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Les emplois au pifomètre du gaz de schiste

lundi 8 octobre 2012 à 16:02

Voici deux mois qu’industriels et éditorialistes défendent le gaz de schiste à l’aide de promesses d’emplois complètement fantaisistes. Le “gisement de 100 000 emplois” que représenterait l’exploitation de ces hydrocarbures profonds est le deuxième argument favori (après l’indépendance énergétique) pour balayer d’un revers de calculatrice les risques environnementaux et sanitaires des méthodes brutales d’extraction qu’elle nécessite (la fracturation hydraulique). Mais si les réserves ont été évaluées à l’aide de méthodes et de données géologiques professionnelles, le potentiel social de cette industrie l’a été avec un outil mathématique de niveau CM2.

Gaz de schiste : révolution énergétique, menace écologique

Gaz de schiste : révolution énergétique, menace écologique

Après avoir révolutionné le marché énergétique américain, les gaz de schistes sont désormais convoités à travers le ...

Prédire l’avenir avec une règle de trois

L’évaluation la plus populaire sous nos climats éditoriaux est l’œuvre d’un rapport livré par la société Sia conseil. Cabinet de consulting en management, Sia compte parmi ses plus gros clients GDF Suez, partenaire de Schuepbach LLC sur deux permis d’exploration pour les gaz de schiste en France et leader du secteur. Son logo apparaît par ailleurs discrètement en pied de page de Gas in focus, “Observatoire du gaz naturel” autoproclamé, coédité par GRT Gaz, filiale à 75% du géant français des bonbonnes de propane.

Pour arriver à un bénéfice de 100 000 emplois directs et indirects grâce aux gaz de schiste, la société part d’un calcul savant portant sur les trois principaux permis du Sud de la France :

Le nombre de forages par concession ne peut pas excéder 30 forages de puits par an. Pour mémoire, aux Etats-Unis, certaines zones comportent plusieurs milliers de puits. Après avoir déterminé le profil de production d’un puits type, nous avons ensuite appliqué les niveaux d’emploi observés aux Etats-Unis sur les deux périodes de vie d’un puits : sur les trois premières années (forage), 13 personnes par puits sont nécessaires ; sur les vingt années suivantes (exploitation), il suffit de 0,18 personnes par puits. Les emplois indirects et induits représentent 1,52 emploi par puits. Nous avons retraité cette moyenne américaine des horaires de travail en France (2 080 heures annuelles aux Etats-Unis contre 1 650 en France, soit un facteur de 1,26).

Conclusion : la totalité des trois concessions représenterait un potentiel de 10 000 emplois à l’horizon 2010. Jusque là, l’analyse est fine et, sinon incontestable, efficacement argumentée.

Quand soudain, peut-être usés par la quantité de statistiques sociales brassées pour savoir combien de foreurs iraient percer le plateau du Larzac, les experts de Sia rangent leurs tableaux Excel et dégainent leur Casio :

Généralisées à la totalité des ressources françaises, ces exploitations créeraient 100 000 emplois d’ici 2020 dont 40 000 emplois industriels directs, dans une hypothèse maintenant les conditions d’exploitation retenues.

Le calcul n’est pas précisé mais nous avons pu reconstituer la formule ayant permis cette conclusion :

10% x Gaz de schiste en France = 10 000 emplois
Gaz de schiste en France = 10 000 emplois x 1/10% = 100 000 emplois

En d’autres termes, les experts de Sia conseil (jugeant que toutes les extractions de gaz de schiste sont les mêmes) se targuent de prédire l’avenir avec une règle de trois.

Fact checking

Si elle peut sembler “de bon sens”, cette idée selon laquelle “un puits est un puits” est techniquement fausse : piégé dans les roches de schiste, le gaz du même nom peut se trouver en fines couches entre 2 000 et 3 500 mètres de profondeur selon les bassins. Difficile d’imaginer qu’avec plusieurs centaines de mètres de différence, il faille autant de temps et de personnel pour forer à ces différents niveaux, selon qu’on soit en Languedoc ou en Lorraine. Et pour cause.

