PROJET AUTOBLOG


BugBrother

source: BugBrother

⇐ retour index

On ne peut pas mettre de barrières sur Internet

dimanche 17 juin 2012 à 16:07

Dans le cadre des cours de controverses de Telecom ParisTech, j'ai été interviewé sur la légitimité du hacking en matière de désobéissance citoyenne, par Erwan Fleury et Adrien Bonguet.

Occasion d'évoquer #Anonymous, la notion d'hacktivisme, le scandale (et le ridicule) de la Hadopi, la diabolisation du Net et la volonté de certains de le "coloniser" :

"Internet a été conçu pour que les paquets de données puissent circuler, même si une route est coupée. Alors même s’il y a toujours quelqu’un pour dire « on va mettre des barrières », il se trompe, c’est un peu comme quelqu’un qui essaye de mettre une clef usb dans une prise de courant, ce n’est pas fait pour."

Question : Y a-t-il eu des changements idéologiques au sein du mouvement des Anonymous depuis sa création jusqu'à aujourd'hui ?

Jean Marc Manach : Oui, le mouvement s'est complètement massifié et démocratisé avec la médiatisation. A la base, Anonymous correspond à des jeunes, plutôt américains, geeks. Et un jour, il y a cette fameuse vidéo de la Scientologie qui est censurée. Eux décident de riposter, de créer un nouveau mème, Anonymous, sauf que cela déborde de la sphère internet, puisque certains vont jusqu'à manifester physiquement. Et comme tous les mèmes cela se reproduit, cela bifurque dans tous les sens, et déborde complètement l'objet initial, et par extension sont apparus d'autres types d'action des Anonymous, mais ici pour défendre les valeurs défendues par Anonymous, à savoir les libertés sur internet, et la lutte contre la censure sur internet. Le combat contre la Scientologie ne visait pas la secte, mais la censure d'un contenu sur internet. Par extension, ils ont commencé à se battre contre d'autres types de censure, et aujourd'hui, par une convergence idéologique, des gens qui font partie de groupes ou de mouvements politiques rejoignent les Anonymous, pour arriver à ce que leur combat politique soit porté par les Anonymous. On a par exemple aujourd'hui des combats d'Anonymous qui sont des combats écologiques, qui n'ont rien à voir avec la défense des libertés sur internet, même si cela reste le cœur des Anonymous (cf De quoi Anonymous est-il le nom ?).

Quel est l'avenir des Anonymous ?

Jean Marc Manach : Pour comprendre les Anonymous il ne faut pas le prendre comme une idéologie ou un mouvement politique. Il faut le prendre comme un mème, fait pour mener des combats politiques. Il y a eu un pic médiatique en début d'année, on ne peut pas vraiment savoir si cela va repartir, par contre je ne pense pas que cela va s'arrêter, que cela soit passé de mode, et un mème ne disparaît pas par essence. Il faut aussi noter la montée en puissance du Parti Pirate, qui reprend et formalise certaines des valeurs portées par Anonymous, et qui seront probablement reprises par tous les autres partis politiques, comme ce fut le cas des Verts dans les années 70, car il ne s'agit pas d'un combat de droite ou de gauche, mais d'un combat qui concerne l'écosystème (cf Doit-on avoir peur des Anonymous ?).

Que pensez-vous de l'anonymat au sein du mouvement des Anonymous ?

Jean Marc Manach : S'il n'y avait pas eu l'anonymat, ça n'aurait pas eu le succès que ça a eu. Cela fait peur, et cela fait des années que c'est instrumentalisé, cependant personne ne s'est jamais plaint de l'anonymat de manifestants dans la rue. Dans une démocratie, l'anonymat est la règle, et on ne place sous surveillance que quelqu'un qui est soupçonné d'avoir commis une infraction. Tout ce qu'on fait sur internet laisse par ailleurs des traces, alors qu'on laisse moins de trace en allant à une manifestation. La notion d'anonymat sur internet est très mal comprise en général par ceux qui le dénoncent.

