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Produire l’abondant en utilisant des ressources rares

mardi 10 septembre 2024 à 02:00

Produire l’abondant en utilisant des ressources rares

Petite déambulation sur l’écriture, l’art et le productivisme

Je discutais avec mon épouse de l’œuvre de Marina Abramović, une artiste totale qui nous remue profondément (que j’ai découvert il y a des années à la lecture de 2312, roman de Kim Stanley Robinson). Grâce à elle, nous sommes tombés d’accord sur une définition de l’art.

L’art est un échange humain qui nous confronte et nous pousse hors de nos certitudes, de notre zone de confort intellectuel et moral.

Si la génération automatique nous pousse à nous interroger sur l’art lui-même (et ce n’est pas nouveau), ce qui est produit aujourd’hui par des algorithmes n’est pour moi pas de l’art.

L’auteur de SF Ted Chiang met les mots exacts là-dessus : tout écrivain a un jour été abordé par quelqu’un qui pense avoir une idée géniale de livre et veut « juste un écrivain pour l’écrire » (et, oui, ça m’est arrivé). Comme si « écrire » n’était qu’une couche technique au-dessus de l’idée. Comme s’il suffisait de demander « Peinds moi une dame avec un sourire énigmatique » à quelqu’un qui sait dessiner pour produire la Joconde.

J’avais même fait un billet pour expliquer à quel point l’idée seule n’est rien.

Selon Ted Chiang, l’écriture est un art et tout art consiste en des milliers, des millions de décisions, d’ajustements. La technique fait partie intrinsèque de la création. Le 15 octobre sort mon nouveau roman que j’ai tapé entièrement à la machine à écrire mécanique. Ce n’est pas un hasard. C’est une particularité profondément ancrée dans le texte lui-même. Je n’aurais pas pu l’écrire autrement.

Tout écrivain, Saint-Exupéry le premier, vous le dira : l’art de l’écriture, c’est de supprimer, de trancher, de raccourcir le texte pour lui donner de la puissance.

Tous les générateurs de type ChatGPT ne font qu’une chose : allonger un texte court (appelé « prompt »). Je dirais même que c’est le contraire de l’art ! Rallonger pour rallonger, c’est le sens même de la bullshitite administrativite aigüe qui gangrène notre espèce et contre lesquels les artistes et scientifiques, de Kafka à Graeber, luttent depuis des millénaires en souffrant, en hurlant.

Produire de la merde en abondance

C’est exactement la définition du capitalisme tardif morbide : continuer à produire en masse ce qui est déjà abondant (du plastique, des particules fines, de la distraction, de la merde…), en utilisant pour cela des ressources qui sont devenues rares (de l’air pur, du temps de vie …). Au point de rendre notre monde, réel ou virtuel, invivable. La merdification n’est pas qu’une image, c’est une description physique de ce que nous sommes en train de faire à grande échelle.

Dans les villes américaines, on ne peut plus s’arrêter si on n’est pas une voiture. On ne peut plus pisser. On ne peut plus exister si on ne conduit pas.

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec ce que dit Louis Derrac sur le fait que le Web est devenu un simple vecteur de consommation comme la télévision, et non plus un espace d’échange.

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D’ailleurs, j’en profite pour vous dire que mon nouveau roman sort le 15 octobre. Je vous l’avais déjà dit ? Les voitures vont en prendre pour leur grade de la part des cyclistes.

Un outil et non une solution

Certains artistes ont compris que l’IA n’est pas une solution, mais un outil comme un autre. Ted Chiang cite Bennet Miller, je pense à Thierry Crouzet.

Ces artistes ont la particularité de passer plus de temps, plus d’énergie à utiliser les IA que s’ils avaient choisi de réaliser leur œuvre par des moyens traditionnels. Ils explorent les limites d’un outil et ne sont pas du tout représentatifs du marché économique pour ces outils qui tentent de séduire les auteurs amateurs participant au NanoWriMo.

Comme le dit Ted Chiang, la majorité des gens qui pensent écrire avec ChatGPT n’aiment pas écrire. Dans mon entourage, les gens l’utilisent pour envoyer des dossiers administratifs. Alors, est-ce utile ? Non, c’est juste que ces dossiers sont complètement cons, que personne ne va les lire et qu’on utilise des outils cons pour gérer des problèmes à la con qu’on se crée soi-même. Bref, pour générer de la merde alors qu’on en est déjà submergé.

L’humanité cherche à atteindre le principe d’inefficacité maximale et nous avons désormais des outils pour être encore plus inefficaces.

Et cela au prix d’une perte totale de compétence. Comme le dit la linguiste Emily M. Bender, on ne demande pas aux étudiants de faire des rédactions parce que le monde a besoin de rédactions. Mais pour apprendre aux élèves à structurer leurs pensées, à être critiques. Utiliser ChatGPT c’est, selon les mots de Ted Chiang, prendre un chariot élévateur à la salle de musculation. Oui, les poids vont faire des va-et-vient, mais va-t-on se muscler pour autant ?

Une panique morale ?

Ne sommes-nous pas dans une panique morale comme celles des jeux de rôle et des jeux vidéos il y a 30 ans ?