L’argument selon lequel les gisements seraient tous pareils sur le plan de l’emploi ne survit pas longtemps à l’analyse de l’exploitation effective des gaz de schiste aux Etats-Unis. Si la règle de trois employée par Sia conseil était juste et puisqu’elle se base sur les emplois nécessaires pour exploiter les ressources, le nombre d’emplois créés devrait être proportionnel à la production de chaque Etat.

En croisant les chiffres de production de l’Agence d’information sur l’énergie américaine et les calculs d’emplois par Etat de l’institut IHS, il apparaît clairement que les deux chiffres sont totalement décorrélés : avec deux fois moins de production, la Pennsylvanie revendiquait en 2010 près de deux fois plus d’emplois que l’Arkansas. Les deux Etats affichent cependant un bénéfice social combiné inférieur au Colorado… qui a extrait mille fois moins de gaz de schiste qu’eux en 2010 !

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Autrement dit, la règle de trois s’avère un outil plutôt difficile à appliquer à une industrie dépendante d’une somme de facteurs aussi large que l’énergie.

Cela n’a cependant pas empêché cette estimation de se répandre comme une traînée de poudre, ni d’autres du même calibre mathématique. Le groupement patronal britannique Institute of Directors a ainsi fait sensation le 21 septembre en annonçant un potentiel de 35 000 emplois dans l’exploration-production des gaz de schiste. Le rapport Britain’s shale gas potential sur lequel repose ce coup de com’ expose cependant clairement sa méthode pour arriver à ce chiffre à partir d’une estimation d’une hausse de 8 % de la production grâce à ces hydrocarbures :

L’industrie gazière et pétrolière britannique assure directement et indirectement l’emploi de 440 000 personnes. En supposant que l’emploi soit directement proportionnel à la production, alors une hausse de 8 % de la production de 2011 générerait un gain de 35 000 emplois, aidant à contrecarrer les pertes liées au déclin de la production conventionnelle de pétrole et de gaz au Royaume-Uni.

Ce postulat du “tous pareils” est également à l’origine de deux estimations du think tank Iref Europe. L’auteur de l’article, qui présente un potentiel de 42 000 à 62 000 emplois, a cependant l’honnêteté de reconnaître “les limitations statistiques” de la règle de trois.

Promesses

Avant la mise en exploitation des grands gisements du Nord-Est et du Sud des Etats-Unis, des promesses d’emplois toutes aussi alléchantes avaient été formulées par les industriels. En mai 2011, un rapport était repris par le quotidien Patriot News estimant à 48 000 emplois le nombre d’embauches réalisées en 2010 grâce au développement des gaz de schiste en Pennsylvanie. Signé par le département Travail et Industrie de l’Etat, le document semblait au dessous de tout soupçon.

Le mirage social du pétrole guyanais

Le mirage social du pétrole guyanais

Défendue par les élus locaux et la compagnie Shell à coup de chantage à l'emploi, l'extraction de pétrole au large de la ...

A ceci prêt que le terme d’embauche n’est pas synonyme de “création d’emploi“, une nuance relevée par l’institut Keystone, dans le même rapport ! Les “embauches” remplacent en effet parfois des départs en retraite, des licenciements ou des démissions, sans augmenter le nombre total d’emplois pourvus dans la zone. Le bénéfice “réel” pour l’emploi serait en fait de 10 000 personnes sur trois ans (2008 à 2010), ce qui pèse pour moins de 10% de la hausse de l’emploi industriel dans l’Etat, selon la même source.

Avec plus de 24 000 emplois directs au 2e trimestre 2012 dans les industries extractives, la France dispose déjà de professionnels dans les différents corps de métier nécessaires au développement des gaz de schiste. Comme pour la Guyane, de nombreuses opérations de prospection sismique ou de forage mobilisent pendant un temps limité des équipes de spécialistes qui repartent aussitôt le travail fini avec leur coûteux matériel, sans créer d’autre richesse sur le territoire que celle liée à leurs besoins quotidiens.

De quoi sauver une filière, peut-être. Mais pas de quoi s’attendre à un autre boom que celui qui fait trembler le sous-sol lors de la fracturation hydraulique.


