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La vengeance du retour de l’Oric-1.

lundi 5 décembre 2011 à 10:48

Article en attente de relecture par mon nouveau rédac-chef  Spyou.

Quand j’étais jeune — à l’époque où le Minitel n’était même pas encore entré dans nos foyers, c’est dire — j’ai commis ce qu’il faut bien appeler un livre (bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’un banal recueil de listings de programmes en Basic pour le micro-ordinateur Oric-1).

Bien que forcément génial et résolument innovant (il y avait, je me souviens, des plumes qui tombaient aléatoirement du haut de l’écran et qu’un poussin devait récupérer en bas malgré leur trajectoire bizaroïde), il ne s’en est guère vendu et mon éditeur de l’époque m’en avait expliqué ainsi les raisons:

 - «Tu vois, on est une petite maison. Du coup on est pas distribués partout comme les grands, qui peuvent dire — par exemple à la FNAC -: prenez-moi tous les livres que je publie, même les daubes, et diffusez-lez. Sinon quand je publierai un grand auteur connu je me passerai de vos services».

Ce fut ma première expérience dans le domaine de la distribution et j’en ai retenu une règle: qui maîtrise un réseau de distribution maîtrise le contenu qui y est diffusé (j’ai aussi retenu le fait que mon génie ne serait jamais reconnu à sa juste valeur mais c’est un tout autre sujet).

C’est bien sûr une évidence; chacun sait que telle chaine de grands magasins peut choisir les produits qu’elle distribue, en fonction entre autres de ses marges-arrières, et mettre en valeur tel ou tel jambon, faisant et défaisant le succès de marques sans le moindre rapport   avec leurs qualités intrinsèques. Mais pour moi c’était une découverte:    ainsi donc le succès n’avait rien à voir avec la qualité mais tout à voir avec la puissance de diffusion ? Quel choc !

Nous voici des décennies plus loin. Le Minitel n’est plus qu’un vague souvenir: de nos jours le réseau n’est plus centralisé chez une entreprise qui peut décider de qui aura le droit ou non de diffuser des contenus (et prendre sa dîme au passage). C’est le règne d’Internet.

Aujourd’hui plus personne ne contrôle la distribution des données. Bien sûr certains tentent de profiter de leur position — relativement centrale — pour sélectionner des produits qui leur rapporte plus que d’autres: un Orange va faciliter le flux d’un Dailymotion — qu’il possède — pendant qu’un Free va laisser se dégrader celui d’un Youtube — qui lui coûte. Mais, l’un dans l’autre le consommateur est plus ou moins libre de choisir les contenus qui lui plaisent plutôt que les contenus choisis par des intermédiaires autrefois tout-puissants.

Sauf que.

On dit depuis toujours qu’Internet tend à faire disparaître les intermédiaires. Et c’est vrai, bien sûr. N’importe quel fabricant de jambon peut désormais proposer son produit en ligne sans avoir à baisser sa marge au point de risquer la faillite (tout en garantissant la fortune de  son distributeur). Mais bizarrement je ne trouve pas beaucoup de vendeurs  de jambons (sauf ceux auxquels tu penses, lecteur mâle) dans mes bookmarks.

Il faut dire, bien sûr, que tout produit physique doit encore être transporté jusqu’à son client final, via un intermédiaire lui aussi physique qui restera encore incontournable (jusqu’à l’invention du téléporteur). Ca complique. Il faut une logistique qui coûte cher. Autant dire que le jambon au prix du café  (private joke) n’est pas pour demain. 5 des 25 plus grandes fortunes de  France sont des distributeurs, et ce n’est pas demain qu’ils iront mendier sous les ponts. D’accord.

Mais tout ce qui est distribué n’est pas (ou plus) physique. Ca fait combien de temps que vous n’avez plus été faire les boutiques physiques pour acheter un jeu pour votre smartphone ? Le marché du logiciel est presque totalement  devenu virtuel et plus aucun développeur n’a besoin de subir le racket^h^h^h passer par un réseau de distribution pour vendre directement un programme à ses clients.

Oh. Wait. A part les développeurs de logiciels pour produits Apple. Oh. Wait. Et à part les développeurs Android. Oh. Wait. Et à part les développeurs de jeux pour consoles.

Euh, quelque chose cloche, non ?

Je dis souvent que rien ne vaut les anciennes recettes pour faire fortune dans les nouvelles technologies. Et je ne suis pas le seul à le savoir.

Vous avez remarqué la façon dont, depuis quelques années, les «appstores»    se sont développées ? Apple, bien sûr, est le cas le plus flagrant: si vous  achetez (cher) un produit marqué d’une pomme, vous allez devoir engraisser   Apple à chaque fois que vous voudrez acheter un logiciel, un jeu, un film,  une musique. Parce que pour installer quoi que ce soit sur votre iTruc, vous devez passer par iTunes.

Bien sûr que Steve Jobs était un génie. La question ne se pose même pas.

Un génie du commerce.

Dans un monde de produits très fortement dématérialisés (et ne nécessitant plus le moindre intermédiaire entre l’auteur et le client), il a réussi en intégrant une boutique à son système a rendre sinon impossible du moins très difficile toute diffusion directe du producteur au consommateur. Il a recréé de zéro le modèle ancien de la distribution centralisée grâce auquel l’intermédiaire va se faire une fortune en regardant des clients captifs  acheter des produits mis en vente par des producteurs dépendants. Magique.

