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source: La Quadrature du Net

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AlloStreaming : premier blocage judiciaire d'un site de streaming, bientôt la censure privée ?

jeudi 28 novembre 2013 à 19:42

Paris, 28 novembre 2013 — Le tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une décision très attendue dans l'affaire Allostreaming, engagée il y a près de deux ans. S'il accepte le blocage des 16 sites existants, le tribunal a cependant pour l'instant refusé d'autoriser la censure privée que souhaitaient instaurer les ayants droit. Pour autant, il laisse la porte ouverte à une telle censure privée en invitant à une coopération entre les acteurs de l'Internet et l'industrie du divertissement, sous couvert d'« auto-régulation ». Ce jugement alambiqué risque désormais d'être instrumentalisé par les lobbies de la culture pour appeler à la mise en œuvre des préconisations du rapport Lescure, consacrant ainsi des formes inacceptables de censure privée comme mode courant d'application d'un droit d'auteur en pleine crise de légitimité.

Pour rappel, dans cette affaire, plusieurs syndicats professionnels représentant les producteurs, éditeurs et les distributeurs de vidéos avaient assigné en justice des fournisseurs d'accès à Internet et des moteurs de recherche afin de censurer l'accès à plusieurs sites proposant des contenus audiovisuels en streaming.

Si les sites Allostreaming initialement visés ont depuis fermé, la justice vient d'ordonner aux fournisseurs d'accès et moteurs de recherche le blocage de 16 autres sites qui reproduisaient le contenu sous d'autres noms de domaine (sites dits « miroirs »), mesures qui devront être financées par les ayants droit eux-mêmes. Par ailleurs, le tribunal a logiquement refusé de permettre à l'industrie du divertissement d'ordonner directement aux intermédiaires du Net de censurer les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir sans repasser par la case « justice ». Il laisse néanmoins la porte ouverte à l'« auto-régulation » au travers d'une coopération entre acteurs de l'Internet et ayants droit afin de censurer ces sites miroirs, qui sont souvent utilisés à des fins d'expression politique par des citoyens souhaitant dénoncer la censure d'un site (comme ce fut par exemple le cas dans l'affaire Copwatch). En bref, le tribunal ne tranche pas, mais ne ferme pas la porte à une censure privée déjà largement promue par les lobbies, l'HADOPI ou la mission Lescure.

« Pour la première fois, des sites Internet vont être bloqués par des fournisseurs d'accès au nom de la protection du droit d'auteur, et ce sur la base des dispositions extrêmement vagues de la loi HADOPI votée en 2009. C'est une très mauvaise nouvelle tant le blocage apparaît comme une mesure dangereuse, compte tenu notamment du risque inévitable de surblocage d'usages parfaitement licites. Mais l'encouragement à une coopération entre acteurs de l'Internet et ayants droit pour censurer les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir est encore plus inquiétant. Après la récente décision dans l'affaire opposant Google à Max Mosley, ce jugement vient une nouvelle fois avaliser les formes de censure privée qui se développent partout sur Internet et minent les droits fondamentaux. Les acteurs du Net concernés doivent désormais signifier clairement leur refus de se livrer à des missions de justice et de police privées », indique Félix Tréguer, membre fondateur de l'association La Quadrature du Net.

« À l'heure où la mission Lescure ou l'HADOPI continuent d'exiger le renforcement de la censure privée pour combattre les sites de streaming commerciaux, les lobbies du divertissement vont probablement redoubler leurs efforts pour pousser le gouvernement à accentuer la répression, en faisant pression sur les acteurs de l'Internet. Au regard de la longue liste de mesures répressives déjà en discussion au Parlement, le gouvernement devrait au contraire s'engager à légiférer pour protéger les droits fondamentaux sur Internet, et entamer une véritable réforme du droit d'auteur. En dehors du blocage, il existe d'autres façons de s'attaquer aux intermédiaires qui tirent profit de la distribution d'œuvres. Surtout, il faut reconnaître une fois pour toutes la légitimité et l'utilité du partage de la culture entre individus, hors-marché, dont la répression a conduit à l'explosion des sites de streaming », conclut Jérémie Zimmermann, co-fondateur et porte-parole de l'association La Quadrature du Net.

Pour information, La Quadrature du Net avait rédigé une note juridique pointant la non-conformité des mesures exigées par les ayants droit vis-à-vis du droit européen, et notamment leur manque de base légale. Les conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne concernant le blocage d'un site de streaming par un FAI autrichien, rendues publiques cette semaine, bien qu'elles n'invalident pas le principe même du blocage de sites, tendent néanmoins à confirmer la nécessité d'encadrer précisément ces mesures. Un tel encadrement fait cruellement défaut dans la loi française, qui reste extrêmement vague1, et appelle à une refonte du droit de l'Internet pour que soient mieux protégés les droits fondamentaux.

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