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A Guantanamo, les détenus ont des Nintendo DS

vendredi 10 mai 2013 à 15:52

Une vidéo, filmée les 9 & 10 avril dernier, et mise en ligne par l'US Army début mai, montre que les "combattants illégaux" détenus à Guantanamo peuvent lire Agatha Christie, Tom Wolf et "Calvin & Hobbes", regarder le DVD de "L'âge de glace", et même jouer à "Super Mario Bros" (sur Nintendo DS).

Le contraste est d'autant plus saisissant que la presse internationale, dans le même temps, s'alarme du fait qu'à Guantanamo, 60 % des détenus (sont) en grève de la faim, et que "parmi les 100 grévistes de la faim officiellement dénombrés, 20 étaient alimentés par des tubes reliés directement à l'estomac par la cloison nasale".

Ce "gavage" -et cette grève de la faim- sont d'autant plus étonnants que le camp VI de Guantanamo, où a été filmée cette vidéo, est réservé aux prisonniers déclarés "libérables" et donc "transférables" dans leur pays d'origine ou un pays d'accueil- et que ses 130 détenus "ne posent pas de problèmes de discipline, ne représentent pas un risque particulier en matière de terrorisme et n'ont pas de "valeur" en termes de renseignements".

Pour autant, et à l'instar de Nabil Hadjarab (qualifié de "gentil garçon" par ses matons), qui a vécu toute son enfance en France -mais que la France refuse d'accueillir, alors qu'il est "libérable" depuis 2007-, 86 des 166 personnes encore détenues à Guantanamo, jamais jugées, ni même inculpées formellement, ont été déclarées "libérables" il y a 3 ans : incarcérées depuis plus de 11 ans, sans mise en examen, sans procès, sans jugement, elles attendent que les Etats-Unis se décident à fermer Guantanamo, mais aussi et surtout que des pays acceptent de les accueillir.

"Tu n'as rien vu à Guantanamo. Rien."

Si la France, à l'instar des autres pays alliés des États-Unis, refusent d'accueillir les "libérables" de Guantanamo, force est de constater que la prison américaine (sise à Cuba) sait par contre accueillir les militaires chargés de la faire fonctionner, ce dont témoignent les nombreuses photos & vidéos mises en ligne par les communicants de l'US Army, que j'avais compilées dans "La croisière s’amuse à Guantanamo", cf notamment cette photo prise au petit matin du Noël 2011 :

A contrario, la vidéo filmée par l'US Army en avril dernier ne montre rien, presque rien. On y voit une prison vide, ou presque : la seule image -furtive- révélant la présence de prisonniers montre un gardien de prison, les mains gantées, passer un repas tout préparé dans l’entrebâillement de la porte d'une cellule. Là, et par trois fois, un flash crépite lorsque l'on distingue, furtivement, la main d'un prisonnier acceptant de prendre un gobelet, une banane, puis une barquette. Comme si le photographe de l'US Army avait voulu démentir le fait que 100 des 166 détenus de Guantanamo étaient en grève de la faim.

On y discerne certes des (uniformes de) militaires triant des packs de yahourts "Dannon", ou jetant les restes des barquettes proposées aux prisonniers, mais exception faite de ce passage montrant furtivement une main, et quelques doigts, la vidéo (muette) des communicants de Guantanamo montre une prison vide de prisonniers...

A l'entrée de la bibliothèque des détenus, une affiche montre un ver de terre sortant d'un livre... sur les rayonnages, des livres en arabe (il serait à ce titre intéressant que des arabisants puissent nous préciser les livres en arabe que Guantanamo propose donc à ses détenus de lire), mais également, et en anglais, des livres d'Agatha Christie et Tom Wolf, de science fiction (David Weber et "The Fionavar Tapestry"), et même "Calvin & Hobbes".

"Notre honneur : défendre la liberté"

A l'entrée de la médiathèque, une affiche précise qu'on peut y trouver des magazines en arabe, en anglais et en français (à commencer par Géo -en russe- et National Geographic), des DVD (dont plusieurs compilations et matches de football, "Bab Al Wazeer", une comédie romantique égyptienne, mais aussi "Rango", parodie animée de western avec un caméléon anthropomorphe, & "L'âge de glace"), et même des jeux vidéos pour Nintendo DS ("Super Mario Bros").

Le passage consacré à l'"unité de santé comportementale" commence par s'attarder sur sa devise, inscrite au fronton de sa porte d'entrée : "notre honneur : défendre la liberté", avant de s'attarder sur une grande cage grillagée, barbelée, installée dans la cour elle-même cernée de grilles et de barbelés, puis d'un couloir sombre où l'on distingue une quinzaine de portes de prison, puis de l'une de ses petites cellules, avec une chaise roulante dotée de courroies afin de pouvoir entrâver les pieds et les mains des détenus.

Dans une tribune publiée mi-avril par le New York Times, intitulée Guantanamo est en train de me tuer, un détenu en grève de la faim, qui n'a jamais été jugé, ni même inculpé formellement, raconte les souffrances qu'il endure lorsque les gardiens de la prison le "nourrissent" de force :

« Je n'oublierai jamais la première fois qu'ils ont fait passer un tube par mon nez pour me nourrir. Je ne peux pas décrire à quel point c'est douloureux d'être nourri de cette façon.

