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La cyberdéfense recrute

mardi 20 novembre 2012 à 11:08

Rarement, la Défense n’a eu autant tremblé d’être réduite à “une armée de confetti” en attendant son budget de l’année. Il est finalement stable, avec une dotation de 31,4 milliards d’euros. Un budget de continuité, en attendant les conclusion du Livre blanc sur la Défense dont le rendu est attendu pour le mois de janvier. Le grand rendez-vous sera 2014, avec l’adoption du projet quinquennal de la loi de programmation militaire.

Dans cette atmosphère grise, il y a bien un secteur qui arbore des couleurs flamboyantes : la cyberdéfense. Tous les corps sont concernés, civil et militaire, services de renseignement et forces conventionnelles.

Des effectifs triplés

Rattachée directement au Premier ministre, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) est en charge de la cybersécurité en France depuis sa création en 2008. Elle recrutera 75 postes en 2013 a annoncé Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la Défense.

Son directeur, Patrick Pailloux s’en félicitait lors d’une intervention à l’École militaire fin octobre :

L’Anssi est la seule administration à recruter, y compris depuis le nouveau gouvernement.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’agence comptait 120 agents en 2009, leur nombre devrait tripler pour atteindre 360 agents en 2013. L’effort budgétaire a suivi, passant de 45 millions d’euros en 2009 à 75 millions en 2012 selon le rapport Bockel sur la cyberdéfense.

Le Calid (Centre d’analyse en lutte informatique défensive) occupe des fonctions complémentaires à celles de l’Anssi. C’est à sa tête que se trouve l’officier général à la cyberdéfense, le contre-amiral Arnaud Coustillière. Lui aussi peut avoir le sourire. Ses effectifs vont doubler. Il compte aujourd’hui 20 personnes qui atteindront 40 l’année prochaine “afin d’être opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept” selon le ministère de la Défense. Un souhait émis par le sénateur Bockel dans son rapport.

Autre structure du ministère, les équipes de la Direction générale de l’armement (DGA) devraient être largement renforcées. Lors d’un déplacement début septembre sur l’un des principaux sites de la cyberdéfense, à Bruz (Ille-et-Vilaine), le ministre Jean-Yves Le Drian, a annoncé la création de 200 emplois pour la cyberdéfense d’ici à 2015.

Les peurs des cyberdéfenseurs

Les peurs des cyberdéfenseurs

Les responsables français de la cyberdéfense ont parfois des sueurs froides. Le contre-amiral Coustillière et le directeur ...

La DGSE, grand gagnante

Les services de renseignement ne sont pas en reste. La DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense) le service maison de l’hôtel de Brienne, va recevoir des moyens pour assurer son mandat élargi.

Il comprend des missions de contre-ingérence et de contrôle ainsi que d’assistance dans le champ de la cybersécurité, a expliqué le contre-amiral Arnaud Coustillière, invité par le groupe Défense & Stratégie, proche des milieux de la Défense. En cas d’attaque informatique, les rôles sont répartis selon l’intensité : ministère de la Défense seul (DPSD et Calid) pour les attaques de moyenne intensité, Anssi et Calid pour les attaques plus solides, a détaillé le cyberofficier. Malgré un budget globalement en baisse, la DPSD poursuit les investissements dans “[les] activités de cyberdéfense.”

Les services extérieurs, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), bénéficient pleinement du nouvel élan. Les services du boulevard Mortier disposaient déjà de moyens en augmentation, du fait “de la priorité donnée à la fonction ‘connaissance et anticipation’”, note le rapport sur la Défense de la commission des finances. Avec la cyberdéfense apparaît “une nouvelle priorité, compte tenu de l’évolution des menaces en la matière”. Sur les 95 emplois, 18 seront dédiés à la cyberdéfense.

Pour rester attractif, et offrir mieux “[qu'] un traitement de fonctionnaire ordinaire”, la DGSE utilise un tour de passe-passe administratif, décrit par La Tribune. Le patron des services peut “procéder à la fusion de plusieurs ETPT (équivalent temps plein annuel travaillé)” selon un représentant du ministère de la Défense auditionné à la commission de la défense de l’Assemblée. En clair, proposer l’enveloppe de plusieurs salaires sur un seul poste.

Le tabou offensif

Offrir des salaires attractifs a partiellement pallié les difficultés de recrutement. Devant les députés, le chef d’État-major des armées, l’amiral Guillaud, avait expliqué qu’en matière de sécurité des systèmes d’information, “[la DGSE] ne pouvait recruter davantage, tant le vivier – où puisent Thales, Areva ou d’autres administrations – est réduit’”, rappelle La Tribune.

Le cyberbluff a commencé

Le cyberbluff a commencé

Le sénateur Jean-Marie Bockel a rendu public le 19 juillet un rapport sur la cyberdéfense. Le volet offensif y occupe une ...

Autre solution en voie d’expérimentation : une réserve cyber-citoyenne. Arnaud Coustillière a évoqué 50 volontaires en voie de recrutement lors de son intervention devant Défense & Stratégie. Sans aller dans l’opérationnel, ces volontaires auront pour fonction de faire de la sensibilisation, “[d']améliorer la résilience de la société” selon les termes de l’amiral.

Ces recrutements confirment l’importance accordée à la cyberdéfense. Et aux capacités offensives ? Dans son rapport, le sénateur Bockel invitait l’exécutif à clarifier sa doctrine. L’épisode Stuxnet, et celui plus récent d’Aramco – la compagnie pétrolière saoudienne victime d’une grave cyberattaque cet été – ont ravivé les craintes autant qu’elles ont aiguisé les envies. Les responsables de la cyberdéfense se murent dans le silence dès qu’il s’agit de capacités offensives. Le contre-amiral Coustillière renvoie vers le livre blanc, quant à Patrick Pailloux, de l’Anssi, il répondait à l’École de guerre “ne rien penser” à ce sujet.