Les Anonymous peuvent-ils s'en prendre à n'importe qui (comme par exemple l'attaque de l'Express) ? Est-ce le résultat d'une mauvaise communication due à un groupe trop diffus ?

Jean Marc Manach : Il y a une règle chez les hackers qui est que l'on empêche pas l'autre de s'exprimer. Dans les faits, il y a des organisateurs, des gens qui ont plus d'influence que d'autres, parce-qu'ils étaient là avant, et aussi pour des questions de méritocratie par leur apport à la collectivité, mais cela n’empêche pas quelqu'un de créer son propre channel IRC dans son coin. L'attaque de l'Express a par ailleurs été très vite critiquée en interne car on ne s'attaque pas aux médias au nom des Anonymous.

Y a-t-il d'autres groupes d' « hacktivists » ?

Jean Marc Manach : Ce qu'on appelle « Hacktivisme » existe depuis le milieu des années 90, quand on a commencé à voir des manifestations comparables à des attaques DOS dans leur principe même si le mot n'existait pas à l'époque, lancées contre des institutions au Mexique, en soutien au sous-commandant Marcos. C'était le début des manifestations virtuelles, qui permettaient déjà de bloquer l'accès à un site web. C'est avec Anonymous, notamment au moment du « Printemps arabe » que le phénomène a eu droit de cité dans les médias, et que l'opinion publique a commencé à en entendre parler. Si on parle d'Hacktivisme au sens de militer, politiquement parlant, avec des outils ou un état d'esprit de hacker, il y beaucoup plus de choses que les seuls Anonymous, et cela peut se passer en dehors de l'internet. L'hacktivisme participe aussi de cette manière d'avoir une conscience politique, d'exercer son droit de regard politique, et de s'impliquer dans les débats grâce à internet.

Pensez-vous que HADOPI/ACTA/PIPA/SOPA soient efficaces, utiles ?

Jean Marc Manach : Il n'y a jamais eu autant de gens qui se sont intéressés à la sécurité informatique, qui ont cherché à protéger leur ordinateur, et à être anonyme que grâce à HADOPI. Pour moi qui défend les droits de l'Homme et la vie privée sur internet, en un sens c'est bien parce que plus de gens sont sensibles au problème d'atteinte à la vie privée sur internet, mais j'aurais préféré que ça se passe autrement. Sur le fond, ces traités ridiculisent ceux qui les mettent en place, et montent les gens les uns contre les autres. Ils ont tellement instrumentalisé le débat qu'aujourd'hui beaucoup d'artistes ont peur d'internet. Ce qui est scandaleux, c'est que la HADOPI a réussi à avoir en un an le budget que la CNIL a mis 30 ans à avoir, alors que les problèmes auxquels sont confrontés la CNIL sont autrement plus importants que les problèmes auxquels sont confrontés les professionnels du disque.

Mais, est-ce que ce n’est pas justement à cause d’un lobbying très important de la part des maisons de disque qu’on en arrive à un tel non-sens ?

Jean Marc Manach : Il y a eu un lobbying très intense de la part des industries culturelles qui a permis la HADOPI, et qui a rencontré une incompétence grave, celle de Nicolas Sarkozy. Quand il a fait l’e-G8, l’année dernière, sur internet, il avait parlé de « vous, les internautres », c’est un lapsus génial, il y a « lui, eux et les internautres », les gens, les « autres » sont sur internet, là-bas (cf L'enfer, c'est les "internautres"). Quand il parle de vouloir civiliser l’internet, on se croirait au XVIII eme siècle avec la France et ce qui allait devenir les colonies.
On a des intérêts économiques qui rencontrent des gens qui n’ont rien compris, qui nous voient comme de méchants anonymes Pédonazis (terme inventé à la fin des années 90 pour dénoncer tous ces gens qui voient sur internet du contenu pedophile ou nazi, cf ). La grosse différence par rapport à la colonisation, c’est qu’on est plus fort que ceux qui ont été colonisés. Au sens où on est mieux armés : quand les colons sont arrivés, les Indiens se sont fait tirer dessus sans rien pouvoir faire. Là, Sarkozy veut civiliser internet, mais le problème c’est qu’il va falloir qu’il vienne sur le net. Et qui construit et développe le web ? Qui a les outils ? Qui a les infrastructures ? C'est nous, les hackers, les gens qui créent internet (cf Il n'y aurait pas Internet sans les hackers). C’est donc la grande chance que l'on a, ils ont déjà perdu, la question c’est de savoir quand vont-ils l’admettre et arrêter de monter les gens les uns contre les autres, et voir comment on peut vivre ensemble.

