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J-19

vendredi 14 juin 2013 à 15:30

Ma femme et moi avons eu une longue conversation au sujet de mes derniers écrits. Je ne savais pas que tu pensais tout ça, m'a-t-elle dit en substance. Et pourquoi perdre ton temps à philosopher plutôt que de raconter tes sentiments afin que tes enfants gardent un souvenir personnel ?
 
À la vérité, je ne pensais pas exhumer de telles réflexions. Je n'imaginais pas me trouver une quelconque aptitude à la philosophie.  Ou plutôt, je le subodorais sans jamais avoir osé y mettre des mots. Après tout, ne sommes-nous pas tous philosophes lorsque nous avons le courage d'ouvrir les yeux ?
 
L'urgence à cela de bon qu'elle me plie à cet exercice quotidien. Combien de fois au cours de ma vie ai-je voulu agir avant de hausser les épaules et de remettre au lendemain ? Combien d'envies ai-je refrénées sous le prétexte que ce n'était pas sérieux, pas le bon moment ? Trop ! Mais aujourd'hui, il n'y a plus de lendemains. Les pensées, les idées trop longtemps contenues doivent trouver un exutoire. J'écris comme si ma vie en dépendait. Malgré la douleur et l'inconfort, mes doigts trouvent encore la force d'enfoncer les touches du clavier.
 
Je ne veux pas que mes enfants aient en mémoire l'image d'un père aimant, d'une théorie de bons sentiments et d'émotions. Je veux qu'ils héritent de l'intelligence, de la capacité d'analyse et de la volonté de faire du monde un endroit légèrement meilleur que quand ils y sont entrés.
 
Ils sont le seul réel fruit de ma vie. Sans eux, on pourrait mettre sur ma tombe : Ci-gît L…, n'a strictement rien fait.
 
Cependant, s'ils devaient perpétuer aveuglément l'espèce, tout cela serait vain. Dans un cri de désespoir, je tente d'utiliser mes derniers jours pour les convaincre de donner un sens à ce monde, d'agir selon leurs convictions mais, surtout, de ne pas se laisser emporter par le flot quotidien. De ne pas se retrouver au crépuscule de leur vie face à l'addition de ces instants perdus, de ces occasions manquées.
 
Si une seule personne au monde, un seul individu dans la foule décide, suite à mes écrits, de remettre en question son hypnotique train-train, ses croyances héréditaires et arrête de remettre au lendemain la recherche du sens de sa vie, j'aurais réussi. Mon existence sera un succès. Il m'a fallu 58 ans et une échéance ultime pour agir. Mais peut-être qu'il n'est pas nécessaire que vous, mes enfants, attendiez si longtemps.
 
À demain…