Deux fois par jour, ils m'attachent à une chaise dans ma cellule. Mes bras, mes jambes et ma tête sont sanglés. Je ne sais jamais quand ils vont venir. Parfois, ils ne viennent qu'à 23 h quand je dors déjà. »

Guantanamo coûte très cher, et ne sert à rien

Le colonel Morris Davis (@ColMorrisDavis), qui fut le procureur général de Guantanamo de 2005 à 2007, poste dont il démissionna parce qu'il était contre le recours à la torture, vient de son côté de lancer une pétition appelant le président Obama à fermer le centre pénitentiaire de Guantanamo, parce que cela coûte très cher, ne sert à rien, tout en étant contre-productif, pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme :

« J’ai moi-même inculpé le chauffeur d’Osama Ben Laden, Salim Hamdan, l’Australien David Hicks et l’adolescent Canadian Omar Khadr. Tous trois ont été incriminés... puis ont quitté Guantánamo.

Plus de 160 hommes qui n’ont jamais été inquiétés d’aucun délit, encore moins de crime de guerre, demeurent à Guantánamo sans espoir de répit.

Il y a quelque chose de fondamentalement injuste dans ce système qui assure un billet retour aux criminels de guerre et garde les autres enfermés pour une durée illimitée. »

La pétition, soutenue par closeguantanamo.org (facebook / @closegitmo sur Twitter), un site lancé par le journaliste d'investigation Andy Worthington (FaceBook / Twitter), auteur de "The Guantánamo Files: The Stories of the 774 Detainees in America’s Illegal Prison", a reçu plus de 190 000 signatures en 8 jours. L'objectif initial était de 200 000 signatures.

Guantanamo est une absurdité

En 2012, avec "La croisière s’amuse à Guantanamo", je m'étais borné à souligner le décalage existant entre la vision héroïque qu'en donnait l'armée US et l'interprétation -forcément contre-productive- que cette vision du camp de Guantanamo pouvait entraîner.

Les défenseurs des droits de l'homme ne pouvaient (et ne peuvent) qu'être atterrés, les diplomates entravés (faute de pouvoir négocier), les professionnels de la lutte contre le terrorisme diabolisés, et décrédibilisés (quelle légitimité peut-on accorder à des gens capables d'interner, et de torturer, pendant des années, des gens à qui rien n'a jamais pu être reproché ?), et les États-Unis se tirent une salve de balles de la pied en ne fermant pas Guantanamo.

On ne saura probablement jamais combien de terroristes sont passés à l'acte à cause de Guantanamo, ni combien d'Américains, ni de soldats de l'OTAN, sont morts ou ont été blessés à cause de cette "guerre au terrorisme" qui n'a pas respecté le droit de la guerre, et encore moins les droits de l'homme.

La vidéo que viennent de mettre en ligne les communicants de Guantanamo -qui adopte un profil particulièrement bas sur ces questions- et la pétition initiée par l'ancien procureur général de Guantanamo, montrent que le vent tourne, et que la fermeture de Guantanamo n'a probablement jamais été autant d'actualité, voire que l'on pourrait y contribuer.

Je ne "crois" pas aux pétitions. Mais le centre de détention de Guantanamo est une exception, non seulement parce qu'il ne respecte pas le droit international, mais aussi et surtout parce que la majeure partie de ses détenus ont été reconnus innocents de ce dont ils étaient accusés.

Guantanamo est une erreur politique, et historique. Merci de signer et de faire tourner la pétition.

Voir aussi :
Pourquoi le FBI aide-t-il les terroristes?
Ma « gorge profonde » était (peut-être) une taupe
Fichier ADN : 80% des 2,2M de gens fichés sont « innocents »
La guerre aux migrants a fait 18 000 morts (au moins)
10 ans après, à quoi ont servi les lois antiterroristes ?

Ma « gorge profonde » était (peut-être) une taupe

vendredi 3 mai 2013 à 15:33

En l'an 2000, je décidais de traduire en français security.tao.ca, le tout premier manuel relativement grand public de sécurité informatique et de protection de la vie privée. Quelques mois plus tard, il était pointé du doigt dans une "alerte" lancée par l'unité du FBI en charge du "terrorisme domestique", dans la mesure où son principal objectif était d'apprendre à "se protéger dans un monde sous constante surveillance" (sic), et qu'il pourrait dès lors aider des "hacktivistes" à échapper à la surveillance du FBI.

Depuis, le monde a bien changé : le monde est effectivement et de plus en plus surveillé, mais nous sommes également de plus en plus nombreux à avoir compris l'importance du droit à la vie privée, et au secret de la correspondance. Cette année, c'est même l'un des principaux thèmes portés par l'UNESCO, à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2013, intitulée « Parler sans crainte », qu'elle célèbre ce 3 mai...

L'UNESCO a en effet décidé de mettre l'accent (.pdf) sur « la nécessité d'assurer un Internet libre et ouvert comme condition préalable à la sécurité en ligne ».