En juillet 2010, iTunes représentait un chiffre d’affaire de plus d’un milliard de dollars (dont on imagine facilement quelle part est du pur bénéfice, tant est faible le prix de l’infrastructure associée). Pratiquement un tiers des bénéfices du groupe. Banco.

Google a suivi, bien sûr. Pour être largement diffusé (souvenez-vous de mon petit livre pour Oric), il faut être sur l’Android Market et reverser 30% du prix de votre application à Google (à moins qu’il n’ait activé une option qui lui promet la vérole s’il la valide,  vous pouvez toujours demander à votre client de télécharger l’application ailleurs depuis son PC, puis de la copier sur son téléphone par USB, puis d’utiliser une application tierce pour l’installer. Bon, ben, on va payer, hein ?).

Quoi d’étonnant de voir Microsoft développer son AppStore et d’imaginer en faire le coeur de son futur Windows 8 ?

Vous voulez vendre un eBook ? Votre liseuse va vous imposer de passer par la boutique de son fabricant. Acheter un jeu pour la console du salon ?  Cliquez là. Sous prétexte de cohérence, de compatibilité, de censure même, on vous impose un intermédiaire dont nul n’a plus besoin. Les mêmes recettes. Juteuses.

Il existe pourtant bien un marché, énorme, qui échappe encore à ce retour aux anciens modèles.

Parce que ses promoteurs dormaient sur leur tas de billets depuis trop longtemps, ils n’ont vu le virage du numérique que trop tard. Leurs produits étaient matériels, pensaient-ils, et leur distribution ne risquait donc pas  de leur échapper.

Et puis le MP3 les a réveillés.

Bravo, lecteur: tu as compris que je parlais de musique ! Le CD était déjà numérique, quoi de plus facile que de le dématérialiser, de le compresser  et de le diffuser en dehors de tout réseau de distribution préalable ?

La demande a créé l’offre et, puisque les ayant-droit ne proposaient rien, le public s’est gentiment approprié la chose et a inventé le P2P (qui dans ses premières versions portait un modèle économique basé sur la publicité embarquée dont les majors auraient pu s’inspirer intelligemment). Un modèle totalement décentralisé (donc sans possibilité de rémunérer à l’acte un intermédiaire inexistant), à très faible coût (pas besoin de gros serveurs centralisés capables de répondre à la charge), sans intérêt pour les rares intermédiaires encore présents (pas besoin de bande passante réservée et nécessitant des accords entre le diffuseur et les différents FAI).

Autant dire qu’à part les utilisateurs, personne n’en voulait.

La musique, donc, et dans une moindre mesure le cinéma, et dans une mesure très réduite le livre, se sont réveillés dans un monde dans lequel on n’avait plus besoin de distributeurs. L’horreur.

Heureusement, grâce à l’autre vieille recette («du pain et des jeux»), le monde du divertissement n’est guère plus qu’une filiale des gouvernements. Et donc, l’Hadopi est née (versions 1 et 2, nous verrons la V3 un peu plus loin).

Alors bien sûr, c’est une loi débile. Elle n’apporte rien aux auteurs, elle est une déclaration de guerre entre des commerçants et leurs clients, et elle est largement inefficace. Inefficace ?

Son objectif avoué (réduire le «piratage» par la pédagogie) était-il vraiment son objectif réel ?  Ca reste à démontrer.  Ce qui est sûr c’est qu’elle a bel et bien obtenu quelque chose: la nette réduction de la part du P2P (seul protocole surveillé par TMG pour le moment) dans la distribution des biens culturels.  Et c’est un résultat énorme.  Probablement (ne prenons pas les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages) le seul objectif réel de l’industrie du divertissement (qui aura dans ce cas joliment instrumentalisé les ayant-droits, l’état et la justice).

D’accord, ça ne leur apporte rien. Une bonne part du trafic s’est reporté vers d’autres solutions (streaming, direct download, VPN, newsgroups…). Mais ce rien n’est pas anodin parce que les solutions de remplacement sont, devinez quoi, centralisées (oui copain geek, même les VPN sont par nature   dépendants d’un machin plus ou moins central en face, sur lequel tu vas te  connecter).

Et une fois qu’un marché est centralisé, il suffit de prendre le contrôle du centre pour en être l’unique opérateur (et donc celui qui perçoit la dîme). Et voilà comment on en arrive à Hadopi V3, à la guerre annoncée contre le streaming, au label PUR et au procès Allo.

Certains ont dit (et certains disent encore) que seule une offre l’égale plus étoffée pourra enfin mettre un terme à l’escalade du conflit entre les industriels de la culture et la liberté d’expression. Bon. C’est une évidence: si par exemple il existait dans le domaine musical un site de référence proposant la grande majorité des oeuvres à un tarif correct (c’est à dire tenant compte du faible coût de revient d’un fichier quand on le compare à un disque physique), dans une qualité potable (c’est à dire au moins égale à celle d’un CD), permettant la pré-écoute au moins d’une partie des morceaux… Bref il est facile d’imaginer à quel point une telle offre   réduirait à néant toute l’offre dite «pirate» de la même façon qu’Apple ou   Google ont empêché le développement d’un marché parallèle des applications pour smartphones.

Alors quoi ? Ils ne sont plus que 3 «majors» et ils seraient à ce point incapables de se mettre d’accord pour faire ce qui d’évidence serait LA solution immédiate et acceptée par tous ?

Vous y croyez vraiment ?

Le marché de l’intermédiaire ce n’est pas seulement de toucher du fric sur   chaque transaction. Rappelez-vous de mon premier livre (eh, j’ai la rancune tenace): c’est aussi de pouvoir choisir ce qui sera diffusé, en fonction de ce que ça va rapporter.

