmes posés par les) fichiers policiers.


Voir aussi :
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