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Discours à la Nation ou : Comment j'ai adoré me prendre une baffe

vendredi 17 avril 2015 à 11:15
Choses vues, sur le web et ailleurs 17/04/2015
Nous avons été voir Discours à la Nation hier soir.

C'est une grosse claque dans la gueule. C'est très drôle, mais d'un humour cynique, grinçant, qui tape là où ça fait mal. C'était parfois tellement juste que je ne pouvais pas rire : c'est une description à peine métaphorique du monde dans lequel nous vivons. Certains passages laissent un drôle de goût amer, comme une fugace envie de pleurer ; ça fait mal de se faire rappeler que l'on est à la fois victime d'un État, d'une société organisée pour pérenniser les rapports de force et les dominations (un des thèmes essentiels de la pièce), et à la fois oppresseur en tant que privilégié (l'autre thème du spec-tacle).

Car tout tourne autour de ça : la domination et les privilèges. Avec des petites histoires à peine symboliques, où se devinent, très transparentes, de multiples allusions à notre société. "Notre société", ce n'est pas la France (l'auteur est italien) : c'est la France, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne... en un mot l'Occident capitaliste où les dominés ont capitulé. Il est question de pluie -il pleut tout le temps dans ce pays imaginaire- et des hommes qui ont des parapluies, et de ceux qui n'en ont pas. Alors les hommes qui ont des parapluies consentent à accepter que les hommes sans parapluie s'abritent sous leur parapluie. Enfin, pas exactement sous leur parapluie, mais plutôt sous leurs pieds. Comme ça, quand l'homme qui est sous le parapluie mange du pain, ils peuvent lécher les miettes par terre. Quand il fume une cigarette, ils peuvent récupérer le mégot. Gratuitement. Et quand il baisse son pantalon pour chier, ils se prennent un peu de merde sur la gueule, mais on ne peut quand même pas tout avoir dans la vie. Et les hommes qui ont des parapluies ont aussi des fusils, pour se protéger des hommes sans parapluie qui n'ont pas pu trouver de place sous les pieds d'un homme qui a un parapluie. Et ceux ci (les hommes sans parapluie) sont très nombreux. Ils sont bien plus nombreux que les hommes qui ont un parapluie...

Il est aussi question des "camarades" qui ne croient plus en la révolution, de comment ils se sont fait... avoir par les dominants, comment ils ont ont accaparé le discours des faibles (lutte des classes etc.) pour le retourner contre eux.. Comment ils sont devenus dociles pour avoir leurs miettes, leur coin de parapluie. Comment la carotte petit salaire pour avoir une petit emprunt pour acheter une petite maison, est bien efficace que toutes les répressions. La carotte et le bâton, ça aussi ça revient souvent dans le texte.

Chaque personnage interprété par l'acteur incarne une facette différente de la farce-oppresion : le politicien, le financier, le patron... tous sans scrupules, sans remords, expliquant sans vergogne comment ils nous baisent, et comment ils comptent continuer encore longtemps. "Vous nous avez déçus... camarades ! Si nous avions su que vous étiez aussi faibles, nous vous aurions frappés moins fort"

Tout ceci est avant tout une satire, c'est drôle même si, je l'ai dit plus haut, j'ai parfois eu du mal à rire tant j'avais la gorge serrée. C'est de l'humour qui veut donner à réfléchir ou plutôt non, c'est un essai féroce qui donne de temps en temps à rire pour ne pas trop désespérer son spectateur. Il y a des passages irrésistibles, dont un directement inspiré de Swift, qui conseille de manger les immigrés, les chômeurs et les vieux, ce qui résoudrait pas mal de problèmes. Le spectacle s'achève sur le discours d'un politicien, qui répète son antienne "Citoyens, ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est MOI qui vous ai choisis" ; se terminant en apothéose avec la parabole du loup, de la chèvre et du chou revisitée : faites traverser le chou. Puis retournez chercher la chèvre. Faites la traverser. Tournez les épaules. La chèvre va bouffer le chou. Vous aurez les voix de la chèvre. Retraversez avec la chèvre, déposez la à côté du loup. Tournez les épaules... [rires dans la salle] Vous aurez les voix du loup. "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est MOI qui vous ai choisi ! Vous êtes tous des loups. etc." Et ce passage là, il fait très mal, car derrière la drôlerie, il est d'une violence extrême. Nous sommes tous des nazis en costume-cravate, nous sommes tous des loups qui préférons manger la chèvre pour rester dans la majorité.


Tout ceci est adapté d'un livre de Célestini : http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/discours-a-la-nation-ascanio-celestini-9782882503398
que l'on sent inspiré par Gramsci https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Gramsci  http://www.monde-diplomatique.fr/2012/07/KEUCHEYAN/47970  cité dans le spectacle, dans un monologue décalé à l'intérieur du discours d'un patron (celui qui dit "camarades vous nous avez déçu")

Le comédien, David Murgia est génial http://www.liberation.fr/theatre/2015/01/04/david-murgia-reveilleur-d-ames_1173767
Quelques photos ici : http://www.tdb-cdn.com/discours-a-la-nation
Des extraits ici : https://vimeo.com/67876277 et là : https://www.youtube.com/watch?v=yfKPeqWNsjg (sans garantie, Viméo et Youtube étant bloqués par mon PALC)

Et comme vous avez eu la patience de lire jusqu'ici, vous pouvez téléchargez le podcast du spectacle sur France Culture : http://www.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-discours-a-la-nation-2015-01-18
(Permalink)

Bookmark Bronco > Choses vues, sur le web et ailleurs 17/04/2015
Je suis en train de l'écouter: c'est en effet très intéressant, très bien écrit et superbement interprété (même si le débit ne laisse pas le temps de réfléchir au fur et à mesure)
En tout cas, j'aime énormément ce cynisme sans concession...
L'homme au parapluie est très bon... entre autres.
[EDIT]: le pipi dans la piscine est magnifique !
[EDIT 2] : Sammy, je comprends parfaitement le titre de ton shaarlien... il est tout-à-fait pertinent !

Merci Sammy ;-)
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Les liens de Kevin Merigot > Choses vues, sur le web et ailleurs 17/04/2015
Coudifié.

(le "si j'avais su que vous étiez si faible, nous vous aurions frappé moins fort", je l'ai presque entendu en live, mais sur un autre sujet, et ça secoue)
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