Photo par Arimoore [CC-by-nc-sa] via Flickr

Les MP3 d’occaz’ vont voir leur sort fixé

lundi 8 octobre 2012 à 10:47

Ce sont les journaux anglophones qui ont dégainé les premiers : le procès opposant le premier site revendeurs de MP3 d’occasion a débuté vendredi.

Ouvert en septembre 2011, le site hérissait le poil des majors quant à l’usage qui pourrait être fait du site de vente en ligne : toute personne ayant acheté sur iTunes ou ailleurs un titre pouvait le vendre sur le site. Après vérification par ReDiGi du côté légal du téléchargement – achat donc – n’importe qui peut mettre en vente le dernier Rihanna, acheté à prix fort en rentrant d’une soirée arrosée.

Vend fichier MP3 très peu servi

Vend fichier MP3 très peu servi

ReDiGi, site spécialisé dans la vente de fichiers MP3 d'occasion (si si), sera fixé sur son sort dans quelques semaines. ...

EMI, l’une des plus grandes maisons de disques, avait déposé une plainte début janvier 2012 au tribunal de New York, par le biais de sa filiale Capitol Records. Argument sorti du chapeau : quand on vend un bien numérique on vend nécessairement la copie. Or seuls EMI et les autres majors se sont octroyés le droit de revendre une copie et sur un marché qu’ils contrôlent : Apple, Amazon et les officiels qui définissent par ailleurs dans leurs conditions générales de ventes qu’il est impossible de revendre des morceaux légalement. Le mélomane achète un droit à l’écoute, une faille dans les droits sur les bien immatériels. Dans le paysage donc, ReDiGi fait figure de poil à gratter.

Dans les chefs d’accusation d’EMI à l’encontre de ReDiGi : infraction au droit d’auteur et incitation à l’infraction au droit d’auteur entre autres. Et les – tristes – majors de leur reprocher de baser leur business model sur la copie en récupérant un pourcentage de 5 à 15 % sur chaque titre vendu.

Le juge Richard Sullivan rejetait déjà le 6 février la demande de Capitol Records de faire fermer ReDiGi. D’autres grands acteurs d’Internet comme Google étaient monté au créneau pour défendre la plateforme de revente de MP3 d’occasion. Peine perdue, le juge veut juger seul.

À voir s’il permet à ReDiGi de continuer à vendre nos MP3 d’occasion ou s’il statue en faveur des géants de la musique.


Photo par Donovan Hand [CC-by-nc-nd]

26 ans de lois antiterroristes

dimanche 7 octobre 2012 à 11:36

L’antiterrorisme français est un édifice. Un édifice légal, auquel le nouveau gouvernement socialiste veut apporter une nouvelle pierre. Les lois antiterroristes en vigueur sont récentes à l’échelle du code pénal. Certes, il y eut les lois scélérates à la fin du XIXe siècle qui créaient un système d’exception. Mais la machine antiterroriste actuelle repose aujourd’hui sur des lois de 1986, 1992, 1996, 2001 ou 2006 pour ne citer que les principales (voir notre infographie interactive).

Le projet de loi

Présenté mercredi en Conseil des ministres, le projet de loi prévoit de faciliter les sanctions de Français commettant des actes terroristes à l’étranger. Cette infraction existe déjà, notamment par le truchement de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le texte n’apporte donc pas de grandes nouveautés sur ce point. D’autres dispositions sont également prévues : la conservation de données de connexion, l’accès aux fichiers de police administrative et le recours à des contrôles d’identité. Enfin, il prévoit de faciliter l’expulsion de personnes étrangères suspectées d’activités terroristes. Lire notre article : Terreur dans le miroir.

Le système mis en place se caractérise par sa “vocation préventive” selon les mots du juge d’instruction Marc Trévidic, dans son ouvrage Au coeur de l’antiterrorisme. La vocation préventive doit résoudre une équation a priori insoluble : comment empêcher les attentats, c’est-à-dire punir avant qu’une infraction soit commise ? Marc Trévidic est bien placé pour poser la question (et y répondre) : ce magistrat appartient au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris – la galerie Saint-Eloi – compétent sur l’ensemble du territoire.