Photos par leg0fenris [CC-byncnd]

La victoire des nerds

lundi 19 novembre 2012 à 17:24

“Cette année, la campagne s’est jouée sur Internet”. Effet de bord des “buzz” et autres “clashs” politiques 2.0, la formule est désormais une tarte à la crème des élections. De la présidentielle à la nomination d’un chef de clan, chaque rendez-vous du genre est censé marquer l’avènement d’une nouvelle approche politicienne du Net, forcément plus fine et plus adéquate – sans que les faits suivent vraiment le discours.

Le marronnier a explosé après 2008, et la campagne très web-friendly de Barack Obama, dont commentateurs et politiques de tout pays — la France en tête — se seraient inspirés avec plus ou moins de succès. Quatre ans plus tard, le bruit se fait moins entendre. Pourtant, la campagne américaine s’est jouée plus que jamais sur Internet. Ou plus exactement en son cœur. C’est moins visible mais autrement plus impressionnant. Et efficace.

Narval contre Orque

The Atlantic explique ainsi dans une longue enquête comment l’infrastructure du Net a été mieux considérée et exploitée par l’équipe de campagne d’Obama en 2012.

Contrairement à l’épisode précédent, celle-ci est allée chercher des techniciens de réseau. Une quarantaine d’ingénieurs, de “nerds”, comme ironise le magazine américain, qui ont “bâti la technologie dont ils avaient besoin pour faire réélire le Président”. Des mecs “de Twitter, Google, Facebook, Craigslist, Quora” détaille entre autres The Atlantic, dont les portraits viennent renforcer l’imaginaire geek : grosses lunettes, barbe fournie et belle bedaine.

Autoportrait d'Harper Reed, style Obama par Obey (CC by nc nd)

Il suffit de jeter un œil au chef de cette e-brochette pour comprendre : Harper Reed, codeur binoclard à moustache rousse et ancien directeur technique de Threadless, un site de vente de tee-shirts et goodies geeks – les amateurs reconnaîtront.

“Il soutient l’open source. Aime le Japon. Dit ‘fuck’ sans arrêt. Va dans des bars de hipsters qui servent de la nourriture végétarienne mexicaine, où le quart des employés et des clients ont des moustaches. [...] Il est ce à quoi un roi des nerds pourrait ressembler”, décrit The Atlantic. Et Reed de conclure sur son site personnel qu’il est :

Probablement l’un des mecs les plus cools de la Terre

Bref, drôle d’attelage au sein du bestiaire politique. Pour un résultat pourtant édifiant : la mise en place d’un panel d’outils informatiques dont le clou du spectacle, “Narwhal” (“Narval” en français), permettait de brasser en temps réel toutes les informations disponibles sur la campagne, les votants et les bénévoles. Une plate-forme d’organisation et de communication gigantesque, mise à disposition de l’équipe d’Obama. Face à cette baleine unicorne, le camp républicain avait choisi de déployer “Orca” (“Orque” en français), car, explique The Atlantic qui cite les soutiens de Mitt Romney :

L’orque est le seul prédateur connu du narval.

Sauf que cette fois-ci, Willy n’a pas pu être sauvé : l’outil de Mitt Romney a crashé aux premières heures du jour J. Et ne faisait de toute façon pas le poids face à l’envergure de celui d’Obama.

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Aux États-Unis, le candidat républicain joue avec des bases de données (et avec la vie privée) de millions de potentiels ...

L’équipe du Président américain a appris de ses erreurs, poursuit le magazine américain. Quatre ans auparavant, sa plate-forme s’effondrait à la manière de celle de Romney en 2012. “L’échec de 2008, entre autres besoins, a poussé la version 2012 de l’équipe d’Obama à internaliser des techniciens”, poursuit The Atlantic.

Rien n’a été laissé au hasard. Des simulations ont même été lancées pour parer au pire des scénarios susceptibles de se produire le D-Day. Plusieurs sessions intensives pendant lesquelles les nerds d’Obama tentaient d’éviter la paralysie de leurs outils de campagne en ligne, en trouvant des remèdes à une succession de pannes sortie de nulle part ailleurs que leur esprit génial.

Ils “détruisaient tout ce qu’ils avaient construit”, comme le raconte Harper Reed au magazine américain. A l’instar d’astronautes surentraînés, ils avaient une checklist pour chaque incident, le tout compilé dans un “runbook”. Ce petit jeu leur a par exemple permis de ne connaître aucun temps mort au passage de l’ouragan Sandy, fin octobre, qui a noyé bon nombre de serveurs situés sur la côte Est des États-Unis.

Les nerds d'Obama avec le boss de Google, Eric Schmidt, le jour de l'élection. YOLO ! (CC by nc nd)

YOLO

Au final, aucun cyclone ou aucune attaque extra-terrestre n’est venu perturber le cours de l’élection. Les mecs ont même eu le temps de “concocter un petit badge pour fêter ça” raconte The Atlantic. Badge reprenant la dernière expression branchée “YOLO”, “You Only Live Once” (“On n’a qu’une vie” en français) en version Obama. De quoi renforcer l’image déjà so cool du Président américain sur Internet.

Mais la plupart du temps, les techos d’Obama n’ont fait que peu d’incursions sur le terrain. IRL ou sur Internet. D’autres équipes s’occupaient à plein temps de ces champs. Il a fallu travailler avec chacune et ça n’a pas toujours été simple. Loin de là.

Les nerds ont même été à deux doigts de se prendre la porte. Équipes de terrain, politiciens et techniciens ne parvenaient pas à s’entendre, en particulier dans l’étape de réalisation des outils de campagne. Une étape pourtant cruciale. “Alors que l’équipe technique luttait pour traduire en un logiciel utilisable ce que voulaient les gens, la confiance dans l’équipe technique – déjà chancelante – continuait de s’éroder”. Et pourtant, “la campagne a produit exactement ce qu’on attendait d’elle”, conclut le journaliste de The Atlantic :

Une hybridation des désirs de chacun dans l’équipe d’Obama. Ils ont levé des centaines de millions de dollars en ligne, réalisé des progrès sans précédent dans le ciblage des électeurs, et ont tout construit jusqu’à l’infrastructure technique la plus stable de l’histoire des campagnes présidentielles.

