PROJET AUTOBLOG


Gordon

source: Gordon

⇐ retour index

The pirate framework

dimanche 27 novembre 2011 à 00:00

Ce billet répond à ceux de Tornade et Cabusar, au sujet d’une idée évoquée à la fin de mon précédent article, à savoir la réflexion de ce qu’aurait du être un truc adressé à ceux qui se lèvent aujourd’hui contre les monopoles de pouvoir, indignés de tous poils et pirates d’eau douce.Tornade, Cabusar, mais également Paul, Numendil et autres avons entamé des réflexions sérieuses à ce sujet.

Plutôt que de répondre point par point aux 2 articles précités, je vais plutôt donner mon point de vue brut. Depuis quelques semaines, les idées de chacun sont discutées et reprises pour imaginer une structure qui fonctionne.

Tout d’abord, partons d’une réflexion. Je l’ai essentiellement faite dans le dernier billet, et elle se résume à dire que le Parti Pirate, partant d’un bon fond, ne fonctionne pas, essentiellement à cause d’une structure mal pensée et conçue, trop vulnérable aux récupérations par des personnes (précisément ce qu’il s’est passé avec Maxime). Également, une verticalité étouffante faisant que seule une poignée de personnes s’investissait, travaillait, etc… En parallèle, des sections locales tentaient de se monter (la seule réellement active étant celle ayant fait le choix de ne pas reconnaître l’autorité du parti), sans aucune aide du CAP autre que des déclarations (promesses politiques ?) bien vides.

Participer à la création d’un hackerspace m’aura fait prendre l’importance d’un mot, et de son caractère indispensable dans tout projet sérieux : le fun. Il en faut, impérativement, sans quoi aucune motivation ne dure longtemps. Ça passe notamment par le fait de rencontrer les gens, de boire avec eux. C’est loin d’être évident pour un moussaillon décentralisé dans sa pauvre ville de boire avec les parisiens, et même démotivant de se sentir à l’écart. Ce qui pousse naturellement à moins s’impliquer, pour le résultat qu’on connaît.

Un autre point à garder en tête est que dans le monde, chacun a ses opinions propres. Fédérer du monde sous une bannière unique permet certes de donner plus de force à des idées, mais impose également un consensus (dans le meilleur des cas) sur tout le reste. Pour le Parti Pirate par exemple, qui s’est toujours défendu sur le papier de n’être ni de gauche ni de droite, voter un programme large aura de fait donné une direction globale que tous les adhérents ne souhaitent pas défendre, loin de là. Étant donné que naturellement, il soit composé en majorité de membres de sensibilité de gauche (malgré tout le mal que je pense de cette distinction idéologique peu fiable), il est inutile de préciser que des membres ont été déçus de l’orientation qui correspond de moins en moins à leurs idées personnelles, mais qui leur est imposée. Est-il réellement nécessaire d’élargir à ce point le programme ? C’est essentiellement une question d’objectifs.

Que cherche-t-on ?

C’est une question essentielle. Si on posait la question aux dirigeants actuels du Parti Pirate, ils répondraient sans doute « à être un parti reconnu ». Paul a répondu à cette question « à défendre l’idée d’une politique nouvelle et les idées de défense des individus ». Quant à moi, j’aurai encore une réponse différente : « à faire prendre conscience aux citoyens qu’ils ont le pouvoir ». Je suis conscient que c’est un but assez idéaliste et peu concret. Mais l’intérêt des discussions est justement de confronter tout ça. Bien sûr, pour le Parti Pirate, cela correspond à son objectif de chercher à élargir son programme, tout comme rester sourd à la grogne de sa communauté : peu importe le fait d’être irréprochables, d’appliquer des idéaux, seule compte l’efficacité, la candidature d’un maximum de membres aux législatives (mais n’aurait-on pas oublié que les membres en question sont ceux que l’on n’écoute plus ?) afin de peser le plus lourd possible dans les médias (la probabilité d’être élue, tout comme de simplement recueillir un financement public, étant négligeables). Mais à quoi bon cette efficacité si l’esprit du parti est sacrifié ?

Ma réponse est « à rien ». Je ne pense tout simplement pas que cette orientation soit ce que les indignés (au sens large du terme) recherchent. Dans l’autre sens, l’idée de défendre avant tout les idées est, évidemment, peu efficace dans ce système, conçu pour ne laisser la place qu’au bipartisme, et considérant qu’une alternance de camp tous les 5 ou 10 ans est suffisante pour satisfaire le peuple. En particulier mon idée personnelle est un travail à très long terme. Tout dépend, encore une fois, de ce qu’on veut. Veut-on viser les élections législatives ? Se faire connaître par tous les moyens ? Parvenir à être un parti officiel en continuant de prioriser les idées sur l’administratif ? Pour moi, il ne faut pas griller les étapes. C’est très long, avec peu de succès visibles, mais la précipitation est vouée à l’échec.

