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Bénabar, le libertaire de l’Internet régulé

jeudi 9 juillet 2009 à 18:33

J’avais promis de ne plus en parler, mais puisque c’est le gouvernement qui me relance, revoici donc Hadopi.

D’abord, quelques faits et chiffres que je vous (re)donne en vrac et sans commentaire (pour la plupart je m’en suis déjà servi dans d’autres billets, mais je les ai réunis pour mes fiches lors d’un débat — forcément passionnant puisque j’y participais — et que vous pouvez écouter ici).

Voilà. Vous en tirez les conclusions que vous voulez, mais les miennes sont les mêmes que celles de toutes les études indépendantes: l’argument maintes fois répété (et par tous les bords) hier au Sénat sur «les chiffres catastrophiques des ventes de disques divisés par 3 à cause du piratage » qui «justifie» HADOPI est un mensonge. Un mensonge. Un mensonge.

Répété trois fois, peut-être que ça rentrera dans la tête du législateur dont l’assistant tomberait par hasard sur ce billet, et puis eux-mêmes répètent bien assez souvent leur thèse pour que je répète la mienne.

Mais, bon: j’avais dit «sous un autre angle», donc là n’est pas mon propos.

J’aime bien Bénabar (ses chansons, je veux dire: le bonhomme je ne le connais pas).

Mais ça fait une semaine que je garde un onglet ouvert sur son interview à Rue89.

Je suis fasciné par cette interview. A chaque fois que je la relis, je trouve un nouvel angle sur lequel réagir. Je ne sais pas par quel bout la prendre.

Je vous la résume en quelques mots (mais lisez-la, ça ne prend pas longtemps): le chanteur n’a pas aprécié que Rue89 relève l’existence d’un clip — où l’on voit l’artiste à Solidays dénigrer la suffisance du nouveau ministre de la culture et défendre HADOPI — sous le titre « Bénabar et la suffisance de Frédéric Mitterrand », alors il explique pourquoi.

Et là, on entre dans la quatrième dimension.

Ca commence très fort avec Bénabar (qui, dans la vidéo, nous assène que «bien évidemment il faut contrôler Internet pour interdir le téléchargement» parce qu’il connait plein de potes qui galèrent même si pour lui ça roule «pour le moment») qui explique que grâce à Internet, «il n’achète plus la Presse». Ah.

Et qu’il flâne sur Deezer (qui selon l’ADAMI ne verse que des pouièmes de centimes aux interprètes des chansons qui y sont diffusées). Ah.

Et qu’il est «libertaire, mais». Ah.

Bon alors, déjà rien que ça, ça suffirait à écrire tout un billet en temps normal. Comprenez ma peine: je n’ai pour l’instant cité que les toutes premières lignes de son interview.

Un type qui se dit «libertaire, mais» qui veut qu’on «contrôle Internet pour interdire le téléchargement» et qui n’achète plus la presse parce que grâce à Internet il peut accèder à de l’information gratuite et qui écoute sa musique sur Internet via le média qui rémunère probablement le moins les artistes, moi ça me fascine.

Plus loin, heureusement, il nous explique que s’il défend HADOPI c’est que «tout travail mérite salaire».

Je ne développe pas, hein: on va dire que c’est auto-«suffisant».

Lui vend ses albums sur iTunes pour 9,90 euros et trouve ce prix «loin d’être abusif» (je rappelle que la qualité des titres sur iTunes est inférieure en qualité à celle d’un CD), mais «pète un plomb quand il voit son disque en vente à 18 euros chez Virgin».

A quel niveau de prix et de qualité doit-on être pour être entre «loin d’être abusif» et le pétage de plomb, l’histoire ne le dit pas.

Et je ne vais pas faire non plus l’exégèse de toute son interview: après tout lisez-la et voyez-vous même si vous trouvez normal que je trouve ces propos insultants, moi qui ne suis pas anonyme.

Mais quand même: une autre partie m’interpelle. Selon Bénabar, puisque certains sites (comme celui qui diffuse le clip cité par Rue89) sont financés par la publicité, ça prouve qu’il n’y a pas de gratuité: «La gratuité, c’est une fausse valeur, un mensonge. Il n’y a pas de gratuité : il y a juste de l’argent dont la circulation change».

