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La (non) parité révélée au coeur des sciences

mardi 13 novembre 2012 à 16:09

Le chiffre pourrait être une mauvaise blague machiste, il s’agit malheureusement d’une statistique : sur plus de 1 800 champs scientifiques référencés, les femmes ne sont plus auteurs majoritaires de publications scientifiques que dans les domaines concernant les gender studies, l’histoire du féminisme, l’étude des suites de grossesses, l’apprentissage chez les jeunes enfants et la recherche sur les étudiants issues des minorités.

La première visualisation s'appuyait déjà sur la base de données Jstor des publications scientifiques pour évaluer la place réelle des femmes selon les champs d'expertise.

Poursuivant le travail mené par les chercheurs Jevin West et Jennifer Jacquet, spécialiste de l’étude des genres à l’université de Washington, le magazine universitaire The Chronicle a remis en forme les conclusions de leur première tentative de visualisation de la place des femmes dans les publications scientifiques (au départ visualisé avec la librairie Javascript Infovis, voir ci-dessus).

L’initiative elle-même s’inscrit dans le projet Eigenfactor, visant à évaluer le poids relatif des publications scientifiques dans leurs domaines. Basé sur l’algorithme du même nom, le système sert de base à l’évaluation du degré de domination masculine des diverses spécialités en s’appuyant sur la somme des articles de deux millions d’auteurs, étalée entre 1665 et 2011. À partir des données récoltées, les auteurs de la base ont croisé les informations avec les données de la Sécu américaine pour trancher si les prénoms étaient attribués en majorité à des hommes ou à des femmes et en ont tiré les statistiques utilisées.

En cliquant sur chaque champs, il est possible de consulter les données portant sur les sous-champs qui le compose et ainsi de suite.

Remixé par The Chronicle, la base de données offre un panorama détaillé et édifiant de la situation des femmes dans les publications scientifiques. À chaque champ correspond une barre colorée, dont la partie foncée correspond au pourcentage de femmes auteurs, tandis que les cercles sont proportionnés aux nombres d’auteurs (le record en la matière est détenu par les sciences cognitives avec 29,6% de femmes). D’un clic sur la discipline et se déploient les barres correspondants aux sous-champs d’étude, comme ci-dessus avec la biologie moléculaire et cellulaire) et ainsi de suite jusqu’à épuisement des spécialités.

Il est également possible de choisir la période de référence (des origines à 1970, de 1971 à 1990 et de 1990 à nos jours), permettant d’apprécier une relative progression de la place des femmes dans les sciences. Un dernier filtre permet de ne viser que les premiers ou derniers auteurs, les premiers étant généralement les plus grands contributeurs aux travaux de recherche (sauf en économie et mathématique où les noms sont souvent annoncés par ordre alphabétique) et le dernier désignant dans les sciences du vivant le directeur de recherche.

Julien Coupat : “Tarnac est la norme, pas l’exception”

mardi 13 novembre 2012 à 14:58

Julien Coupat graffé par Abode of Chaos/La Demeure du chaos (ccby)

Pièce par pièce, cote par cote, les mis en examen de Tarnac veulent déconstruire la “fiction policière et politique”. Ils s’y sont employés à nouveau lundi matin, en organisant un rendez-vous avec plusieurs médias.

L’enquête ouverte en 2008 avait conduit à l’arrestation et la mise en examen de dix militants présentés comme “d’ultra-gauche”. Celui qui était alors décrit comme “le chef de la cellule invisible”, Julien Coupat, était présent, rompant un silence médiatique de plusieurs années.

“L’affaire judiciaire et juridique est terminée, il ne reste rien du dossier d’instruction” affirme Mathieu Burnel, inculpé dans l’affaire. Reste “la figure monstrueuse puis star ridicule de Julien Coupat” en tant que chef, que les mis en examen – Julien Coupat compris – veulent “dissoudre”, ce qui a motivé la conférence de presse lundi.

“Défoncer le dossier”

Ils avaient d’abord refusé de se revendiquer innocents “par refus de la dichotomie coupable-innocent” justifie Mathieu Burnel. Ils ont fini par mener le combat sur le terrain judiciaire, jusqu’à “défoncer le dossier”. Julien Coupat :

Dans cette affaire, nous avons les capacités à analyser les dossiers, nous avons les capacités à nous défendre, ce qui n’est parfois pas le cas.