Un ingénieur informaticien dans les bras du Président des États-Unis (cc by nc nd)

Low tech

Pour The Atlantic, le cru 2012 de la présidentielle américaine s’est donc bel et bien joué sur Internet. En 2008, commente le magazine, on pataugeait encore dans le “low tech”. “La technique d’une campagne était dominée par des gens qui se souciaient de l’aspect politique de la chose, et non de la technologie de la chose”.

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Bien sûr il y avait Facebook, ou Twitter. Mais ils ne représentaient pas grand chose à l’époque. “Ce n’était pas le cœur ou même une annexe de notre stratégie”, confie Teddy Goff, “digital director” des campagnes d’Obama, à The Atlantic.

C’est une nouvelle étape dans l’intégration du Net dans la politique. Qui permet aussi de comprendre, au moins en partie, l’habile appropriation des codes du web par le Président réélu. D’une réinterprétation de mèmes aux sorties sur Twitter ou Instagram, l’équipe de Barack Obama compose avec Internet. L’intègre avec souplesse à sa communication bien huilée, au lieu de le plier aux codes traditionnels du discours politique.

À cent mille lieues de l’expérience made in France. Malgré les sempiternelles promesses d’e-révolution, les campagnes des candidats à la présidentielle n’ont pas brillé par leur fulgurance sur Internet. De l’aveu même de certains, Internet n’était alors qu’un canal de com’ supplémentaire, aux côtés de la télévision, de la presse écrite ou radio.

Il y a bien eu quelques trouvailles, mais elles restent bien maigres face au tableau général : une équipe web recrutée à 100 jours de l’échéance côté Hollande, un panzer en partie externalisé pour Sarkozy. Quelques polémiques aussi, sans oublier l’abandon, sur le fond, des thématiques numériques par les candidats. En France, l’avènement des ingénieurs informaticiens en politique n’est pas pour demain.


Illustration d’Obama par Tsevis [CC-nyncnd] et autoportrait deHarper Reed [CC-nyncnd]

Sculpteo, impression de révolution industrielle

lundi 19 novembre 2012 à 13:58

Œuvre d'art imprimée en 3D par Sculpteo, conçue par l'artiste Joshua Harker, photo (CC by nc) Venturebeat

Fondés en septembre 2009 par Eric Carreel et Clément Moreau, Sculpteo propose des services d’impression 3D. La petite entreprise a reçu cette semaine un Best of Innovation Awards 2013, catégorie Software & Mobile app mobile au prestigieux Consumer Electronic Show, raout annuel de l’électronique grand public qui aura lieu dans deux mois à Las Vegas. Il récompense leur 3DPcase, une application qui permet de concevoir des coques d’iPhone personnalisées. Un pied de nez à l’inquiétude sur “le désert français de l’électronique grand public” déplorée dans Le Monde au même moment, relevait Henri Verdier. Toutefois, si story il y a, pour le success complet il faudra attendre 2014 : la société espère être rentable à cette échéance. Et la France n’a pas encore mis le paquet sur cette technique en pleine croissance, contrairement aux Etats-Unis, où Barack Obama a inauguré cet été l’Institut national de l’innovation pour la fabrication additive, National Additive Manufacturing Innovation Institute (NAMII), 70 millions d’investissements dont 30 de l’État.

Retour sur la petite histoire de cette PME avec Clément Moreau, un ingénieur passé par les télécoms, où il développait les logiciels qui font tourner les box Internet ou des téléphones.

L’impression 3D est maintenant un secteur reconnu comme porteur, ce n’était pas aussi évident quand vous vous êtes lancés. Qu’est-ce qui vous a incité à créer Sculpteo  ?

En vérité ? Le fun ! En rencontrant cette technologie dans mon ancienne vie, je me suis dit que c’était tellement fun qu’il fallait vraiment la partager avec plus de gens. Il fallait faire sortir cette petite merveille des labos des grosses sociétés, pour que plus de gens en profitent ! Pas très sage tout ça …

Quelles ont été les principales étapes de votre développement ?

Chiffres-clés

Nombre de salariés : une vingtaine

Rentabilité : prévue pour 2014

Investissement R & D : 1 million d’euros par an.

Nous avons commencé par monter rapidement un site internet très simple, qui permettait juste à l’internaute d’envoyer son fichier 3D, de le visualiser et d’en commander la réalisation. C’est encore un des modes d’utilisation du site sculpteo.com.

Ce site a fonctionné, mais à notre goût il ne remplissait pas complètement la mission que nous nous étions donnée : que la technologie d’impression 3D profite à plus de gens. Pour le grand public, créer son fichier 3D restait trop long et compliqué.

Nous avons alors noué des partenariats avec des fournisseurs de solutions de création simples (Dassault, Autodesk, Tinkercad… ), et nous avons aussi réfléchi au rôle que devaient avoir les designers professionnels.

Pour les autres acteurs de l’impression 3D, la tentation est grande de les faire disparaître au profit d’une communauté d’amateurs, plus ou moins doués et exigeants. Nous pensons au contraire qu’ils ont un rôle fondamental à jouer, et nous avons voulu leur créer des outils pour qu’ils puissent utiliser toute la puissance de l’impression 3D, en proposant par exemple à leurs clients des designs modifiables (des “meta-designs”, pour Jean-Louis Fréchin, fondateur de l’agence NoDesign).

C’est comme ça que nous sommes arrivés aussi dans le développement d’applications mobiles, qui sont des moyens extrêmement simples et efficaces d’interagir avec le design personnalisable.