Alors, quand même, quand on se dit de gauche et libertaire (mais «Il faut bien quelque chose pour réguler Internet. C’est affligeant de passer pour un mec de droite que de dire cela ! Réguler, c’est de gauche !»: de gauche, oui, mais libertaire ?!), quand même donc, je voudrais rappeler à Bénabar (sait-on jamais: puisqu’il se googlise, peut-être lira-t’il ces quelques lignes): s’il peut utiliser Internet pour faire tout ces choses gratuites-mais-payantes, c’est parce que des libertaires de gauche (qui s’ignoraient) ont développé des normes et des logiciels «libres», c’est à dire suivant un modèle non-marchand. Et que ça existe, le non-marchand, sur Internet, et pas qu’un peu, mon «neuveu»!

Bon, je ne demande pas à Bénabar de publier ses oeuvres sous licence libre (puisque tout est payant), mais est-ce trop demander qu’un peu de décence ou de réflexion, quand dans le même temps on souhaite que «tous les commentaires soient modérés a priori», qu’il faut «s’attaquer à cette question, l’anonymat, c’est sérieux» et qu’on se dit libertaire?

Mais mon bon monsieur, si la liberté d’expression vous dérange à ce point, personne ne vous force à utiliser Internet pour y trouver toutes ces informations gratuites en laissant la presse crever!

Tout ça parce qu’en tapant son nom sur Google il n’est pas tombé sur un site qui le traitait de génie…

Non, Bénabar n’est pas un génie, en tous cas pas quand il parle d’Internet.

Et hélas, c’est un peu trop souvent le cas de tous ces artistes qui défendent des choses qu’à l’évidence ils ne comprennent pas, à qui de toute évidence on n’a pas fourni les quelques faits et chiffres que j’égrène en début de billet, et qui se retrouvent à défendre l’indéfendable parce qu’on a osé dire publiquement qu’on est pas du même avis qu’eux.

Et hélas encore, c’est aussi et encore plus le cas de la (très) grande majorité de nos législateurs, qui se basent sur on ne sait quelles pseudo-études censées démontrer que le partage de musique est nuisible à la création (et qui pour le coup confondent «création» et «majors», et encore) pour voter des lois ignorantes non seulement d’Internet mais aussi des droits fondamentaux.

Ah, et Bénabar doit faire partie des 3211 sociétaires privilégiés de la SACEM qui ont touché plus de 10000 euros sur un an, parce qu’au palmarès des chiffres d’affaires des chanteurs en 2008, il se classait second (derrière Francis Cabrel), avec 2,3 million d’euros. Par an.

De quoi se payer l’abonnement à quelques journaux, sans doute ?

N’attribuons pas à la malice ce qui peut être attribué à l’incompétence

dimanche 28 juin 2009 à 18:26

Depuis que je tiens ce blog , je me contrains à suivre d’un peu plus près les inventions que nos dirigeants éclairés souhaitent appliquer à Internet.

Alors, forcément, en défenseur des libertés individuelles que je prétends être, je veille, je surveille, j’essaie d’imaginer par quel biais les Etats — trop longtemps restés inertes face à un phénomène dont ils ne mesuraient pas l’ampleur — vont tenter d’empêcher l’inévitable. De voir quelle forme (autre que dictatoriale et mondiale) aura la censure d’un réseau prévu pour résister à des attaques atomiques. De comprendre pourquoi la liberté d’expression des simples citoyens leur fait si peur. D’anticiper les manières dont des industries dépassées useront pour conserver leurs modèles économiques obsolètes.

Et d’imaginer des solutions alternatives aux solutions — forcément rétrogrades — qu’ils voudront à toute force adopter pour rester dans l’ancien paradigme pyramidaire qui fondait nos sociétés depuis toujours, et qui est si fortement bousculé par l’avènement du village global.

Parce qu’on ne peut pas toujours s’opposer: il faut bien parfois aussi proposer…

Mais, il faut bien l’avouer, il arrive parfois qu’on ait tout simplement envie d’abandonner face à l’éternelle litanie de bétise, d’incompétence, de manque d’imagination et d’incompréhension à laquelle il faut faire face.

Or donc, Alain Finkielkraut est opposé à la liberté d’expression et «aux droits de l’homme tels qu’ils se manifestent sur Internet», et plus particulièrement il considère comme «absolument stupide» la décision du Conseil Constitutionnel concernant la censure de la loi HADOPI.

En effet, sur France Inter, il fustigeait vendredi matin ce «droit invraisemblable de chacun à l’expression et à la consommation» que la décision du Conseil plaçait en amont — quelle arrogance! — du droit d’auteur !