Tarnac Production

Tarnac Production

Tarnac dossier judiciaire scandaleux, dérive éloquente de l'antiterrorisme à la française. Certes. Mais aussi et surtout ...

Une allusion aux profils des mis en examen. La majorité d’entre eux a fait des études supérieures. “Il s’agit de jeunes gens intelligents, blancs, issus de la classe moyenne, certains ont fait des études brillantes. Ils maitrisent la prise de parole publique. Une identification est possible pour les journalistes et le public” analysait l’un de leurs avocats, Me Assous, lors d’une précédente conférence de presse. Mathieu Burnel et Benjamin Rosoux avaient apporté leur soutien à Adlène Hicheur, physicien du Cern condamné pour de nébuleux projets terroristes.

Les mis en examen ont aussi pu étudié le dossier – qu’ils connaissent aujourd’hui sur le bout des doigts. Julien Coupat est resté six mois en détention provisoire entre son arrestation, le 11 novembre 2008, et le 29 mai 2009. Il a ensuite pu savoir ce qui lui était précisément reproché et préparer sa défense. Sans oublier le fond et l’antiterrorisme :

La prison ne fait pas qu’enfermer les gens, la prison brise les liens. L’antiterrorisme est éminemment destructeur sur les gens. Ce sont des dommages sensibles, non-chiffrables.

La perspective d’un procès paraît maintenant improbable aux mis en examen, tant le dossier est en pièce. Les nombreuses faiblesses ne permettent plus de soutenir les allégations initiales, affirment-ils. Des trous qui ne sont pas propres à cette affaire explique Julien Coupat :

L’affaire de Tarnac est la norme dans les affaires terroristes, et non l’exception.

Pré-terrorisme

Il déroule ensuite sa compréhension de cette “construction politique”. Julien Coupat évoque le pré-terrorisme, la volonté des autorités de prévenir tout acte délictueux avant qu’il ne soit commis. La nouvelle doctrine européenne de lutte contre les militants anarchistes ou associés a été impulsée par la Grande-Bretagne. Elle a fait la démonstration de l’efficacité de ses moyens, détaille-t-il : “La police française a été bluffée par la police britannique”.

Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel”

Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel”

Physicien de haut niveau, Adlène Hicheur a été condamné le 5 mai dernier à cinq ans de prison pour terrorisme, au terme ...

Les services de sécurité britannique apparaissent, à couvert, dans le dossier contre Tarnac. Un espion anglais, Mark Kennedy, connu alors sous le nom de Mark Stone, serait la source principale ayant permis l’ouverture de l’enquête préliminaire en avril 2008. Les premiers renseignements sur “le groupe de Tarnac” mettent l’accent sur les déplacements internationaux du groupe et ses supposées ramifications.

Les mis en examen veulent aujourd’hui comprendre quel rôle précis a pu jouer ce fameux espion anglais. Une conférence de presse est organisée mercredi à l’Assemblée nationale. Pour Julien Coupat, l’espion anglais est une illustration de cette lutte contre le pré-terrorisme, inspirée par l’Intelligence-led-policy : “Un agent provocateur est envoyé pour déceler les futurs terroristes.”

Ni Julien Coupat, ni Mathieu Burnel, ne pensent que cette doctrine pourrait être abandonnée avec le nouveau gouvernement. “Lors du sommet d’Interpol, Manuel Valls a appelé à une meilleure coopération policière en Europe pour lutter contre les processus de radicalisation, notamment de l’ultra-gauche. Il a aussi appelé à de plus grands échanges entre États-membres” détaille Julien Coupat. Il conclut :

Politiquement, la construction est réactivée.


Julien Coupat graffé par La Demeure du chaos /Abode of Chaos [CC-by]

La “négation de la démocratie” du sénateur Marini

mardi 13 novembre 2012 à 11:17

Ce lundi soir, Philippe Marini, président de la commission des finances du Sénat, répondait aux questions des internautes sur une bulle vidéo Google+ (ce qui est assez drôle en passant, au vu de ce que Google encaisse en ce moment) et sur YouTube. Modéré (et motivé ?) par Erwann Gaucher, Antoine Bayet, Richard Menneveux et Guillaume Champeau, le sénateur de l’Oise présentait sa “fiscalité numérique neutre et équitable”. Florilège des questions sur la concurrence, l’optimisation fiscale des géants du web et leurs bénéfices records.