Parallèlement, nous avons amélioré nos matériaux : plastiques, plâtre coloré, plastiques teintés ou métallisés, résines haute définition (maintenant aussi en finition peinte), plastiques polis, et même des céramiques !

Quelles sont vos perspectives de développement ?

Les matériaux s’améliorent encore, deviennent de plus en plus nobles. Mais ce qui nous passionne le plus actuellement, c’est de voir que de plus en plus d’acteurs veulent utiliser nos outils et notre technologie pour les intégrer dans leurs business (existant ou naissants), et se mettre à commercialiser rapidement des lignes de produits en impression 3D, ou contenant de l’impression 3D, comme des opérateurs téléphoniques, des spécialistes d’objets de décoration ou de l’ameublement, etc. C’est ça la troisième révolution industrielle !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pensez-vous qu’il y ait une bulle autour de l’impression 3D ?

Peut-être, mais rien de comparable avec les dotcoms des années 1999-2000. Par ailleurs, le business d’impression 3D est un business d’objets physiques : des objets imprimés, des imprimantes … tout cela a les pieds bien sur terre, peu enclin aux grosses envolées possibles quand des startups se revendaient les unes aux autres des “visiteurs uniques” !

Que pensez-vous de la politique de la France en matière de soutien aux entreprises innovantes du secteur numérique et en particulier celles qui sont censées porter la troisième révolution industrielle ? Quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre ?

Les gouvernements successifs nous aident déjà bien à travers les statuts de Jeune Entreprise Innovante et le Crédit Impôt Recherche, qui sont deux dispositifs extraordinairement sains : si vous faites de la recherche, l’État en prend un pourcentage à sa charge. Pourcentage suffisamment élevé pour que ça change vraiment la donne, et suffisamment faible pour éviter les labos dont le seul objectif est de ramasser de la subvention, comme cela peut exister avec d’autres dispositifs.

L’accès aux fonds propres des startups doit être par ailleurs facilité et encouragé. C’est vraiment le nerf de la guerre, et l’une des plus grosses différences avec nos amis américains.


Le crâne en illustration est une œuvre d’art imprimée en 3D, conçue par l’artiste Joshua Harker, réalisée avec Sculpteo, photographiée par Venturebeat [CC by nc]modifiée par O. Noor pour Owni

Jean-Pierre Pernaut journaliste avant-gardiste

lundi 19 novembre 2012 à 12:44

Jean-Pierre Pernaut n’est pas un présentateur populiste, mais un journaliste “avant-gardiste“. C’est ce qu’a écrit un employé de TF1 sur Wikipédia. Faute de s’être identifié sous pseudonyme, l’admirateur du présentateur a modifié la page Wikipédia en y laissant apparaître l’adresse IP de son employeur. La consultation des pages modifiées par les ordinateurs de TF1 révèle des dizaines de caviardages visant, essentiellement, à polir et améliorer l’image de Patrick Poivre d’Arvor, Jean-Pierre Foucault, mais aussi et surtout Jean-Pierre Pernaut.

Le 1er février 2007, entre 11h46 et 12h06, une petite main de TF1 modifie 9 fois la fiche Wikipédia de Patrick Poivre d’Arvor. Sont notamment effacés, dans leur totalité, la partie intitulée vie privée évoquant sa vie “d’homme à femme“, l’enfant caché qu’il a eu avec Claire Chazal et sa légion d’honneur, ainsi que ses manquements à la déontologie journalistique, de l’interview truquée de Fidel Castro à sa condamnation pour recel d’abus de biens sociaux dans le procès Michel Noir – Pierre Botton.

Liste des modifications sur la page Wikipédia de PPDA le 1er février 2007

Liste des modifications sur la page Wikipédia de PPDA le 1er février 2007 : en vert, le nombre de caractères rajoutés, en rouge, ceux qui ont été effacés.

Le 26 février, quelqu’un, à TF1, caviarde la fiche Wikipédia de Nathalie Marquay, pour effacer le passage évoquant l’idylle présumée de l’ex-miss France -et compagne de Jean-Pierre Pernaut- avec Daniel Ducruet -l’ancien mari de Stéphanie de Monaco- lors de leur participation à la Ferme Célébrités, une émission de télé-réalité de TF1, et le fait que cela aurait remis leur projet de mariage en question.

Le 7 septembre 2007, un autre employé de TF1 efface par deux fois, 12h45 et 12h54, le fait que Jean-Pierre Foucault avait parrainé la Life Parade, une association “pro-vie“, donc un peu anti-avortement, et qui milite actuellement contre le mariage des homosexuels.

Comment attribuer une adresse IP sur Wikipédia ?

Il suffit de faire un Whois sur l’adresse IP à l’origine de la modification ou du caviardage pour savoir à qui cette adresse IP appartient.

Concrètement, il suffit, sur Wikipedia, de cliquer sur l’adresse IP, puis, tout en bas de la page des contributions de l’utilisateur, de cliquer sur le lien Whois… ce qui permet de découvrir qu’il s’agit bien de l’une des adresses IP de TF1.

Le 19 septembre 2007 à 17h27, c’est la propre fiche Wikipédia de Jean-Pierre Pernaut qui est modifiée depuis le siège de TF1, afin d’y préciser qu’il n’a pas voulu rendre le journal de 13 heures plus “populaire“, mais plus “proche des préoccupations quotidiennes“, et que son journal télévisé, suivi chaque jour par 7 à 8 millions de personnes, connaît donc “une part d’audience supérieure à 50 %, un cas unique dans l’audiovisuel européen“. Accessoirement, la même petite main rajoute qu’il s’est bel et bien marié avec Nathalie Marquay, mais efface d’un trait le fait qu’”il est aussi le premier animateur de télévision à montrer ses enfants dans une émission de télé-réalité (”La Ferme Célébrités”)“.

