Canonical vs OVH, pourquoi c’est quand même intéressant
mardi 21 juin 2016 à 21:46C’est le flameware du moment lancé par Octave Klaba le patron d’OVH sur Twitter.
Traduction : Ubuntu (comprenez Canonical bien évidemment) demande 1 à 2 € par mois pour chaque serveur. En cas de refus, OVH ne pourra plus utiliser la marque Ubuntu sur sont site. Immédiatement suivi par un sondage fort à propos.
Bref tout ce qu’il faut pour déclencher une guerre de tranchées entre les pro et anti Ubuntu. Les uns se délectant du comportement indigne de Canonical et incitant à passer sur une autre distribution, les autres hurlants au complot.
À vrai dire, je n’avais pas envie d’écrire un article sur le sujet. Encore un nid à troll. Mais bon parfois il faut savoir vivre dangereusement. Alors, pourquoi est-ce malgré tout intéressant de parler de cette affaire ? Tout simplement pour rappeler quelques particularités des logiciels libres.
Dans le monde du logiciel propriétaire ou privateur, ce qui est pratique et rassurant pour beaucoup de monde, c’est qu’il n’y a guère à réfléchir. Par défaut, il est interdit d’utiliser. Donc pas de bisbille entre Microsoft et un OVH, ce dernier doit passer à la caisse pour mettre à disposition les systèmes d’exploitation Windows Server.
Dans le monde du logiciel libre, il en va tout autrement : tout le monde peut utiliser sans demander l’avis à qui que ce soit. Enfin presque…
Certains acteurs se sont néanmoins réservé des droits, notamment sur les marques et les logos. Ainsi Firefox et son logo sont des marques déposées appartenant à la fondation Mozilla. Si je modifie le logiciel, je dois changer le nom et le logo. Cas concret : Iceweasel.
Pour Ubuntu, il en va de même. Si OVH met à disposition de ses clients une version modifiée d’Ubuntu, il doit changer le nom et le logo. Avantage OVH ne doit rien à personne. Mais pour continuer d’utiliser le nom malgré les modifications aussi mineures soient-elles, il faut demander la permission. Cette permission peut se monnayer.
Je ne doute pas que cette « comm » d’OVH ne soit qu’une façon de mettre la pression dans le cadre de négociations commerciales. C’est de bonne guerre, mais pas de la bonne communication pour le logiciel libre… Un argument pour les anti qui ont un exemple de plus pour montrer les pratiques « douteuses » et peu transparentes des éditeurs de logiciels libres (généralisation abusive oblige) qui vous annonce que c’est gratuit et vous facture quand vous utilisez et ne pouvez plus faire marche arrière.
Allons un cran plus loin et imaginons que Canonical n’ait pas inclus cette mention dans sa licence et qu’OVH puisse modifier Ubuntu tout en conservant le doit d’utiliser la marque et le nom. Quelle situation aurions-nous ?
- Pour Canonical, la disponibilité de sa distribution sur les serveurs d’OVH permet de la diffuser davantage et par ricochet de générer de futurs clients pour ses prestations.
- Pour OVH, mettre à disposition Ubuntu sur ses serveurs, c’est attirer les utilisateurs de cette dernière vers ses offres de serveurs. Pas d’Ubuntu ? Des clients potentiels en moins.
Pour résumé, c’est une approche commerciale « gagnant-gagnant ». Les deux acteurs pourraient de fait en rester là. Cependant, difficile de savoir à qui profiterait le plus ce deal informel.
Ce genre de deal existe dans bien des cas et des échelles très différentes dans le monde du logiciel libre. Tous n’incluent pas des clauses liées au logos ou marques. Si bien que les porteurs du projet sont dans l’incapacité de réclamer quoi que ce soit à leurs utilisateurs par ce biais. C’est parfois un choix volontaire, parfois une erreur. La nature humaine étant ce qu’elle est, on sait combien il est difficile d’obtenir une contribution retour. Et pourtant c’est un des principes clés du logiciel libre.
L’approche de Mozilla ou Canonical est une façon de se garder une porte de secours face à des utilisateurs qui oublieraient de contribuer. OVH contribue-t-il à Ubuntu ?
Finalement c’est peut-être la question qu’il faut se poser. Si non, la démarche de Canonical est tout à fait légitime. Dans le cas contraire, ma foi c’est une mauvaise idée. Bref si on creuse un peu cette affaire et que l’on va au-delà de la simple polémique, il est clair que la situation est un cas d’école fort intéressant à étudier pour ceux qui s’intéressent aux mécanismes de l’économie du logiciel libre.
Pour ce qui est d’OVH et Canonical, il sera difficile de dire qui est le méchant des deux à l’arrivée. Probablement les deux et aucun des deux…
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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 21/06/2016. | Lien direct vers cet article
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