Le point de départ

La position de Marini est assez claire (sur le site du Sénat en tout cas) : les profits qu’engrangent les grandes entreprises du Net grâce à la fiscalité est devenue “une véritable question de société”. Il explique :

Les médias ont popularisé le sujet et évoquent de plus en plus les montages fiscaux et les sommes soustraites par ces entreprises, du fait des insuffisances de législation.

Les insuffisances de législation taclées par Marini ne sont autres que la facilité (la dextérité ?) avec laquelle les géants du Net vont chercher de meilleurs taux d’imposition au Luxembourg et en Irlande, et jouent avec la TVA sur les biens immatériels. Stratégies infaillibles. Le cas d’Apple ayant payé 7 millions d’euros d’impôts en France alors qu’il ne déclare “que” 257 millions d’euros de chiffre d’affaires (officiellement, puisqu’officieusement, ses revenus français avoisinent 3,5 milliards), est édifiant. Google l’est tout autant et il y a fort à parier que Microsoft, sous le coup d’un contrôle fiscal – et d’une descente musclée d’officiers de police judiciaire – en juin dernier, fasse les frais d’un redressement du même ordre que celui demandé à Google.

Le point Lex Google

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Philippe Marini, interrogé par Antoine Bayet, précise dès le départ : l’origine des travaux émerge de la situation des finances publiques et du souci de “voir les assiettes fiscales les plus modernes (sic) échapper à une taxation”. La poursuite de cette mission a été le jeu d’auditions des acteurs : Dublin pour Google, Londres et Rome pour rencontrer les parlementaires et Bruxelles au lendemain de la Lex Google allemande pour participer à un forum organisé par des professionnels de grands groupes de services d’information et de culture. Devenu président de la commission des finances, Marini ne chôme pas et il l’assume.

Quelle est la ligne à ne pas franchir pour un parlementaire concernant la Lex Google a été le premier point soulevé par Guillaume Champeau de Numerama : pour justifier une redevance, la Lex Google oblige à créer un droit voisin, supérieur au droit d’auteur pour protéger les oeuvres et ajouter des interdictions. Effectivement, Cédric Manara, juriste spécialiste de la propriété intellectuelle et d’Internet, expliquait sur Owni :

C’est la création d’un droit qui protège les sociétés de presse. Même si elles publient trois ou quatre lignes sur n’importe quelle actualité, elles sont de fait protégées. Non pas pour leur contenu, mais en leur qualité d’organisme de presse. C’est la création d’un droit équivalent au système de l’Ancien régime, la création d’un privilège. Pourquoi protéger un organisme de presse plutôt que d’autres contenus ? C’est un problème. Et si c’est ça la politique actuelle à l’heure du débat sur la propriété intellectuelle à l’heure du numérique, alors ce n’est pas bon signe.

La ligne rouge, expliquée par le sénateur, est surtout la possibilité de faire comme les Allemands en créant un droit à l’indemnité : “si les deux parties, éditeurs et agrégateur ou moteur de recherche, sont d’accord, c’est très bien”. Si les deux parties ne s’entendent pas, les tribunaux pourraient intervenir pour valoriser ce que “l’agrégateur devra reverser à l’éditeur ou l’auteur du contenu, le texte ne se prononce en rien sur la valorisation ou l’évaluation des droits”. Ah.

Mais “si Google réplique ?” demande Erwann Gaucher, et supprime les sites d’informations de son moteur de recherche ? “Quand on écoute Google, et il faut toujours écouter toutes les parties dans un sujet complexe, la réalité apparait elle-même quelque peu nuancée” répond Marini. Nuancée ? Oui, parce que Google dit que son moteur de recherche et Google News ne font pas apparaître d’insertion de publicité de manière directe ou systématique. Mais la réponse de Google ne tient pas compte du fait qu’elle est aussi une société dont la finalité est “la captation du marché publicitaire” précise le sénateur :

L’exploitation des supports publicitaires sur la toile est le coeur du réacteur Google, tout le monde le sait et c’est une évidence et il y a là une réalité qui peut rendre complexes les évaluations des dommages versés à des éditeurs dont les contenus seraient exploités à des fins différentes de celles pour lesquelles ils ont été conçus. La menace de représailles qui émane de Google et qui a un carcatère très antipathique est à l’opposé de l’image que voudrait donner la firme. La menace publique est assez difficile à accepter et je mesure mes mots. Cette réaction assez déplorable a été un peu comme un masque qui tombe, un masque de bonne intention.

