PROJET AUTOBLOG


Wikistrike

Site original : Wikistrike

⇐ retour index

En Mongolie, vingt-et-un ans de prison pour avoir défendu l’environnement

lundi 17 novembre 2014 à 15:37
En Mongolie, vingt-et-un ans de prison pour avoir défendu l’environnement

Eco warrior en taule

 

Tsetsegee Munkhbayar se bat afin que la loi anti-pollution votée en 2009 soit respectée par les exploitants miniers qui détruisent les terres et les cours d’eau de Mongolie. Il a écopé de vingt-et-un ans de prison. Portrait d’un « éco warrior » qui paye de sa liberté son engagement pour l’environnement.


Tsetsegee est né près de l’une des plus larges rivières de Mongolie (1), l’Onngi, dont le nom servira à fonder le Mouvement pour la Sauvegarde de la rivière Onngi. Eleveur jusqu’aux années 90, il a vu 15 % des eaux de surface s’assécher à cause du réchauffement climatique mais surtout à cause des activités industrielles et minières.

Tsetsegee se mit à construire des puits et à encourager ses voisins à faire de même. Mais le sous-sol était déjà si contaminé à cause des rejets des mines que des douzaines d’enfants se mirent à mourir atteints par des cancers du foie près de chez lui. Lorsqu’il perdit son petit garçon et sa mère, il décida de s’éloigner de sa région natale. Il s’aperçut que le désastre s’étendait partout.

Un grand mouvement de sensibilisation et de protection de l’environnement

C’est à cette époque que Tsetsegee décide d’agir et d’entreprendre son action avec son syndicat pour essayer de sauver ses frères nomades et leur terre. Il motive, inspire, incite et forme des milliers d’éleveurs et d’agriculteurs, à se diversifier, à créer des petits jardins pour changer d’alimentation et avoir une meilleure santé, à se séparer d’un tiers de leur troupeau pour ne plus abîmer la terre, à planter des arbres comme l’argousier pour lutter contre l’érosion de la terre et retenir l’eau, à réactiver leur connaissance des plantes médicinales.

Il est le Pierre Rabhi de Mongolie, donnant des conférences, faisant des formations, lançant des actions auprès des représentants du peuple mongol à l’Assemblée Nationale, entreprenant des marches de protestation et mobilisant pour la première fois en Mongolie une grande masse de citoyens nomades qui comprennent qu’ils peuvent ensemble faire pression sur leur gouvernement pour un futur viable.

Le Mouvement pour la Sauvegarde de la Rivière Onngi est un succès. Munkhbayar avait convaincu les autorités de créer des lois protégeant les rivières, interdisant d’y jeter les déchets toxiques spécifiques à l’extraction des minerais hautement polluants et entreprendre le travail de restauration environnementale.

Munkhbvayar crée alors onze mouvements de protection des rivières de Mongolie, l’UMMRL (Mouvement uni des rivières et des lacs de Mongolie) installant ainsi une coalition issue de la Société civile pour la protection de la nature en Mongolie. C’était en l’an 2001.

La lutte contre les compagnies minières

Cinq ans plus tard, en 2009, il crée « Terre en feu », un syndicat écologique dans lequel il fédère sept autres mouvements qui ont pour objectif commun le passage d’une loi interdisant l’installation de compagnies minières à proximité des sources et des cours d’eau.

La loi concoctée par Munkhbayar autour d’une table avec l’appui d‘un juriste de la capitale qui avait rejoint leur cause fut votée après une grève de la faim devant le Parlement sur la place Sukhbaatar à Ulaan Baatar et stipule« l’interdiction de conduite d’opérations, d’explorations, d’exploitations minières à 200 mètres des sources des rivières, des zones aquatiques et des forêts. »

Les citoyens de Mongolie, par leur Constitution jouissent du « droit à un environnement sain et sécurisé et à celui d’être protégés contre la pollution environnementale et les déséquilibres écologiques. »

Tsetsegee en faisant voter cette loi protège ainsi 1/5e du territoire Mongol.


- Tsetsegee, en bleu, avec sa famille, sa femme, son frère et ses enfants. L’homme en blanc est Yönden, un jeune nomade, élève de Tsetsegee. -

Il y a plus de 4000 compagnies minières en Mongolie dont de nombreuses étrangères et en particulier chinoises. La Mongolie a recensé au moins quinze gisements majeurs d’or, de cuivre, d’aluminium, d’uranium. Ces gisements suffisent à alimenter le pays en énergie et à fournir une quantité plus que suffisante de devises pour le budget gouvernemental, mais participe aussi à la corruption des élites.

Tsetsegee pose la question : « Pourquoi donc laisser ronger à n’importe qui le sol mongol et causer à l’environnement des dommages définitifs ? »

Il propose de procéder par étapes : d’abord, réduire le nombre d’acteurs en privilégiant les plus gros de la filière qui ont les moyens et les compétences pour réaliser des études d’impact environnemental et de limiter ainsi les dégradations ; ensuite, on verra…

Les Prix et la prison

En 2007, Tsetsegee a reçu le Goldman Environmental Prize. Il a utilisé les 125.000 dollars du prix pour alerter ses concitoyens aux problèmes environnementaux. Il a été arrêté peu de temps après pour avoir « tiré des flèches » sur le siège du gouvernement.