Et si demain une offre légale aussi étendue que l’offre «pirate» devait exister, si toute la musique était disponible, même en payant, combien  les intermédiaires pourraient toucher sur des oeuvres dont les droits sont revenus entièrement à leurs auteurs ? Et comment feraient-ils pour pousser les nouveaux auteurs à passer par eux (et à leur  payer l’équivalent des marges arrières des supermarchés) si aucune espèce  de limite n’existait dans l’offre globale ?

Parce que ces limites, anciennement physiques (la place dans les bacs des disquaires), justifient l’existence de celui qui fait le tri entre ce qui doit être diffusé et ce qui restera méconnu. Que sinon c’est toute la chaine de valeur du marché de la distribution qui s’effondre (trop de choix, peu de marges, risques de procès pour abus de position dominante, et j’en passe).

Et si, plutôt que de croire que les majors sont stupides, on se faisait à cette idée: elles ne veulent pas d’une offre légale étendue parce que ce serait un nouveau modèle dans lequel elles ne seraient plus forcément les principaux intermédiaires ?

Ca ne fait pas disparaître la nécessité de re-centraliser le marché: pour qu’il y ait quelque chose à contrôler, il fallait bien réduire la part du P2P. Ca ne change pas le besoin de faire la guerre aux mafias du direct download (qui se sont développées grâce à l’Hadopi): on ne va pas laisser des nouveaux venus nous piquer notre marché à nous qu’on a. Ca ne modifie pas le futur équilibre des forces: les FAI — devenus partenaires commerciaux — seront trop contents de faire une plus-value sur la bande passante spécifique qui sera négociée pour favoriser tel ou tel, plutôt que de voir tout ce manque à gagner dilué dans le brouillard du P2P. Et puis ça permet à terme une censure (qu’on nommera filtrage et /ou régulation pour faire plus pro) qui redonnera à la parole des politiques toute sa valeur. Sans parler des gros artistes vendeurs qui ne voudraient quand même pas trop que le public puisse choisir la qualité plutôt que le produit qu’on aura choisi pour lui.

On pourra même faire un procès à tous les intermédiaires existants pour leur fournir une justification légale au filtrage, à la fin de la neutralité et aux futurs accord commerciaux.

Tout le monde y gagne (sauf le consommateur, mais on s’en fout: on parle de pouvoir et de gros fric, là).

Bienvenue dans le monde d’hier.

Ebook.

lundi 24 octobre 2011 à 11:08

 

Je ne crois pas à l’avenir de l’ebook.

Ce n’est pas de la prospective, hein. Je dois bien constater que le marché  existe, qu’il se développe, que les lecteurs sont légers, pratiques, qu’il   existe une demande… Tout ça. Je ne suis pas aveugle.

Non, c’est plus une profession de foi que je fais là: je ne crois pas que l’espèce humaine soit prête à se passer du machin en papier 1.0 dont on tourne les pages à la main, avec lequel on s’endort un doigt coincé sur la dernière ligne déchiffrée, qui bouffe l’espace de nos murs et qu’on n’aime pas jeter même quand il est fini. Ce n’est pas comme un disque, un livre. Ca ne se dématérialise pas comme ça.

 

Ca fait plus de 2000 ans qu’on vit avec l’écriture, et cinq siècles avec le livre imprimé. A côté de ce jeune histrion qu’est le disque, et qui peut bien évoluer à la vitesse des nouvelles technologies si ça l’amuse — c’est  de son age — quand on a vécu aussi longtemps que le livre on ne change pas de support pour un oui pour un non.

 

Donc bon bref, j’adhère pas. J’ai une tablette tactile et un smartphone et des appareils photo numériques et un ampli 7+1 et une télé tnt, tout est numérique chez moi, mais je conserve mes vieux bouquins analogiques, merci mais non merci je veux pas de Kindle malgré mon appétit de geek de base.

Ceci-dit quand une amie, française mais mariée à un étranger et qui vit à  l’étranger, vient me voir et me dit qu’elle en utilise un, je peux la   comprendre: elle vient en France tous les 3 ans, et rentrer aux pays avec  une valise pleine de livres en français (pour ne pas oublier sa langue natale et la faire partager à ses enfants bilingues) c’est pas facile. C’est lourd, un livre, et les compagnies aériennes ne sont pas connues pour leur amour  excessif des excédents de bagages.

Bien sûr elle peut demander à Fnamazon de la livrer dans son loin, mais  c’est cher de faire livrer à l’étranger. Et souvent les sites en ligne en France refusent le Visa de sa CB. Du coup elle profite de ses (trop) rares passages au pays. Du coup je veux bien l’y aider quand elle est là.

Voilà.

Ce court préambule (eh ben non c’est pas fini) pour vous expliquer pourquoi  moi, opposant notoire, je me suis retrouvé à essayer d’acheter ces putains de fichiers DRMisés aux formats hétérogènes avec ma CB de souche en lieu et place de ma copine (qui me remboursera par paypal, faut pas déconner).
Eh ben c’est pas facile.

Déjà ça commence avec : «c’est quoi ton e-reader, parce qu’il y a plusieurs format ?». Son truc lit les ePub. Soit. Je demande donc un ePub à la FNAC mais non, le livre qu’elle voulait pour une de ses gamines existe pas dans ce format. Tant pis, on change de livre, mais la Fnac plante quand elle essaie malgré tout de payer avec sa CB (mais en indiquant l’adresse postale de son frêre en France).