A ce titre, l'agence de l'ONU chargée de « créer les conditions d’un dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples », entend donc « accentuer la sensibilisation aux bonnes pratiques » en matière de sécurité en ligne, et donc de protection des sources, « face aux pressions croissantes exercées pour contraindre à révéler l'identité des utilisateurs, effectuer des opérations de surveillance, et bloquer, filtrer ou supprimer du contenu en cas de protestation ». L'UNESCO résume assez bien la situation :

« Les journalistes ont désormais besoin d'être spécialement équipés pour pouvoir assurer une meilleure protection de leurs documents d'information électroniques, notamment l'identité de leurs sources.

Des journalistes ont vu leurs téléphones mobiles et leurs ordinateurs confisqués, et leurs comptes de messagerie soumis à une surveillance illégale et au piratage. Les sites Internet de certains médias ont été désactivés par des attaques ou volontairement infectés par des virus de type « cheval de Troie ».

De plus en plus, les journalistes doivent savoir comment protéger leurs données importantes et sensibles. »

PrivacyBox, un WikiLeaks "pour les nuls"

Cette initiative tombe à point nommé : je viens d'apprendre que PrivacyBox, la boîte aux lettres électronique qui permettait à ses utilisateurs d'être contacté de manière anonyme et sécurisée -et dont j'avais fait traduire l'interface en français- va fermer, parce que celui qui l'a développé accuse son nouvel administrateur d'être... un informateur des "services" de renseignement allemand.

En juin 2010, j'écrivais un article intitulé Gorge profonde: le mode d’emploi rappelant que si « le Net a beau être surveillé à l’envi, il est tout à fait possible de contourner la cybersurveillance » :

« Balancer un document confidentiel à Wikileaks, c'est bien. Permettre aux rédactions, journalistes, blogueurs, ONG, de créer leur propre Wikileaks, c'est mieux. »

PrivacyBox avait en effet été « conçu pour offrir, essentiellement aux journalistes, bloggers et autres auteurs de publications diverses, la possibilité de proposer à leurs interlocuteurs des formulaires de contact anonymes, qui demeurent par ailleurs impossibles à tracer. »

Dans sa charte de confidentialité, PrivacyBox précisait avoir été « fait pour garantir une utilisation anonyme (et) maintenir l’échange de données libre », et qu'il ne conservait « aucune information à propos des destinateurs et destinataires des messages ».

Un espion dans la (Privacy)Box ?

La German Privacy Foundation (GPF), qui avait lancé PrivacyBox en 2008, vient d'annoncer que le site n'était « conceptuellement et techniquement plus à jour » et qu'il allait donc bientôt fermer, faute de ressources pour développer un nouveau service.

Réagissant à cette annonce, le développeur de PrivacyBox a de son côté expliqué qu'il était tout à fait possible de mettre le code (OpenSource) à jour, mais qu'il avait décidé d'abandonner le projet parce que le co-administrateur de PrivacyBox que la GPF lui avait imposé ne lui inspirait aucune confiance.

Via archive.org, on retrouve un article (voir la traduction, en anglais) où il précise avoir décidé de quitter la GPF parce qu'il soupçonnait ce co-administrateur de travailler, sous le nom de code "Sysiphos", en tant qu'informateur voire employé, pour les services de renseignement allemand...

Il aurait alors proposé à la GPF de nommer un autre administrateur, et de faire signer à l'ensemble de son conseil d'administration une déclaration sous serment où les engageant à ne pas coopérer avec les services secrets. Les deux propositions auraient été rejetées, il aurait donc décidé de démissionner.

Il a depuis effacé ces accusations, mais l'info a commencé à circuler. Le co-fondateur de la GPF dénonce une campagne de déstabilisation basée sur des rumeurs, tout en... demandant sur son blog si quelqu'un ne connaîtrait pas une alternative à PrivacyBox.

Comment protéger ses sources ?

J'ai écrit plusieurs manuels de sécurité informatique et de protection de la vie privée, et il existe des dizaines de façons de communiquer, en toute confidentialité, sur l'Internet (voir Comment (ne pas) être (cyber)espionné ?), mais PrivacyBox avait l'insigne avantage de permettre aux utilisateurs de GPG (Gnu Privacy Guard, le plus utilisé des logiciels de chiffrement des emails -mode d’emploi), de permettre à ceux qui n'utilisent pas GPG de leur envoyer des messages chiffrés, et donc confidentiels.

Désormais, pour me contacter en toute confidentialité, il vous faudra passer directement par GPG, le système de messagerie instantanée sécurisé Jabber+OTR (pour Off-the-Record Messaging), ou... m'envoyer un courrier papier, entre autres.

L'an passé, l'INA m'avait demandé de rédiger à son intention un petit manuel de protection des sources. L'INA ayant oublié de m'informer de la mise en ligne de ce guide pratique, pas plus que du changement d'adresse où l'on peut lire ce manuel, j'ai décidé, pour célébrer à ma façon cette manifestation de l'UNESCO, de le republier sur ce blog : Comment protéger ses sources ? (voir aussi son texte d'introduction : Comment (ne pas) être (cyber)espionné ?), afin d'aider tous ceux qui cherchent à savoir comment protéger leurs communications, leurs sources et leur vie privée (voir aussi le Kit de survie numérique que Reporters sans frontières a commencé à décliner).