Nous n’aurons pas la réponse du cas où Google répliquerait. Dommage.

Le point fiscalité numérique

À la Lex Google succède celui sur la fiscalité numérique, enchaînement limpide : après discussion sur la possibilité de taxer une entreprise telle que Google pour son indexation des sites de presse et les enjeux d’une telle mesure, rien de tel pour continuer que de définir les politiques fiscales. En l’occurrence Philippe Marini attend avant tout de l’exécutif (en félicitant “le pouvoir” de la mission dite Collin et Colin – du nom de leur rapporteurs – et la mission “très ambitieuse” confiée à Pierre Lescure sur l’acte II de l’exception culturelle à la française) qu’il prenne position et agisse sur trois plans distincts : national, européen “qui suppose d’exprimer une volonté et de se placer clairement dans la logique de l’axe franco-allemand” et mondial “pour faire évoluer les concepts de la fiscalité”. Le chantier est bien vaste.

Richard Menneveux a fait parvenir une question sur les pouvoirs de l’État en matière d’action pour développer une fiscalité européenne ou pour appliquer une autre fiscalité. Développer une fiscalité européenne c’est avoir un poids conséquent donc. Appliquer une autre fiscalité c’est utiliser la législation française en prenant garde de ne froisser aucun des acteurs. La diplomatie reste de mise, même quand il s’agit de milliards et pour Philippe Marini, rien ne différencie l’optimisation fiscale et la fiscalité du secteur numérique aux autres secteurs. Seulement :

Il existe des interlocuteurs très puissants avec une claire conscience de leurs intérêts et qui font de l’arbitrage de législation. On ne saurait leur reprocher, peut-être d’un point de vue moral, mais ce n’est pas leur première motivation. D’après ce que nous savons d’un journal satyrique du mercredi, l’administration fiscale française a entrepris une campagne de vérification auprès d’un certain nombre de groupes et pas seulement Google. S’agissant de Google, on évoque un enjeu supérieur au milliard d’euros en droit à redresser. Mais ayant lu l’article je crois que ces informations sont puisées auprès d’une bonne source. [...] Le fisc français est tout à fait dans son rôle lorsqu’il s’efforce de reconstruire la réalité économique au-delà des apparences juridiques et s’appuie sur la notion d’abus de droits.

La question – pour Guillaume Champeau – se pose aussi hors les optimisations fiscales et autres manipulations de trésorerie “scandaleuses” : même en s’attaquant à la fiscalité des grands groupes, “c’est pas plus facile que d’aider les petites entreprises à devenir grandes ?”

La tentation de glisser sur la Google à la française – ou à l’européenne – est bien grande, tentation sur laquelle ne glissera pas le sénateur. Il expliquera quand même que l’Europe “bat sa coulpe” parce que les problèmes économiques et le système ont fait défaut pour concurrencer le géant de la recherche en ligne. Et ce, même si certains régimes fiscaux favorisent l’innovation “comme pour les entreprises innovantes” et que le sénateur reste sceptique sur ces mesures d’une “grande complexité” :

Un écosystème permettant de faire émerger de grands acteurs est-il possible ? C’est une question qui demeure ouverte. On ne peut pas se satisfaire d’une situation où l’on dépend complètement d’un algorithme fait ailleurs ou de clés d’accès pour certains programmes qui peuvent être utilisées et où les conditions peuvent varier de façon arbitraire.

“Négation de la démocratie”

“Google est un contre-pouvoir politique”

“Google est un contre-pouvoir politique”

Le patron de Google, Eric Schmidt, était reçu par le président français avant-hier. Sur la table, un dossier législatif ...

Mais le calendrier de la législation est un calendrier lent, loin de celui du web ; et le sénateur est bien impuissant à expliquer que les discussions avec l’OCDE peuvent prendre 5 à 10 ans avant d’aboutir, quand la directive qui permettra de taxer les entreprises vendant de l’immatériel dans le pays de l’acheteur commencera à entrer en vigueur en 2015 jusqu’en 2019. “Le différentiel entre le taux de TVA français et celui du Luxembourg, c’est une hémorragie” pour la France ajoute le sénateur.

