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Blog d'un condamné

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J-5

vendredi 28 juin 2013 à 15:58

La douleur va un peu mieux. J'ai demandé à parler d'euthanasie. Ma famille n'était pas là. Je ne veux pas en discuter avec eux. Je veux poser mes questions seul. La présence de mes proches me gêne pour parler de ma mort.

Le personnel médical utilise plein d'euphémismes pour parler de l'euthanasie. Le médecin m'a parler de m'endormir. Une fois dans le coma, on ne me nourrit plus et on laisse la nature agir. Mais ce n'est pas de l'euthanasie. L'infirmière elle dit « débrancher la prise ».

Je déteste cette hypocrisie. Je veux parler d'euthanasie. Mourir. Couic. J'ai vécu et je n'ai plus d'espoir de batifoler tout nu dans les prés au printemps. Alors, autant ne pas partir trop tard, tant que je suis encore conscient.

Après tout, on ne meurt qu'une fois. Autant en profiter.

À demain…

J-6

jeudi 27 juin 2013 à 16:26

La douleur est revenue. Mal. Je me tords dans mon lit. Médecin hésite, à cause de ma réaction à la morphine. J'ai vu passer R…, qui allait fumer sa clope. Pourquoi j'en parle ?

J-7

mercredi 26 juin 2013 à 20:31

Je n'ai pas de souvenir de cette nuit ni de ce matin. Visiblement, j'ai fait une réaction particulière à l'augmentation de la dose de morphine. Il parait que j'ai râlé, que je me suis étouffé. Le personnel a cru que c'était la fin, ma famille a été appelée.

Lorsque j'ai ouvert les yeux pour la première fois cette après-midi, je les ai vu tous autour de moi, inquiets. Comme s'il pouvait m'arriver pire que mourir.

Je suis resté un temps indéterminé à retrouver mes esprits. Devant leurs airs ahuris, je n'ai pas résisté. C'est ignoble mais j'ai toujours rêvé de faire cela. Sentant mes forces revenir, j'ai commencé par émettre des borborygmes et à simuler une respiration difficile.

Sans grande originalité, j'ai tenté de tendre mon bras valide et j'ai fait « argh » en m'écroulant. Le médecin s'est immédiatement rué sur moi avec un stéthoscope. Mon fils ma saisit la main et a crié « Papa ! ».

Alors j'ai relevé la tête, j'ai ouvert grand les yeux et j'ai crié « Coucou ! ».

Le médecin est tombé à la renverse. Mon fils a fait un bond en arrière et ma femme a hurlé sans interruption pendant près d'une minute. Quel souffle !

Ils m'ont ensuite passé un savon terrible. Surtout ma femme. Si samedi fut le jour d'un mariage aux soins palliatifs,  ce mercredi n'a pas été loin de nous offrir un divorce. Mais je me suis bien amusé.

Le médecin a tenté d'expliquer que la morphine provoquait des erreurs de jugement. La réponse de ma femme fut cinglante : « Ne cherchez pas à le dédouaner docteur. Cela fait 58 ans qu'il est coutumier de ce genre de gamineries et il n'a pas jamais eu besoin d'excuses. »

Mais bon, s'il fallait arrêter de faire l'andouille sous prétexte qu'on va mourir… C'est vrai quoi, non ? Mes fils n'ont pas trop l'air de m'en vouloir. Ils m'aident à taper ce message.

À demain…

J-8

mardi 25 juin 2013 à 18:39

Mal. Peine à écrire. Aide-moi à tenir l'ordinateur. Médecin va augmenter dose de morphine. Il paraît qu'on n'arrête jamais la morphine. Je suis accro…

J-9

lundi 24 juin 2013 à 19:37

J'ai demandé à une infirmière pour rencontrer D…. Une requête qui lui a semblé particulièrement étonnante. Il y a peu de contact entre les malades. Mais D… n'avait pas de visite à ce moment-là et il a accepté. J'ai été amené dans sa chambre et nous avons pris le temps de discuter.

En écrivant ces lignes, je pleure. Aucun écrivain, aucun scénariste même le plus sadique n'oserait imaginer l'histoire de D….

D… a 34 ans. Il est ingénieur commercial. Jusqu'il y a 3 mois, il avait encore pleine confiance. Il était certain de surmonter la maladie. Aujourd'hui, il a perdu ses cheveux et des dizaines de kilos. Il est pâle et doit prendre le triple de ma dose quotidienne de morphine. Il souffre affreusement. Mais il veut tenir encore un mois. Juste un mois. Jusqu'à la naissance de sa fille…

C'est pour elle qu'il s'est marié. Afin de lui transmettre un nom mais, surtout, une histoire. Afin de rendre les choses plus faciles d'un point de vue administratif.

Les infirmières sont confiantes. Très souvent, une naissance ou un événement particulier permet de repousser les limites humaines, au grand étonnement des plus optimistes médecins. D… veut tenir.

Mais ce qui l'embête le plus, c'est l'emprunt hypothécaire. Il y a cinq ans, sa compagne et lui ont acheté un terrain et fait un important emprunt pour financer la construction d'une maison. Malheureusement, son assurance vie ne couvre que la moitié de cet emprunt et sa femme n'a pas le salaire pour assumer à elle toute seule sa propre moitié. Comme la maison n'est pas achevée, elle est difficilement vendable.

D… ne se tracasse pas de sa propre mort. Il ne philosophe pas, il ne cherche pas un sens. Sa seule angoisse c'est d'assurer l'avenir de sa compagne et de son futur bébé. Il m'a dit cette phrase :

« J'ai toujours été contre le mariage. Mais là, le notaire m'a dit que ça simplifierait beaucoup les choses pour ma compagne. »

J'ai un nœud terrible dans la gorge. Personne ne voudrait croire l'histoire de D… si je la racontais mais il est là, séparé de mon lit par une simple cloison.

Une infirmière m'a confirmé qu'il était relativement courant de voir des jeunes aux soins palliatifs. Chaque hôpital connaît des cas comme D… alors qu'à l'extérieur, les voitures s'embouteillent, les gens pestent pour cinq minutes de retard et ignorent ce qui se trame dans cette grande tour grise qui s'élève sur l'horizon.

En refaisant mon lit, l'infirmière a déglutit. « Il a exactement l'âge de mon fils. ».

Je n'ai rien mangé ce soir…

À demain…