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J-9

lundi 24 juin 2013 à 19:37

J'ai demandé à une infirmière pour rencontrer D…. Une requête qui lui a semblé particulièrement étonnante. Il y a peu de contact entre les malades. Mais D… n'avait pas de visite à ce moment-là et il a accepté. J'ai été amené dans sa chambre et nous avons pris le temps de discuter.

En écrivant ces lignes, je pleure. Aucun écrivain, aucun scénariste même le plus sadique n'oserait imaginer l'histoire de D….

D… a 34 ans. Il est ingénieur commercial. Jusqu'il y a 3 mois, il avait encore pleine confiance. Il était certain de surmonter la maladie. Aujourd'hui, il a perdu ses cheveux et des dizaines de kilos. Il est pâle et doit prendre le triple de ma dose quotidienne de morphine. Il souffre affreusement. Mais il veut tenir encore un mois. Juste un mois. Jusqu'à la naissance de sa fille…

C'est pour elle qu'il s'est marié. Afin de lui transmettre un nom mais, surtout, une histoire. Afin de rendre les choses plus faciles d'un point de vue administratif.

Les infirmières sont confiantes. Très souvent, une naissance ou un événement particulier permet de repousser les limites humaines, au grand étonnement des plus optimistes médecins. D… veut tenir.

Mais ce qui l'embête le plus, c'est l'emprunt hypothécaire. Il y a cinq ans, sa compagne et lui ont acheté un terrain et fait un important emprunt pour financer la construction d'une maison. Malheureusement, son assurance vie ne couvre que la moitié de cet emprunt et sa femme n'a pas le salaire pour assumer à elle toute seule sa propre moitié. Comme la maison n'est pas achevée, elle est difficilement vendable.

D… ne se tracasse pas de sa propre mort. Il ne philosophe pas, il ne cherche pas un sens. Sa seule angoisse c'est d'assurer l'avenir de sa compagne et de son futur bébé. Il m'a dit cette phrase :

« J'ai toujours été contre le mariage. Mais là, le notaire m'a dit que ça simplifierait beaucoup les choses pour ma compagne. »

J'ai un nœud terrible dans la gorge. Personne ne voudrait croire l'histoire de D… si je la racontais mais il est là, séparé de mon lit par une simple cloison.

Une infirmière m'a confirmé qu'il était relativement courant de voir des jeunes aux soins palliatifs. Chaque hôpital connaît des cas comme D… alors qu'à l'extérieur, les voitures s'embouteillent, les gens pestent pour cinq minutes de retard et ignorent ce qui se trame dans cette grande tour grise qui s'élève sur l'horizon.

En refaisant mon lit, l'infirmière a déglutit. « Il a exactement l'âge de mon fils. ».

Je n'ai rien mangé ce soir…

À demain…