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J-20

jeudi 13 juin 2013 à 18:23

Une autre nuit, un autre cauchemar.

Il était six heures du matin. Brusquement, je me suis levé, les poings enserrant un drap froissé et souillé de transpiration.

L'examen ! Je n'ai pas étudié ! Vite, il faut que je relise mon syllabus !

Il m'a fallu regarder autour de moi, toucher les objets familiers avant de me rendre compte que j'étais chez moi, dans ma maison avec ma femme. Curieusement, lorsque j'ai réalisé que je n'avais pas d'examen, que j'étais un adulte sur le point de mourir, je me suis senti soulagé.

Au petit-déjeuner, en racontant l'anecdote à mon épouse, nous nous sommes interrogés. Quel monde avons nous construit si la crainte de la mort elle-même nous semble un soulagement face à la terreur d'examens passés plus de trente ans auparavant ?

Régulièrement, la presse se fait l'écho de vagues de suicides au sein d'une entreprise. Je l'avoue aujourd'hui, j'avais peu de considération pour ces histoires. Les suicidés me semblaient des faibles. Ils étaient coupables de leur propre déficience. Il m'a fallu ce matin pour réaliser à quel point certains stress peuvent outrepasser la crainte ultime, être pires que la mort elle-même.

Nous avons les ressources pour que chacun puisse satisfaire ses besoins fondamentaux, sans aucune contrepartie. Même au plus profond de ma révolte pubère, jamais je n'ai eu la moindre tendance communiste. L'égalité ? Très peu pour moi. Que ceux qui font le plus d'efforts, qui sont les plus créatifs récoltent le fruit de leur travail. Détruire la richesse ne serait qu'un triste nivellement par le bas. Néanmoins, il y a un seuil minimum. Un palier auquel même le plus criminel feignant devrait avoir droit. Manger, dormir et ne pas craindre pour sa vie. Ne pas subir de pressions telles qu'elles mettraient sa vie en danger.

Discours de gauche ? Je ne pense pas. La gauche prétend s'évertuer à faire tomber ceux qui sont en haut de l'échelle. La droite déclare ne chercher qu'à les protéger en retirant les échelons intermédiaires. En bas, une foule grandissante à qui on fournit allègrement des kyrielles de programmes télévisuels en échange d'un bulletin dans l'urne une fois tous les lustres. Que leur chaut la vie à ceux qui, enivrés de pouvoir, ont pourtant la sincère conviction d'œuvrer pour le bien commun tout en s'empressant de le détruire systématiquement ? Peut-on avoir la moindre confiance envers celui qui prétend savoir ce qui est bon pour l'humanité ? Mais s'il était si heureux, si certain de lui, pourquoi s'abaisse-t-il à pavoiser, à mendier des votes pour accéder à un succédané de pouvoir ?

Me lamenter sur mon propre sort ? N'est-ce pas risible alors que je lègue à mes enfants un monde où l'ambition ultime n'est plus de s'élever mais de faire tomber ceux d'en haut ? La mesquinerie et la jalousie ne s'effacent que dans un seul et unique dessein : passer à la télévision.

Je radote comme un vieux conservateur mais oserais-je me convaincre que je n'ai pas ma part de responsabilité ? Ou peut-être ne suis-je qu'un sexagénaire moyen, incapable d'accepter les changements du monde et infligeant ma morale périmée à une génération en constante évolution ? Peut-être devrais-je arrêter de juger. Après tout, le bien et le mal ne sont que des valeurs arbitraires que nous aimerions absolues. Quelques prétentieux gloseurs ont la vanité de vouloir changer le monde. Mais celui-ci est -il façonné par la scolie ou par l'action ? Ce jeune homme qui aide une vieille dame n'a-t-il au fond pas fait plus pour notre monde que des millions de pages écrites par d'alchimistes philosophes ?

La vérité est que je ne sais rien. La notion de bien et de mal ont elles le moindre sens ? Et si, au lieu de lutter contre les changements, au lieu de vouloir contrôler à tout prix les impétueux flots du progrès, nous laissions libre cours aux nouvelles idées, aux jeunes esprits, à l'inventivité ?

Je quitte un monde sans l'avoir compris mais avec un seul avis pour mes enfants : méfiez-vous de ceux qui prétendent comprendre, ceux pour qui le bien et le mal sont des certitudes, ceux qui offrent plus de réponses que de questions.

À demain…