Et de préciser suite à une question Twitter que l’État perd 500 millions en ressources et un peu moins d’un milliard en TVA. Soit pour Philippe Marini, 1,3 milliard d’euros de manque à gagner. Mais le temps numérique encore une fois est un temps rapide et “ces chiffres progressent vite parce que le marché publicitaire sur le net est en forte expansion – 15% par an en ordre de grandeur – donc les enjeux sont extrêmement croissants”.

Conclusion “le sujet est extrêmement difficile [...] mais en même temps c’est un sujet qui concerne l’ensemble des internautes, donc le grand public et c’est même presque un sujet de société car des entreprises, aussi remarquables soient-elles, qui créent et imposent leurs lois sur notre territoire dans une pure logique économique et d’optimisation fiscale, c’est une négation de la démocratie”.

À l’expression négation de la démocratie, il fallait entendre que les bénéfices devraient être également répartis grâce à une régulation et une politique bien à sa place.


Illustration par psd [CC-by]

Quand la Chine s’est éveillée

lundi 12 novembre 2012 à 18:22

La nouvelle tête de la République populaire de Chine, Xi Jinping, s’apprête à diriger un pays bien différent de celui où il prit ses premières fonctions de secrétaire général pour la province de Zhejiang en 2002. Dans le cadre de sa couverture de la passation de pouvoir suite au XVIIIe congrès de l’organe de décision centrale de l’Empire du Milieu, The Guardian a réuni en une roue d’icônes, à parcourir d’un clic de souris, les grands retournements qu’a connu le pays en une décennie.

Si la Chine s'est occidentalisée dans son économie, elle l'a aussi fait dans ses mœurs : en 10 ans, le nombre de divorce a été multiplié par 5 selon les statistiques du ministère des Affaires civiles.

En 10 ans, la population chinoise s’est transvasée des campagnes vers les villes, qui représentaient selon la Banque mondiale 50% de sa population en 2011. Les milliardaires, notion encore inconnue au début du siècle, sont désormais 251, le PIB par habitant ayant été multiplié par cinq et les investissements directs à l’étranger par quatre. Pour sa part BMW a atteint les 217 000 exemplaires vendus en 2011, là où moins de 10 000 de ses modèles roulaient il y a 10 ans.

Le tableau serait incomplet sans l’évolution des mœurs : l’avènement du tourisme pour 40 millions de Chinois supplémentaires et onze fois plus d’entre-eux qui sont connectés… Mais pour un web sujet à toutes les cautions, notamment du fait du Parti communiste chinois. La seule parti de ce petit instantané qui, lui, ne semble pas avoir changé.

La presse entre révolution et vacuité

lundi 12 novembre 2012 à 17:14

Il n’est jamais facile de traiter d’un sujet comme la Presse, ni même de son évolution vers le numérique, quand on ne fait pas partie du sérail : un simple mot de travers, et c’est toute une profession (dont la parole publique est le métier) qui peut faire bloc contre le novice qui s’y risquerait.

Aussi dois-je, je crois, afficher ici quelque affidavit avant d’oser aborder le thème de ma chronique. Donc : je suis actionnaire de Politis (et de Médiapart dans une moindre mesure), j’ai – dans le passé – lancé l’aventure de Transfert.net avec Valentin Lacambre, j’ai tenu une chronique pour Planète Internet et je suis l’hébergeur du site du Monde diplomatique depuis 1998. Ah, et mon tout premier programme a été publié dans Hebdogiciel n°3, ça compte ? Voilà. Bon. Je ne sais pas si ça me donne le droit de parler, mais au moins vous savez d’où je parle.

Bref. C’est une litote de dire que la Presse fait face à une révolution. Plus que toute autre profession, celle du journaliste subit – face à Internet – une concurrence totale. Lui qui disposait, dans le passé, d’un quasi-monopole de la parole publique affronte désormais la possibilité, pour chacun, d’en disposer. Le live-tweet fait pièce au direct dans l’actualité, Instagram transforme tout le monde en photojournaliste, l’éditorialisation est le quotidien de tous ceux qui paufinent leur personal branding et tout utilisateur d’Internet apprend très vite à apposer son propre filtre éditorial sur ses lectures (ne serait-ce qu’en choisissant sa timeline Twitter, ses amis sur Facebook, ou en sachant interroger Google), à croiser ses sources d’information et, même, à enquêter lui-même. Une actualité vous semble mal traitée ? Allez donc interviewer vous-même ses protagonistes – ils sont, comme vous, sur Facebook et Twitter – et publiez.

