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Philippe Scoffoni : Mutualisation et logiciel libre, les utilisateurs oseront-ils prendre le pouvoir ?

vendredi 19 avril 2013 à 08:32

prendre le pouvoirLe modèle d’éditeur de logiciel libre ou open source malgré ses défauts semble incontournable pour financer le développement de nouveaux logiciels libres. Quelques rares exemples nous montrent qu’une autre voie est possible : celle de la mutualisation. Mais c’est une voie anxiogène pour bien des sociétés de services en logiciel libre. Si l’utilisateur prend le contrôle du logiciel, ce sera au détriment des prestataires de services. Mais au final, c’est bien l’utilisateur que le logiciel libre est censé libérer.

Editeur de logiciel libre, modèle incontournable ?

Tout dépend du logiciel qui doit être développé. Les logiciels d’infrastructure se prêtent mal à ce modèle à moins d’opter immédiatement pour une stratégie de type open core ou Freemium. Un projet comme OpenStack n’aurait jamais pu être porté par un éditeur, trop de concurrence sur les services qui restent pour un éditeur de logiciel, une source de revenus indispensable.

Même combat pour les outils bureautiques, même si de petits projets comme Abiword ou GNumeric ou encore les déclinaisons d’OpenOffice comme OOO4Kids ou OOOLigth portés par des associations continuent leur bout de chemin. Mais le mot est lâché, ce sont des associations encore une fois, pas des entreprises. Un modèle qui peut dans certain cas entraîner des dérives lorsqu’une entreprise “emploie” une association et ses bénévoles pour favoriser ses activités.

Les éditeurs sont apparus pour répondre aux besoins des utilisateurs qui n’étaient pas couverts. les utilisateurs formatés par des années de modèle Microsoft ne peuvent imaginer bien souvent qu’ils puissent être à l’origine des programmes informatiques dont ils ont besoin. Paradoxalement, on sait que c’est dans les entreprises qu’est produite la plus grande quantité de code source de programme.

Voilà nos utilisateurs coincés entre l’habitude de faire eux-mêmes ou avec l’aide d’un prestataire et celle d’acheter un logiciel à un éditeur. De temps en temps cependant, certains se regroupent et fondent des GIE (Groupement d’Intérêt Economique). Ces derniers  tournent souvent au cauchemar aboutissant à autant de versions du logiciel que de membres avec à la clé un coût financier exorbitant.

Mutualisation, trop compliquée ?

On a vu que les grands acteurs de l’industrie du numérique voient dans la mutualisation de leur recherche & développement un intérêt certain. C’est aujourd’hui la raison d’être des fondations Linux, Apache, OpenStack et autre Eclipse. Une approche qui peut sembler naturelle pour des sociétés technophiles et des grands groupes.

Si l’on revient à l’échelle de la PME, la mutualisation sur le modèle du logiciel libre disparaît au profit de l’éditeur à qui on sous-traite indirectement cette tâche.  On décroche son téléphone, on appelle un éditeur ou un intégrateur et on paye pour se faire mettre en place une solution.

Certains ont montré la voie de la mutualisation comme l’ADULLACT dans le domaine des collectivités publiques selon une équation bien connu de

Mutualisation + argent public = logiciel libre.

Le même modèle est-il applicable aux entreprises ? J’entends souvent répondre que c’est bien trop compliqué, que les PME et TPE françaises sont bien trop “gauloises” dans leurs habitudes pour que cela marche. J’imagine pourtant que dans les collectivités publiques, cela ne doit être guère différent.

J’ai appris en plus de 6 ans de pratiques des AMAP que l’on pouvait être un “consom’acteur”, qu’il était possible de prendre en main, d’orienter les méthodes de production de nos agriculteurs tout en évitant certains intermédiaires pas forcément inutiles, mais souvent trop gourmands et surnuméraires. Tout cela pour au final être le plus sûr possible de ce que je mets dans mon assiette.

Il est possible de faire de même avec l’informatique et les logiciels. Les entreprises doivent apprendre à devenir les acteurs et ne plus simplement consommer les produits joliment emballés que leur proposent les éditeurs et leurs compagnons, les sociétés de service. Non pas, encore une fois, que ces acteurs soient inutiles, ils ont toute leur place et leur expertise est indispensable. Mais les utilisateurs et le logiciel libre gagneraient à changer le rapport de force en présence.

Pourtant cela pourrait changer bien des choses

La mutualisation par les entreprises de leurs besoins pourrait changer la donne. Dans ce modèle, les sociétés de services sont consultées pour répondre à un besoin selon les desiderata des utilisateurs qui restent les maîtres à bord. Ce qui change c’est que l’utilisateur n’est plus seul, isolé face à une société de services. C’est un rapport de force bien différent que dans le face à face classique entreprise/prestataire.

Une expérience que je tire d’une première année d’activité de ma société Open-DSI. J’ai pris cette posture d’être au côté de l’utilisateur face aux prestataires. Vous pouvez chercher sur mon site, il n’y a pas de partenaires et il n’y en aura jamais. Cela fait partie des cinq piliers de ma société. Je ne suis pas le seul à mener ce genre d’activité ; d’autres le font, mais nous sommes au final encore peu à défendre ce concept d’accompagnement et d’indépendance.

On rétorquera que les “décideurs informatiques ne sont pas des enfants” et c’est vrai. Sauf qu’il n’y en a pas dans la grande majorité des PME où la direction informatique est souvent assurée par le Directeur Administratif et Financier ou encore le dirigeant. Les PME, c’est juste 99% des entreprises en France. Il y a bien des informaticiens, mais leurs compétences et activités les cantonnent au rôle de celui qui fait marcher l’informatique. Difficile avec le nez dans le guidon d’imaginer qu’il soit possible de mutualiser ses besoins et ses moyens avec d’autres dans un modèle basé sur les logiciels libres.

Les industriels ont compris tout l’intérêt de la mutualisation et du logiciel libre, il reste à faire connaître ce modèle aux plus petits. Lourde mission que je me suis donnée au travers de ma société. Mais petit à petit les éléments se mettent en place et un premier projet concret est en train de se mûrir. J’espère pouvoir vous en dire plus prochainement.

Une chose qui est certaine, ce n’est pas un modèle qui va plaire, si les utilisateurs reprennent la main, d’autres la perdront. Les changements de pouvoirs ne sont jamais vécus sereinement. J’entends comme un concert de voix dans le monde de l’open source qui voudrait étouffer cette éventualité. Pourtant cela éviterait bien des gaspillages et libérerait d’autres énergies positives pour notre économie.


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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 19/04/2013. | Lien direct vers cet article

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