A noter que des #Anonymous viennent de lancer AnonBox, avec pour objectif de lancer un nouveau PrivacyBox, à partir de son code (OpenSource) (Perl + CGI). Vu l'histoire de PrivacyBox, et ce pour quoi le service a décidé de fermer, reste donc à savoir si le code source peut être validé et amélioré, puis à trouver des serveurs, et administrateurs, de confiance pour les héberger.

MaJ : Le New Yorker vient de lancer sa Strongbox, dont le code, développé par Aaron Swartz, est disponible sur GitHub : . A suivre...

Voir aussi :
Journalistes : protégez vos sources !
Comment contourner la cybersurveillance ?
Internet : quand l’Etat ne nous protège pas
Des milliers d’e-mails piratables sur les sites .gouv.fr
Le trésor de guerre de Wikileaks ? Une gorge profonde chinoise
La durée de vie d’un ordinateur non protégé est de… 4 minutes

La guerre aux migrants a fait 18 000 morts (au moins)

mercredi 24 avril 2013 à 16:42

La semaine dernière, Frontex, l'"agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures", annonçait fièrement dans son rapport annuel que "les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'UE ont été divisés par deux en 2012 grâce aux renforcements des contrôles aux frontières", au déploiement de 1 800 gardes-frontière en Turquie, et à la construction d'une clôture en fil barbelé à la frontière gréco-turque longue de 10,3 km chacune et d'une hauteur de 2,5 à 3 mètres :

Quelque 72 430 franchissements illégaux ont été dénombrés en 2012, ce qui représente une baisse de 49 % par rapport aux 141 060 détectés l'année précédente.

Etrangement, Frontex n'évoque pas, par contre, le nombre de migrants morts aux frontières de l'Europe. En 2011, j'avais contribué à créer une carte interactive répertoriant plus de 14 000 hommes, femmes & enfants "morts aux frontières" de l'Europe, depuis 1993.

Printemps arabe "aidant", l'ONG en charge de cette macabre comptabilité a depuis recensé 4 000 victimes supplémentaires, en seulement 2 ans... Une vingtaine d'ONG ont lancé, il y a de cela un mois, une campagne internationale pour dénoncer cette "guerre" que l'Europe a décidé de lancer contre "un ennemi qu'elle s'invente".

A l'exception d'un article sur Slate.fr, des articles et de l'émission « De Big Brother à Minority Report » que le Vinvinteur (l'émission de télévision où j'officie aussi désormais) a consacré à cette guerre qui ne dit pas son nom, aucun média n'en a parlé. Aucun. 18 000 morts en 20 ans, dont 4 000 ces deux dernières années. Aux portes de l'Europe. Dans l'indifférence quasi-générale...

Extrait du n°20 du Vinvinteur, diffusé sur France 5 le dimanche à 20h (& dont je suis le "rédac' chef" -NDLR).

Pour échapper aux scanners rétiniens, et rester incognito, le héros de Minority Report se faisait greffer de nouveaux yeux. L’histoire se passait en 2054.

Le tiers des réfugiés qui migrent aujourd’hui à Calais, dans l'espoir de se rendre au Royaume-Uni, préfèrent de même effacer leurs empreintes digitales en les brûlant au moyen de barres de fer chauffées à blanc, de rasoirs ou de papier de verre (voir Calais: des réfugiés aux doigts brûlés).

Explications : la création de l'espace Schengen a permis d'"ouvrir" les frontières des pays membres de l'Union européenne, afin de permettre aux Européens d'y voyager sans avoir à décliner leurs identités, ni donc être obligés de montrer leurs papiers. Une révolution.

En contrepartie, l'Europe a aussi créé une agence, Frontex, en 2004, afin de sécuriser les frontières extérieures de l’Union européenne. Qualifiée d'« organisation militaire quasi-clandestine » par Jean Ziegler, Frontex disposait en février 2010 de 26 hélicoptères, 22 avions légers et 113 navires, ainsi que de 476 "appareils techniques"...

Frontex est aussi un service de renseignement, ainsi qu'un relais policier, militaire, et diplomatique, avec les autres pays de l'Union... et pas seulement : Frontex a en effet passé des accords techniques de coopération avec des pays comme le Bélarus (157e -sur 179- au classement de la liberté de la presse de RSF), la Russie (148e), l'Ukraine (126e), la Turquie (154e), et en prépare d'autres avec la Libye (131e), le Maroc (136e), l'Egypte (158e), la Tunisie (138e) ou l'Azerbaïdjan (156e, cf « L’Internet est libre »… mais pas notre pays).

Le respect des droits de l'homme ne se résume certes pas au seul respect de la liberté de la presse. A contrario, on a du mal à imaginer qu'un pays qui ne respecte pas la liberté de la presse respecterait les droits des migrants... et donc à comprendre ce pour quoi, et comment, Frontex ait ainsi pu externaliser le fait de bloquer, et faire incarcérer, des migrants dans des pays peu regardants en matière de droits de l'homme.

FrontExit, lancé par une vingtaine d'ONG de défense des droits de l'homme, réclame aujourd'hui "plus de transparence sur le fonctionnement de FRONTEX et le respect des droits des migrant.e.s aux frontières" :

"Pour lutter contre une prétendue « invasion » de migrants, l’Union européenne (UE) investit des millions d’euros dans un dispositif quasi militaire pour surveiller ses frontières extérieures: Frontex."