Centralisation

Ce principe de centralisation est posé par la première grande loi antiterroriste contemporaine, celle du 9 septembre 1986. Les affaires terroristes échappent aux juridictions ordinaires. Les enquêtes sont confiées à des magistrats instructeurs ou des procureurs spécialisés, à Paris. Les cours d’assises, pour les crimes terroristes, sont composées exclusivement de magistrats, et non de jurés, en vertu d’une loi de décembre 1986.

Ces bases du système français ne permettent toujours pas de résoudre la fameuse équation de Marc Trévidic. La solution apparaît à partir de 1992. L’expression “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste” fait son entrée dans le code pénal. Elle devient un délit passible de 10 ans de prison en 1996.

L’association de malfaiteurs concentre les critiques, incarnant l’extrême souplesse du régime antiterroriste français. Dans son ouvrage, Marc Trévidic écrit :

Cette infraction est un outil terriblement efficace mais également potentiellement dangereux pour les libertés individuelles. (…) On réprime alors non l’acte de terrorisme pas encore commis, mais la préparation même de cet acte de terrorisme.

Clé de voûte du système français, l’association de malfaiteurs est vigoureusement défendue par les praticiens de la lutte antiterroriste. Le juge Bruguière, longtemps à la tête de la Galerie Saint-Eloi et connu pour son utilisation extensive de cette infraction, oppose “l’approche judiciaire française [aux] exactions commises par les États-Unis à leur centre de détention de Guantanamo et avec celles commises par le Royaume-Uni, où les étrangers soupçonnés de terrorisme ont été détenus sans limite de temps et sans inculpation de 2001 à 2004, jusqu’à ce que la Haute Cour déclare ces mesures illégales.” Une comparaison, en forme de justification, courante chez les magistrats spécialisés.

Dès la moitié des années 1990, les deux piliers de l’antiterrorisme à la française sont posés. Ils sont sans cesse renforcés par les législations suivantes. En 2006, “la loi relative à la lutte contre le terrorisme” aggrave les peines encourues pour l’association de malfaiteurs, renforce la centralisation de la justice à Paris et prolonge la durée de la garde à vue, jusqu’à six jours en cas de “risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger”.

Un attentat, une loi

Une planète antiterroriste

Une planète antiterroriste

OWNI a développé avec RFI une application qui recense les législations antiterroristes dans le monde. Justice d'exception, ...

1986, 1996, 2006. Les grandes lois antiterroristes interviennent après des attentats. Au milieu de la décennie 1980, plus d’une douzaine d’attentats sont commis à Paris, revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient. En 1995, la France est frappée par une nouvelle série d’attentats. Le 25 juillet, dix personnes meurent et 117 sont blessées par l’explosion d’une bombe dans la station Saint-Michel, à Paris, un attentat perpétré par le Groupe islamique armé algérien selon les autorités.

Dix ans plus tard, la nouvelle législation intervient en réaction aux attentats de Londres, en juillet 2005. Le projet présenté mercredi en Conseil des ministres est une version diluée d’un texte préparé par le précédent gouvernement, quelques jours après l’affaire Merah.

En 1898, aux lendemains de l’adoption des lois scélérates, Francis de Pressensé, futur président de la Ligue des droits de l’homme, écrit :

La France a connu à plusieurs reprises, au cours de ce siècle, ces paniques, provoquées par certains attentats, savamment exploitées par la réaction et qui ont toujours fait payer à la liberté les frais d’une sécurité menteuse.


[Survolez l'infographie avec votre souris puis cliquez sur les ronds noirs et rouges pour en savoir plus sur chaque texte]

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Infographie réalisée par Cédric Audinot /-)
Retrouvez le recensement par Owni des 42 lois sécuritaires adoptées entre 2002 et 2011, dont les lois antiterroristes ne sont qu’une partie.
L’ONG Human Rights Watch a publié en 2008 un rapport sur l’antiterrorisme en France : la justice court-circuitée
En 1999, la Ligue des droits de l’homme avait publié “France : la porte ouverte à l’arbitraire” sur le même sujet.

L’Open Hardware veut s’ouvrir au grand public

vendredi 5 octobre 2012 à 18:48

Quatre cent cinquante participants à guichet fermé pour la troisième édition de l’Open Hardware Summit la semaine dernière, 650 exposants pour les 55 000 visiteurs de la World Maker Faire le week-end dernier, un maire de New York qui qualifie officiellement la semaine de “Maker Week” : le mouvement maker était plus que jamais à l’honneur ces derniers jours.