Il faut rappeler que, parfois, les paniques morales étaient justifiées voire ont sous-estimé le problème. Pensez à l’impact nocif global sur la société des voitures ou de la télévision. Certains prédisaient le pire. Ils étaient encore loin de la vérité. Vous verrez le 15 octobre…

On disait aussi que le GPS allait nous faire perdre le sens de l’orientation. Je vis dans une ville piétonnière où, il faut le reconnaître, il est assez difficile de s’orienter. Depuis 25 ans que je connais la ville, j’ai toujours croisé des gens perdus me demandant leur chemin. Or, depuis quelques années, une tendance inquiétante m’est apparue : les gens qui me demandent le chemin ont tous en main un téléphone avec Google Maps. Google Maps leur indique la direction. Ils n’ont qu’à littéralement suivre la ligne bleue. Et pourtant, ils sont à la fois incapables de suivre la direction de la flèche et se détacher de l’écran. Je sens que mes explications sont incompréhensibles. Leur regard est perdu, ils se raccrochent à l’écran. Parfois, je me contente de leur dire « suivez la direction indiquée par votre téléphone ».

Une menace pour les écrivains ?

J’aime beaucoup l’aphorisme bien connu qui dit que « tout le monde peut écrire, l’écrivain est celui qui ne sait pas s’empêcher d’écrire ». J’écris des livres, ce blog et mon journal parce que j’aime écrire. Parce que l’acte physique d’écrire m’est indispensable, me soulage. Depuis que j’ai 18 ans, j’ai découvert que je préférais écrire plutôt que de prendre une photo.

Écrire me force à penser. J’appelle d’ailleurs ma machine à écrire ma « machine à penser ». En plusieurs décennies, l’écriture a eu autant d’impact sur moi que j’en ai sur mes écrits. Je fusionne avec mon clavier, je deviens ma machine à penser et j’évolue, parfois même je m’améliore. Si je ne suis pas un prix Nobel de littérature, je peux affirmer sans fard que « j’écris ». Je tente de maitriser l’écriture et commence seulement à percevoir l’écriture comme autre chose que quelques mots jetés intuitivement sur une page blanche virtuelle. Je ne fais que découvrir la profondeur de ce qu’est réellement l’écriture, je débute.

Je repense à ce que me disait Bruno Leyval à propos de son rapport au dessin : il dessine tous les jours depuis qu’il est tout petit. Il dessine tout le temps. Il s’est transformé en machine à dessiner. Cette sensibilité de toute une vie ne pourra jamais se comparer à un algorithme générateur d’images.

Pour la couverture de mon nouveau roman (sortie le 15 octobre. ah ? Vous le saviez déjà ? ), j’aurais pu, comme de nombreux éditeurs, faire un prompt et trouver une image jolie. Mais mon prompt, je l’ai donné à Bruno, sous forme d’un roman de 300 pages tapé à la machine. Bruno s’est emparé de l’histoire, a créé une couverture sur laquelle nous avons échangé. Cette couverture est ensuite passée au crible du graphiste de la collection. Il y a eu beaucoup de désaccords. La couverture n’est pas parfaite. Elle ne le sera jamais. Mais elle est puissante. Le dessin à l’encre, dont Bruno m’a offert l’original, exprime une histoire. Le contraste entre l’encre et le papier exprime l’univers que j’ai tenté de construire.

J’ai la prétention de croire que ces désaccords, ces imperfections, cette sensibilité humaine dans la couverture comme dans le texte et la mise en page vont parler aux lecteurs et faire passer, dès l’entame, l’idée d’un monde où, soudainement, les voitures, les ordinateurs et les algorithmes se sont éteints.

Je parle d’écrire du texte parce que je suis écrivain. Mais cela fonctionne de la même façon pour le code informatique comme le montre Ian Cooper. On cherche à optimiser la « création de logiciel » tout en oubliant la maintenance du logiciel et de l’infrastructure pour le faire tourner.

Nous connaissons tou·te·s des entreprises qui se sont tournées vers Visual Basic ou J2EE pour « faire des économies ». Elles paient, aujourd’hui encore, leur dette au centuple. Se tourner vers l’IA n’est qu’une énième rediffusion du même scénario : tenter de faire des économies en évitant de prendre le temps de réfléchir et d’apprendre. En payer le prix pendant des décennies, mais s’en même s’en rendre compte. Parce que tout le monde fait comme ça…

La résistance numérique s’organise

Carl Svensson explique sa stratégie d’utilisation du numérique et c’est, de manière très surprenante, incroyablement similaire à ma propre utilisation du Net. Sauf que j’utilise Offpunk pour lire le web/gemini et les RSS.

Pour les curieux, je viens d’ailleurs de commencer un site présentant ce qu’est Offpunk.

Simon Phipps, avec qui j’ai travaillé sur LibreOffice, compare le logiciel libre à l’alimentation bio (« organic » en anglais).

Comme il le note très bien, le bio était au départ un concept holistique, rebelle. Comme il y avait de la demande, ça a été récupéré par le marketing. Le marketing ne cherche pas à concevoir une approche holistique, mais se pose la question « quelles sont les étapes minimales et les moins chères pour que je puisse apposer l’autocollant bio sur mon produit de merde ? ».

L’open source et le logiciel libre sont exactement dans la même situation. L’idéal de liberté est devenu tellement accessoire que Richard Stallman est désormais perçu comme un extrémiste original au sein du mouvement qu’il a lui-même défini et fondé !

Il est parfois nécessaire de brûler le marketing et de revenir aux fondamentaux. Ce qui est une bonne chose pour les business non monopolistiques, comme le souligne Simon. C’est pour ça que j’encourage de reconsidérer les licences copyleft comme l’AGPL.

Retour au marketing

Comme je l’ai subtilement suggéré, mon prochain roman sort le 15 octobre. Vu mon amour du marketing, je compte sur vous pour m’aider à le faire connaître, car j’ai la prétention de croire que son histoire vous passionner tout en faisant réfléchir. Je cherche des contacts liés à des médias « cyclistes » (blogueu·r·se·s, journalistes, youtubeu·r·se·s, médias alternatifs, etc.) qui seraient intéressés par recevoir un exemplaire « presse » en avant-première. Me contacter par mail.