C’est pourquoi je privilégierais une non-structure : pas de parti, pas de programme défini, pas d’objectif électoral, mais un énorme effort pour intéresser (ou réintéresser) les gens à la politique, quel que soit leur bord. Je trouve extrêmement important de garder à l’esprit que les gens ont tous des opinions différentes, et que plus on cherchera à imposer une idée commune à beaucoup de gens, plus on en décevra. Par ailleurs, si on est dans un contexte d’élections locales, quelle importance d’être d’accord avec son voisin d’une autre région ? Chacun peut librement défendre ses idées, et la cohabitation est possible. C’est le cas pour beaucoup d’élections : globalement, je ne pense pas qu’il y ait besoin d’un consensus national sur tout et n’importe quoi : il est important de respecter la richesse qui provient de la différence d’opinions. Mais même parler d’élections est irréaliste alors qu’on parle de « simplement » remotiver les gens. J’ai précédemment dit que beaucoup de citoyens ne croyaient plus en la politique, surtout les jeunes, qui veulent de moins en moins voter, c’est quelque chose de très grave pour une démocratie. Il faut donc prioritairement rappeler aux gens qu’ils sont des citoyens, et non une ressource à disposition des dirigeants. La chose la plus élémentaire pour ça est de les inviter à parler. Pas sur un forum unique sur le web, où ils se confronteront aux opinions de tout le monde. Simplement entre amis, dans des soirées, autour d’un verre. C’est extrêmement important, n’oublions pas le fun. Ça rapproche, ça rappelle qu’on n’est pas seul à avoir cette opinion, ça permet aussi de se mettre d’accord bien plus facilement que sur le web avec des pseudo-inconnus et avec la froideur des paroles écrites. Discuter, se plaindre ensemble de ce qui ne va pas, que ce soit au niveau local, national ou autre. Se demander pourquoi ça ne va pas, et comment ça pourrait aller mieux. Mais surtout ne pas chercher à formaliser ces réunions, il faut seulement les faciliter. Le reste est, et doit surtout rester, naturel. C’est comme ça que les gens s’indigneront, d’abord dans leur salon, puis, sachant que leurs amis partagent leurs idées, décideront de s’impliquer, ou pas. Mais la possibilité leur sera permise, et ils le sauront.

L’idée devrait commencer à vous apparaître. Je ne veux absolument rien imposer, rien décider, et je pense que nul ne le devrait. C’est aux gens de se rapproprier la politique, pas à moi (ou autre) de construire un bidule et de me servir des gens pour le faire fonctionner. Je serais heureux de réussir à faire discuter ainsi des gens à l’opinion farouchement opposée à la mienne, et je les aiderai du mieux possible, indistinctement. C’est l’un des concepts du Parti Pirate qui est réutilisé ici : se servir des innovations des nouvelles technologies pour améliorer la société. Ici, on parle des licences libres, qui permettent la réutilisation du travail, peu importe la finalité. Il est donc question de favoriser l’échange, non plus de musique ou de films comme l’a fait le PP, mais d’idées, et plus nécessairement sur Internet mais entre amis ou connaissances.

Dans le concret, il ne s’agirait d’aucune façon d’un fork du Parti Pirate, comme beaucoup l’ont pensé. Parce que ce n’est ni un fork, ni un parti, ni pirate. Bien que sur le dernier point, je pense que mes « camarades comploteurs » émettront des réserves. J’aurais tendance à vouloir partir sur un projet parfaitement neutre, laissant la multitude de « nœuds » (groupes de gens/amis réunis pour discuter de politique) travailler leurs avis, leurs revendications. Mais il me semble plus cohérent de partir sur un socle extrêmement réduit d’idées communes. Absolument pas des idées économiques, sociales ou autres, seulement la volonté de changer le système politique pour favoriser les citoyens au lieu d’une poignée de politiciens et des grands patrons. Mais l’idée de se reposer sur un petit socle de valeurs communes apportées par une poignée de personnes est sensible, et je préfère que le point soit discuté en profondeur.