Rappelons-lui avec délicatesse que la décision a été rendue du faitque la loi Hadopi méconnaissait «le caractère fondamental du droit à la liberté d’expression et de communication».

Alain Finkielkraut a en fait simplement cru entendre «consommation» quand le conseil constitutionnel disait «communication». Il vaut mieux lui accorder cette surdité partielle — à son age on a bien droit à quelque indulgence — plutôt que d’imaginer qu’il soit à ce point réfractaire à la liberté d’expression des ignorants que nous sommes (la sienne ayant de tout temps eu droit à toute l’exposition nécessaire, on comprend qu’il ne la défende pas pour des gens forcément moins intelligents que lui).

Parce que s’il n’est pas sourd, comment expliquer qu’un philosophe de son envergure puisse confondre consommation et communication… Non: il est vieux et il en veut aux sages «d’avoir voulu devenir des jeunes».

Indulgence, donc.

Mais Alain Finkielkraut n’est pas législateur, alors, bon: qu’il soit pour ou contre HADOPI, quelle importance après tout. Qu’il ne comprenne pas qu’Internet ne soit pas qu’un phénomène de «jeunisme», qu’il n’en imagine ni la portée sociale ni les implications révolutionnaires dans tant de domaines, on pourra toujours se dire qu’il est simplement dépassé par la chose et passer outre — quoique forcément un peu dépité par le peu de profondeur de sa réflexion sur ce thème.

Le sénateur Yves Détraigne, par contre, c’est autre chose. Et surtout c’est extrèmement symptomatique du délire (oui, je pèse mes mots) dont nos élites semblent atteintes dès lors que le mot «Internet» leur arrive aux oreilles.

Déjà, il n’est pas vieux. Ensuite, il est sénateur. Et il est membre de la «commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et ‘administration générale» du Sénat, et — surtout — il est co-auteur avec Anne-Marie Escoffier d’un rapport sur «la vie privée à l’heure des mémoires numériques».

Pour une fois, rien à dire: c’est un point d’une importance capitale, à l’heure où Google sait tout de vous, à l’heure où la police commence à préférer Facebook à Edwige et où — gràce à l’interconnexion des divers renseignements que vous laissez sur divers e-commerces — les publicitaires peuvent entamer des campagnes de spam ciblées à un point que vous auriez du mal à imaginer si vous ne les subissiez déjà.

Point important de ce rapport: l’adresse IP deviendrait définitivement une «donnée personnelle» (ce qu’elle fut jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, dans une décision pour le moins stupéfiante au regard du droit européen, dise le contraire et contraigne ainsi la CNIL à autoriser les ayants-droits à vous ficher sans que vous puissiez rien y faire), et à ce titre, soit protégée des fichages anarchiques par une CNIL renforcée.

En voilà une bonne idée, presque incroyable tant elle est simple et de bon sens (car en effet, une adresse IP peut indirectement constituer un moyen de remonter à votre identité, ce qui fait d’elle une donnée personnelle au sens de la directive 95/46/CE).

Mais mais mais… Voici que la recommendation 14 de cet excellent rapport — recommendation qui préconise un droit à «l’hétéronymat» (un terme précis qui en littérature s’applique à un écrivain utilisant un pseudonyme pour incarner un nouveau genre: Vernon Sullivan est un hétéronyme de Boris Vian) — arrive, et patatras: tout s’écroule de nouveau.

Comme si ce vieux mal qui semble atteindre nos politiques lorsqu’il s’agit d’Internet était une espèce de virus résistant aux meilleurs traitements.

Déjà, je ne sais pas pour vous, mais dans mon cas il est rare que je change de style selon le site où je m’exprime et le pseudonyme que j’y ai choisi, mais, bon, admettons la préciosité du choix des mots.

Ensuite vient le débat sur l’anonymat, le pseudonymat (ou l’hétéronymat si c’est la mode) et l’identité en ligne. Ca c’est un point important.

Longtemps j’ai défendu l’idée que dès lors qu’on usait de son droit à l’expression publique, on devait accepter la responsabilité qui y est attachée et assumer ses propos sans se cacher. On m’a rétorqué l’existence des dissidents dans les régimes dictatoriaux, et j’ai répondu que l’anonymat total sur Internet était à la limite du mythe, surtout dans de tels régimes.

