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Les vilains pirates de l’impression 3D / où comment l’industrie ne saisira pas la chance de la révolution numérique…

mercredi 6 janvier 2016 à 12:37

C’est le partage sur twitter d’un article de Makery “Tout savoir pour imprimer en 3D en toute légalité” (à lire ici http://www.makery.info/2015/11/16/tout-savoir-pour-imprimer-en-3d-en-toute-legalite/) qui a un peu tout déclenché… après partages et discussions parfois un peu animées, le besoin de mettre à plat et d’écrire certaines choses que beaucoup de gens pensent, mais n’osent pas dire.

L’article de Makery
L’article bien intéressant décortique un peu un document de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) en posant des questions à une avocate spécialisée du domaine. Pour résumer tous les gens qui impriment sont au mieux dans une zone grise, voir même complètement hors la loi: si vous reproduisez quelque chose qui existe c’est de la contre-façon, celui qui l’imprime viole le droit de propriété et donc risque aussi pleins de trucs vilains. On voit donc les armées d’avocats se frotter les mains en pensant aux futurs procès fleuves ou aux menaces faites aux vilains barbus qui voudraient imprimer telle ou telle chose. On voit aussi se pointer des “mesures” censées protéger tel ou tel design, principe, etc. (et quand on voit le succès des DRM on peut se poser des questions)

Le document de l’INPI, son optique
Avant d’aller plus loin dans le propos il est intéressant de voir d’où vient se document, de l’INPI ou Intitut National de la Propriété Industrielle… rien qu’en disant ces mots, impossible de les lier aux notions de partage, d’apprentissage, de liberté d’innovation ou d’innovation collaborative. Enfin c’est l’idée que je m’en fais. J’avoue je n’ai pas lu le document… mais je suis allé sur le site web pour voir qu’est ce que c’est
“L’INPI est un établissement public, entièrement autofinancé, placé sous la tutelle du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique.
Il délivre les brevets, marques, dessins et modèles et donne accès à toute l’information sur la propriété industrielle et les entreprises.
Il participe activement à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques dans le domaine de la propriété industrielle et de la lutte anti-contrefaçon. “
L’INPI est donc le cerbère de la propriété industrielle, elle qui file des brevets, et protège les entreprises… je vous invite à aller lire la description de l’institution c’est assez intéressant.
Mais surtout c’est un business, il n’y a qu’à aller voir la section “les acteur de la PI” (cf http://www.inpi.fr/fr/l-inpi/la-propriete-industrielle/les-acteurs-de-la-pi.html) pour s’en convaincre… conseils, avocats, associations, pouvoirs publics, tous ont un intérêt à protéger la propriété industrielle. Mais comme pour le droit d’auteur, cette institution a été créée pour empêcher d’autres entreprises de faire du business avec votre R&D, pas des particuliers ou des clients… et là on revient directement aux travers par lesquels sont déjà passés l’industrie du cinéma et de la musique.

Faire, imprimer, malgré tout
Soyons clair, rien ne m’empêchera de copier un design que j’aime et de l’imprimer, tenter de reproduire un truc cool ou qui me plaît. Que ce soit le télécharger sur Thingivers, Youmagine ou le reproduire sur mon logiciel favoris de modélisation 3D… je n’ai pas arrêté de télécharger de la musique, des séries ou des films, je ne vois pas pourquoi je modifierais mon comportement juste parce que quelqu’un “en haut” pense que c’est vilain…