On appelle le SAV et là on nous dit que le site est en panne (oh ?) et qu’on ne pourra pas nous dire avant midi si l’achat a fonctionné. On attend midi, donc. Et là sans surprise on nous apprend que non, si la CB est à un nom et l’adresse postale à un autre, alors l’achat ne sera pas validé pour des questions de droits de diffusion. Si elle avait commandé un vrai livre en papier, alors ok ça on peut, mais un ebook non, parce que.

Du coup, dépité, je vais me charger de payer pour elle (sur un autre site du coup parce que la Fnac a pas été gentille). Je réussis à mettre dans mon panier virtuel toutes les références  virtuelles de livres virtuels qu’elle désire. Je suis très fort. Je paie et je constate que non ça ne valide pas tout de suite (sans doute encore ces questions de droit de diffusion) mais qu’on m’écrira plus tard pour me dire si oui ou non j’ai réussi à acquérir  le droit de télécharger sur son disque externe les ouvrages tant convoités.

Victoire: 10mn plus tard je reçois le sésame. Je me connecte à mon compte, je vais dans «ma bibliothèque», je télécharge… Un fichier de 1350 octets.

Malgré les progrès des algorithmes de compression je me doute qu’il ne  s’agit pas d’un livre, alors j’ouvre et je vois un petit fichier XML sans intérêt qui décrit le livre que je voulais. Je vérifie que j’ai bien cliqué où il fallait, que je me suis pas trompé de téléchargement, mais non c’est bien ça. Et Google m’explique: il faut que j’installe un logiciel de chez Adobe pour pouvoir lire _et_ télécharger. Ah ok. Mais qu’il n’existe pas sous Linux. Ah ok.

Je sors ma carte joker Virtualbox, prévue pour les cas difficiles, et je  recommence sous Windows.  Mais je m’arrête: on m’explique que si je m’exécute, j’aurai utilisé une des 5 possibilités de téléchargement que   j’ai (si difficilement) acquises. Comme je ne connais pas la dextérité numérique de mon amie et qu’en plus j’ignore s’il me sera possible de sauvegarder ma copie sur son disque une fois que ma Virtualbox l’aura reçue, je ne vais pas prendre le risque de gâcher un droit acquis au prix de tant de luttes sociales.

Il vaut mieux que je lui file mon mot de passe (tapioca): maintenant que c’est payé elle pourra (sans doute) télécharger directement depuis son e-reader sur mon compte. Même depuis l’étranger. A moins qu’ils ne repèrent son IP étrangère et qu’ils ne lui interdisent le download (téléchargement en étranger) pour des questions de droit de diffusion. On verra. C’est mieux comme ça. On a déjà passé 3h sur ce coup-là.

L’histoire pourrait s’arrêter là, mais en fait non.

Profitant de son départ rituel de touriste pour la visite des musées parisiens en grève, je tape sur Google «ebook français download». Je trouve un lien vers un fichier contenant plus de 1000  références, chacune publiée  dans 5 formats différents. Je clique sur le lien. Une demi-heure plus tard il y avait 1002 livres en français copiés dans son disque externe.

Je vais pas la revoir avant 100 ans — elle a plus besoin de venir, du coup — mais je suis sûr d’un truc.

Le piratage a de beaux jours devant lui.

 

Droit à l’oubli, devoir de mémoire.

mercredi 28 avril 2010 à 15:23

Evacuons l’aspect parano du bidule: je ne peux pas m’empêcher de penser que les promoteurs de ce fameux «droit à l’oubli» sont ceux qui ont le plus de choses à faire oublier.

Bien sûr il y a quelques exemples de simples quidams qui voient leur vie détruites par un(e) ex qui diffuse des photos privées. De même qu’il y a toujours un fait divers qui justifie telle ou telle loi répressive. Mais comment ne pas se souvenir que les casseroles de nos politiciens sont bien plus lourdes à porter  que celles des simples citoyens que nous sommes ?

Un élu pris en possession d’images pédophiles, d’autres élus dont le passé délinquant de voleur de simca 1000 ressort des années plus tard, et plus légèrement (mais pas moins important) tout un tas de petites preuves des mensonges, promesses non tenues, propos déplacés ou racistes. Toutes ces choses qu’on trouve sur Internet et dont le rappel incessant dérange ceux qui nous gouvernent.

Et qui veulent ce «droit à l’oubli».

Comment ne pas faire le parallèle ?

Passons.

Plus généralement, il suffit de remettre les choses en contexte pour s’apercevoir que ce pseudo droit n’est qu’une variation du manque d’éducation du public à ce véritable droit qu’il a récemment acquis: le droit à la liberté d’expression.

La chose a été dite et redite, y compris par votre serviteur: il n’existait pas, avant qu’Internet ne soit devenu un outil largement disponible, de véritable droit de parole publique. Nos textes fondamentaux le prévoyaient, oui, mais dans les faits il n’existait aucun media suffisament facile d’accès pour que  chacun puisse se dire «oui, je peux publier si je le souhaite».

La prise de conscience liée à une telle révolution est lente à se faire: beaucoup considèrent encore que, lorsqu’ils utilisent le réseau pour publier, ils le font auprès d’un cercle restreint de proches. Il n’est pas si facile de s’approprier un nouveau droit, et encore moins de s’investir des responsabilités qui vont avec.