Bref, j’ai finalement évolué et admis la pratique du pseudonymat: après tout pourquoi refuser au citoyen ce que l’écrivain pouvait se permettre? Va donc pour le pseudonymat/hétéronymat sur Internet pour protégr la vie privée et la séparer de son expression publique, du moment que la justice peut remonter à un auteur via son adresse IP dans le délai imparti pour un délit de presse.

Je suis donc d’accord avec ce bon sénateur?

Faut voir: lors du colloque «Droits et libertés dans la société numérique», organisé par la secrétaire d’état en charge de l’économie numérique (Nathalie Kosciusko-Morizet) jeudi dernier, Yves Détraigne a précisé sa pensée. Et c’est là que le délire intervient: suivez-moi bien.

Pour faciliter le travail de la justice, il propose que «ces identités alternatives soient déposées auprès d’un organisme chargé de les gérer».

Pin-pon, appelez les gentils messieurs en blanc, faites usage du défibrillateur, passez-lui les sels, je ne sais pas, mais faites quelque chose!

Imaginez un cas usuel: je veux réagir à un billet de blog. On me demande de me créer un compte. Je choisis d’utiliser un pseudonyme pour éviter qu’un futur employeur puisse me reprocher un jour mon «hou la menteuse!».

Simple: je vais à la préfecture (en ligne ou non, peu importe). Je dépose mon identité réelle et le pseudonyme (éthéronyme, pardon) que j’ai choisi.

Ah, il est déjà pris par un autre. Bon. Je trouve un pseudonyme unique en son genre. L’organisme en charge me donne (si c’est payant je veux que ce marché me soit ouvert: j’ai besoin de refaire fortune) l’autorisation de m’identifier sous ce pseu^Hétéronyme. Ca y est, je reviens sur le blog, je crée mon compte via un système qui vérifie que l’hétéronyme que j’ai choisi a bien été déposé légalement et correspond bien à mon IP, je dépose mon commentaire, et je poursuis ma navigation.

Euh, attendez. Je me suis perdu en chemin là.

La recommendation 10 du même rapport affirme «sans ambiguïté» qu’une adresse IP est une donnée à caractère personnel (donc qu’à partir d’icelle on peut retrouver qui je suis). D’ailleurs le système de création de compte du blog n’aura pas eu d’autre choix pour respecter la loi que de faire appel à un système chargé de valider mon hétéronyme et il ne dispose que de mon IP pour le faire (à moins d’imaginer que tout site français devra utiliser un système unique d’identification géré par l’état, ce qui dans le cadre d’un rapport supposé garantir le respect de la vie privée sur Internet serait, osons le mot, surréaliste).

Donc avec mon IP l’organisme en charge peut retrouver mon identité réelle.

Donc je n’ai pas besoin de déposer mon hétéronyme.

BIP! Connerie repérée ! Le mot-virus «Internet» a encore frappé!

Bon, j’arrête là, je reprends mon souffle, je me calme, je prends quelques tranxènes.

Revenons au monde réel. Je suis un écrivain. Je choisis d’utiliser un (ahem) hétéronyme. Des milliers d’écrivains ont fait pareil avant moi. Jamais, JAMAIS aucun législateur n’a seulement commencé à imaginer dans ses rêves les plus humides que je sois d’abord forcé d’aller en Préfecture déposer le nom dont j’ai choisi de signer mon oeuvre: en cas de délit et via mon éditeur la justice saura bien me retrouver. Pas de problème: liberté d’expression contre responsabilité civile et pénale de mes propos, RAS.

Mais sur Internet ? Ah la la, Internet, mais mon bon monsieur, Internet ce n’est pas la vie réelle! Internet est une zone de non-droit. Il est plus grave, pour la justice, qu’un pédophile ait trouvé sa victime sur Internet que s’il l’a repéré dans un square public (si si). C’est bien la preuve!

Sur Internet, c’est différent. Internet change la société, il faut donc qu’on légifère sur Internet. C’est d’une logique sans faille. Faire des lois qui s’appliquent partout pareil quel que soit le moyen d’expression, de communication (ou de consommation) choisi, ce n’est plus possible: il FAUT des lois et des organismes pour réguler Internet en tant que tel.

Pourquoi ? Parce que Internet. Et puis ta gueule. On a longtemps été dépassés par ce truc, alors, maintenant, on légifère. Et puis c’est tout.

LCEN? Internet.

HADOPI? Internet.

LOPPSI? Internet.

Pédophilie? Internet.

Sécurité? Internet.

Philippe Val? Alain Finkielkraut? Françoise Giroud? Sarkozy? Internet.