Dès que le livre sera disponible à la vente, je l’annoncerai bien sûr ici sur ce blog. Oui, je risque de vous en parler quelques fois. Si vous voulez vraiment être informé·e avant tout le monde, envoyez-moi un mail.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du coffret libre et éthique « SF en VF ».

Le retour de la vengeance des luddites technophiles

lundi 26 août 2024 à 02:00

Le retour de la vengeance des luddites technophiles

La merdification par écran tactile

En 2017, le destroyer John S. McCain de l’US Navy est rentré en collision avec un pétrolier libérien, causant la mort de 10 de ses marins et 100 millions de dégâts matériels.

Adrian Hanft analyse de manière très détaillée l’accident causé principalement par le fait que les contrôles mécaniques ont été remplacés par des interfaces tactiles. Ce qui a fait que, suite à un malencontreux appui sur une « checkbox », les deux moteurs se sont décorrélés (ce qui est une fonctionnalité attendue) et, en conséquence, le bateau s’est mis à tourner lorsqu’un des moteurs a changé de puissance.

Les détails sont croustillants. Comme le relève très bien Adrian, rien dans l’analyse de l’accident n’incrimine l’interface. L’US Navy semble quand même décidée d’en finir avec les interfaces tactiles et revenir aux contrôles physiques.

Adrian, qui est designer de profession, de s’insurger et de dire qu’on peut concevoir de « bonnes interfaces graphiques ».

Non.

On ne peut pas. Un écran tactile nécessite de le regarder. On ne peut pas acquérir des réflexes moteurs sur un écran tactile. On ne peut utiliser un écran tactile en regardant ailleurs (ce qui est quand même utile quand on conduit un bateau de 9000 tonnes). On ne peut pas former des marins capables d’agir intuitivement en situation de stress si l’interface change tous les 6 mois pour cause de mise à jour.

Il est temps d’accepter que nous nous faisons entuber par l’industrie de l’informatique et qu’informatiser tout est essentiellement contre-productif, voire dangereux. Si j’étais vulgaire, je dirais qu’on se fait doigter par la digitalisitation.

Dessin humoristique montrant une dame cherchant à acheter un ticket de train et se voyant rétorquer de rentrer chez elle, de créer un compte sur la plateforme, d’acheter le ticket, de le transférer sur son smartphone et que ce sera plus facile (aide appréciée pour retrouver l’auteur)
Dessin humoristique montrant une dame cherchant à acheter un ticket de train et se voyant rétorquer de rentrer chez elle, de créer un compte sur la plateforme, d’acheter le ticket, de le transférer sur son smartphone et que ce sera plus facile (aide appréciée pour retrouver l’auteur)

La première et même unique propriété d’une bonne interface utilisateur c’est de ne jamais changer. De rester identique pendant des années, des décennies afin de construire une expertise durable et transmissible.

L’exploitation du travailleur

Comme le souligne Danièle Linhart dans « La comédie humaine du travail », le changement permanent est une stratégie consciente afin de détruire toute expertise et donc d’enlever tout pouvoir au travailleur. En supprimant le concept d’expertise, les travailleurs deviennent des pions interchangeables sans aucune capacité de négociation.

Le changement permanent n’est pas une conséquence, c’est une stratégie de management parfaitement consciente et théorisée !

Les premiers à comprendre la spoliation dont ils étaient victimes à travers le changement de leurs outils furent les luddites. Gavin Mueller le raconte très bien dans « Breaking Things at Work, The Luddites Were Right About Why You Hate Your Job ». Dans son premier chapitre, Gavin Mueller décrit avec une incroyable justesse le logiciel libre comme un mouvement Luddite technophile.

Contrairement à ce que la propagande nous fait croire, le luddisme n’est pas une opposition à la technologie. C’est une opposition à une forme de technologie appartenant à une minorité utilisée pour exploiter la majorité.

L’exploitation de l’utilisateur

Mais pourquoi se limiter à exploiter le travailleur maintenant qu’on a des « utilisateurs » ?

Numerama revient sur la Tesla qui a bloqué le centre de Sète pendant 45 minutes en se mettant à jour. Selon eux, le problème est le conducteur qui a lancé volontairement la mise à jour.

C’est pas faux.

Et l’article d’insister et de donner des conseils pour programmer la mise à jour de son véhicule la nuit et de prévoir qu’une mise à jour peut mal se passer et rendre le véhicule inopérant.

J’aimerais qu’on s’arrête un moment sur ce concept popularisé par nos ordinateurs puis nos téléphones et désormais nos voitures : il est désormais acquis que tout appareil doit, régulièrement, être rendu inopérant pendant plusieurs minutes. Il est acquis que chaque utilisateur doit prendre le temps de lire et de comprendre ce que chaque mise à jour entraîne (ils sont bien naïfs chez Numerama de croire que cliquer sur "accepter" n’est pas devenu un réflexe musculaire). À l’issue de ce processus, si l’appareil fonctionne encore (ce qui n’est pas toujours le cas), l’utilisateur aura la chance de voir que son appareil ne fonctionne plus de la même façon (c’est le principe même d’une mise à jour). D’après le constructeur, c’est toujours « en mieux ». D’après mon expérience, pour la majorité des utilisateurs, c’est une terrible période de stress où on ne peut plus faire confiance, certaines choses doivent être réapprises. Quand elles n’ont pas tout simplement disparu.

En résumé, un appareil qui se modifie est, par essence, un ennemi de son utilisateur. L’utilisateur paie pour avoir le droit de devenir l’esclave de son appareil ! Je le disais dans ma conférence « Pourquoi ? ».