En finir avec le mythe (et quelques fantasmes) de l’impression 3D
D’abord et avant de continuer sur cette lancée, il est important de rétablir quelques vérités sur l’impression 3D source de beaucoup de fantasmes et délires à droite à gauche, de gens qui clairement n’ont jamais été en contact prolongé avec cette technologie.
1. c’est long… imprimer des trucs ça prend souvent des heures, pour des tout petits trucs. Ne pensez pas lancer une production de 2000 pokemon sur votre imprimante FDM sur votre bureau, puisque chaque impression prendra au moins 1h30 (c’est d’ailleurs pour ça que les industriels sont là… pour les productions de masse)
2. le résultat est pas génial… je parlerais pas ici des autres technologies, pour le FDM (ou dépôt de fil) le résultat est pas génial, c’est strié, on a maximum 2 couleurs (si on a un double extrudeur), pleins de trucs sont difficiles à imprimer… et c’est clairement pas un produit fini ou vendable en l’état (à part à d’autres makers qui s’en tapent). Le processus de finissions correcte est long et chiant et demande beaucoup d’actions manuelles difficilement reproductible (qui fera d’ailleurs l’objet d’un épisode dans les prochaines semaines).
3. oui on peut imprimer un flingue… mais c’est plus simple (pour les deux raisons précédentes) d’aller en acheter un sur le marché noir ou de s’en fabriquer un par des méthodes plus traditionnelles, donc arrêtez avec cet argument foireux c’est chiant (mais ça fait des jolis titres, amis journalistes arrêtez s’il vous plaît)
4. non tout le monde ne peux pas l’utiliser… même si les technologies ont beaucoup évoluées, les imprimantes 3d restent des machines fragiles et capricieuses, difficile à calibrer, sur lesquelles des pièces cassent, etc. Donc une imprimante 3D sur le bureau de ma maman, c’est pas pour tout de suite.
5. les contraintes du dépôt de fil… certaines vidéos sont assez impressionnantes, mais ce sont des machines industrielles (avec des machines qui coutent en général plus de 100 000 euros) et sans aucun doute hors de la portée des particuliers. La technologie FDM est géniale, mais à beaucoup de défaut principalement mécaniques et non on ne peut pas tout faire avec une imprimante 3D.
Pour conclure, l’imprimante 3D reste une machine de prototypage, dont le but principal est de permettre aux inventeurs, makers, de pouvoir concevoir une pièce (ou s’imprimer le nouveau sabre laser de Kylo Ren), votre RepRap ou Makerbot n’est pas faite pour fabriquer de moyennes ou grandes séries et ne le sera sans aucun doute jamais. Cela reste un outil génial mais réservé à certains initiés. C’est un outil indispensable pour apprendre à concevoir et pouvoir matérialiser des objets, mais pas un outil d’industrialisation.

Un changement numérique dur à encaisser pour l’industrie
Aujourd’hui le numérique (même si ce mot veut pas dire grand chose) est partout, on fait même sa déclaration d’impôt en ligne (quand on oublie pas de la faire), consulte son compte en banque sur son téléphone, appelle mamie sur skype sur la tablette de la gamine. Ce ne sont pas que des fantasmes, ce sont aujourd’hui des usages, des choses que tout le monde pratique et à raison puisque cela simplifie beaucoup de choses. L’industrie a depuis des années pour des raisons de productivité adopté toutes ces technologies dans ses lignes de production: des robots pour souder de façon précise des plaques de métal, faire la comptabilité sur ordinateur plus que à la main dans un cahier… mais elle peine à se mettre à jour avec les nouveaux usages de l’ère numérique.
La société devient de plus en plus transparente, on peut savoir plus ou moins ce que font les gens en temps réel (même si la plupart du temps on s’en fout) et cette notion de transparence, d’échange, de partage est en complète contradiction avec l’esprit de l’industrie très replié sur elle même.

Même chemin que l’industrie du cinéma et de la musique?
On a déjà vu l’histoire et on sait comme elle se finit (spoiler alert: des nouvelles lois encore plus contraignantes pour tout le monde…) on deux exemples encore d’actualité: l’industrie du cinéma et de la musique. Malgré le fait que l’industrie du cinéma fait des résultats records, ils sont toujours en guerre avec leurs clients pour des questions de droit d’auteur pour essayer de nous faire payer plus pour des services moyens (rappelons quand même que le droit d’auteur a été conçu pour défendre les auteurs pas les marchands…).
Certes partager des films sur les réseaux bittorrent pose des problèmes de répartition de richesse et de la façon dont tous les acteurs du domaine sont rétribués, mais la solution de mettre cette responsabilité sur le client est simpliste et malhonnête.

Nous contre eux, jamais une bonne option
Cette optique: les vilains pirates d’un côté et les gentils industriels de l’autre a pour mérite de transformer une réflexion complexe en une affirmation très manichéenne et plus que d’exposer le problème de la transformation numérique au sens large, parler de pseudo emploi perdu, de ne pas réfléchir à des business models alternatifs, mais surtout de ne pas et jamais se remettre en cause est la solution qui se profile malheureusement.
D’un côté les makers qui veulent continuer à bidouiller et fabriquer des trucs même en enfreignant des lois qu’ils trouvent débiles, et d’un autre côté une industrie qui pense qu’elle a raison et mettra tout en place pour nous faire plier, plus que de se poser les bonnes questions.
On voit le mauvais remake d’une histoire malheureusement déjà connue pointer le bout de son nez.

