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Règlement de censure terroriste adopté : résumons

vendredi 7 mai 2021 à 15:30

La semaine dernière, le Parlement européen a adopté, sans le voter, le règlement de censure terroriste. C’est le triste aboutissement de plus de deux ans de combats et une nouvelle défaite qui vient s’ajouter à celles subies ces derniers mois.

Comme nous l’avons fait pour la loi Sécurité globale, nous revenons ici sur les changements apportés par ce texte ainsi que sur la procédure qui a abouti à son adoption.

Commençons par rappeler qu’il s’agit ici d’un règlement européen (et non d’une directive), c’est-à-dire d’un texte d’application directe qui n’a normalement pas besoin d’un texte national pour s’appliquer. Plusieurs points restent cependant à préciser pour son application au niveau des États membres, ce qui nécessitera peut-être un véhicule législatif.

Les principales dispositions du texte

La disposition au cœur du texte est à son article 3 : toute autorité, administrative ou judiciaire (et qu’il reviendra aux États membres de désigner), pourra désormais forcer un fournisseur de service en ligne à retirer en seulement 1 heure un contenu qu’elle aura qualifié de terroriste :

Les exceptions prévues à cette obligation existent, mais restent très limitées, au vu notamment du délai de 1 heure et des fortes sanctions possibles :

De la même manière, des recours existent, mais ne sont possibles qu’a posteriori :

Le texte contient d’autres obligations :

Enfin, il revient aux États membres de définir les sanctions en cas de non-respect des obligations, mais, en cas de « non-respect systématique » des ordres de retrait, la sanction pourra aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires du service.

Comment en est-on arrivé là ?

Le texte a été présenté par la Commission européenne en septembre 2018.

En avril 2019, après que le Conseil de l’Union européenne puis le Parlement l’ont adopté en première lecture, nous étions déjà longuement revenu·es sur les premières étapes de nos combats (et ceux des autres) contre le texte. Nous y avions rappelé le rôle joué par les GAFAM dans l’élaboration du projet et souligné, à de nombreuses reprises, les risques de surveillance et de censure, notamment politique, d’un tel règlement.

Au cours de l’année 2020, chaque institution européenne ayant adopté une version différente, le texte a été discuté en « trilogue », c’est-à-dire entre des représentant·es des trois institutions, hors de tout débat public. C’est le texte qui en est sorti qui a été adopté la semaine dernière.

Ce texte n’a que peu de différences avec celui proposé par la Commission. Comme nous le répétons depuis le début, il facilitera la censure politique des mouvements d’opposition, aggravera l’utilisation de filtres automatisés en ligne et risquera ainsi de renforcer la centralisation d’Internet dans les mains des grandes plateformes :

Trois constats amers

Premier constat : nos deux ans d’efforts pour lutter contre ce texte, ainsi que ceux d’autres associations (EDRi, Wikimedia, Access Now…), n’auront eu aucun effet significatif en faveur de nos libertés. Deux années de suivi parlementaire, d’analyses juridiques et politiques, de campagnes d’appels aux parlementaires, de lettres ouvertes, françaises et internationales… Pour à la fin ne gagner que sur quelques exceptions à la marge (et détaillées plus haut), sans jamais rien changer au cœur du texte : la censure en 1 heure sans juge.

Deuxième constat : le fait que le Conseil constitutionnel français ait censuré, en juin 2020, une disposition très similaire dans la loi Avia n’a nullement empêché son adoption au niveau européen. Malgré nos appels réguliers pour souligner cette contradiction, la procédure a continué en toute tranquillité, dans un silence médiatique difficile à accepter, et avec le soutien des parlementaires français macronistes qui n’ont aucune gêne à instrumentaliser les institutions européennes afin de contourner la Constitution française.

Troisième constat : le texte a été définitivement adopté sans vote en plénière. S’agissant d’un vote en deuxième lecture, il était en effet nécessaire qu’un groupe parlementaire demande spécifiquement un vote, ce que personne n’a fait, pas même les groupes dits d’opposition.

Un des textes les plus graves jamais adoptés par l’Union européenne en matière de liberté d’expression l’a été dans une passivité générale, tant des médias que des élu·es, de gauche comme de droite. En dépit de cette indifférence décourageante, nous attendons de pied ferme que ce texte soit appliqué en France pour chercher des façons de le contrer, ou de le contourner, au niveau national.