Eh bien, moi, je propose une loi pour interdire de traiter un citoyen différemment selon qu’il use d’Internet ou du papier. Selon qu’il agit sur Internet ou ailleurs.

Ah, ça existe déjà et c’est même dans la Constitution qui parle d’égalité des citoyens devant la loi?

Ah, mais, la Constitution, c’est dépassé: Internet.

Hadopi, assez ! Revenons sur terre (lettre ouverte aux artistes)

jeudi 11 juin 2009 à 18:23

Non, non, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas encore une fois parler de ce délire mort-né et perdre du temps à analyser son retoquage au Conseil Constitutionnel. Je voudrais plutôt revenir sur ce qui semble être un fait acquis (que ce soit pour les tenants ou les opposants à cette loi) : la rémunération des artistes face au piratage.

Il y a quand même une sacrée hypocrisie qui sous-tend tout ce débat: d’où que vienne l’opinion, il s’agirait dans tous les cas de sauvegarder le revenu des artistes floués par le téléchargement illégal. License globale contre coupure d’Internet, taxes sur les opérateurs contre mécénat, dans tous les cas on cherche à faire payer (dans un sens du terme ou l’autre,peu importe) les «pirates».

Mais pourquoi ?

Un fait: aucune étude indépendante (des majors ou des distributeurs) n’a jamais pu établir de lien entre piratage et baisse des ventes. Dans le pire des cas ce phénomène ne change rien, dans le meilleur on s’aperçoit qu’en réalité les plus grands pirates sont aussi les plus grands acheteurs.

A aucun moment les artistes n’ont perdu le moindre centime à cause du P2P.

C’est même plutôt l’inverse.

Il faudrait quand même une bonne fois pour toutes le dire et le redire !

L’économie numérique a ses lois, infrangibles et sur lesquelles toutes les législations nationales ne pourront que se casser les dents.

La principale d’entre elles, c’est la disparition des intermédiaires. Du producteur au consommateur, c’est la règle d’Internet. Et créer des taxes sur les échanges de données ne servirait à rien d’autre qu’à faire survivre artificiellement des organismes en mort clinique: j’ai nommé les majors et les distributeurs.

Oh, on peut faire un peu de prospective si on veut: j’imagine très bien qu’une économie de la sélection se mette un jour en place, comme pour les radios, et que des sites spécialisés sur un type de musique ou un autre se développent un jour, à l’instar des radios musicales, pour faire un tri dans une offre devenue foisonnante parce que ne souffrant plus de la sélection des maisons de disques. Financés par la publicité ou l’abonnement, faisant payer la valeur ajoutée de la sélection humaine, ils permettront pourquoi pas de rémunérer les artistes ainsi choisis.

Au moins, un tel modèle respecterait ce qui ne peut plus être changé: la dématérialisation des contenus implique la disparition des fabricants et des vendeurs de contenants. Un fait simple. Irréfutable, même si l’argent qu’ils ont amassé durant des années leur permet temporairement de faire pression sur les politiques pour retarder (un peu) leur inéluctable disparition.

Mais ce n’est pas vraiment mon propos.

Imaginons un auteur de musique, et choisissons le cas le plus extrême possible: disons qu’il faut à cet artiste théorique dix ans de travail incessant pour créer un album et que, compte tenu du fait qu’il ne travaille pas seul, ce travail coûte 15000 euros par mois.

Il faudrait donc que, d’une manière ou d’une autre, la société le rémunère à hauteur d’environ 2 millions d’euros pour le travail que cet album a représenté.

Ca semble normal, et puisque nul ne nie la place importante de l’artiste dans la société, il faut bien qu’il puisse vivre de son travail.

Mais voilà: comme je le signalais dans un autre billet, 2 millions d’euros c’est à peu près ce que touche un Johnny Hallyday chaque année.

Dans une société qui cherche à réduire l’écart entre les plus riches et les plus pauvres, où l’on commence à chasser les parachutes dorés, je trouve ces montants indécents. Suis-je le seul ?

Mais si seulement ça s’arrêtait là.

Un jour ou l’autre, l’idole des jeunes disparaîtra. Mais l’obole qui lui était versée de son vivant chaque année continuera à être versés à ses ayant-droits. Pendant 70 ans.

Pourquoi ? Quelle est la justification d’un tel modèle économique ? En quoi le travail du maçon qui construit une maison est-il si différent qu’il n’aie pas droit, lui aussi, à des royalties pour toute utilisation future de son oeuvre jusqu’à 70 ans après sa mort ?

