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Internet au Sommet. Vers une indépendance de l'ICANN ? #actualité

jeudi 17 octobre 2013 à 12:24

Connaissiez-vous cette carte de 2006 représentant l'infrastructure mondiale par 123 serveurs DNS root (ou racine) d'Internet ? En fait, tout Internet repose sur cette infrastructure de serveurs DNS racines, et comme tend à le démontrer Stéphane Bortzmeyer, les DNS ne servent pas uniquement à rediriger un nom de domaine vers une adresse IP ; ce n'est que la partie "visible" et facilement compréhensible du système de gestion des noms de domaine. Comme on peut le voir aussi sur cet article de l'ICANN, et contrairement à ce que l'on dit à ce sujet, il n'y a pas juste 13 serveurs racine situés aux États-Unis, mais bien une redondance par de multiples copies de ces serveurs racines dans le monde entier.

Ce qu'il faut, en revanche, prendre en compte, c'est l'aspect politique et organisationnelle de la gestion de ces serveurs. L'ICANN est la société décisionnelle pour l'attribution d'une majorité de noms de domaines et des numéros sur Internet et c'est cette autorité de régulation de l'Internet qui délivre en pratique un droit de délégation sur la vente des noms de domaines à différentes organisations, comme VeriSign pour les domaines ".com" et ".net" ou l'AFNIC pour le domaine ".fr". Notons quand même que l’ICANN n’a aucun pouvoir sur la racine du DNS. C’est le gouvernement des États-Unis, via l’agence américaine NTIA, qui donne les autorisations. Verisign, pour l'exemple est donc l’opérateur technique, qui les met en œuvre.

Le problème qui se pose depuis quelques années, vient du fait que l'ICANN est une société californienne qui n'arrive pas à gagner son indépendance à cause de ses liens avec le gouvernement américain. L'ICANN a en effet été fondée à la suite d'une directive du département du Commerce des États-Unis, et l'ICANN fonctionne toujours sur la base d'un mémorandum avec ce ministère. Depuis le 30 septembre 2009, date de la fin de son contrat avec le ministère, L'ICANN demande à ne plus être sous la sous tutelle du gouvernement américain, mais l'administration Bush s'y était très fortement opposée. Hors, aujourd'hui, avec les révélations d'Edward Snowden, la confiance des internautes s'est rapidement effritée sur le réseau des réseaux, et notamment envers toutes les sociétés liées de près ou de loin au territoire américain amoureux de la surveillance à outrance.

C'est en ce sens, et précisément sur ce sujet, que le 7 octobre 2013 en Uruguay, un sommet des organisations responsables de la coordination de l'infrastructure technique de l'Internet au niveau mondial a eu lieu. Elles demandent et veulent que la fragmentation de l'Internet ne se fasse plus uniquement au niveau national mais que tous les pays soient placés sur un pied d'égalité.

J'en ai profité pour interroger Stéphane Bortzmeyer, un spécialiste des DNS et de la structure technique d'Internet, à propos de ce sommet. Il office librement sur le blog bortzmeyer.org. Je tiens à le remercier d'avoir bien voulu répondre à ces quelques questions.

Interview de Stéphane Bortzmeyer

Concrètement, quel est votre avis sur la faisabilité de cette récente envie (des dirigeants des organisations responsables de la coordination de l'infrastructure technique de l'Internet au niveau mondial) d'appliquer une certaine décentralisation surtout politique de l'infrastructure pour qu'elle ne dépende plus quasi exclusivement du gouvernement américain ?

Il faut être prudent car rien n'indique qu'il s'agisse d'une vraie volonté et pas simplement d'un effet d'annonce. L'ICANN reçoit toute son autorité d'accords avec le gouvernement des États-Unis. Cela lui laisse la possibilité d'appeler à plus d'internationalisation, mais certainement pas celle de mettre cet appel en pratique.

Concernant des organisations comme l'IETF, elle est partagée entre le désir de prendre ses distances avec les ratiques d'espionnage de la NSA et la crainte de ne pas avoir autant d'influence dans un Internet plus internationalisé (en langage codé à l'IETF, cela se dit « il faut éviter la fragmentation de l'Internet »).

Quelles seraient les solutions envisageables pour que l'ICANN, et au final la structure décisionnelle de la gestion d'Internet, puisse évoluer en prenant en compte les sociétés civiles ?

Je ne suis pas optimiste quant à la possibilité que l'ICANN évolue. Notez aussi qu'elle n'est pas « la structure décisionnelle de la gestion d'Internet ». Elle a un pouvoir pour la gestion de la racine, et pour la régulation des domaines de têtes états-uniens (comme .com) mais cela ne représente pas tout l'Internet. Par exemple, ce n'est pas l'ICANN qui décidera s'il faut utiliser plus ou moins de HTTPS (HTTP sécurisé par la cryptographie) sur le Web, ou qui décide qu'il faut mettre toutes nos données personnelles dans des grands silos toujours gérés aux États-Unis. Il y a bien d'autres acteurs qui décident.

Vilain raccourci de ma part. l'ICANN ne gère en effet pas Internet, mais ses noms de domaine les plus populaires. N'est-il pas trop tard, maintenant que les États-Unis ont la main-mise au niveau mondial que ce soit au niveau commercial et politique pour faire évoluer l'indépendance de l'ICANN ?

C'est très difficile, c'est sûr. Mais, en même temps, c'est de la simple justice. Les révélations d'Edward Snowden ont montré, même aux gens qui essayaient de fermer les yeux, les conséquences d'une centralisation de services essentiels sur le territoire d'un seul gouvernement.

Beaucoup de scepticisme. Vous pensez donc que cette rencontre n'aura pas servi à faire avancer, une fois encore, ce débat, et que le gouvernement américain continuera de gérer cette infrastructure racine mondiale ?

Oui, car on n'a jamais vu l'Empire lâcher volontairement et
pacifiquement ce qu'il détenait. Même si l'ICANN voulait vraiment être
indépendante (ce qui n'est pas le cas, elle sait qu'elle n'en a pas
les moyens), le gouvernement US ne lâcherait pas.

Pour finir, si on peut évoquer la Chine (pour l'exemple) comme indépendante, ne risque-t-on pas de voir plusieurs Internets gérés à la manière d'minitel contrôlé et censuré ?

Oui, c'est un argument de propagande souvent entendu. Actuellement, certaines fonctions importantes sont gérées par un seul gouvernement et dont les pratiques sont inacceptables. Cette crainte d'une « fragmentation » est surtout avancée pour refuser toute évolution.

Des noms de domaine en P2P ?

On se souviendra aussi que Peter Sunde, le co-fondateur de The Pirate Bay avait lancé un appel pour un projet de noms de domaine alternatifs et décentralisés en P2P, dans le but d'essayer de contourner le système de contrôle judiciaire actuel et la censure. La discussion autour de ce projet n'a pas réussi à convaincre à cause de problèmes colossaux à résoudre mentionnés justement par Stéphane Bortzmeyer.


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