Le 27 février 2008, à 16h14, un admirateur de Jean-Pierre Pernaut, utilisant opportunément un ordinateur sis à TF1, caviarde proprement l’intégralité du passage évoquant la subvention de 200 000 € accordée par l’office de tourisme du canton de M. Estrosi, dans les Alpes-Maritimes, afin que ledit Pernaut Jean-Pierre puisse concourir au Trophée Andros au volant d’une Fiat aux couleurs des Alpes-Maritimes, avant de préciser, à 16h19, qu’il y a participé “aux côtés d’Alain Prost“.

Le 21 avril 2008, à 16h13, un apprenti wikipédien de TF1 gomme d’un trait le passage de la fiche de Jean-Pierre Foucault consacré aux “moments forts” de son émission “Sacrée Soirée“, et notamment la bourde qu’il avait commise en direct, lorsque, voulant rappeler le titre de la chanson “À l’envers à l’endroit” de Karen Cheryl , il l’avait rebaptisée “Par devant par derrière“…

Le 29 mai 2008, à 11h36, les accusations de “désinformation” dont il fait l’objet, mentionnant plusieurs des articles critiques que lui a consacré l’observatoire des médias Acrimed, sont effacées, et remplacées par un panégyrique qualifiant le présentateur du JT de 13h d’”avant-gardiste” :

Mais le succès du film “Bienvenue chez les Ch’tis” fait maintenant de Jean-Pierre Pernaut un “avant-gardiste” qui met en avant depuis 20 ans l’intérêt des Français pour les cultures et le patrimoine des régions.

A 11h42, le caviardage était annulé, et les accusations de désinformation remises en ligne.

Le 18 juillet 2008, à 8h33, la petite main de TF1 revient à la charge, pour préciser que les accusations de désinformation émanent de “détracteurs dans quelques titres de la presse parisienne“.

Le 31 janvier 2009, à 15h59, le copain de Jean-Pierre Pernaut à TF1 s’offusque de découvrir que son poulain est présenté comme “l’un des présentateurs de journal télévisé parmi les plus populaires derrière Patrick Poivre d’Arvor et Harry Roselmack“, et supprime la référence à ses deux collègues mais néanmoins rivaux, tout en précisant qu’”il est régulièrement classé parmi les 20 Français qui “comptent le plus” dans le baromètre du JDD“. Accessoirement, il efface également le décryptage solidement argumenté de son Journal de 13h, basé sur les travaux des journalistes Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, Ignacio Ramonet ou Serge Halimi, ainsi que le livre de Roger-Gérard Schwartzenberg sur la “maldémocratie“, pour qui le JT de Jean-Pierre Pernaut représente une “dérive démagogique, et dangereuse, des médias français“.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Pernaut au pays des merveilles par Bastien Hugues

Le passage censuré ayant été remis en ligne, le caviardeur masqué de TF1 ressort ses gros ciseaux le 4 février 2009, à 16h08, caviardage censuré dans la foulée par Salebot, le robot chargé de traquer le “vandalisme” sur Wikipédia. Ce petit manège se reproduira à 16h11, 16h15, 16h17, 16h18, jusqu’à ce qu’à 16h21, lorsqu’Hégésippe Cormier, administrateur de Wikipédia, ne décide de bloquer la page au motif qu’elle était vandalisée “par une adresse IP du groupe TF1“… ce qui n’empêchera pas notre petit censeur de réitérer le 4 septembre 2009, à 7h42, puis le 21 septembre à 8h30 au motif, cette fois, que “toute cette partie de la bio de JP Pernaut est une analyse “à charge” et totalement partisane” :

Elle ne mérite pas d’ête (sic) dans une encyclopédie de ce type. Par ailleurs, dans le texte publié précédemment figurent des informations mensongères et insultantes destinées à lui nuire, justement pour étayer cette analyse à charge. A supprimer.

Le 18 mai 2009, à 10h01, le petit cachotier de TF1 efface le passage consacré au fait que Jean-Pierre Pernaut, qui n’a de cesse de dénoncer le gaspillage des deniers publics dans son émission “Combien ça coûte“, se serait “engagé à renvoyer l’ascenseur en consacrant des reportages de son journal télé aux stations du Mercantour” après que l’office du tourisme des Alpes Maritimes a financé, à hauteur de 200 000 €, sa participation au Trophée Andros… qualifiant le Conseil général des Alpes-Maritimes de “partenaire” qui l’aurait financé “dans le cadre d’une opération de communication pour les stations de sports d’hiver du Mercantour“.

Le 5 octobre 2009, à 10h21, un certain JP Pernaut caviarde l’intégralité du long passage consacré à son Journal de 13h, et s’en explique :

J’ai déjà demandé que cette partie soit supprimée. Elle est basée sur des informations fausses et uniquement “à charge”, que ce soit sur les grèves, ma participation à une compétition sportive automobile, etc…. A chaque fois, ces commentaires fallacieux sont remis sur le site. Merci d’y prendre garde. JP Pernaut.

Las : Salebot veille décidément au grain, et remet en ligne le passage caviardé dans la minute qui suit. Cette “remarque d’un contributeur utilisant une IP de TF1” n’en sera pas moins commentée sur la page Discussion de la fiche Wikipédia de Jean-Pierre Pernaut, où il est réclamé au présentateur du JT de “faire le distinguo entre ce qui serait simplement erroné (“faux”) et ce que vous considérez comme “à charge”“… ce qui entraînera d’ailleurs plusieurs utilisateurs de Wikipédia à préciser ce qui, pour le coup, lui est reproché.

Le 29 janvier 2011 à 16h48, le caviardeur masqué de TF1 efface le passage évoquant l’apparition de Nathalie Marquay dans un téléfilm érotique sur M6, puis précise, à 16h50, qu’elle a terminé “2ème du Trophée Andros féminin” de course automobile sur glace.