Avec lui, trois grandes thématiques :

- communauté : la plupart des projets présentés à Maker Faire ou à l’Open Hardware Summit sont des œuvres collectives et qui continuent de bénéficier de la communauté.

Fête le vous-même !

Fête le vous-même !

Sur le modèle des Maker Faire, ces grands rassemblements dédiés au do it yourself, version moderne du bricolage de nos ...

- innovation : le maitre-mot de l’ensemble des participants. La créativité du mouvement maker est maintenant structuré par des opportunités commerciales. On passe d’un moment où l’invention était reine à un écosystème capable d’apporter des innovations. MakerBot, leader de l’impression 3D personnelle, en est un exemple phare ; passée d’un bricolage entre amis à un produit grand public.

- accès au savoir : le nombre d’ateliers Do-It-Yourself proposés à la World Maker Faire cette année était hors proportion. Accompagnée d’une pratique de plus en plus formalisée d’accès à la documentation des projets hardware, le partage du savoir à tous les curieux continue de motiver quasiment l’ensemble des initiatives.

Ces trois thèmes récurrents convergent tous vers un mouvement Open Hardware en pleine structuration. L’Open Hardware Summit a vu s’enchainer conférences et présentations du cœur de la communauté venue des quatre coins des États-Unis. Trois grands défis se profilent pour l’année à venir.

Se définir

L’Open Source Hardware en est encore à une phase de définition. Pas encore d’organisation porte-voix officielle, pas encore de licences spécifiques à l’hardware, pas encore de cadre législatif ni de formalisation des pratiques. Le terrain est en pleine construction. Et l’enthousiasme et les débats qui vont avec.

Côté porte-voix, l’Open Hardware Association (ou OSHWA) est en passe de devenir l’organe rassembleur, avec à son bo(a)rd quelques acteurs très actifs du domaine comme Alicia Gibb qui consacre entièrement son temps au projet depuis la fin de Bug Labs, Catarina Mota co-fondatrice d’Open Material, Nathan Seidle CEO de SparkFun ou encore Windell Oskay, co-fondateur d’Evil Mad Scientist Laboratories. L’association aura un statut de non-profit organisation (sans but lucratif), et les adhésions sont déjà ouvertes.

En plus de l’organisation du Summit 2012, OSHWA vient de produire cette vidéo, qui tente une première définition, plutôt vague, de ce qu’est l’Open Hardware :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

David Carrier de Parallax, considère qu’un produit est Open Hardware dès lors qu’il :

- ne restreint pas l’usage
- comporte une licence de design ouverte et qui inclut les fichiers nécessaires à la reproduction de l’objet
- se soustrait perpétuellement des droits d’utilisation d’un brevet
- ne restreint pas le reverse engineering

Certains participants proposent de prendre aussi en compte dans la définition la facilité d’accès aux machines nécessaires à la reproduction de l’objet. Est-ce qu’on peut toujours parler d’Open Hardware lorsqu’un objet ne peut être reproduit qu’avec des machines industrielles couteuses et compliquées d’accès ?

Il est apparu clairement que l’Open Hardware devait répondre à ses règles propres, en se démarquant en partie du monde du logiciel libre.

Les différents niveaux d’ouverture pris en compte par le label Open Hardware devront prendre les questions suivantes :

- Comment limiter la copies conforme tout en restant ouvert ?
- L’ouverture s’arrête-t-elle à la documentation ou comprend-t-elle aussi la mise à disposition des outils de fabrication ou tout du moins la prise en compte de l’écosystème de fabrication ?
- Parlons-t-on encore d’Open Source hardware lorsque la documentation est partielle ou au contraire trop complexe ?

“Un business d’un milliard de dollars”

Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired et co-fondateur de DIY drones, a débuté son intervention par une phrase qui donne le ton général des espoirs du mouvement :

Quelqu’un dans la salle va construire un business d’un milliard de dollars.