Quand on a été éduqué pour ne prendre la parole qu’après l’accord de la maîtresse, une fois qu’on l’a dûment demandée en levant la main. Quand on est élevé pour se taire devant la télé, puis pour «donner sa voix» à un représentant  et se taire ensuite. Quand on a été formé à lire ou écouter les avis des penseurs  accrédités par les medias classiques sans pouvoir leur répondre autrement que devant la machine a café, il est bien difficile de se faire à l’idée qu’on peut (qu’on  doit ?) s’exprimer librement, sans censure préalable, devant le public le plus  large qui soit.

Reste ensuite à faire le pas suivant: toute liberté ne va qu’avec une responsabilité dont — visiblement — les tenants du droit à l’oubli ne souhaitent pas se charger. S’exprimer sur Internet ne va qu’avec le devoir de mémoire qui accompagne toute prise de parole publique. Et dans le cadre ancien des medias classiques, on a vu se développer des banques de mémoire (Bibliothèque  Nationale, INA…) pour garantir cette mémoire.
Car le poids d’une parole accessible à chacun ne peut aller sans l’énorme responsabilité d’assumer ses propos y compris des années plus tard, alors même que tel leader écologiste souhaiterait que tous oublient, par exemple, qu’il a tenu des propos ambigus sur la sensualité des plus jeunes. Mais ce n’est pas possible, et il faut vivre avec: car ce qui a été dit en public ne peut plus être effacé non seulement de la mémoire des vivants mais aussi de celle de leurs  descendants.

Tel est le prix dont il faut accepter de s’acquiter pour bénéficier — enfin — de la liberté d’expression. Et il est lourd, et c’est parce qu’il est lourd que cette liberté  est aussi belle, aussi grande, aussi exceptionnelle.

Se priver de le payer rendrait désormais vulgaire et sans importance les prises d’opinions, où qu’elles soient publiées, et d’abord sur Internet puisque les  tenants de l’oubli veulent justement le restreindre à ce média.

Pour mieux remettre à son ancienne place l’expression du public ?

La concurrence de la parole

mardi 15 septembre 2009 à 18:36

En suivant les débats sur HADOPI, je me disais… 28 millions d’abonnés à Internet en France. Plus d’un foyer sur deux. Un chiffre banal, après tout. Quoi de plus normal de nos jours? Et pourtant, qui peut dire ce que signifie le fait que 28 millions de personnes aient désormais, dans ce pays, accès à la parole publique?

Que deviendra le monde associatif et politique quand il verra arriver le flux de millions de gens désormais habitués à prendre la parole ?

Car la révolution, la vraie, n’est pas à chercher dans l’aspect technologique de la chose. C’est le côté sociologique qui est passionnant. Penser un avenir où tout citoyen pourra non seulement débattre publiquement de ses opinions, mais aussi apprendre à les confronter à d’autres, mais encore réussir à se convaincre que sa parole est toute aussi importante que n’importe quelle autre.

Que sera un monde dans lequel les enfants n’auront plus à demander la parole pour l’obtenir, au gré des parents et des maîtres, puis des médias et des politiciens ?

Est-ce que nos dirigeants ont bien mesuré la chose ? J’en doute. En s’attaquant à la liberté d’expression sur Internet, comme ils le font en critiquant et en hadopisant, ils ne font pas que se heurter à une technologie définitivement non régulable. Ils lèvent aussi, contre eux, toute une génération de futurs acteurs qui seront devenus conscients de leur pouvoir et de leurs actes, et qui auront été formés comme jamais au fonctionnement de nos institutions, comme le sont tous les gamins qui ont suivi les débats et les méandres du feuilleton d’Hadopi.

Ils élèvent, de fait, tous ceux qui les enterreront par des compétences acquises à la dure — et autre part que sur les bancs bien sages de Science-Po et de l’ENA. Car que dire sinon la désolation que provoque l’écoute de ces politiciens professionnels, visiblement dépassés par un dossier qu’ils ne maîtrisent pas, qui avouent leur méconnaissance totale de cet outil pourtant utilisé par la majorité de leurs électeurs, et qui tremblent de peur devant cette évolution qu’ils n’ont ni voulue ni prévue ?

Comment croyez-vous que va réagir l’étudiant né dans le monde numérique quand il écoute un député annonant des arguments débiles («dans 20 ans plus personne n’achètera de CD», quel visionnaire!), mauvais orateur, répétant à l’envi des antiennes largement démontrées comme étant de purs mensonges ? Que croirez-vous qu’il se dira, sinon qu’un député grassement payé à ne presque rien faire ne mérite pas son poste ?

Car c’est vers ça qu’on se dirige, si vous m’en croyez. La révolution ne viendra pas des urnes, ou pas seulement, mais bien surtout de la réaction non aux idées mais à l’indigence des débats publics quand on les compare à la richesse des débats numériques.

Combien de bloggeurs d’aujourd’hui seront nos penseurs de demain ? Et quel talent, si l’on les compare à nos tristes habitués des plateaux télé. Quel verbe que celui d’un simple utilisateur de Twitter, habitué à faire passer son opinion en seulement 140 caractères, quand on le compare aux discours mal rédigés par des attachés parlementaires bien palots.

Et que croyez-vous que pensent tous ces utilisateurs d’Internet, lorsqu’ils s’envoient des adresses de billets tous plus intelligents les uns que les autres, quand ils constatent la bétise flagrante de ceux qui sont sensés les représenter mais ne représentent finalement que les intérêts des grands industriels pourvoyeurs de financements politiques et de futures reconversions dans des postes de parachutistes dorés ?