Le budget annuel de Frontex a été multiplié par 20 en 5 ans, passant de 6 millions d’euros en 2006 à 118 millions d’euros en 2011. Un record, en ces temps de crise, sachant qu’il est aussi 9 fois plus important que celui du bureau européen chargé, non pas de refouler les réfugiés, mais d’harmoniser leurs demandes de droit d’asile…

Une des missions de Frontex est de rendre nos frontières “intelligentes”, au moyen d’une batterie de nouvelles technologies, développées, pour la plupart, par des marchands d’armes : caméras de vidéosurveillance thermiques, détecteurs de chaleurs et de mouvement, systèmes de drones, etc., le tout pour un budget estimé à 2 milliards d’euros.

2 milliards d’euros, c’est grosso modo ce que réclamaient les associations caritatives pour assurer l’aide alimentaire aux plus démunis, soit 19 millions de personnes en Europe, dont 4 millions en France.

Austérité oblige, l’Union européenne a finalement décidé d’amputer l’aide alimentaire de 1 milliard d’euros… au grand dam des ONG humanitaires, qui ont un peu de mal à accepter que "les chefs d'État demandent (donc) aux pauvres de sauter un repas sur deux"...

Pourquoi il ne faut pas "rigoler" sur sa photo d'identité

Le cauchemar décrit dans "Minority Report" est devenu réalité : pour échapper aux systèmes de surveillance, des hommes n'hésitent pas à se mutiler, voire à mourir...

Pour l'instant, & à ce jour, il s'agit essentiellement de "réfugiés”, “sans papiers”. Mais les migrants et étrangers ne sont pas les seuls à être fichés : la "délivrance" d'un visa, ou d'un passeport, est aujourd'hui conditionnée au fait de donner ses empreintes digitales, plus une photo d'identité, bien "cadrée", afin de faciliter la tâche des systèmes de reconnaissance biométrique...

Vous ne le savez peut-être pas, mais s'il est interdit de rigoler sur vos papiers, c'est pour permettre à des logiciels de reconnaissance faciale de pouvoir vous identifier... (voir Il ne faut pas rigoler avec vos photos d’identité). Pour l’instant, seuls les sans papiers en arrivent à se mutiler pour effacer leurs empreintes digitales. Pour l’instant.

L’Europe a décidé, de façon particulièrement cynique, de privilégier le fichage des étrangers, en limitant le nombre de consulats offrant la possibilité d'obtenir un visa biométrique (cf Tchernobyl: les enfants bloqués à la frontière française), tout en conditionnant l'obtention d'untel visa biométrique au fait pouvoir se le payer (cf La France refoule 12% des artistes africains).

Résultat : en 20 ans, cette “guerre aux migrants” aurait fait entre 18 & 72 000 victimes... C’est le constat, effrayant, dressé par United Against Racism, une ONG qui, depuis 1993, documente dans une base de données les morts aux frontières de l’Europe. Début 2011, elle en avait répertorié 14 000. Printemps arabe aidant, le nombre de victimes serait passé à 18 000, soit 4 000 morts de plus en 2 ans… dans l'indifférence quasi-générale, ce pour quoi j'ai proposé au Vinvinteur d'en parler :

Ghert est l'un des responsables d'United Against Racism, l'ONG qui dénombre les "morts aux frontières" de l'Europe. Il a préféré être interviewé de dos, plusieurs membres de son ONG ayant déjà été menacé voire tabassé par des militants d'extrême-droite. Non content de m'expliquer qu'il n'a pu documenter qu'1/4 des "morts aux frontières" -et qu'il estime donc que le chiffre réel serait trois fois plus important, aux alentours de 80 000-, Ghert m'a notamment raconté l'histoire de cette mère qui a choisi d'éborgner ses enfants -afin de leur permettre de rester en Europe.

Dressant un parallèle entre ce que l'Europe traverse aujourd'hui et ce qu'elle avait vécu dans les années 1930, Ghert estime ainsi que la façon qu'ont les pays du Nord de (mal)traiter la Grèce et l'Italie (notamment), et que la banalisation de la xénophobie, l'institutionnalisation des discriminations, et les résurgences racistes, pourraient déboucher sur une véritable "guerre" -nonobstant les risques de voir un jour cette "guerre aux migrants" se retourner contre "nous", si d'aventure ceux qui en meurent aujourd'hui se décidaient à prendre les armes pour se "défendre". L'interview dure 40', elle est en anglais, mais le constat est terrifiant :

Pour Claire Rodier, que j'avais déjà interviewée en 2011 à l'occasion de la mise en ligne du mémorial des “morts aux frontières de l’Europe“, « la liberté de circulation s’impose comme une évidence au regard des ravages causés par la lutte contre les migrations "illégales" ».