Le point positif de tout cela c’est que si les bateaux de guerre et les voitures individuelles commencent à agir contre leurs utilisateurs de manière plus ouverte, les gens vont peut-être finir par comprendre que ces engins leur pourrissent la vie depuis le début.

Mais en fait, je rêve complètement. Une majorité de gens veulent des trucs merdiques. Sporiff revient sur le sujet avec le fait qu’en Allemagne, partager son compte Iban ou son adresse email est considéré comme « intime », mais pas partager son Insta pour chatter et son compte Paypal.

L’arnaque Telegram

À propos de vie privée et d’exploitation des utilisateurs. Ou au moins de leur crédulité.

J’entends régulièrement que Telegram serait une messagerie chiffrée. Ce n’est pas et n’a jamais été le cas. Telegram est équivalent à Facebook Messenger, c’est vous dire. L’entreprise Telegram (et le gouvernement russe) peut lire et analyser 99% des messages qui transitent sur cette plateforme.

On pourrait penser que c’est une subtilité informatique dans les techniques de chiffrement, mais pas du tout. Telegram n’est pas et n’a jamais été chiffré de bout en bout. C’est aussi bête que ça. Ils ont tout simplement menti à travers le marketing.

Mais comment ce mensonge est-il devenu populaire ? Tout simplement parce que Telegram offre une possibilité de créer un « secret chat » qui lui est techniquement chiffré. Il y a donc moyen d’avoir une conversation secrète sur Telegram, en théorie. Mais en pratique ce n’est pas le cas, car :

Je pensais sincèrement que tout le monde était plus ou moins au courant et que le succès de Telegram était comparable à celui de Messenger ou Instagram : pour les gens qui s’en foutent. Mais les médias n’arrêtent pas de décrire Telegram comme une application sécurisée. C’est faux et cela n’a jamais été le cas.

Ce qui confirme l’adage (que j’ai inventé) :

Les articles dans les médias grand public sont fiables sauf pour les domaines dans lesquels vous avez un minimum de compétences.

Si vous utilisez Telegram, il est urgent de migrer sur une autre plateforme (le plus facile étant pour moi Signal, mais surtout, évitez Whatsapp). Même si vous pensez que vous vous en foutez, que vous ne postez jamais. Votre simple présence sur cette plateforme peut un jour encourager quelqu’un d’autre à vous contacter pour des sujets privés que vous n’avez pas spécialement envie de partager avec le gouvernement russe.

Soutenir le logiciel libre

Mais tout n’est pas noir.

Des entreprises françaises s’associent pour soutenir le logiciel libre à hauteur d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires. J’aime ces enfoirés de luddites technophiles !

Le retour des blogs luddites

Le monde luddite se porte d’ailleurs plutôt bien. Solderpunk, le fondateur de Gemini, s’étonne de voir que certains des blogueurs non-tech qu’il suivait il y a plusieurs années réouvrent aujourd’hui leur blog après l’avoir fermé pour devenir Instagrammeu·r·se·s durant quelques années.

Je ne sais pas si c’est une vraie tendance ou juste ma bulle personnelle. En vrai, je crois avoir appris qu’il ne faut pas tenter de chasser les tendances à tout prix. J’aime bloguer et je veux le faire jusqu’à la fin de ma vie. J’aime écrire de la science-fiction et je pense continuer à écrire de la science-fiction jusqu’à la fin de ma vie. Si les blogs et la SF ne sont pas tendance, tant pis, au moins je ferai ce que j’aime et ce en quoi je crois. Si les blogs ou la SF (re)deviennent soudainement à la mode, alors peut-être que j’en bénéficierai d’une manière ou d’une autre. Et encore, je ne suis pas sûr parce que le succès médiatique ira certainement à ceux qui ont le talent de surfer sur les tendances.

Mais je suis persuadé qu’au crépuscule de ma vie, je tirerai beaucoup plus de fierté d’avoir consacré mon temps à faire ce que j’aime et à partager avec ceux qui apprécient les mêmes choses que moi. Les sirènes de la gloire éphémère rendent parfois ce choix difficile, surtout pour moi, qui suis vite attiré par les paillettes du star-système. Mais je suis convaincu que c’est le bon.

Interview sur le métablogging

Pour ceux qui s’intéressent à la manière dont je blogue, pourquoi je bloque, comment je blogue, j’ai répondu à un long interview en anglais par Manuel Moreale pour la newsletter « People & Blogs ». Je n’aime pas trop le « Métablogging » (bloguer sur le fait qu’on blogue). Du coup, il y a dans cet interview pas mal de choses que je n’aurais jamais abordées ici même.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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Le marketing, une religion malveillante, incompétente et dangereuse

dimanche 18 août 2024 à 02:00

Le marketing, une religion malveillante, incompétente et dangereuse

Le marketing est devenu une religion. Un ensemble d’actions que les pratiquants appliquent aveuglément parce que « tout le monde le fait ». Comme toute religion, c’est profondément stupide.

Ticket de train européen

Prenez l’idée de mettre en place un ticket de train européen. Simple, efficace.

Mais le plus gros morceau, ça va être de convaincre les marketeux de la SNCF qui s’efforcent, depuis des années, de faire exactement le contraire en forçant chaque voyageur qui traverse la France d’apprendre la différence entre un TGV Ouigo et un TGV Inoui.

Comme si on en avait quelque chose à foutre du nom du train dans lequel on est…

Mais pour les marketeux, deux types de trains, c’est deux fois plus de budgets pour faire deux fois plus de pub. Bref, si vous êtes dans le marketing, comme disait Bill Hicks : « Please kill yourself ! »

Comme le dit Esther sur Mastodon : il faut considérer la publicité de la même manière que les spécialistes en sécurité considèrent les injections de code. Une exploitation frauduleuse d’un bug !