Certes, il faudra du temps. On ne passe pas du jour au lendemain de MSN à la politique. Mais ce temps là sera passé en lutte, et ces luttes accoucheront d’hommes d’État, je veux le croire, plutôt que d’hommes politiques. Elle seront menées contre la réaction à une évolution nécessaire et inéluctable de nos sociétés, et parce qu’elle se heurteront à cette réaction, elles ne feront guère de réactionnaires. Et les premiers mouvements comme les différents «partis pirates» d’Europe ne sont que les prémisses d’un futur qui balaiera je l’espère la caste des parlementaires, idiots inutiles de la République.

C’est vrai : nul ne peut dire ce qu’il adviendra. Mais je peux sans trop de risque, après avoir observé l’évolution d’Internet depuis près de 20 ans maintenant — 20 ans déjà — prédire que le futur ne sera pas rose pour ces politiciens qui n’ont jamais connu de réelle concurrence et qui vont devoir s’y résigner.

A ceux qui les ont conduits au désastre

dimanche 13 septembre 2009 à 18:43

Pour être un tant soit peu audibles lors du combat contre Hadopi, les opposants à la loi se sont retrouvés presque contraints de faire — à leur tour — des propositions pour «sauver» des artistes soit-disants spoliés par le P2P. Le présent ouvrage développe même certaines de ces options.

Le risque, quand on fait de telles propositions (license globale, «contribution créative»), c’est de justifier les mensonges des majors: si l’on cherche des solutions pour rémunérer les musiciens, c’est bien la preuve que le P2P leur fait perdre de l’argent…

Il faut en effet se rendre à l’évidence: le bourrage de crâne des tenants de la répression (quels que soient leur buts réels) a tellement bien fonctionné qu’il a définitivement ancré dans l’imaginaire collectif l’idée que l’échange d’oeuvres numériques impliquait un manque à gagner pour les artistes, qu’il faudrait combler d’une manière ou d’une autre.

Or, à ce jour, nul ne sait si c’est une réalité ou non.

Les études réellement indépendantes des majors (Industry Canada, UFC-Que Choisir, Gouvernement néerlandais, OCDE, ADAMI…) s’orientent toutes vers la même réponse: s’il y a un impact du P2P sur les ventes de disques, celui-ci est minime, voire même plutôt positif.

En tout état de cause, aucune étude sérieuse n’a encore pu établir de corrélation entre le P2P et la crise du disque.

Soyons clairs: personne ne nie la réalité de cette crise. Les ventes de CD ont culminé à plus de 150 millions d’unités en 2002 pour chuter à près de 90 millions en 2006.

Mais affirmer, comme le font les gouvernements, la SNEP (Syndicat National de l’édition Phonographique) ou l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry), que cette chute des ventes est à attribuer au seul partage de fichiers est au mieux une grande exagération, au pire un mensonge pur et simple.

Les faits sont là: si l’on cesse de se focaliser sur la musique pour s’intéresser, par exemple, au marché du DVD, on constate que ce dernier est florissant. Malgré le P2P (ou grâce à lui), les ventes de DVD sont en hausse de 11% au premier semestre 2009 (on pourrait à loisir étudier le jeu vidéo, lui aussi aisément copiable et largement piraté, dont le chiffre d’affaire a augmenté de 22% en 2008 par rapport à 2007 qui était déjà une année exceptionnelle).

Or le DVD est soumis à une pression identique: son format est numérique — et donc aisément copiable, «l’offre» pirate est très large et va jusqu’à devancer les sorties officielles, et la généralisation du haut-débit permet de partager un film complet en moins d’une heure. Selon Luc Besson lui-même il n’y aurait pas moins de 500000 films piratés par jour en France. Et pourtant on a jamais vendu autant de DVD.

Comment expliquer ce phénomène ?

Il faudrait pour répondre de façon sérieuse que nos gouvernants, au lieu den’écouter que les sirènes des   artistes manipulés par leurs éditeurs, veuillent bien diligenter des études dignes de ce nom, car le sujet est complexe. Tout au plus est-il possible de proposer quelques pistes qui semblent largement aussi réalistes que celle du P2P.
D’abord et avant tout, il faut rappeler l’évidence: le budget culturel des ménages n’est pas extensible à l’infini. Avec l’essort des consoles de jeux, l’augmentation des ventes de DVD, les lecteurs MP3, les records d’entrées du cinéma, les appareils photos numériques, les forfaits de téléphonie mobile pour toute la famille, le prix des abonnements à Internet fixes et mobiles, il n’est guère surprenant qu’un rééquilibrage se fasse au détriment d’une industrie musicale qui n’a jamais su se renouveller.

Pendant que l’industrie du cinema inventait les cartes d’abonnement, les multiplex, le home-cinema, la  VOD et la haute définition, celle du disque s’est repliée sur un CD vieillissant, des taxes toujours plus  injustes, et une offre légale dégradée et très limitée (impossible par exemple d’acheter sur Itunes ni ACDC ni les Beatles).

Certes, l’invention du CD a poussé toute une génération à renouveler sa discothèque vinyle, mais ensuite, une fois celle-ci reconstituée, est-il étonnant que les ventes diminuent alors même que l’offre elle-même diminuait en parallèle ?

Le rapport 2008 du DEPS (Département des études de la prospective et des statistiques) [1] sur la Culture est à ce titre éclairant: le nombre d’albums produits en France par les 4 grandes majors était de 2672 en  2001 et de 1245 en 2006. L’offre a donc été divisée par deux en 5 ans. Et l’on attribue la chute des ventes au seul P2P ? Surprenant…

Pourtant, selon la même étude, la proportion des 11–65 ans ayant acheté au moins un disque au cours des 12 derniers mois est stable (en moyenne 77%). Et les concerts voient leur fréquentation augmenter  régulièrement.