HADOPI n'a donc pas d'avenir ?

Jean Marc Manach : Ça fait 3 ans que je dis que c’est un truc qui me fait rigoler, enfin, rire jaune au vu des sommes dépensées pour ce combat d’arrière garde, ils se plantent complètement (cf Rions un peu avec la Hadopi). Maintenant, pour revenir en arrière, il faut faire comprendre aux gens que télécharger ce n’est pas voler, c’est partager. Et donc, à partir du moment où on partage on peut être payé, notamment par un système de dons ou de contre dons. Mais c'est autre chose d'expliquer ça aux commerciaux qui vénèrent l’économie de marché où il est plus simple d’aller acheter des produits fabriqués en Chine.

Et vous pensez que les artistes sont prêts à distribuer gratuitement leur musique ?

Jean Marc Manach : Non, bien sûr que non, parce que ça fait des années qu’on explique que le problème c’est les jeunes de banlieues et les immigrés, et donc, forcément, les gens, ils y croient, à force qu’on leur répète. Pour internet, c’est pareil, on rabâche qu’internet est un problème, alors les gens finissent par y croire.

Est-ce que la licence globale peut être une solution ?

Jean Marc Manach : Ça aurait pu l’être, mais le débat a été pourri par les industriels qui ont investi massivement dans la communication et le marketing pour nous montrer que ce serait une économie communiste, alors qu’eux-mêmes se servent sur la bête avec la taxe copie privée. Je n’ai pas de solution, mais pour le modèle économique de la presse, c’est pareil, il n’y a pas qu’un seul modèle économique, il y en a plusieurs qui se mettent en place. On est maintenant beaucoup plus sur une économie d’attention sur le net, c’est une autre forme d’économie.

Pensez-vous que ces nouveaux modèles économiques vont vraiment percer ?

Jean Marc Manach : Il y a d’un côté les gens qui créent de la valeur, et ceux qui essaient de la détruire. Donc, il n'y a pas 36 solutions, c’est un combat qui ne finira jamais. Ce que je vois, c’est que ceux qui créent de la valeur vont plus vite que ceux qui veulent la détruire. Mais il ne faut pas oublier que les premiers médias à s’être intéressés aux logiciels Open Source, ce sont les magazines économiques, les Echos, Forbes, etc.

Selon vous, pourquoi l’industrie du cinéma est-elle moins offensive que l’industrie du disque ?

Jean Marc Manach : Tout simplement, à cause de la taille des fichiers .mp3, qui est en moyenne 100 fois plus petite que celle d’un film. Surtout à l’époque où il n’y avait pas d’ADSL. Internet a été conçu pour que les paquets de données puissent circuler, même si une route est coupée. Alors même s’il y a toujours quelqu’un pour dire « on va mettre des barrières », il se trompe, c’est un peu comme quelqu’un qui essaye de mettre une clef usb dans une prise de courant, ce n’est pas fait pour.

Voir aussi :
Soudain, un espion vous offre une fleur
« Les gens qu’on arrête, c’est grâce à Internet »
Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté
De Kafka à Minority Report – Ma décennie Sarkozy S2E4
Les « commissaires politiques » de la CNIL qui voulaient ficher tous les Français