Marketing intelligent

Regardez cette mode de rendre tout « intelligent ». Et bien il s’avère que je ne suis pas le seul à ne pas vouloir une brosse à dents ou un frigo « intelligent ».

Une étude à démontré que le mot « artificial intelligence » est une raison majeure pour ne pas acheter un produit.

L’une des critiques majeures que je fais envers la bulle AI c’est qu’elle n’est absolument pas nouvelle.

Vous vous souvenez du scandale Ashley Madison ? Un site de rencontre pour adultes mariés souhaitant vivre des aventures extra-conjugales. La base de données s’était fait pirater et les noms et informations des adultes inscrits avaient été rendus publics. « Mais chérie, je te jure que c’était juste pour tester ! »

Le truc que tout le monde a raté c’est qu’en réalité, les membres du site n’étaient que des hommes. Et qu’ils payaient pour chatter, sans le savoir, avec des bots. Ce qui, ironiquement, signifie qu’Ashley Madison rendait les maris volages plus fidèles vu qu’ils perdaient leur temps à draguer des algorithmes.

Mais là où je pleure, c’est lorsque des entreprises qui ont des intérêts a priori opposé à cette mode de l’AI partout tombent en plein dans le panneau. Comme par exemple Protonmail, qui se focalise sur la sécurité et la confidentialité de vos emails.

Et bien ils viennent de lancer un assistant AI pour rédiger vos emails à votre place. Ça pose plein de questions sur la confidentialité bien résumées ici:

Mais, avant cela, la question principale qui me vient à l’esprit c’est : si vous ne voulez pas écrire un email, pourquoi l’envoyer en premier lieu ? Pourquoi le rendre plus long que nécessaire ?

Qui trouve réellement plus facile d’écrire un prompt et de relire en email automatiquement généré que de juste écrire ce qu’il veut dire ? Vous trouvez qu’on a pas assez d’emails comme ça ? Vous trouvez que les gens sont tellement doués avec l’expression écrite que leurs textes sont trop précis, trop clairs et qu’il faut absolument complexifier et allonger tout ça ?

C’est effrayant comme le monde semble conçu par des incompétents pour des incompétents. Comme je le disais au Breizhcamp : si vous utilisez un ordinateur régulièrement, apprenez la dactylographie. Tant que vous ne maitrisez pas votre clavier, le reste est du bullshit.

Malveillant, mais incompétent

Le pire avec cette religion du marketing, ce n’est pas qu’elle soit totalement malveillante et qu’elle nous fasse tous contribuer à la destruction des écosystèmes. Non, le pire c’est que c’est avant tout le règne de l’incompétence totale. Tout le monde fait n’importe quoi sans rien comprendre.

Genre on utilise Slack.

Le truc le plus improductif du monde.

On en revient à la loi de Carl Sagan pour résoudre un problème :

1. Écrire le problème
2. Penser très fort
3. Écrire la solution

Tous les outils, les meetings, les chats, les notifications sont des tentatives de ne pas faire les deux premières étapes, car c’est difficile. Cela demande un effort. Cela demande des moments de solitude. Alors on brasse du vent en espérant que le problème se résolve tout seul ou en harcelant quelqu’un pour qu’il le fasse.

Le fait de harceler celui qui résout le problème a deux avantages : s’il réussit, on pourra dire que c’est grâce à notre harcèlement. S’il échoue, on pourra dire qu’on ne l’a pas harcelé assez.

Comme le dit Sporiff, avant d’acheter tous les ustensiles spécialisés d’une cuisine, il vaut mieux investir dans quelques très bons couteaux et apprendre à s’en servir.

La tech réactionnaire

Les geeks de ma génération ont grandi avec l’idée d’un progrès technologique positif porté par des entreprises bienveillantes. « Don’t be evil ».

Mais, comme l’analyse Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, si la tech jouit d’une image progressiste, elle est devenue fondamentalement réactionnaire. Les hippies d’hier sont devenus milliardaires et construisent des idéologies morbides pour justifier leur fortune.

Notre dépendance à la tech est pour la jeune génération ce que la dépendance au pétrole était pour les boomers.

Winter parle d’ailleurs de la suppression de son compte Twitter, Reddit et Facebook.

Twitter/X est devenu un réseau dédié à promouvoir Trump. Est-ce que vous créeriez un compte sur Truth.social, le réseau de Trump ? Probablement pas. Du coup, pourquoi êtes-vous encore sur X/Twitter ?

La réponse est simple : par immobilisme. Parce que c’est plus difficile de « défaire » que de faire, un truc que le marketing comprend très bien. On s’est moqué de Musk lorsqu’il a acheté Twitter pour une véritable fortune, qu’il perd de l’argent tout le temps. Mais si Trump est réélu, on réalisera que Musk n’a pas fait autre chose que Bolloré : investir son argent pour tenter d’imposer son idéologie.

Absurdité administrative

Mais en fait, tout cela est très logique. Le marketing nous vend une illusion de bienveillance et d’efficacité, mais veut surtout que nous soyons le plus inefficaces possible. Que nous gaspillons le maximum. Et que nous soyons malheureux pour compenser en achetant.

Un billet d’Olivier Ertzcheid résonne particulièrement en moi. Il décrit l’absurdité quotidienne qu’il vit dans son université. Et sa stratégie de demander toujours « Et après ? » lorsqu’on lui présente des tâches comme incontournables et qu’il négocie pour ne pas les faire.