Voilà donc pourquoi je parle d’un framework dans le titre. Le terme « pirate » est d’ailleurs sans rapport, et se réfère essentiellement à l’historique de la majorité des membres qui ont réfléchi à ça. Je ne pense pas que garder un tel terme soit une bonne idée, à la fois au vu de sa réputation en France, mais également par le fait que permettre à des gens à s’intéresser à la politique et défendre une nouvelle forme de gouvernance n’a strictement rien de « pirate ». Le framework, donc, désigne l’ensemble des documentations et outils que nous fournirions à quiconque souhaite concrétiser ces discussions, par exemple par le biais d’un blog, de listes de diffusion, le tout dédié à chaque groupe, et non une centralisation des communications… L’idée est également de favoriser la discussion de « nœuds » ainsi formés, et leur évolution. Là-dedans, les quelques joyeux trublions citées au-dessus et moi-même n’aurions qu’un rôle de maintenance technique de ces outils, et de rédaction de toute la documentation nécessaire (indiquant comment créer une association, comment gérer un blog, les moyens de s’impliquer en politique, des conseils de communication…)

Et ensuite ?

J’anticipe l’éventuel succès de cette opération, par le fait que des groupes se forment, s’impliquent, que ce soit en bloguant, en discutant avec leurs élus, en effectuant des actions, en se présentant à des élections… À un moment ou à un autre, il sera nécessaire d’avoir quelque chose de plus gros pour continuer d’aider tout ça. Toujours dans l’optique de défendre un socle de valeurs communes, le regroupement sera envisageable. Si je n’en parle qu’à cette étape, c’est qu’à ce moment, les groupes existeront, auront appris à fonctionner en autonomie, sans reconnaître de chefs. Ils pourront se regrouper au sein d’une fédération, qui jouera le rôle de bannière commune, sur un certain nombre de points. L’importance de cette fédération sera naturellement faible, étant donné que l’intelligence se sera installée en « périphérie » (dans les groupes de tailles réduites, constitués essentiellement de personnes se connaissant, et ayant donc une cohésion plus forte), ce qui est encore une inspiration des nouvelles technologies appliquée à la société. Il faut d’emblée préciser que cette fédération n’aurait aucun pouvoir, aucun membre directement (seulement des membres des groupes distincts), n’aurait pas d’identité propre (ce qui est le principe d’une fédération, mais il vaut mieux le répéter). Son rôle pourrait d’être la structure centralisée qui bénéficierait du statut de parti agréé si jamais il y en a le besoin, ou de favoriser la communication des groupes sous un nom commun.

Un point qui a été abordé, qui me semble absolument indispensable de préciser, est que les quelques gus initiateurs du mouvement (dont moi, donc) seraient tenus de démissionner de leur éventuel poste, quel qu’il soit, après une période donnée (correspondant au lancement effectif du machin) et seraient inéligibles pendant suffisamment longtemps pour éviter qu’ils ne prennent le contrôle du machin. Il est important de comprendre les erreurs du Parti Pirate et de réfléchir à la suite en se prémunissant des problèmes qui l’ont fait échouer, tout en garantissant la défense les valeurs clés (fonctionnement horizontal géré uniquement au niveau local).

Enfin, j’aimerais revenir sur un élément avancé par Tornade dans son billet :

  • J’en reviens à mon idée de Conseil Constitutionnel : Il serait composé de nous 3 ( Paul, Gordon et moi-même) + des volontaires. Il se mettrait en marche lorsque les débats ne permettent pas de trouver un consensus. Nous apporterions notre vision / notre avis sur le sujet et peut-être servir d’arbitre en cas de conflit. Nous n’avons pas la science infuse mais de l’expérience et ça peut aider à débloquer des situations tendues.

Je suis farouchement contre cette idée. Les « membres fondateurs » du truc, quel qu’il soit, devront avoir le moins d’impact possible. Ça ne doit en aucun cas être une initiative qui mette en avant des personnes, car les dérives seraient alors inévitables. La solution de développer un tas de groupes verra vraisemblablement se développer des personnalités plus « dirigeantes » que les autres, c’est la vie. Mais elles seront peut-être leaders de leur groupe, sans que ça ait un impact sur les autres. En développant massivement les « nœuds », on devrait éviter la montée d’un chef global, chaque groupe continuera de fonctionner comme il l’entend, en autonomie. Et surtout, il faudra faire de gros efforts pour ne pas chercher de consensus à tout, mais de respecter les divergences d’opinion et de les laisser cohabiter en paix.

Voilà pour ce que j’ai à en dire. Il serait intéressant d’avoir la vision détaillée des autres participants, et de quiconque souhaite s’y mettre aussi. Il est impossible de nier que ce sont des personnes, et non seulement des idées brutes, qui cherchent à mettre ça en place, et je pense que la plus grande transparence et honnêteté de ces personnes est un bon point pour permettre de déployer quelque chose de fonctionnel et neutre.