Les sites de financement collaboratif de type Kickstarter ont été mentionnés maintes et maintes fois, aussi bien au Summit qu’à Maker Faire. Ils sont présentés comme la solution révolutionnaire pour tester une idée de business et pré-lancer son produit tout en limitant les risques. Les projets Open Hardware emblématiques se sont multipliés ces derniers mois, des 830 827 dollars levés par Printrbot en décembre dernier au récent Form 1 par Formlabs qui a déjà récolté plus d’un 1,6 million de dollars 21 jours avant la fin de sa campagne.

L’impression 3D vend son âme

L’impression 3D vend son âme

Le fabricant d'imprimante 3D grand public MakerBot incarnait la possibilité d'un business model basé sur l'open ...

Alors qu’il y a deux ans Dale Dougherty défendait encore l’idée qu’un maker crée simplement pour son plaisir, la World Maker Faire de cette année tend à affirmer le contraire. Le 3D Printing Village a attiré toute l’attention : avalanche de jeunes entreprises qui proposent des imprimantes 3D personnelles moins chères, plus compactes (Printrbot), plus rapides (Ultimaker, MakerBot Replicator 2) ou plus spécialisées. Le petit nouveau issu de Kickstarter, Formlabs, est le premier à proposer une imprimante à stéréolitographie à bas prix pour professionnels.

L’ambition est bien présente, mais la question du passage à l’échelle se pose rapidement. MakerBot qui faisait jusqu’ici figure exemplaire du mouvement rencontre des difficultés à maintenir un modèle entièrement ouvert. L’intervention du co-fondateur de MakerBot, Bre Pettis, était fortement attendue, pour comprendre si la start-up new-yorkaise avait “vendu son âme”.

Visiblement touché d’être la cible de critiques de ses pairs, Bre a rappelé l’ambition grand public de MakerBot : “notre but depuis le début : une imprimante 3D pour tout le monde, aussi facile à utiliser que possible. Tout ceux qui ont participé à l’aventure savent que c’est une victoire pour l’Open Hardware.” Il a mis en avant une des ambiguïtés principales du modèle économique de l’Open Hardware : oui, le produit s’améliore plus vite et en grande partie grâce au travail de la communauté, mais c’est bien sûr aussi la porte ouverte aux mauvaises copies vendues moitié prix.

Nous l’autorisons [la copie] mais ça ne veux pas dire que nous aimons ça.

a reconnu Bre Pettis qui présente les restrictions faites à la nouvelle machine comme des solutions pour permettre l’innovation par la communauté tout en limitant les copies conformes. L’interface graphique du logiciel MakerWare et la documentation du design de la Replicator 2 sont désormais propriétaires, mais le reste est ouvert (logiciel, firmware, extrudeur…).

La question se pose nettement moins pour les entreprises Open Hardware du secteur éducatif.

Flexibilité et simplicité

S’il fallait résumer la Maker’s Week à deux mots-clés, répétés interventions après interventions, stands après stands, ce sont bien flexibilité et simplicité.

World Maker Faire 2012 (cc)Jabella

Comme l’ont rappelé Paulo Blikstein de Fablab@School, David Carrier de Parallax, Ayah Bdeir de littleBits.cc ou le lobbyiste Michael Weinberg, l’atout majeur de l’Open Hardware est sa capacité à simplifier et à rendre accessible et compréhensible les technologies qui nous entourent.

Les outils du fab lab changent la façon dont on voit le monde.

Les petits bidouilleurs en open source

Les petits bidouilleurs en open source

Ce jeudi, deux enfants très partageurs ont donné une conférence à l'Open Hardware Summit à New York sur les ...

C’est ce que soulignait Paul Blikstein en montrant une étude réalisée à l’issue de la classe de physique menée dans un des Fablab@School. Les adolescents qui avaient suivi la classe avaient une confiance en leur propre créativité bien plus élevées que ceux qui n’y étaient pas. La tendance était encore plus forte pour les filles, qui rattrapaient quasiment les garçons dans leur confiance à comprendre et créer.

Les questionnements autour de la propriété intellectuelle n’ont pas été la priorité de cette année, la stratégie générale étant pour l’instant de faire et voir ce qui se passe. L’Open Hardware est dans une phase d’expérimentation.