Je n’ai pas sa patience. Je bouillonne de colère. Je refuse platement. Je dis « C’est parfaitement stupide. Je le ferai lorsque vous m’aurez démontré que ce n’est pas complètement absurde, con et dangereux ».

Lorsque je dis cela, j’attends sincèrement qu’on me démontre mes erreurs. Je crois sincèrement que je n’ai pas compris certains aspects. J’ai envie de comprendre.

Mais, dans l’immense majorité des cas, il n’y a rien à comprendre qu’une obéissance aveugle et un refus total de se poser la moindre question. Je suis simplement, subtilement écarté de tous les processus.

Souvent, on me dit que je suis prétentieux. Que je prends les gens pour des cons. C’est parce que, lorsque je pose des questions, personne ne veut m’expliquer. Personne ne sait m’expliquer. On me dit que « C’est comme ça ! ». « C’est évident ! ». Je réponds que non, pas pour moi.

Alors on me regarde avec une forme de pitié : « Le pauvre… Il ne comprend pas l’importance du processus de décision du format des timesheets ». Et je lis dans leurs yeux qu’eux non plus ne le comprennent pas, mais qu’ils n’arrivent même pas à le réaliser. Qu’ils n’ont pas le droit de le réaliser.

Alors je vous le demande, à vous qui me lisez, à vous dont je suis sûr que vous percevez l’absurdité de bien des actions qu’on vous demande de faire : demandez « Pourquoi ? ». Demandez « Et si on ne le fait pas ? ». Cela ne vous coûtera rien. Cela ne fera pas de vous un rebelle. Mais ce sera déjà un début…

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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Décidément, un rien vous habille !

lundi 5 août 2024 à 02:00

Décidément, un rien vous habille !

Petit éloge de la nudité

Si j’apprécie le fait de nager ou de faire un sauna tout nu, le naturisme ne m’avait jamais réellement attiré. Sans juger ceux qui le pratiquaient, je considérais que ce n’était tout simplement pas pour moi.

Jusqu’au jour où un couple d’amis est parti vivre à l’étranger. Depuis trente ans, ils passent toutes leurs vacances dans un centre naturiste. Ils nous ont invités à les rejoindre une semaine.

J’ai tout d’abord rechigné. Mes plus bas instincts patriarcaux, dont j’ignorais jusqu’à l’existence, se sont rebellés à l’idée que mon épouse soit nue au milieu d’étrangers. Mais elle a argué que nous n’aurions plus beaucoup d’opportunités de revoir nos amis, que je n’étais pas obligé de l’accompagner, que ce n’était que quelques jours, qu’au pire, cela ferait une expérience intéressante.

J’ai opposé un mâle refus catégorique. C’est ainsi que, quelques mois plus tard, nous avons débarqué en famille avec armes et (trop de) bagages au sein d’un gigantesque complexe naturiste.

La première chose qui m’a rassuré fut de constater que beaucoup de gens étaient bel et bien habillés. Si la nudité est obligatoire à la plage et à la piscine, le reste du camp est entièrement libre.

Force est de constater que, durant les premières heures, mon regard fut irrémédiablement attiré par ces corps nus marchant, faisant du mini-golf, du vélo ou de la pétanque. Mon esprit y voyait quelque chose d’anormal, de choquant. Moi-même, je ne me déshabillais que pour accéder à la plage.

Et puis, bien plus rapidement que tout ce que j’avais pu imaginer, mon sentiment de normalité a basculé. Ces jeunes, ces vieux, ces vieilles, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces ados, ces gros·ses, ces maigres. Tou·te·s sont devenu un brouillard couleur chair bronzée dans lequel je me mouvais sans avoir à faire attention à ma propre apparence, à l’image que je véhiculais.

Une nudité normale, respectueuse et déconnectée

Depuis les zones de campings de tentes Décathlon aux larges chalets devant lesquels sont garées des Tesla flambant neuves, le camp naturiste fédère un panaché de catégories sociales. Pourtant, une fois dégagées de l’incontournable apparat des vêtements, les classes ne se distinguent plus. Une sensation d’égalité se dégage.

Très vite, mon propre corps m’est apparu comme parfaitement normal, banal. Ni le plus gros, ni le plus maigre, ni le plus musclé, ni le plus malingre. J’ai acquis la conviction particulièrement reposante qu’il n’intéressait personne. Ce fait est particulièrement important pour les femmes habituées à être reluquées. Mon épouse m’a confié l’étonnant sentiment de confiance de se sentir nue sur la plage avec un respect naturel des hommes. Car, dans un camp naturiste, un homme indélicat ne va pas s’attarder sur un corps comme il peut le faire en temps normal sur un décolleté ou un string. Les corps nus sont la normalité.

Il faut avouer que cette ambiance respectueuse est rendue possible par l’organisation d’une sécurité impressionnante. De jeunes jobistes patrouillent en permanence. Tout comportement indélicat est immédiatement sanctionné et, en cas de récidive, peut mener à l’exclusion.

La liberté de la nudité n’est pas simplement psychologique. Elle est également matérielle. Mon épouse et moi-même avons découvert que nous avions prévu beaucoup trop de linge pour la semaine. Pas de linge, pas de lessive, pas d’usure, pas de besoin de renouveler une garde-robe. Outre l’égalité, la nudité offre une contre-mesure incroyable au consumérisme.

Nous qui ne supportons pas le tabac, nous avons également rarement été aussi peu dérangés par la cigarette. Si certains fument, ils m’ont semblé moins nombreux que dans les endroits que je fréquente habituellement. Philosophiquement, le refus du tabac et le l’alcool font partie des fondements historiques du naturisme. Il est d’ailleurs interdit de fumer sur l’île naturiste du Levant, dans le Var.