Visiblement les français ne se sont pas totalement détournés de la musique payante, mais force est de  constater que nous en achetons moins qu’avant. Pourquoi ?

Peut-être devrions-nous nous interroger sur le prix moyen d’un album ?

Reprenons notre exemple du DVD. Selon le baromètre CNC-GFK, son prix moyen observé était de 15 euros en 2004. Selon Bernard Miyet (Président du directoire de la SACEM), le prix moyen d’un CD en 2008 était de 14,40 euros [2].

C’est étrange: il semble évident que le nombre d’artistes et techniciens impliqués dans la création d’un film est en moyenne bien supérieur à celui que nécessite la sortie d’un album de musique. Est-ce à dire que les acteurs sont moins bien rémunérés que les musiciens ? On n’ose le croire.
Il existe une façon simple de comparer ces deux objets: il est coutumier que la musique d’un film soit  commercialisée sous forme de CD alors même que le film dont elle est tirée est disponible en DVD. Et à tout  seigneur tout honneur, prenons l’exemple de Luc Besson (grand défenseur d’HADOPI).

Chez Amazon, le premier prix pour le DVD du «Grand Bleu» est de 13,99 euros.
Toujours chez Amazon, le premier prix pour le CD de la bande originale est de 6,68 euros. Un prix particulièrement peu élevé puisque (encore chez Amazon) le téléchargement de cet album coûte lui… 9,99  euros!

Un bon exemple donc, tant il est rare de trouver des albums à un prix aussi bas. Cependant la question reste posée: si Eric Serra à lui seul représente la moitié du prix du DVD, comment sont rémunérés les  producteurs, réalisateurs, acteurs et techniciens qui ont participé au film ? A lui seul le musicien aurait  coûté autant qu’eux tous ?

Difficile à croire. Et pourtant l’exemple est parlant: si l’industrie du cinéma a su adapter ses tarifs à un  public très large, celle de la musique est restée coincée à une époque faste où elle ne subissait pas la concurrence de tous les autres spectacles.

Comment s’étonner alors que les ventes de DVD soient au beau fixe tandis que celles des CD est en chute  libre ? Et pourtant tout ceci n’a toujours rien à voir avec le P2P.

Prix élevés, offre limitée, environnement culturel de plus en plus concurrentiel et un monde de la musique  qui n’a pas su se renouveler…
Voilà — sinon les causes réelles de la crise — au moins des pistes qui mériteraient autre chose qu’un simple  haussement d’épaule quand ont affirme sans la moindre preuve que le P2P est la cause unique de tous les maux.

Mais alors, que faire pour sauver la musique et les musiciens ?

Avant toute chose, il est une autre idée reçue qu’il faudrait démolir: non, la crise du disque (quelles qu’en  soient les raisons) ne menace pas la diversité musicale. Non seulement la musique a toujours existé depuis que l’homme est l’homme et existera toujours (qu’(elle soit ou non rémunérée) mais de plus l’essort des musiques libres (Dogmazic, Jamendo…) prouve que les problèmes de l’industrie du disque n’affectent en  rien la créativité.

Il faut en effet bien séparer deux choses: un circuit de distribution en crise d’un côté, et des auteurs de l’autre. S’il est de bonne guerre pour les majors d’avoir su mettre de leur côté les artistes en les dressant contre leur public, ce n’est pas une raison pour tomber dans le même piège: les artistes ne sont pas  responsables, sinon par leur silence, des dérives d’une profession qui n’a pas su s’adapter. Ils en sont les  victimes, tout comme leur public.

Car non seulement cette industrie n’a pas su évoluer face à la concurrence des nouveaux médias, mais en plus elle n’a même pas su s’adapter à la réalité numérique. Comment expliquer qu’un format médiocre, le MP3, soit devenu l’alpha et l’omega de «l’offre légale» alors même que ce format dégradé (trop compressé, le MP3 implique une perte de qualité par rapport au CD et à d’autres formats comme le FLAC) était celui de la  musique piratée ?

Comment comprendre que, plutôt que de choisir d’offrir des tarifs revus à la baisse pour une qualité revue à la hausse, face à «l’offre» pirate, les distributeurs aient choisi d’offrir… La même chose que ce qui était déjà largement disponible gratuitement sur les sites de P2P ?
Il y avait pourtant là une opportunité évidente de développer l’offre marchande: face à des chansons dépareillées, des albums mutilés, une qualité médiocre (c’était l’état du P2P en 2002), il était possible de proposer à la vente des albums complets, sans perte de qualité, et à un prix correspondant aux économies réalisées dans la diminution des intermédiaires (plus de marge des distributeurs) et dans le prix de revient de «l’objet» CD. C’était une occasion unique!

Làs, et l’on ne peut que s’interroger sur les raisons qui ont conduit à ces choix: ce marché qui se plaint tant de la concurrence a refusé de s’adapter, en n’offrant qu’un répertoire très réduit, de qualité médiocre et à des tarifs parfois plus chers que l’album physique.

Face à une crise sans précédent, on aurait pu penser que le marché s’adapterait, en présentant une offre attrayante et un visage avenant. Mais comment penser que le public préfèrera — surtout sous la menace! — un choix légal plutôt qu’une offre «pirate» qui — oublions son prix — est tout simplement meilleure ?