Le 20 mars 2012, à 16h53, le rectificateur masqué de TF1 qualifie d’”estimation purement fantaisiste” le salaire de 55k€ par mois que toucherait Jean-Pierre Pernaut. A 17h35, il corrige par ailleurs le passage évoquant l’annulation de la pièce de théâtre Magouilles.net qu’il préparait avec sa femme Nathalie Marquay, pour y préciser que, retitrée “Pièges à Matignon“, elle “raconte avec humour l’histoire d’un homme politique piégé par des rumeurs sur internet qui ruinent sa vie publique et privée“, et que, initialement reportée, elle avait finalement été prolongée.

La même petite main, à 17h49 précise que Jean-Pierre Pernaut à été “réélu en mars 2012 pour une période de deux ans avec 64% des voix” en tant que représentant CFTC, CGC et FO des cadres et des journalistes.

Le 28 juin 2012, à 16h15, le Wikipédien masqué de TF1 tient par ailleurs à préciser que, “à nouveau prolongée pour son succès, la pièce est jouée à Paris jusqu’au 30 juin 2012 et une tournée en régions est prévue à partir de janvier 2013“. A 16h30, il souligne également que “Jean-Pierre Pernaut restera le présentateur de télévision qui a présenté le plus d’émissions en direct et en prime time“.

Il restera aussi comme l’un de ceux qui ont le plus tenté de caviarder Wikipédia. En vain : les critiques dont fait l’objet son JT de 13h constituent plus de la moitié de la fiche qui lui est consacrée.


Fabuleux loltoshop par Ophelia Noor pour Owni /-)

Nous, les autistes du web

vendredi 16 novembre 2012 à 12:03

Les présents à la table ronde Parlement européen : Jean-Marie Cavada (Nouveau Centre), membre de la commission parlementaire culture et éducation ; Marie-Christine Vergiat (Front de Gauche), également membre de cette commission ; Louise Ferry, assistante de Malika Benaba-Attou (Europe-Écologie les Verts) ; Laurent Cotillon, directeur d’édition du Film français ; Juliette Prissard-Eltejaye, Déléguée générale du Syndicat des producteurs indépendants), ; Georges Bermann, producteur (de Michel Gondry notamment) ; Eric Vicente, programmateur chez Sophie Dulac) et Yvon Thiec (Co-fondateur du Prix Lux et délégué général d’Eurocinema).

Pour les professionnels du cinéma, Internet incarne de plus en plus le mal absolu, comme nous avons pu le constater le 8 novembre dernier, lors d’une réunion tenue dans l’enceinte du cinéma parisien L’Arlequin, avec une poignée de spécialistes du septième art rassemblée pour discuter financement et diffusion (c’est-à-dire chronologie des médias).

Cette table ronde organisée par le Parlement européen avait lieu dans le cadre du festival Lux Film day. Dans un contexte un peu particulier : la Commission européenne a récemment décidé de mobiliser 2 millions d’euros pour tester la sortie simultanée de 20 longs métrages d’art et essai, projetés pour la première fois en VOD, télévision, Internet et évidemment en salles. Une expérience pas très orthodoxe pour la profession.

Le débat, fort de passion et d’Amour de l’art, n’a pas été animé seulement au nom de l’importance que revêt le cinéma pour les différents protagonistes présents, ni pour la trentaine de personnes qui avaient pris place dans la salle rénovée de L’Arlequin.

Il a surtout montré qu’Internet était – aux yeux de certains – un danger pour la culture. Le mythe de la gratuité y est trop souvent présenté comme l’argument faisant basculer l’internaute, jamais prêt à payer, du côté des acteurs du piratage de la création.

Globalement, plus de la moitié des échanges a tourné autour de la relation entre Internet et le cinéma. Juliette Prissard-Eltejaye, déléguée générale du Syndicat des producteurs indépendants (SPI), a été l’une des premières à affirmer cette problématique :

J’ai une remarque sur un programme soutenu sur la sortie simultanée en salle et en VOD. Ça a fait couler beaucoup d’encre. [...] L’endroit qui doit être privilégié de façon exclusive et pour un temps suffisant doit être prioritairement dans la salle et nous déplorons que face à la difficulté qu’ont certains pays d’équiper les salles en numérique, la solution proposée soit la sortie simultanée. Que l’accent soit mis sur l’entretien des salles me parait cohérent. Mais dire aujourd’hui pour ceux qui n’ont pas accès au cinéma alors on va vous proposer la VOD… nous pensons que c’est un précédent qui sera dommageable pour le secteur et nous sommes assez inquiets.

Confondre

La salle applaudit, un peu, puis beaucoup. La voix tremblante de la responsable du SPI a fait résonner chez les présents quelque chose qu’ils comprennent et appréhendent sûrement à longueur de temps.

En attendant, Jean-Marie Cavada, pour qui l’Union européenne a pour finalité non pas “une monnaie stable, ni une libre circulation mais le bien vivre ensemble” n’a pu qu’acquiescer. Et la défense de la salle avant toute chose a dépassé le stade de la lubie – somme toute logique, le cinéma est l’art de la salle et de l’écran blanc, des fauteuils en velours rouge et de l’émotion d’un public – : ”Je suis pour discuter des modalités d’extension ou de rétrécissement à la marge mais je trouve qu’un cinéma et un film c’est d’abord être au contact du public en salle. Je ne suis pas d’accord pour confondre toutes les étapes de l’après-salles et notamment de la VOD parce que je pense que c’est une façon stupide d’étouffer une économie naissante dans ces différentes étapes.”

Un à un les arguments se tiennent, frôlent “l’Internet #saymal” et pour des raisons de priorité, on l’aura compris, les films sont faits pour être vus en salle. Pour le combat de la diversité, il faut être force de proposition, “y compris chez des gens qui n’iraient pas voir un Béla Tarr et un Béla Tarr ne mérite pas de sortir en VOD : c’est un film précieux qui a le droit d’être exclusivement en salle”, assène la déléguée générale du SPI.

