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source: La Quadrature du Net

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Directive européenne : inquiétante extension du domaine de la lutte antiterroriste

jeudi 31 mars 2016 à 15:28

Paris, le 31 mars 2016 — Alors que de tragiques attentats ont frappé le cœur de l'Union européenne, la directive relative à la lutte contre le terrorisme, actuellement en discussion au Parlement européen, pourrait accélérer la mise en place de politiques sécuritaires dans toute l'Europe. La Quadrature du Net s'inquiète d'une européanisation des dérives françaises en matière d'antiterrorisme.

De nombreux pays européens, dont la France, se sont engagés dans une fuite en avant répressive, cherchant à transposer à l'échelle européenne leurs mesures nationales de surveillance récemment adoptées. Le projet de directive présenté par la Commission européenne le 2 décembre 2015 reste relativement vague et s'intéresse principalement à quatre points :

D'emblée, ce projet de directive recule sur la place des droits fondamentaux : la décision-cadre de 2002 qui fixe encore aujourd'hui la politique antiterroriste de l'Union européenne comporte un article 10 rappelant que toute politique antiterroriste doit respecter la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce rappel de l'importance et de l'applicabilité de la Charte a disparu du nouveau projet de directive. Si Monika Hohlmeier (PPE1, Allemagne), rapporteure au Parlement européen, a inséré quelques références aux droits fondamentaux dans ses amendements, leur force est loin de respecter les standards applicables aujourd'hui. De plus, le rapport publié le 9 mars - et non encore adopté - propose d'ajouter de nombreuses mesures potentiellement attentatoires aux droits fondamentaux à la liberté d'expression et d'information, notamment par la mise en place de mesures de blocage de sites internets.

Chacun des grands axes de cette directive (harmonisation pénale, mesures liées à la circulation, soutien aux victimes, mesures liées à Internet) a potentiellement des répercussions sur les droits fondamentaux, mais le principal axe sur lequel La Quadrature du Net apportera son analyse et son action lors du processus législatif est le troisième point relatif aux mesures liées à Internet et aux droits à la liberté d'expression et d'information.

Une fois de plus, Internet est visé et présenté uniquement comme vecteur de recrutement et de radicalisation de terroristes. Il apparaît à nouveau comme le bouc émissaire des multiples échecs que traduisent ces meurtres de masse, et fait l'objet d'inacceptables propositions de censure :

La proposition de directive, émanant de la Commission européenne, ne prévoit aucun véritable garde-fou permettant d'en limiter l'impact sur les droits fondamentaux, pourtant garantis dans l'article 6 du Traité sur l'Union européenne. La rapporteure du Parlement européen, Monika Hohlmeier, a proposé un amendement 26 qui comble seulement une faible partie de ces lacunes, en prévoyant que la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir à entraver la recherche ou réduire l'opposition politique, fusse-t-elle «  radicale »5. Or les droits fondamentaux mis en cause par ce texte vont bien au-delà de la seule liberté d'expression, et le droit à l'information, à la vie privée et à un procès équitable, entre autres, ne peuvent se voir évacués d'un revers de la main au nom de la lutte contre le terrorisme.

Au plan procédural, rappelons qu'aucune étude d'impact n'a été proposée sur ces différents points. Le Parlement européen pourrait donc acter des mesures répressives aboutissant à un recul historique des droits dans l'Union européenne sans analyse préalable, à contre-courant des organisations internationales comme le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU6, le Conseil de l'Europe7 et le Parlement européen lui-même qui, dans plusieurs rapports publiés ces derniers mois8, s'inscrivaient en faux contre certaines des mesures envisagées.

Le terrorisme qui s'attaque à nos lieux de vie, à la liberté de la presse et à nos institutions démocratiques cherche clairement à déstabiliser un système fondé sur l'État de droit et la liberté. La lutte contre le terrorisme ne doit pas accentuer cette déstabilisation, en bafouant nos textes fondateurs et traités qui protègent ces droits et libertés. La France, qui s'enfonce mois après mois dans une dérive sécuritaire inquiétante, ne peut imposer ses mesures de surveillance et de censure à ses partenaires européens. La Quadrature du Net appelle les Parlementaires européens à travailler à une consolidation des fondements et valeurs de l'Union européenne, au lieu de participer à leur délitement.