Une règle évidente d’un camp naturiste est l’interdiction de prendre des photos sur lesquelles peuvent apparaitre d’autres membres. Cela semble logique, mais cela a un impact profond : l’immense majorité des vacanciers se déplace sans smartphone. Sans poche, c’est d’ailleurs peu pratique. À quelques rares exceptions près, je n’ai vu personne rivé sur son écran durant toutes la semaine. En croisant des bandes d’adolescents qui se retrouvaient ou se déplaçaient, je fus plus frappé par la disparition totale des smartphones que par l’absence de vêtements.

En les voyant faire du surf ou des concours de poirier, la nudité souriante de ces corps élancés m’est apparue comme une métaphore de la déconnexion.

La contre-sexualisation de la nudité

L’une de mes craintes inconscientes avant de pratiquer le naturisme était certainement l’aspect sexuel. Je ne supporte ni le voyeurisme ni l’exhibitionnisme et j’avais peur de me retrouver au milieu d’une population pratiquant une forme douce des deux.

Je m’étais totalement fourvoyé.

Ce n’est pas la nudité qui sexualise. C’est nous qui sexualisons la nudité en la cachant, en la rendant honteuse.

Nous avons tellement peur que nos enfants soient confrontés à la violence de la pornographie en ligne que nous en oublions que c’est l’une des seules occasions durant laquelle ils seront confrontés à la nudité. Le corps est alors irrémédiablement associé au sexe, à la violence, à l’humiliation.

L’hyper sexualisation de la nudité est poussée à l’extrême par les religions qui cherchent à camoufler le corps des femmes. Mais, d’une manière générale, toutes les religions monothéistes rejettent violemment la nudité. En cachant le corps, on génère artificiellement la honte et la violence. On transforme le corps en marchandise tout en soumettant l’esprit aux dictats religieux.

À l’inverse, l’ostentation si prisée par le consumérisme est également délétère. Sur tout le séjour, une seule personne m’a négativement impactée. Une femme sur la plage qui, bien que nue, portait de lourds bracelets aux poignets et aux chevilles, un collier, des lunettes de soleil de marque, un chapeau compliqué. Marchant avec des sandales aux talons surélevés, elle fumait de longues et très fines cigarettes. Il m’a fallu quelques secondes avant de comprendre pourquoi j’avais été choqué. Contrairement aux milliers d’autres naturistes, cette personne mettait sa nudité en scène. Elle perpétuait, probablement sans en être conscient, le jeu capitaliste de la marchandisation des corps. Le fait qu’elle ait été la seule de tout mon séjour à fumer sur la plage n’est probablement pas anodin.

La maladie de l’anti-nudité

Le souvenir d’un ancien voisin m’est un jour revenu. Il y a quelques années, cet homme, avec qui j’échangeais jusque là de simples « Bonjour », avait commencé à m’injurier en hurlant, en me traitant de malade mental. Il m’avait fallu de longues minutes de palabres pour comprendre qu’il m’avait un jour vu nu dans mon jardin.

Il faut reconnaitre que lorsqu’il faisait nuit noire, persuadé que personne ne pouvait me voir, j’allais parfois me plonger nu dans le bac d’eau qui nous sert de piscine.

Mes explications et excuses n’ont en rien atténué sa colère. Le simple fait que je puisse être nu chez moi m’avait transformé définitivement en monstre abject mentalement dérangé.

Ma brève expérience du naturisme m’a permis de me rendre compte à quel point ce rejet de la nudité est une maladie. Car nous sommes tous nus sous nos vêtements. Nous avons tous un corps. Il n’y a rien de plus naturel que la nudité. Que ce voisin soit entré dans une colère aussi noire pour un événement aussi anodin en dit long sur sa propre haine inconsciente du corps humain.

En rejetant et sexualisant la nudité, nous traumatisons le regard de nos enfants sur leur propre corps, nous générons artificiellement de la violence, de la souffrance, de la honte.

À toutes les personnes qui sont complexées vis-à-vis de leur propre corps, je ne peux que conseiller de passer quelques jours dans un camp naturiste.

Cela demande du courage, c’est réellement étrange. Ce n’est certainement pas pour tout le monde.

Mais c’est un avant-goût d’une liberté que nous avons trop souvent camouflée. C’est un remède contre la marchandisation et la bigoterie qui étouffent nos corps et nos esprits.

Être nu, c’est une lettre d’amour à la vie, à l’humanité. Nues, les personnes sont belles. En se croisant au détour d’une promenade, leurs regards se disent :

« Vous êtes beaux, vous êtes belles ! Décidément, un rien vous habille ! »

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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Pour une mémoire commune numérique

dimanche 21 juillet 2024 à 02:00

Pour une mémoire commune numérique

L’amnésie d’Internet

Internet est un lieu d’échange, mais sa mémoire est volatile. Nous avons tous connu des sites qui disparaissent, des ressources qui deviennent inaccessibles. Personnellement, j’ai perdu tous mes sites web avant ce blog. J’ai perdu tout ce que j’ai posté sur les réseaux sociaux, particulièrement Google+ où j’étais très actif.

Cela m’a servi de leçon. La simplification à outrance de ce blog est une manière pour moi de le pérenniser.

Tout le monde ne pense pas comme moi ou ne réalise pas l’importance de l’archivage.

Toutes les archives du site de MTV, la chaine télé musicale qui a marqué ma génération, viennent d’être irrémédiablement effacées.