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La mort de l’amateurisme

On peut, bien sûr, considérer que l’amateurisme du simple particulier ne pèse guère face à une vraie carte de presse, mais ce serait faire peu de cas du niveau stupéfiant de bien des blogueurs : on se tromperait à confondre la qualité d’un texte avec celle de son auteur. L’apprentissage du style, de la phrase-choc et de la titraille, sont des quasi-obligations pour qui veut avoir plus d’une dizaine de followers sur Twitter. Et on se tromperait aussi à ne considérer que le rapport de force actuel, sans voir à quelle vitesse la concurrence forcenée pour sortir de la masse conduit à une qualité de plus en plus grande de la production “amateur”.

La définition même du mot “journaliste” pourrait s’appliquer sans rien y changer au blogueur (ou au simple chroniqueur que je suis). Quoi d’étonnant, alors, si disposant d’un certain talent et d’un média ouvert, beaucoup s’imaginent pouvoir faire carrière dans cette filière pourtant sinistrée et créer des “pure players” ? J’ai peur qu’ils ne se trompent, hélas.

Les algorithmes prédictifs sont-ils un risque pour notre libre-arbitre?

Les algorithmes prédictifs sont-ils un risque pour notre libre-arbitre?

L’informavore caractérise l’organisme qui consomme de l’information pour vivre, explique Frank Schirrmacher, ...

Car là où le titre de presse centralisait l’information, fédérait sur son titre, son engagement et ses choix éditoriaux, Internet joue son rôle décentralisateur à plein. On va de moins en moins lire un article parce qu’il est paru dans tel ou tel journal auquel on s’identifie, mais parce que son thème nous intéresse. On picore, ici ou là, en fonction de l’actualité choisie par nous plutôt qu’en fonction des choix du jour d’une conf’ de rédac matinale. Même les marques, plutôt que de risquer de cotoyer leurs concurrents dans les pages glacées d’un magazine (ou un gros-titre vulgaire en première page), jouent la carte de la désintermédiation en créant leur propre média ou en se payant des blogueurs influents.

Que reste-t-il à nos journaux, alors ? Pas grand chose. L’argumentaire classique, ici, parlerait d’infobésité et du besoin de plus en plus important de disposer d’experts pour faire un tri parmi les sources d’information. Mais c’est là un discours de journaliste désespéré qui tente de se rassurer, et je ne suis pas journaliste (ni désespéré).

L’avènement du “robot-journaliste”

Par définition, l’informatique est l’art (ou la science ?) de traiter des grandes quantités de données pour en tirer du sens. Là où un humain, fut-il le meilleur journaliste du monde, ne peut qu’effleurer la couche superficielle de l’énorme masse d’informations disponible sur un sujet donné, un logiciel pourra, lui, plonger dedans et s’en repaître. Le datajournalisme est encore, pour le moment, entre les mains des auteurs et des graphistes, mais le logiciel évolue beaucoup plus vite que l’humain. Sa mémoire et sa capacité de traitement sont quasi-illimitées et augmentent chaque jour. Je ne donne que quelques années aux hommes avant d’être totalement dépassés par le logiciel, dans ce domaine. Et le robot-journalisme remplacera le journalisme dans bien des domaines longtemps avant que Laurent Joffrin ne comprenne ce qui lui arrive.

Alors, quoi ? La presse d’opinion ? N’importe quel billet de blog me semble plus intelligent et mieux écrit qu’un édito de Lolo de l’Obs. Le reportage de guerre ? Je préfère les tweets des gens qui vivent sur place aux reportages des envoyés spéciaux enfermés dans leurs hôtels ou “embedded” dans une troupe qui veut surtout les désinformer. L’enquête financière ? Des robots écrivent déjà pour Forbes et – là plus qu’ailleurs – le logiciel sera roi. La presse régionale ? Monputeaux.com a montré la voie de l’information citoyenne au niveau local. Le portrait ? Il est déjà sur Wikipédia. La chronique judiciaire ? Maitre Eolas a plus de lecteurs que bien des journaux. Le people ? Les paparazzi modernes sont des passants équipés d’un smartphone. Le dessin du jour ? La recette de cuisine ? Le fait divers ? La veille juridique ? Le scoop ? Je les ai tous les matins dans ma timeline.