Je dis, j’affirme, que — s’il n’est pas question de remettre en cause la notion de droit patrimonial d’une oeuvre — il serait grand temps par contre de revenir un tant soit peu sur les méthodes utilisées aujourd’hui pour rémunérer le travail d’un artiste.

Qu’il dispose de son oeuvre à son gré: fort bien. Qu’il en maîtrise la diffusion: excellent. Qu’il touche du fric sur chaque utilisation de son oeuvre une fois celle-ci (plus que) largement rémunérée: pourquoi ?

Aujourd’hui, voici comment les choses se passent pour la très grande majorité des artistes: la SACEM touche l’argent des concerts, celui des ventes d’albums, celui des passages télévisés et radiodiffusés, celui des chorales (eh oui). Plus une taxe sur tous les supports physiques vierges (CD, DVD, cassettes, VHS…) existants. Et j’en oublie certainement. Pourquoi pas une taxe quand on chante sous sa douche.

La «license globale» viendrait en sus, donc, pour équilibrer un manque à gagner (qui n’existe pourtant pas) dû au peer to peer.

Ensuite, en fonction du nombre de diffusions, l’argent est réparti entre les membres (moins une petite centaine de millions d’euros par an pour ses frais de fonctionnement, quand même, il faut bien vivre).

Ce qui fait que plus un artiste est connu, plus il est diffusé, plus il gagne. Une sorte de prime à la popularité (ce qui explique entre autre la fabrication de célébrités des Star’ac et autres). Ca semble logique.

Logique ? A voir. Et c’est là le fond du problème à mon sens: ce système peut sembler juste, mais force est de constater qu’il ne l’est pas.

Quelques artistes gagnent (ainsi que leurs enfants, et petits-enfants) des millions d’euros par an alors que d’autres sans doute tout aussi talentueux et utiles à la société mais n’ayant pas eu la chance d’être connus végètent avec bien moins qu’un SMIC.

Ces gens font le même métier. Le même travail.

On peut comprendre qu’un maçon mieux connu qu’un autre ait plus de chantiers et (donc) gagne plus que son concurrent, mais en contrepartie il fournit plus de travail. Quel travail un artiste fournit-il lorsqu’une copie de sa musique est échangée sur Internet ? Aucun.

On peut aussi supposer — il faut bien se baser sur quelque chose — que la popularité d’un artiste joue sur sa rémunération.

Mais avec de telles disparités ? Nulle part ailleurs que dans le milieu artistique de telles différences de ce qu’il faut bien appeler un salaire ne serait accepté. Ni acceptable.

Alors, par pitié, un peu de retenue mesdames et messieurs les artistes (connus, ça va sans dire) qui se sont déclarés favorables à HADOPI. Vous êtes des privilégiés parmi les privilégiés, des nantis parmi les nantis, vous continuez à gagner de l’argent sur un travail déjà largement rémunéré depuis des années, vos enfants continueront de gagner de l’argent sans rien faire, et vous osez venir pleurer dans les chaumières sur votre pseudo manque à gagner ?

C’est indigne.

J’attends, moi, de vous voir vous battre non pas contre ceux qui vous aiment et vous écoutent mais contre ceux qui vous plument sans autre raison que de voir perdurer des professions destinées par nature à disparaître. J’attends, moi, de vous voir vous battre pour une plus juste répartition des sommes perçues par les sociétés d’auteurs. J’attends d’ailleurs que vous vous révoltiez contre le mode de vie somptuaire de ces sociétés d’auteurs.

Et j’espère qu’un jour vous aurez assez d’honnêteté et de conscience pour limiter la durée de votre droit d’auteur à quelque chose de socialement acceptable, fut-ce au prix pour vos enfants d’être — les pauvres — obligés de travailler pour vivre. Par exemple en fixant un montant limite à partir duquel vous vous considèrerez comme ayant été assez payé pour une oeuvre afin qu’elle passe dans le domaine public. Ce ne serait que justice.

Il est grand temps qu’une véritable réflexion s’engage sur ces sujets là et qu’on cesse de considérer le modèle actuel comme intouchable et indiscutable.

Et, par pitié, cessez de vous plaindre et tâchez d’écouter un peu, par exemple, ceux qui n’ont pas la chance d’être aussi connus que vous et qui — eux– défendent le peer to peer et Internet comme moyen de se faire connaître plutôt que comme un danger.