Lors de son intervention à Maker Faire, Bre Pettis a été jusqu’à détailler les stratégies de contournement que MakerBot a employé jusqu’ici pour éviter les interdictions : il ne prononce par exemple jamais le terme FDM (Fused Deposition Modeling) pour parler de la technique d’impression utilisée par les MakerBot (marque déposée par Stratasys).

Le lien avec la communauté

Le grand challenge de l’Open Hardware est pour l’instant de montrer de quoi il est capable en terme de business. Les marques emblématiques du mouvement que sont Make Magazine, Arduino, Adafruit Industries ou encore SparkFun comportent dans leur essence même l’identité Open Source, comme l’a souligné dans son intervention longuement applaudie Marco Perry, de l’agence de design Pensa. Ces marques sont aimées parce qu’elles ont de réelles communautés.

Flexibilité, simplicité et… fun bien sûr. Réunir plusieurs milliers de makers à New York pendant une semaine ne va pas sans une bonne dose de fun et de hacks. Faites un coucou à la caméra moustache de Jason Kridner.

Camera moustache de John Kridner - (Matt Richardson, MAKE Magazine)


Photos de (cc-by) jabellavia flickr et (cc) Matt Richardson via Mathilde Berchon.

Mathilde Berchon vit à San Francisco d’où elle couvre le mouvement Open Hardware sur MakingSociety.com

La terreur dans le miroir

vendredi 5 octobre 2012 à 14:53

En France, l’agenda de plusieurs années d’antiterrorisme triomphant devrait suffire à convaincre les responsables politiques de sa perversion, pour peu qu’il soit feuilleté.

Mais ce devoir d’inventaire-là n’est pas convoqué. La force des habitudes sûrement. Et donc depuis mercredi Paris annonce plein de confiance un renforcement de son “dispositif antiterroriste” – déjà le plus draconien d’Europe – par l’entremise du projet de loi proposé par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

Depuis les lois de 1986 qui ont institué une justice d’exception pour sanctionner les crimes terroristes, jusqu’aux cinq dernières années au cours desquelles l’État a encouragé le développement d’une police secrète – la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – dotée de prérogatives et de moyens comme la France n’en avait pas accordé depuis 1945 à un service de sécurité intérieure, avec une belle régularité, le droit commun et des principes républicains ont été sommés de se tordre pour rendre l’antiterrorisme plus efficace.

Corses

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Depuis un an, la DCRI enquête sur un collectif d'Anonymous dans le cadre d'une procédure ouverte au Tribunal de grande ...

Avec quels résultats. L’honnête citoyen a pu s’alarmer de cette calamiteuse procédure contre les militants d’extrême-gauche de Tarnac, un peu vandales – à la manière de ces syndicalistes abimant des voies ferrées pour marquer leur mécontentement – mais placés sous le coup des lois antiterroristes. Mêmes sentiments avec les procédures, plus récentes, contre des Anonymous. Sentiment qu’une justice d’exception dévisse.

Le même citoyen s’est montré incrédule, à raison, en découvrant ces missions hautement stratégiques menées par la DCRI consistant à identifier les sources des journalistes du Monde ou du Canard Enchaîné qui travaillaient sur des sujets agaçants aux yeux de l’Élysée.

Ou encore ces investigations financières révélant l’implication personnelle de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, dans le fonctionnement du Wagram, un cercle de jeu parisien contrôlé par des criminels corses et connu pour sa capacité à dégager d’épaisses enveloppes de cash.

Quant au scandale Merah, il montre, au fil des semaines, l’ampleur des duplicités que s’autorise une telle police secrète qui sans craindre la confusion recrute ça et là, manipule tantôt autant qu’elle surveille parfois des personnalités susceptibles de verser dans la criminalité terroriste. Et avec une inquiétante régularité.

En décembre 2008 déjà, l’affaire Kamel Bouchentouf avait montré comment les agents de ce service secret incitaient des jeunes arabisants des cités à fréquenter des jihadistes, avant de les lâcher pour mieux ficeler par la suite des dossiers judiciaires les incriminant.

Cosmétique

Ce sombre tableau se voit parfois opposer un discours sur la notion de pertes et profits. Oublieux de la sentence de Benjamin Franklin – “Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre” – il tente de nous convaincre que l’efficacité de notre machinerie sécuritaire contre les “vrais” terroristes (supposant qu’il en existe des “faux”) compense les graves dérives des dernières années.

Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Mais même là, il est permis de douter. Le procès le 5 mai dernier du physicien Adlène Hicheur, présenté comme un gros poisson par les cadors de la DCRI, a pointé de nombreux dysfonctionnements et une instruction judiciaire très orientée.

Avec un bilan aussi dramatique, une réflexion distancée sur l’ensemble du dispositif antiterroriste paraissait s’imposer après l’alternance de la présidentielle. En lieu et place, nous devrons donc nous satisfaire d’un nouveau texte supposé permettre d’interpeller de dangereux ressortissants français qui s’illustreraient à l’étranger mais pas encore sur le sol national.

Cette loi permettra d’incriminer un garçon – comme Mohamed Merah – parti s’entraîner dans un camp en Afghanistan ou au Mali. Opération de cosmétique bon marché pour rassurer l’opinion. Puisque plusieurs procédures pénales ouvertes en France ont déjà permis de mettre en examen des individus au motif qu’ils avaient séjourné en Irak, près de la frontière syrienne ou en Afghanistan en compagnie de jihadistes notoires, grâce aux multiples possibilités offertes par notre justice d’exception. Ils s’appellent Rany Arnaud ou Peter Cherif.

Rany Arnaud a été mis en examen et incarcéré en France le 20 décembre 2008 sur la base de ses drôles de périples en Syrie et de ses messages favorables à la guerre sainte postés depuis l’étranger sur un site dit islamiste dont les serveurs sont également situés à l’étranger. Même Moez Garsallaoui, régulièrement présenté comme un responsable d’Al Qaïda évoluant entre le Pakistan et l’Afghanistan, pourrait être appréhendé sur la base des condamnations prises par des tribunaux en Belgique et en Suisse.

Le sociologue Dominique Linhardt, auteur de plusieurs travaux sur la violence politique et sur les épreuves qui marquent la vie des États, appartient à cette génération de chercheurs en sciences sociales qui se sont penchés sérieusement sur l’antiterrorisme, en tant qu’objet social.

Économie

Avec d’autres, depuis plus de dix ans, il étudie l’économie du soupçon, propre à la lutte antiterroriste. Par essence, dans un champ juridique qui accepte la justice d’exception, celle-ci suppose de sans cesse installer dans l’espace social des capteurs permettant de discriminer les honnêtes gens des terroristes, ceux-ci ayant pour caractéristique principale de se dissimuler au milieu des paisibles citoyens et d’évoluer parmi eux.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Comme l'ont montré les évènements de ce week-end, 26 années de lois et d'exceptions antiterroristes, au prix de multiples ...

D’où la propension d’une telle démarche à multiplier les dispositifs de surveillance destinés à mettre au jour des menaces, coûte que coûte, puisque l’absence de menace identifiée, signifie que les terroristes sont partout.

Les dernières recherches de Linhardt portent notamment sur la manière dont les structures de l’État allemand ont réagi aux crimes de terrorisme perpétrés entre 1964 et 1982 (voir ici le pdf du compte-rendu de ses travaux). Le recul conféré par le temps et l’accès à des archives facilité par la fin de ces affaires permettent aujourd’hui, à travers le cas allemand, d’approfondir les réflexions sur ces enjeux. C’est-à-dire de réfléchir au-delà de l’émotion que suscite le terrorisme, telle que la provoquent, sciemment, les organisations criminelles ayant recours à ces tactiques terroristes.

Selon Linhardt, de manière évidente, la menace qu’exerce le terrorisme contre l’État “réside moins dans l’horizon d’une possible destruction [de l'État] que dans celui du sapement de sa légitimité”.

Le terrorisme ne devient une arme de guerre que si l’État et ses dirigeants le placent devant un miroir déformant, jusqu’à en transformer leur propre perception du réel, jusqu’à laisser se développer un sentiment de menace constant de nature à justifier autre chose qu’une société démocratique surveillée a minima. Le courage, c’est avancer quand on a peur.


Photo de Manuel Valls via la galerie flickr de fondapol [CC-BY-SA] remixée par Ophelia Noor pour Owni.