Et pourquoi pas devancer le problème?
Plus que de se battre, pourquoi ne pas reconnaître le changement et tenter de nouvelles choses.
Vous êtes un industriel, vous avez peur qu’on vous “vole” vos designs… proposez les à un prix attractif pour que les gens puissent simplement les imprimer chez eux sans galère. D’un côté je peux passer des heures à chercher une pièce qui ne sera peut être pas la bonne ou pas adaptée à ma méthode d’impression que je vais devoir rebidouiller, de l’autre sur le modèle de l’App Store d’Apple (même si c’est pas le meilleur exemple niveau éthique, au niveau business ça tient la route) proposez moi LA pièce dont j’ai besoin à un prix correcte, que je vais pouvoir imprimer à la maison.
Je préférerais payer 1 euros un stl valable, plutôt que galérer deux heures à chercher un hypothétique modèle sur Thingivers ou Youmagine.
Je ne comprends pas que des gens comme Ikea, Bosch ou encore Castorama ne proposent pas ce service… j’ai mon modèle, je paye, je l’imprime, tout le monde est content. (et ne venez pas me mettre des DRM là dedans sinon je me fâche, travaillez sur votre catalogue ou sur l’expérience utilisateur plutôt que d’essayer de brider tout et de dégoûter votre client… et donc de l’inciter à pirater vos pièces, processus bien plus simple au final)

Utiliser l’innovation collaborative plus que la combattre
Mais surtout se battre contre les makers, bidouilleurs et bricoleurs c’est se battre contre les cerveaux de la planète qui innovent et réfléchissent tous les jours à pleins de problèmes et tentent de les surpasser. Leur faire la guerre c’est tout simplement vous couper de tous ces gens inventifs, brillants, intéressant.
Pourquoi ne pas trouver une solution où tous pourraient collaborer, les makers trouver des solutions innovantes, que les industriels pourraient fabriquer, etc?
Ok je suis peut être dans le monde des bisounours, mais c’est vers ça qu’on devrait aller

Pouvoir et répartition des richesses au centre du problème
Et on atteint le cœur du problème, qui n’est pas la protection de l’innovation ou la poursuite des vilains pirates, mais le partage des richesses et une répartition équitable entre les différents acteurs du système.
Prenons par exemple l’industrie musicale, qui depuis des années tente de nous faire pleurer sur son état… il y a 20 ans elle ne pleurait pas quand elle empochait des milliards et quand les artistes eux ne touchaient qu’un pourcentage minime de cette somme tout en étant le moteur de cette industrie. Elle tente aujourd’hui de blâmer les consommateur pour leur comportement irresponsable et inadmissible, mais aujourd’hui encore la seule façon de rétribuer les artistes qu’on aime est d’acheter des supports physiques ou numérique qui n’ont pas de valeur réelle.
C’est une question complexe et dont bien sûr je n’ai pas de solution toute faite, mais cela devrait être une discussion centrale, comment les gens qui conçoivent, fabriquent, commercialisent et distribuent des produits devraient être rétribués, donc comment réinventer un business model pour un usage qui change.

Proposer et guider les industriels
Ces deux mondes qui se côtoient, makers et industriels et qui ont tellement de choses à s’apprendre l’un de l’autre (les usages et le partage pour les makers, l’expertise et l’expérience pour l’industrie) vont certainement aller au clash et c’est dommage.
Il faudrait un ou plusieurs exemples d’industriels prêt à se remettre en cause, aussi bien sa façon de travailler que la façon dont ses produits sont distribués ou vendus pour faire évoluer les mentalités.
Dans cette lignée, l’exemple d’Adafruit Industries est parfait. Fondé par une makeuse américaine, psychopathe de l’électronique, inventive, elle laisse les plans à disposition, mais propose aussi les produits manufacturés avec un support et une documentation hors pair et ça marche… bon elle est dans une niche (de matériel pour makers) et sais comment communiquer, mais l’exemple devrait pouvoir être reproductible avec d’autres industriels.

Voilà donc mon avis… une guerre qui s’annonce et qui comme le cinéma et la musique n’a aucun sens. Deux camps qui restent sur leurs positions… et un espoir?
Dites moi ce que vous en pensez…

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