Cela va continuer. Avec le Web en 91 puis les smartphones en 2007, Internet s’est complètement insinué dans la société et la vie de tous les humains. Mais c’est très récent. Tellement récent que nous n’avons aucun recul sur ce que cela signifie sur le long terme.

Rappelons que les protocoles à la base d’Internet ont été conçus en imaginant que le stockage serait cher, mais que la bande passante serait bon marché. Internet est donc un réseau de routage de paquets sans aucune capacité de mémoire. Mémoriser ne fait pas partie de sa structure intrinsèque. Le réseau est conçu pour échanger et oublier.

Ironiquement, l’inverse s’est passé : le stockage est devenu meilleur marché que la bande passante. Mais la technologie ne s’est pas adaptée. Les humains non plus. Nous échangeons à toute vitesse des informations que nous oublions tout aussi vite.

Il n’y a, à ce jour, qu’une seule technologie qui a fait ses preuves pour nous souvenir et améliorer notre mémoire collective dans la durée : l’écriture. Les livres. Les livres qui, à l’exception d’incendies dramatiques, résistent aux millénaires, aux multiples lectures, aux annotations, à l’écorchage de leurs pages.

Internet et les livres resteront toujours complémentaires. Le premier pour nous mettre en contact et nous permettre d’échanger en temps réel. Les seconds pour nous permettre de nous souvenir et d’échanger à travers les années et les siècles.

La mémoire de la ligne de commande

Sur Internet, on passe son temps à réinventer la roue alors que la solution existe probablement. D’où cette question provocante, mais incroyablement pertinente : pourquoi ne pas utiliser SSH pour tout ?

Exemple avec un chat qui enfonce les Slack et autres Teams tout en ne nécessitant rien d’autre qu’un client ssh.

SSH all the things!

On me rétorquera que c’est plus compliqué. Je réponds que pas du tout. Il faut juste apprendre tout comme nous avons appris à cliquer sur des liens. Il faut arrêter de prendre les utilisateurs pour des nuls et expliquer des choses qui pourront leur servir toute leur vie.

Une fois le principe de base d’une ligne de commande compris, un ordinateur devient une machine incroyable qui obéit aux ordres qu’on lui donne et non plus une boîte noire magique dont il faut deviner ce qu’elle veut qu’on fasse. La ligne de commande contrôle l’ordinateur là où le GUI contrôle l’utilisateur. 

Retenir une ligne de commande est très simple : il suffit de l’écrire quelque part. Par exemple dans un livre. Retenir une action à accomplir dans une interface graphique est très difficile. De toute façon, elle change tout le temps.

Autre point sous-estimé : une ligne de commande se partage très simplement. La ligne de commande est, par essence, sociale. Le GUI est solitaire. Comme cette fois où j’ai tenté, par téléphone, d’aider ma mère à installer un logiciel sous Ubuntu. Comme je n’arrivais pas à lui dire où cliquer, j’ai fini par lui faire lancer un terminal et lui dicter la commande. Ça a fonctionné du premier coup (j’ai juste dû lui prévenir que c’était normal que son mot de passe ne s’affiche pas, qu’il fallait le taper à l’aveugle).

Software Supply Chain contre Communs numériques

Dans un billet précédent, j’explique que contribuer à l’open source doit être vu comme une contribution aux communs et, de ce fait, il faut favoriser les licences Copyleft qui imposent de reverser aux communs toute modification/contribution ultérieure.

Ces 20 dernières années sont une leçon que si l’Open Source a gagné, c’est essentiellement parce que les grosses entreprises utilisent l’Open Source comme un gigantesque réservoir de main-d’œuvre gratuit. Elles vont même jusqu’à se plaindre quand un logiciel casse leur produit alors même qu’elles n’ont jamais acheté ce logiciel ni contribué.

Thomas Depierre pointe l’erreur de logique: les entreprises parlent de « Supply Chain » (chaine des fournisseurs), mais lorsqu’on écrit du code Open Source, on n’est pas un fournisseur. Et on n’a pas spécialement envie de le devenir. Un truc que les entreprises ont du mal à comprendre « Si on a ce code dans notre produit, il provient soit de chez nous, soit d’un fournisseur, non ? ». Et bien non.

La meilleure solution est pour moi d’utiliser des licences copyleft et, plus spécifiquement la licence AGPL qui impose le copyleft y compris pour les utilisateurs réseau. En clair, s’il est prouvé que Google utilise du code copyleft dans son moteur de recherche, n’importe quel utilisateur a le droit dé réclamer le code de tout le moteur Google.

Inutile de dire que les entreprises sont terrifiées à cette idée et qu’elles fuient le code GPL/AGPL comme la peste. C’est la raison pour laquelle le noyau Linux, sous GPL, est complètement isolé du reste du système dans Android. À part Linux, Apple, Google et Microsoft considèrent le GPL comme un véritable cancer. Les serveurs Netflix ou la PlayStation Sony sont sous FreeBSD par crainte de la GPL. macOS se base également sur BSD en évitant le monde Linux par peur d’être contaminé à la GPL.

Ils ont tellement peur qu’ils accusent les licences copyleft d’être « restrictives ». Non. La seule restriction que vous impose le copyleft, c’est de vous interdire d’ajouter des restrictions à vos utilisateurs. Il est interdit d’interdire.

Alors, oui, au plus il y aura du code sous licence AGPL, au moins les entreprises considéreront les développeurs open source comme des fournisseurs. Plus il y aura de code sous licence copyleft, plus large sera notre mémoire commune numérique.

TL;DR: release your code under the AGPL

Bon, après, je dis AGPL, mais je suis seulement en train de découvrir qu’en droit européen, il est bien possible que l’EUPL soit préférable. Mais, dans l’esprit, les deux sont équivalentes.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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