Il y aurait donc des films que les cinéphiles ne pourraient voir que dans les salles, même si on aurait pu penser que le voir sur plusieurs supports soit aussi enrichissant. Pourtant non, assène Cavada :

Ce n’est pas le même film dans une salle que sur un écran. C’est comme si un livre avait des caractères différents. C’est un art le cinéma, il est fait pour les salles. L’émotion est soulevée par des gens autour de vous et vous emmène. Ce que vous n’auriez pas vécu sur votre écran. C’est pas la même chose !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Jupe

Pas la même chose peut-être. Mais en quoi serait-ce incompatible ? En mémoire, “La journée de la jupe” avec Isabelle Adjani et Denis Podalydès. De Jean-Paul Lilienfeld, diffusé le 20 mars 2009 sur Arte et sorti dans 50 salles, 5 jours plus tard. Produit par Arte France, Fontana Film et Mascaret Films, il obtient 2,2 millions de téléspectateurs, pour un peu moins de 10% de part de marché en télé le soir de sa diffusion.

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L’expérience est mal accueillie par les exploitants. La première semaine, il compte pourtant 40 000 entrées au cinéma, malgré une diffusion télé en amont. Pourquoi ces réticences et inquiétudes de la part des créateurs et diffuseurs ? Pourquoi le bouche-à-oreille pour la recommandation d’un film fonctionnerait en salle avec des journalistes mais pas en avant-première en télévision ou sur Internet ?

Parce que pour Jean-Marie Cavada et Juliette Prissard-Eltejaye, le film a besoin de la salle pour faire sa réputation, “autant que les millions que vous pouvez mettre en presse radio et télé pour le marketing” précise le député européen.

Donc les avant-premières gratuites en salle pour les journalistes, c’est bon pour la réputation d’un film. En revanche, la table familiale et les discussions qui peuvent émerger sur les réseaux sociaux après la diffusion d’un film en avant-première sur YouTube (en partenariat avec réalisateurs et autres), c’est mal.

Multiplier les recommandations, oui, mais seulement avec des professionnels. Surtout pas avec les internautes lambda. Pourtant plutôt efficaces dans le bouche-à-oreille concernant Intouchables – l’exemple cité par Jean-Marie Cavada – non ?

Mais pour certains, Internet dévalue les films où seraient diffusées les avant-premières et c’est le consommateur-pirate-internaute qui serait à l’origine de cette dévaluation. Jusqu’au moment où une voix s’est élevée dans le public :

On est au stade de l’humanitaire là, de penser pouvoir réduire des avant-premières de film à une diffusion sur Internet. Des réalisateurs, des producteurs qui doivent se rémunérer, c’est un travail considérable ! Pourquoi on serait dévalués ? En termes de politique culturelle, on tient vraiment à ce que le cinéma reste un espace de forum. La pratique culturelle n’est pas la même, entre un consommateur autiste devant son écran Internet et l’idée du spectacle d’une salle de cinéma.

Jungle

“Un consommateur autiste devant son écran Internet”. Dans le public on trépigne. Exprimant sa détresse face à la chronologie des médias qui semble faire si peur à l’ensemble de la chaîne du cinéma, une femme se lance et malmène à la fois les informations sur la déprogrammation dans 12 salles sur 15 du film brésilien “Les paradis artificiels” suite à une diffusion en avant-première sur Dailymotion et mélange VOD, jungle d’Internet et piratage :

Par rapport à ce qu’il se passe en France, c’est très simple. Vous allez passer directement un film en VOD, vous avez la moitié des salles qui déprogramment le lendemain, ça se fait régulièrement, là ce qui vient de se faire, sur un film, 15 salles derrière sur les 17 ont déprogrammé, on a eu le même problème avec un film passé sur Arte, les salles ne programment pas ces films-là donc de fait vous excluez les films de toute possibilité de bouche à oreille, mais aussi de succès d’estime ou de critique. [...] Les publics existent, [...] des gens nous disent, “je n’ai plus le temps d’aller voir des films”, déjà le temps de savoir qu’il existe parce qu’on en parle pas. Des films n’ont pas toujours les moyens de faire de la promotion. En même temps, les films qui ont du mal à exister en salle, comment on va les faire vivre et exister dans la jungle de la VOD et dans la jungle d’internet ? [...] Je vous avoue, si parfois on était piraté, on sauterait de joie, tant mieux ça veux dire que les gens savent qu’il existe et ils vont aller le chercher sur Internet mais c’est une super nouvelle.

Internet ? La jungle ? Pire, des internautes. Owni a tenté d’évoquer l’alternative d’une avant-première diffusée en streaming, rebondissant sur la question de la déprogrammation du réalisateur brésilien.

Je voudrais rebondir un peu sur l’alternative qui pourrait avoir lieu, à savoir une avant-première en streaming sur Dailymotion, quelle est le risque pour la culture cinématographique de le permettre pour un certain nombre de personnes ? N’est-ce pas un autre bouche-à-oreille, avec effet boule de neige ?

Juliette Prissard-Eltejaye (plutôt en colère) : Je voulais vous répondre en vous disant pourquoi ce serait une diffusion intégrale du film ? Pourquoi ce serait pas du marketing à travers des bandes annonces, à travers du buzz sur Internet puisque la question est de savoir comment renouveler le marketing et la prescription sur Internet telles qu’elles existaient aujourd’hui en papier ? Aujourd’hui les modes de consommation évoluent, donc il faut avoir son article dans Internet (sic). Pourquoi on ne parle pas de promo ? Pourquoi on dit il faut le donner gratuit (sic) à 6 000 personnes ? Et pourquoi pas plus demain ? Alors même qu’elle pourrait faire l’objet de 6 000 tickets ? Pourquoi ce serait intégral et gratuit ? Quelle est cette idée que ça doit être absolument nécessaire de le donner gratuitement en entier à tout le monde à un moment donné ? C’est-à-dire que nous on comprend pas d’une certaine façon la dimension industrielle et entrepreunariale : j’ai fait un film, j’en suis fière et j’aimerais qu’il y ait des gens qui payent leurs tickets pour le voir parce que c’est de ça dont je vis. Et pourquoi on devrait sur une logique de la gratuité faire ce buzz sur Internet ?