Juriste au Gisti et responsable de Migreurop, l'une des ONG qui a lancé FrontExit, Claire Rodier a publié un essai, « Xénophobie Business », analyse cinglante et alarmante du « marché » de l'externalisation sinon de la privatisation, du contrôle de l’immigration. Elle y dénonce les « profiteurs de guerre » de ce marché "très lucratif" où les agents de sécurité ne reçoivent souvent qu’une formation de cinq jours sur les techniques de contrôle et de contention, failitant d'autant les cas de recours excessif à la force, voire de tabassage en règle. Son interview dure plus d'une heure, mais je ne saurais que trop vous conseiller de la lancer, en tâche de fond, et de l'écouter, vraiment :

Si d'aventure ces questions vous ont ébranlé, vous pouvez également consulter le kit de sensibilisation de Frontexit, les cartes issues de l'Atlas des migrants en Europe , la Transborder map, "carte de la résistance contre le régime des frontières européennes", réécouter l'émission Liberté sur paroles consacrée à Frontexit (où l'on apprend que des garde-frontières ont tiré sur des bateaux de réfugiés pour les couler, et qu'il est question de doter les patrouilles de Frontex d'armes létales), acheter « Xénophobie Business », le livre de Claire Rodier (voir les 30 premières pages).

Voir aussi :
Calais: des réfugiés aux doigts brûlés
La France refoule 12% des artistes africains
Tchernobyl: les enfants bloqués à la frontière française
Fichier ADN : 80% des 2,2M de gens fichés sont « innocents »
Ne dites pas à ma mère que je suis un hacker, elle me croit blogueur au Monde.fr, & reporter au Vinvinteur

Ne dites pas à ma mère que je suis un hacker, elle me croit blogueur au Monde.fr, & reporter au Vinvinteur

dimanche 7 avril 2013 à 18:37

« Du jour au lendemain, on n'a plus parlé de "fraude informatique", mais de "cybercriminalité". »

Pour maître Olivier Itéanu (wikipedia / blog / twitter), avocat et pionnier du droit sur l'Internet, que j'interviewais à l'occasion de la Contre-histoire des internets, le webdoc' participatif que je viens de lancer sur Arte, ce "marketing de la peur", notamment alimenté par des marchands de produits de sécurité, a permis de diaboliser les notions de délits et de fraudes informatiques :


Cela fait des années que je tente de réhabiliter le terme "hacker", injustement diabolisé, en France notamment; voir, entre autres, Hackers et sans complexe sur InternetActu, "Les « bidouilleurs » de la société de l’information" dans le Monde Diplomatique, les nombreux articles que j'ai écrit à ce sujet sur ce blog, ou encore cette interview accordée à Télérama en 2010 :


Après des années de diabolisation, il semble que le vent ait tourné : rien qu'en ces mois de mai & juin 2013, la France va accueillir pas moins de 8 rassemblements internationaux de hackers (voir la liste, en fin de billet), co-organisés par Reflets.info, un site de "journalisme hacking, le /tmp/lab (le premier hackerspace français) ou encore MISC, le magazine 100% Sécurité informatique, et parrainés par des entreprises aussi diverses et variées que Zataz.com, l'un des plus anciens sites d'information consacré aux failles de sécurité, LeMonde.fr, mais également... Microsoft, EADS, Thalès, le CEA ou encore l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (en charge de la cyberdéfense, en France).

Aux USA et au Royaume-Uni, les services de renseignement n’hésitent pas à lancer des challenges visant explicitement à recruter les meilleurs hackers, à même de résoudre les défis qui leur sont lancés. En France, sujet est encore encore trop tabou pour que les autorités affichent officiellement leurs besoins de recrutement (voir ). Mais nos services de renseignement extérieurs (DGSE), de contre-espionnage et de cyberdéfense (ANSSI) recrutent à tour de bras ingénieurs en sécurité informatique et crypto-mathématiciens, sans oublier les nombreux "techniciens de la guerre électronique" et autres spécialistes du renseignement d’origine électromagnétique dont l'armée française semble avoir grand besoin.

Le n°23 du Vinvinteur -dont je suis le "grand reporter", depuis janvier dernier- ne s'est pas intéressé aux hackers barbouzes ou travaillant pour l'armée ou les services de renseignement, pas plus qu'à ceux qui sont traqués par les autorités, mais plus simplement à ceux qui, sans prétention, cherchent à bidouiller, des bouts de code et des objets, mais également à ceux qui ont décidé d'entrer dans l'arène politique pour défendre nos libertés :

Ne voyant aucun intérêt à garder les rushes des interviews que ceux que je vais rencontrer daignent m'accorder, l'équipe du Vinvinteur a décidé de les partager, dans leur intégralité. De quoi passer 45' avec Bluetouff (voir aussi ses articles sur Reflets.info, & son twitter), qui nous a expliqué pourquoi, et comment, "à force d'être agressés dans leur environnement, les hackers sont entrés en politique" :

Amaelle Guiton (@micro_ouvert sur Twitter) est journaliste au Mouv’ et auteure du livre « Hackers : au coeur de la révolution numérique », qui vient de sortir (voir aussi l'agenda, et ce que la presse en dit), et que vous pouvez acheter au format papier, ou... télécharger gratuitement au format ebook (& sans DRM !-)

Comme le rappelait Kitetoa récemment, "définir le mot hacker est impossible. La diversité des profils est telle que toute tentative est vouée à l’échec" (voir De quoi « hacker » est-il le nom ?), et l'on ne connaîtra probablement jamais le détail des exploits et histoires de ces hackers qui ont fait le choix -ou qui ont été contraints- de rester dans l'ombre.