Pendant que du côté du P2P l’offre de qualité s’étoffait, l’offre légale régressait et inventait les DRM  (protections anti-copie) de sinistrre mémoire. Une erreur de stratégie qui confine à l’aveuglement.
Une fois de plus il serait bon que l’Etat s’interroge: comment peut-on penser qu’une loi telle qu’HADOPI poussera le public vers une offre légale qui n’a même pas été capable d’anticiper de telles évidences ? Est-ce  à l’Etat de légiférer pour sauver une industrie qui ne sait pas s’adapter alors même qu’elle en a tous les moyens ?

Mais il est vrai que le monde de la musique commerciale semble particulièrement réactionnaire, à toujours vouloir à tout prix figer ses modèles économiques dans un passé révolu, même face à une révolution telle qu’Internet.

Il suffit de se pencher sur son évolution pour s’en convaincre. Par exemple, quand à l’époque de la cassette audio nous avons entendu déjà le même discours catastrophique sur le manque à gagner dû à la copie, et plutôt que d’adapter son modèle économique, il a imposé la création d’une taxe sur les bandes magnétiques  sensé limiter le manque à gagner.
Cette taxe a, depuis, été étendue à tous les supports physiques numériques: non seulement vous la payez quand vous achetez des CD vierges (ce qui pourrait se comprendre, le support étant le même que celui sur lequel est vendue la musique «physique»), mais aussi lorsque vous achetez un disque dur externe et même (on croit rêver) lorsque vous achetez une carte mémoire pour votre appareil photo numérique!

Plutôt que d’adapter leurs infrastructures en fonction d’un marché en constante évolution, les majors et les sociétés d’auteurs n’ont su que créer de nouvelles taxes pour maintenir à flots un modèle économique du passé, alors que la musique (qui ne les a pas attendu) s’est dématérialisée (d’abord en passant du CD  physique au lecteur MP3 portable puis en essaimant partout sur Internet), que l’offre s’est élargie (loin de la gestion de la pénurie qu’impliquait un espace physique limité dans les étagères des disquaires), et que les  musiciens eux-mêmes se réjouissaient d’atteindre un public de plus en plus large.

Et lorsque les taxes n’ont plus suffit à équilibrer les pertes induites par cette incapacité à évoluer, les mêmes  ont fait voter des lois (DADVSI en France) supposées limiter par la loi les moyens techniques de la copie (dont les supports restaient pourtant taxés). Et créer encore avant des CD non copiables et qui avaient le «petit» inconvénient de n’être plus lisibles sur tous les lecteurs CD du commerce.

Pire encore, non contents d’imposer des formats incompatibles avec les divers lecteurs CD et MP3 du marché, les distributeurs et les ayant-droit ont multiplié les procès ubuesques et réclamé des avantages  inconvenants.
Qu’on en juge par ces quelques exemples récents:

- en France, le 25 juin 2009, un homme de 36 ans se voit réclamer par la SACEM pas moins de 10000 euros pour avoir téléchargé 4 ans plus tôt de la musique commerciale.

- Aux USA, une mère de famille célibataire est elle condamnée le 19 juin 2009 à verser près de 2 millions de dollars pour avoir téléchargé illégalement 24 chansons.

- le 1er aout 2009, un américain de 25 ans était à son tour condamné à payer 675000 dollars pour avoir téléchargé 30 morceaux de musique.

On peut comprendre la volonté de «faire des exemples», mais comment penser une seule seconde que son image sortira indemne de tels procès ? En criminalisant une activité aussi largement répandue, le monde de la musique ne fait que des martyrs et ne risque pas de faire pitié. Comment peut-on croire que c’est par  la coercition et la menace qu’on attirera à nouveau les clients ? C’est, là encore, faire preuve d’un bel  aveuglement.
Et ce n’est pas tout. Faisant encore une fois montre d’un appat du gain et d’une courte-vue sans commune  mesure, on a vu depuis peu les sociétés d’auteurs réclamer carrément des royalties sur les sonneries de téléphones lorsque ceux-ci jouent en public un morceau d’oeuvre protégé [3], effacer du compte Youtube  d’un artiste sa propre chanson [4], ou carrément réclamer 10% des recettes d’un concert de charité donné  en faveur d’un enfant malade [5].

Et ce ne sont là que quelques exemples très récents.

On saurait se faire aimer plus aisément…

Aujourd’hui, il s’agit donc de faire porter au P2P le chapeau de la crise. Et demain sans doute il s’agira  d’imposer une «taxe globale» qui s’appliquera à tous les accès à Internet pour financer, encore et toujours, cette incapacité à attirer des clients désabusés.
Ces méthodes auront réussi, c’est un comble, à opposer les artistes et leur public. Aujourd’hui elles se  heurtent à la liberté d’expression. Demain elles demanderont le filtrage d’Internet (au grand plaisir de gouvernements eux aussi dépassés et qui n’admettent pas l’existence d’un outil qui permet une information libre).

La vraie question n’est-elle pas: jusqu’où ira cette guerre imbécile avant que les artistes, finalement  confrontés à la vérité, se rebellent et s’opposent, enfin, à ceux qui les ont conduits au désastre plutôt qu’à ceux qui les aiment ?

[1] http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/chiffcles08.pdf

[2] http://www.sacem.fr/portailSacem/jsp/ep/contentView.do?channelId=-536881813contentId=536900759&pr

[3] http://www.mobileburn.com/news.jsp?Id=7398

[4] http://www.techcrunch.com/2009/07/23/artist-finds-his-own-music-video-removed-from-youtube-lashes–

[5] http://www.rue89.com/ibere-espace/2009/08/15/espagne-pour-faire-la-fete-au-village-merci-de-payer–