Pendant que les dinosaures des rotatives s’interrogent sur la façon de réamorcer la pompe à finance, la finance, elle, a très bien compris où se situaient les nouveaux accès à l’information. Quoi d’étonnant si Google raffle la mise, puisque c’est Google qui est devenu le meilleur médiateur entre le public et l’actualité, à l’instar des journaux du passé ?

Un journaliste ne crée pas l’actualité

Il serait temps, en effet, de battre en brèche l’idée défendue par les tenants de la Lex Google : non, les journalistes n’ont jamais créé l’actualité. Ils n’en étaient que les porteurs, non les acteurs. Ils la racontaient, en lieu et place des personnages principaux, mais ne la faisaient pas. Ils se comportaient comme Google, en somme, sans jamais payer de taxe (tiens donc) ni aux acteurs de l’histoire qu’ils nous contaient, ni aux témoins dont ils rapportaient les propos. Ils ne produisaient que des mots, et ces mots là, aujourd’hui, sont en concurrence directe avec nos mots à nous, tous, simples citoyens.

“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas”

“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas”

Le patron de Google persiste et signe. Eric Schmidt a réaffirmé au New York Times que sa firme ne paierait pas ...

Et, oui, Internet – là comme ailleurs – tend à faire disparaître le besoin des intermédiaires. Tout comme on achète désormais sa copie d’iPhone directement au grossiste chinois, on s’informe directement à la source, et ce ne sont pas les journaux qui ont publié la première phrase du nouveau président américain mais Obama lui-même qui l’a twittée. Et les derniers médiateurs du monde seront soit le moteur de recherche, soit le réseau social. À eux l’argent, ce n’est que justice.

Que la presse, face à la crise systémique à laquelle elle fait face, cherche à réduire ses coûts en passant au tout numérique, quel qu’en soit le modèle économique, c’est bien normal : à l’heure du mail, de l’ebook, du smartphone et des tablettes, il faudrait être un peu fou pour continuer à dépenser de l’argent dans une imprimerie, du routage, des marges versées au kiosquier et des frais de retour et de pilon. Et je préfère voir la filière de la distribution de papier s’effondrer plutôt que de voir les effectifs des rédactions fondre.

Mais, ce faisant, elle ne fait qu’accentuer encore son exposition à la concurrence directe de la liberté d’expression de tous. Et c’est inévitable.

La messe est dite

À lire tout ce qui précède, on pourrait croire que je me réjouis du simple constat que je fais. Loin s’en faut (et pas seulement parce que je tiens à mes petits investissements).

Parce que, oui, bien sûr, il est bon de pouvoir disposer du témoignage direct du président à peine élu (ou de son équipe de campagne). Il est bon de pouvoir multiplier ses sources d’information et d’apprendre à discriminer les bonnes données des mauvaises sans avoir forcément besoin de faire confiance à un tiers. Il est bon de pouvoir publier ses opinions et de développer ses aptitudes au débat public et même de vivre de sa plume, si la chance nous sourit. Tout cela est excellent.

Mais quel citoyen, quel pure player désargenté, publiera demain le nouveau scandale du Watergate ? Qui osera affronter les pouvoirs en place, puissants et riches, face aux menaces de procès et aux tribunaux ? Vous ? Moi ? Et vos sources, qui les protègera de l’enquête d’une quelconque Hadopi même pas mandatée par un juge ? Que deviendra l’équilibre d’une démocratie sans le contre-pouvoir d’une presse puissante – sinon riche ? Serez-vous plus optimiste que moi en imaginant que la seule pression citoyenne, que le seul pseudonymat ou quelque autre Wikileaks y suffira, quand le journalisme sera devenu un métier disparu ?

Et si, plutôt que de s’abaisser toujours davantage dans l’acrimonie et la bêtise, nos chers vieux médias essayaient plutôt de démontrer – à l’instar, oui, d’un Médiapart qui enquête sur les petites affaires privées de nos ministres en place – leur utilité ? Et si l’avenir – y compris financier – de la Presse passait bien davantage par la reconquête d’une légitimité depuis longtemps noyée dans la compromission et la recherche effrénée de subsides d’argent public que par la tentation facile d’aller chercher toujours plus d’argent dans les poches des tiers pour payer des contenus toujours plus faciles et démagogiques ?

Et si le futur du journalisme était à rechercher du côté des journalistes ?


Illustration par Soosay [CC-by]