PROJET AUTOBLOG


Blog de Thomas Kowalski

Archivé

Site original : Blog de Thomas Kowalski

⇐ retour index

Il serait intéressant de citer du Camus pour parler des passions.

samedi 3 octobre 2015 à 23:07

Cet article ne concerne peut-être pas grand monde, mais il peut toujours servir. Cette année, le thème littéraires des prépas scientifiques est Le monde des passions. Trois livres sont à étudier par les élèves : La Cousine Bette, de Balzac, Dissertation sur les Passions de Hume et Andromaque de Racine. Ces trois livres sont donc susceptibles de tomber pour les épreuves littéraires des concours d’entrée aux grandes écoles. Cependant voilà, trois livres ça fait peu, et il se trouve qu’Albert Camus a écrit un très bon roman qui parle des passions d’une manière un peu différente de celle qu’on l’aborde généralement en cours. Ce roman, c’est L’étranger, que j’ai lu en première. Il est pas particulièrement long (ce qui signifique « si vous avez le temps, lisez-le ! »).

Mais qu’est ce qui fait qu’il est si intéressant à mes yeux ? C’est bien simple. Dans La cousine Bette, ou Andromaque, on aborde le thème en voyant des personnages qui sont dévorés par des passions. Dans L’étranger, c’est tout l’inverse. Rapide résumé (qui spoile, désolé).

L’étranger raconte l’histoire de Meursault (un homme sans prénom, intéressant de le noter), habitant en Algérie. Le livre commence par l’enterrement de la mère du protagoniste – on sent tout de suite la grosse ambiance – puis le retour à la vie « normale » pour Meursault. Meursault sort avec une femme, Marie, qui l’aime. Cependant, lui il ne sait pas trop s’il l’aime ou pas. Ni s’il veut se marier. Un de ses amis (enfin, ce qu’il pense être un ami, puisque ça lui est égal) a des problèmes de couple, et pour faire bref, il a battu sa femme, c’est pourquoi ses frères (de la femme, pas de son ami) veulent sa mort, ou en tout cas sa présence dans un hôpital. Un jour, alors qu’ils vont manger à la plage entre amis (avec d’autres amis de Meursault), ils rencontrent les arabes (frères de la femme de Raymond, l’ami de Meursault), combat épique, mais peu de choses se passent. Plus tard, Meursault se ballade sur la plage. Il fait chaud, très chaud. Au bout d’un moment, il tombe sur un coin d’ombre avec un arabe justement. Sans qu’il puisse y faire quoi que ce soit (la lecture de ce passage est très intéressante) il le tue (notez que Meursault se compose de « meur » et de « sault », comme si l’auteur voulait nous faire comprendre que le personnage principal meurt à cause du soleil). S’ensuit la deuxième partie du livre. Il va en prison, s’ennuie, discute avec son avocat, avec le juge. Lorsque son avocat lui demande s’il a pleuré à l’enterrement de sa mère, il répond que non. Lorsque son avocat lui répond qu’il aurait intérêt à dire que si lors de son procès, Meursault répond qu’il n’en a pas grand chose à faire. Le temps passe, le procès arrive, il est condamné à mort pour son meurtre. Parce que c’est un psychopathe qui, par définition, ne ressent pas de sentiments (j’y reviens plus tard). Toujours aussi calme, il s’en fout. Il se fout de tout jusqu’à que l’aumônier vienne lui proposer d’expier ses péchés avant sa mise à mort. Là, il s’énerve, devient fou, tape l’homme d’église, doit être arrêté par les gardes. Puis la fin, la résignation du personnage principal, qui conclut le livre par espérer qu’il y ait beaucoup de spectateurs à son exécution, et qu’ils l’accueillent avec des cris de haine.

Bon, c’est très résumé, et évidemment il faudrait lire les trois passages intéressants : l’incipit, la scène du meurtre, et celle de sa révolte – et éventuellement la fin.

Mais pourquoi parler de ce livre pour les passions ? C’est bien simple. Il est à l’opposé de deux romans que vous avez à lire sur le sujet. Ce personnage n’expose et n’est habité, a priori, par aucune passion. Pendant tout le livre, il va être dénué de sentiments, et même d’opinion. Plus que de vivre sa vie, il la subit, ou plutôt subit les décisions des autres. Il sort avec Marie que parce qu’elle le souhaite, n’a envie de se marier que pour la même raison, accepte d’être muté pour la même chose encore une fois. A l’enterrement de sa mère, il ne pleure pas – les gens trouvent ça bizarre d’ailleurs, il fume devant le cercueil, il n’apporte aucun réconfort au vieillard qui s’était pris d’amitié (voire d’amour) pour sa mère. Il est absent, et bien que le roman soit rédigé à la première personne, on a l’impression qu’il est extérieur au récit, à ce qui se passe, et qu’il ne fait que relater les faits. De la même façon, lorsqu’il tue l’arabe, il n’est que dirigé par le pouvoir du soleil, qui semble fatalement l’obliger à prendre son arme à feu, à la diriger vers l’homme et à tirer (et c’est pourquoi je vous parler de Meursault, qui meurt à cause du soleil). Pendant son procès, et avant, lorsqu’il parle à son avocat, il n’a clairement que faire de ses conseils pour rester en vie, au moins un petit peu plus longtemps. Il n’en voit pas l’intérêt. L’honnêteté est plus importante. De toute façon il va mourir, que ce soit demain ou dans dix ans, qu’est ce que ça change ? Il reste passif, jusqu’à l’intervention de l’aumônier. Là, c’est comme si ses passions, ses sentiments, ses émotions, se réveillaient toutes à la fois pour déverser leur pouvoir dévastateur sur le pauvre homme qui n’a clairement rien demandé de tout ça, il n’a fait qu’insister un peu lourdement pour que Meursault se convertisse et accepte le pardon de Dieu. Mais quel intérêt ? Il va mourir de toute façon. Quid du reste du livre ? Les passions sont elles déjà là, mais cachées ? Ou totalement absentes ?

Bref, selon moi, ce livre est vraiment matière à être citée dans le cadre de ce thème, d’autant plus si vous l’avez lu et maîtrisez le sujet. Si jamais vous souhaitez le lire, j’ai trouvé une version PDF qui a l’air bien ici :

Et si ça vous intéresse, il y a aussi mes fiches de lecture de première, qui sont très intéressantes à lire si vous souhaitez voir ce qui n’est pas forcément visible au premier abord :