En attendant, celles et ceux qui voudraient en savoir plus peuvent consulter la fiche Hacker (université) sur Wikipedia (et notamment les articles en liens externes), les articles compulsés par f.0x2501.org, ou encore se référer aux 3 autres livres publiés à ce sujet ces derniers mois :

Vous voulez en savoir encore plus ? Rendez-vous dans l'un de ces 7 congrès de hackers, sachant que si vous n'êtes pas vraiment un hacker, si vous n'avez pas de compétences informatiques particulières et/ou si c'est plus l'aspect "bidouille", politique ou "hacktiviste" qui vous intéresse, PSES (co-organisé par BlueTouff, à Paris) & THSF (à Toulouse) sont probablement les meilleures portes d'entrée en la matière...:

  1. Hackito Ergo Sum ("None of us is smarter than all of us – Global community for free security research"), 2-4 mai, La Villette, Paris (@hesconference)

  2. NoSuchCon ("the badass hardcore technical security conference. Of death. The US have the NSA, hackers have the NSC"), 15-17 mai, Espace Niemeyer (siège du PCF), Place du Colonel Fabien, Paris (@NoSuchCon, NoSuchCon sur Facebook)

  3. Toulouse Hacker Space Factory (THSF, rencontres entre hackers, makers, artistes et visiteurs curieux d'apprendre, tester ou tout simplement s'amuser avec la technologie), 24-26/05, Toulouse (@tetalab)

  4. SSTIC ("Symposium sur la sécurité des technologies de l'information et des communications"), 5-7/06, Rennes (@SSTIC, sur Facebook)

  5. Pas Sage en Seine CoHacking Space ("des gens pas sages du tout rendent visibles, intelligibles et pédagogiques les activités numériques undergrounds ou tout simplement libres"), 13-16/06, La Cantine, Paris (@passageenseine)

  6. Hacknowledge-contest 2013-FR ("une compétition deHacking éthique à travers l'Europe et l'Afrique"), 21-22/06, Lille (@HacknowledgeC, HacknowledgeContest sur Facebook)

  7. Hack In Paris ("discover the concrete reality of hacking, and its consequences for companies"), 17-21/06, Conference Center of Disneyland Paris (@hackinparis, Hack In Paris sur Facebook)

  8. Nuit du Hack ("une des plus anciennes conférence de hacking underground francophone"), 22-23/06, DisneyLand Paris (@hackerzvoice, NuitDuHack sur Facebook)

Mise à jour : ce recensement ne comprend que les évènements ayant lieu en mai-juin, mais il y en a d'autres, dont le "2nd International Symposium on Research in Grey-Hat Hacking" -aka GreHack-, qui se tiendra à Grenoble le 15 novembre 2013...

Voir aussi :
Comment (ne pas) être (cyber)espionné ?
Facebook & Google, vecteurs de chienlit
Eric Filliol : « L’Etat doit s’appuyer sur les hackers »"
En France, les hackers n'ont plus peur de faire leur coming out
Tout ce que vous avez toujours voulu pirater sans jamais savoir comment procéder

Amesys: les documents qui impliquent Ziad Takieddine et Philippe Vannier, le PDG de Bull

mardi 12 mars 2013 à 14:59

Près de 200 personnes sont, à ce jour, détenues en raison des opinions qu'elles ont exprimées sur l'Internet. Plusieurs d'entre-elles ont été identifiées grâce à des armes de surveillance numériques conçues, et vendues, par des marchands d'armes occidentaux.

A l’occasion de la Journée mondiale contre la cyber-censure, Reporters sans frontières publie un Rapport spécial sur la surveillance, disponible sur surveillance.rsf.org.

Il y dresse une liste de cinq Etats ennemis d'Internet (la Syrie, la Chine, l’Iran, le Bahreïn et le Vietnam), mais également de cinq entreprises (Gamma, Trovicor, Hacking Team, Amesys et Blue Coat), "mercenaires de l'ère digitale" dont les armes de surveillance numérique "ont été ou sont utilisées par les autorités de pays répressifs pour commettre des violations des droits de l’homme et de la liberté de l’information" quand bien mêmes ces entreprises soient allemande, britannique, française, italienne et américaine.

A cette occasion, je mets en ligne un long extrait d'Au pays de Candy, le livre que j'ai consacré au scandale Amesys, du nom de cette entreprise française qui avait conçu, par l'intermédiaire de Ziad Takieddine, en relation avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy, un système de surveillance généralisé de l'Internet pour Abdallah Senoussi, chef des services de renseignement (et beau-frère) de Kadhafi, qui avait pourtant été condamné à la prison à perpétuité pour son implication dans l'attentat du DC-10 de l'UTA (170 morts, dont 54 Français) par la Justice française, le plus grave attentat terroriste que la France ait jamais connu.

Le chapitre qui suit (que vous pouvez aussi lire à cette adresse, sur un écran plus large) est consacré aux préparatifs de ce contrat, et comporte une vingtaine de documents, dont plusieurs courriers de Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine (dont un tableur dressant la liste ses voyages de 2001 à 2008), ainsi que des propositions de contrat d'Amesys signées Philippe Vannier, alors PDG d'Amesys et qui, depuis, a pris le contrôle de la société Bull.

On y découvre ainsi notamment qu'Amesys avait, dans un premier temps, choisi d'appeler son système de "surveillance massive" de l'Internet "Network Stream Analyser" (analyseur de flux réseau), ou "NSA"... acronyme de la célèbre National Security Agency américaine, le plus puissant des services de renseignements chargés de la surveillance des télécommunications, avant de décider de l'intituler "Eagle".