Le geste est fort mais il faut comprendre que les mongols sont des archers. Le tir à l’arc, avec la lutte et les courses de chevaux, est l’un des trois grands sports nationaux. Tsetsegee et ses camarades syndicalistes ont en effet tiré de vraies flèches sur le siège du gouvernement à Ulaan Baatar, mais il y avait une forme d’humour dans le geste. Ce n’est pas véritablement une arme.

Cette action lui a d’ailleurs valu l’amour de tous les mongols, ainsi qu’une autre de ses actions où l’on a vu une troupe à cheval débouler sur la place Sukhbaatar pour inciter le gouvernement à faire respecter la loi sur les mines.

Après plusieurs recours devant les tribunaux, sans succès, malgré le soi-disant engagement du gouvernement à faire respecter la loi, Tsetsegee et les membres de l’UMMRL, bien que profondément pacifistes, devant tant de mensonges et de corruption avaient décidé qu’ils se lanceraient désormais dans des actions plus dures. De fait, Tsetsegee utilisera en septembre 2010 son fusil pour tirer sur des installations minières bafouant la loi votée par le Gouvernement mongol, sans faire de blessé ni dégât matériel bien-sûr. Il sera emprisonné quelques mois suite à cette action.

21 ans de prison, sans preuve...

Il est arrêté de nouveau en octobre 2013 lors d’une grande manifestation de nomades devant le siège du gouvernement, et est accusé de banditisme… La police aurait entendu un coup de feu en l’air et aurait trouvé des grenades, qu’ils lui ont imputés, ce qui n’a jamais pu être prouvé.

Evidemment, les juges n’ont pas été capables de prouver la vérité des accusations portées à l’encontre de Tsetsegee. Il n’y avait aucun blessé mais la police s’empressa de mettre sous les verrous tous les membres du syndicat de Terre en Feu présents à cette grande manifestation.

Les juges, très embarrassés pendant le procès, ont cependant maintenu les 21 années de prison malgré le manque de preuves. Morceau d’anthologie, les minutes de procès montrent la mauvaise foi des juges. Les sept militants de Terre en Feu croupissent déjà depuis un an dans une prison immonde d’Ulaan Baatar.

Nous, français, qui allons accueillir bientôt la Conférence Paris-Climat 2015 (COP21), pouvons-nous rester insensibles à l’emprisonnement de défenseurs d’un environnement qui nous concerne tous ?


RAPIDE PORTRAIT DE LA MONGOLIE D’AUJOURDHUI


- Ulaan Baatar -

Pays trois fois grand comme la France, rigoureux en hiver, brûlant en été, avec deux millions ½ d’habitants, la Mongolie est connue pour la beauté de ses immenses paysages de steppe, sa vie nomade traditionnelle, ses forêts et ses rivières qui se déploient comme des serpents d’argent au milieu de la steppe.

Aujourd’hui, c’est un Nouvel Eldorado. Dans la capitale Ulaan Baatar, se sont développés d’innombrables buildings de luxe ; les rues sont remplies de grosses voitures 4x4 aux vitres fumées ; les appétits des gens au pouvoir sont sans limites ; on y croise nouveaux riches et corruption.

Le partage des richesses promis par le Gouvernement avec les nomades n’a jamais eu lieu. Les mafias, l’exploitation massive des mines, les orpailleurs sauvages, la pollution des rivières, le changement climatique (les dzuds, grand froid polaire qui descend jusqu’à - 60°), la pollution, tuent le pays à grande vitesse.

On voit mourir d’une année sur l’autre des centaines voire des milliers de km2 de terre devenue poussière, épuisée par trop de bétail (les chèvres pour le cashmere, trop nombreuses, arrachent les racines, empêchant à jamais l’herbe de repousser).

Le manque de formation des nomades à de nouvelles pratiques, le manque de structures sociales, médicales, laissent les nomades démunis et totalement désespérés, agglutinés dans des yourtes aux portes d’Ulaan-Baatar.

Sans canalisations d’eau, dans les fumées noires de leurs poêles qui couvrent la ville d’une pollution permanente, sans aucun moyen financier, sans soins médicaux, de nombreux nomades, incapables de nourrir leurs enfants, les abandonnent.

Pour les nomades, Tsetsegee est devenu celui qui leur redonne espoir, celui qui n’a pas peur de les défendre, celui qui les aide à évoluer pour s’adapter à ce nouveau système de vie, en les formant et en leur apprenant de nouvelles techniques.


Note

1 - Il existe trois Mongolies : la République Populaire de Mongolie, où vit Tsetsegee, avec Ulaan Baatar comme capitale, la Mongolie Intérieure (chinoise) avec Hohhot comme capitale et la Mongolie Russe (Bouriatie) avec Ulaan Udé comme capitale.


Source et photos : Marie Jaoul pour Reporterre

. Chapô : Tsetsegee, à droite, et Yönden, un de ses élèves.
. Ulaan Baatar : 
Wikipedia (Brücke-Osteuropa/domaine public)

Voir le site de Marie Jaoul.

 

Source: Reporterre