Recréations violentes
mardi 23 septembre 2025 à 14:40Quelques heures seulement après la mort de Charlie Kirk, des joueurs avaient déjà recréé la scène de son assassinat dans Roblox. Plus d’une centaine de ces recréations ont rapidement été supprimées par la plateforme, mais le mal était fait : sur TikTok et X, des extraits de ces mises en scène tournaient en boucle, accompagnés parfois d’avatars portant des vêtements tachés de sang rappelant ceux de Kirk.
Face à l’indignation, le PDG de Roblox, David Baszucki, a rappelé que les standards de la plateforme interdisent les contenus qui rejouent des événements violents réels ou qui promeuvent la haine et le terrorisme. Mais l’affaire souligne une réalité plus large : chaque drame médiatisé semble désormais voué à être rejoué dans les mondes virtuels. Qu’il s’agisse de l’assassinat de JFK, d’une tentative sur Donald Trump, ou même de fusillades scolaires, Roblox, Fortnite ou Minecraft deviennent régulièrement le théâtre de ces reconstitutions.
Pour le psychologue, ces recréations sont une manière de traiter psychiquement et collectivement des événements violents et potentiellement traumatiques. La mise en scène est une mise à distance avec un traitement collectif de l’émotion. On aurait là un bon exemple d’un rituel par lequel des digiboriègnes raiteraient un événement difficile. Là, sur un équivalent numérique de la place du village, des personnes exorciseraient la violence dont ils ont été témoins.
Mais cette explication me semble trop psychologisante. Ne s’agit-il pas purement et simplement de propagande ? Pour répondre à cette question, j’ai appelé Olivier Mauco, chercheur en sciences politiques et spécialiste de l’analyse des discours et idéologies des jeux. Il est l’auteur d’ouvrages de référence tels que « GTA IV?: l’envers du rêve américain » et « Jeux vidéo hors de contrôle ». S’il est un chercheur français qui peut comprendre finement ce qui se passe dans les jeux vidéo, c’est bien lui!
Selon Olivier Mauco, il faut d’abord comprendre que Roblox n’est pas seulement un jeu : c’est un réseau social et un outil d’expression. Grâce à Roblox Studio, les utilisateurs peuvent produire en quelques heures des espaces en 3D. Cela en fait une plateforme de user-generated content, comparable aux pratiques de modding qui existent depuis les années 1980. Déjà à l’époque, certains groupes, notamment néonazis, utilisaient les jeux vidéo comme lieux de communication, de propagande et de rencontre. Les pratiques observées aujourd’hui s’inscrivent donc dans une continuité historique.
Dans Roblox, il existe même une véritable culture de la reconstitution de crimes ou d’assassinats. Les scènes de meurtre et de violence attirent parce qu’elles jouent sur plusieurs ressorts : l’émotion, l’excitation, la transgression. Comme l’explique Mauco, ces contenus circulent parce qu’ils exploitent le règne de l’interdit et du marginal, mais aussi parce qu’ils constituent des espaces sociaux. Ceux qui y participent ne font pas que regarder : ils se retrouvent, échangent et forment des communautés.
La dimension politique n’est pas à négliger. Mauco rappelle que l’extrême droite est particulièrement présente et habile dans l’usage des réseaux sociaux et du gaming. Elle vise un public jeune, souvent entre 18 et 30 ans, âge où l’on se politise le plus. Charlie Kirk lui-même s’est appuyé sur une stratégie tournée vers les étudiants et les conservateurs. Les recréations violentes deviennent alors à la fois chambre d’écho, outil de diffusion et parfois instrument de recrutement. L’histoire montre d’ailleurs que l’extrême droite a toujours eu une capacité particulière à exploiter les nouveaux médias pour sa propagande, du nazisme jusqu’aux plateformes numériques actuelles.
Il faut enfin replacer ces recréations dans la culture des mèmes. Souvent, elles n’ont pas de dimension idéologique explicite : elles relèvent du désir d’attirer l’attention, de provoquer, ou simplement de participer au flux de l’actualité. Dans cette logique, des assassinats, des attentats ou des tendances légères se retrouvent sur le même plan : tout ce qui est reconnaissable devient partageable.
Ce brouillage est éthique et politique. Comme le note Mauco, on ne peut jamais savoir si celui qui recrée l’assassinat de Charlie Kirk cherche à choquer, à faire rire, à vendre des skins virtuels… ou à radicaliser. C’est précisément cette ambiguïté, inscrite au cœur de la culture numérique, qui rend ces contenus si problématiques.
En définitive, la reconstitution de l’assassinat de Charlie Kirk sur Roblox n’est pas un simple épiphénomène : elle révèle la manière des groupes politiques utilisent les modes d’expression des diigirigènes. Jouer avec l’interdit, rire de tout et de n’importe quoi, partager des contenus parce qu’il est possible de les partager fait partie des normes et des valeurs des digiborigènes. Ces pratiques sociales qui brouillent les frontières entre jeu, mémoire, satire et instrumentalisation idéologique peuvent être habilemment exploitée à des fins polisiques. . C’est sans doute là le vrai danger : que la violence réelle, une fois entrée dans le circuit des mèmes et des plateformes, perde son ancrage dans la réalité sociale et historique pour devenir un puissant cri de ralliement