J’ai parlé d’avant-première, pas de diffusion gratuite, ce qui est assez différent.

Juliette Prissard-Eltejaye : L’avant première, elle est faite pour les professionnels qui après prescrivent à leur tour. Moi aujourd’hui quand un producteur fait une avant-première, il invite la presse qui ensuite va faire de la prescription. Ou alors elles sont payantes. Mais l’avant-première, elle est faite pour multiplier les prescriptions.

* * *

Décupler les prescriptions, oui, mais encore une fois seulement avec des professionnels. Pas avec “un consommateur autiste devant son écran internet”. Belle réduction de la consommation culturelle à l’heure du numérique.

Même avec l’intervention de Louise Ferry – qui, comme d’autres, ne comprend pas l’image de l’autiste encouragé à la paresse – le mot est lâché, violent, dans une salle où se mélangent certainement des producteurs d’images et d’histoires mais visiblement pas d’internautes cinéphiles. Internet ne peut servir qu’au buzz marketing, point. La question du web dans sa globalité divise toujours autant les producteurs de contenus. Pour différentes raisons.

Les acteurs du web, le mal incarné

Peut-être à commencer par la crainte que Google, Apple et Amazon ne viennent contrôler un système de diffusion et de distribution de la culture que les réalisateurs, les producteurs et les distributeurs dits classiques ne maîtrisent pas. C’est Marie-Christine Vergiat qui le chuchotera : les questions en suspens sont celles du financement et de la rémunération des acteurs de la chaîne du film.

Derrière toute la chaîne de distribution, il y a effectivement beaucoup de professionnels à financer. Il y a des gens qui ont besoin de vivre de leur art. Donc diffuser gratuitement sur Internet comme ça, avec accès à la culture pour tous, est une réponse qui ne me satisfait pas. Je suis toujours frustrée dans ces débats on s’envoie tous des trucs à la tête. On n’est pas au pays des Bisounours et derrière Internet, il y a des géants et notamment à Bruxelles où c’est toujours les même qu’on voit.

Les choses sont dites. Le problème n’est pas forcément l’internaute mais c’est aussi celui qui ne finance pas ce dont il se servirait. À savoir les géants des télécoms qui, pour Yvon Thiec, sont dans une logique d’alimentation des réseaux qu’ils ont construits et pour qui derrière cette tentative de dérégulation de la chronologie des médias se trouve un cheval de Troie, “parce qu’il n’y a pas que des gens innocents et généreux”. Et le cheval de Troie sonne enfin comme l’hypothèse la plus crédible de cette peur du Net.

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Un peu comme une thérapie de groupe pendant laquelle le fond sortirait après un flot libérateur de paroles, la table ronde prend une tournure qu’on ne soupçonnait plus.

La sortie simultanée d’un film en salles, en VOD, en télévision et sur Internet ne serait que la façon permettant aux majors du web, Google, Apple et Amazon, de prendre le pouvoir sur la culture et d’enterrer l’exception culturelle française. Il faut “faire face aux multinationales américaines qui sont en train de tout bouffer sur le territoire de l’Union européenne” lâche Marie-Christine Vergniat. #Saydit.

Nuances

Malgré tout, dans ce conservatisme à la limite parfois de l’anti-internaute – qui finance lui aussi le cinéma en y allant au même titre que le non-internaute – la position d’Éric Vicente, programmateur chez Sophie Dulac est bien plus nuancée et avouons-le montre timidement les avancées qui peuvent être faites au sein même de la corporation du cinéma. Sur la distribution :

C’est compliqué pour un exploitant de dire quels sont les films en trop, est-ce qu’il y a des films en trop mais on peut se poser la question avec certains films distribués dont les scores sont très compliqués. Il est important que la diversité continue mais il faut se poser la question de comment faire pour qu’un film soit vu : les salles d’art et essai font cette promotion et cette diversité mais parfois il y a une absence de public. Comment faire pour que vous ne passiez pas x années devant un film qui ne sera pas vu ? Est-ce qu’un distributeur peut passer trois mois de sa vie pour 1 000 spectateurs même si c’est important ? Je n’ai pas de religion en la matière, ce sont juste des interrogations.

Sur le terrain des concessions il est rejoint par Louise Ferry, qui se demande si on ne peut pas créer une exception pour les acteurs les plus modestes du marché du cinéma :

Je me demande en quoi c’est un problème de sortir les films d’art et essai de la chronologie des médias dans la mesure où ce sont des films qui restent très peu de temps et où il y a très peu de copies. C’est très peu diffusé, ils sont boudés par le grand public. Surtout dans la mesure où cette offre légale en ligne n’est pas importante en plus.

Ce n’est pas tant l’envie de culture qui manquerait aux spectateurs, mais de moins en moins de curiosité d’une partie du public. Un film d’auteur dans une seule salle à Paris à deux séances par jour, est-ce suffisant pour permettre à un grand nombre d’aller voir ce film ? Est-ce un film mauvais ou simplement un film qui manque sérieusement de moyens, de plateaux télés et de promotion dans le métro. En tête, Camille redouble, le dernier film de Noémie Lvovski, dont le matraquage télévisuel et radiophonique a dû nécessiter un budget publicitaire considérable.

Donner une chance aux petits en bouleversant la chronologie des médias. Utiliser Internet comme support de promotion et de recommandation. Faire confiance aux internautes. L’autisme est une “attitude mentale caractérisée par le repliement sur soi-même, un mode de pensée détaché de la réalité”. Choisir ses mots, avec autant de précaution qu’on choisit ses images.


Photo par William Brawley (cc-by) remixée par Owni