On peut être marchand d'armes et avoir de l'humour : le nom de code du projet libyen ? Candy... comme bonbon, en anglais. À la manière d’un mauvais polar, les autres contrats négociés par Amesys portaient tous un nom de code inspiré de célèbres marques de friandises : “Finger” pour le Qatar (sa capitale s’appelle… Doha), “Pop Corn” pour le Maroc, “Miko” au Kazakhstan, “Kinder” en Arabie Saoudite, “Oasis” à Dubai, “Crocodile” au Gabon. Amesys baptisait ses systèmes de surveillance massif de l’Internet de marques de bonbons, chocolats, crèmes glacées ou sodas...

Il y a tout juste un an, en mars 2012, une semaine avant la publication de mon livre et la diffusion de Traqués !, le documentaire de Paul Moreira qui donnait la parole à plusieurs Libyens torturés après avoir été identifiés grâce au système de surveillance d'Amesys, Bull avait annoncé la revente de sa filiale impliquée dans ce scandale.

La veille de la diffusion de Traqués !, le ministère des affaires étrangères avait expliqué que ces systèmes de surveillance numérique, "développés sur la base de produits du marché grand public" (sic) ne faisaient l'objet d'aucun contrôle à l'exportation. Le lendemain de la sortie de mon livre, Dominique Moyale, procureure de la République d'Aix-en-Provence, annonçait le classement sans suite de la plainte contre X visant Amesys, pour les mêmes raisons que celles avancées par le Quai d'Orsay (voir Barbouzeries au Pays de « Candy »).

Je ne sais comment le quai d'Orsay avait eu vent des motifs de ce classement sans suite avant qu'il ne soit rendu public, je sais par contre que je n'ai jamais eu de réponse lorsque j'ai demandé si la vente à Kadhafi, par Amesys, d'un 4X4 sécurisé antibrouillage, et d'un logiciel de chiffrement des communications, avaient bien été autorisée par les autorités, comme le veut la loi. En tout état de cause, les questions que je posais en septembre 2011, et qui portaient notamment sur la responsabilité du gouvernement, restent d'atcualité (voir Amesys/Bull: un parfum d’affaire d’État).

La semaine passée, le quai d'Orsay a ainsi reprit quasiment mot pour mot les explications qu'avait données Alain Juppé, ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, pour justifier le fait qu'une entreprise française a tout à fait le droit de vendre des armes de surveillance numériques à une dictature (voir Pour Fabius, on peut librement exporter le DPI dans des pays autoritaires) et ce, alors même que Jean-Marc Ayrault venait pourtant d'annoncer que "le gouvernement veut contrôler les exportations d'armes de surveillance".

Accessoirement, Bull a bel et bien revendu sa filiale, mais à une entreprise, Nexa Technologies, créée par celui qui, au sein d'Amesys, avait créé le système Eagle de surveillance généralisé de l'Internet, avec des fonds provenant de l'actuel vice-président International et Défense pour les solutions de sécurité chez... Bull (voir Le PDG de Bull se plante un couteau dans le dos).

En janvier dernier, la cour d’appel de Paris ordonnait la poursuite de l’enquête pour complicité de torture en Libye visant la société Amesys, suite à une plainte déposée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Parallèlement, cinq victimes libyennes, blogueurs opposants au régime de Kadhafi, « arrêtées et torturées par le régime en place et leur arrestation était directement liée à leur surveillance par le système livré par Amesys », selon Me Baudouin, avocat de la FIDH, se constituées parties civiles.

Mon livre est sorti il y a tout juste un an, RSF et la Justice reprennent aujourd'hui le flambeau, le gouvernement vient d'annoncer qu'il allait essayer de voir en quelle mesure notre pays pourrait contribuer au contrôle de l'exportation des armes de surveillance numérique... une affaire à suivre, que la Revue dessinée m'a demandé de raconter en BD, et dont elle vient de mettre en ligne les deux premières planches. Cadeau :

Ceux qui voudraient en savoir plus sur ces "mercenaires numériques", et leurs armes de surveillance, pourront également lire les articles que j'avais consacrés à leur sujet sur Owni, qui décrivaient notamment le fonctionnement des logiciels espions de Gamma/Finfisher (voir Des chevaux de Troie dans nos démocraties et Un gros requin de l'intrusion), comment ils avaient été utilisés pour espionner des défenseurs des droits de l'homme au Barheïn, et comment le cheval de Troie d'Hacking Team avait été utilisé pour espionner des blogueurs marocains (voir L'espion était dans le .doc), sans oublier les nombreux articles que j'avais consacrés à Amesys sur ce blog, et sur Owni, ainsi que ceux de Reflets.info, l'un des seuls médias à s'être réellement penché sur ce dossier.

Voir aussi :
Comment (ne pas) être (cyber)espionné ?
Amesys/Bull: un parfum d’affaire d’État
Vietnam : 32 blogueurs victimes de procès staliniens
Fichier ADN : 80% des 2,2M de gens fichés sont « innocents »
A quoi servent les « agents antiémeutes toxiques » français au Bahreïn ?