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Le Conseil d’État enterre de manière illégitime le débat sur la loi sur la censure d’internet

mercredi 18 juin 2025 à 14:52

En novembre 2023, La Quadrature du Net, Access Now, ARTICLE 19, European Center for Not-for-Profit Law (ECNL), European Digital Rights (EDRi) et Wikimedia France lançaient une action en justice contre le décret français d’application du Règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne (TCO, ou « TERREG »). L’objectif était d’obtenir l’invalidation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de ce règlement dangereux en raison de son incompatibilité avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Malheureusement, dans sa décision rendue lundi, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État, a rejeté les arguments des organisations et leur demande de renvoi de l’affaire devant la CJUE.

Ce résultat est extrêmement décevant pour deux raisons principales. Premièrement, le Conseil d’État s'est illégitimement approprié le débat juridique sur la compatibilité du règlement TCO avec le droit primaire de l'UE. Cette question devrait pourtant être traitée au niveau de l’UE. Selon les Traités, la CJUE est la juridiction principale compétente pour statuer sur la légalité des actes de l’UE – c’est pour cela que les organisations demandaient le renvoi de l’affaire devant celle-ci. En menant son propre contrôle de légalité, le Conseil d’État empêche de facto la CJUE d’exercer ses compétences exclusives.

Deuxièmement, cette décision signifie également que les polices de l’ensemble de l’UE peuvent continuer à exercer leurs pouvoirs de censure excessive en vertu du règlement TCO pour encore un certain temps. Depuis la publication initiale de la proposition en 2018, les organisations qui ont contesté le règlement TCO ont régulièrement fait part de leurs préoccupations quant aux violations potentielles des droits fondamentaux en raison de l’insuffisance des garanties prévues. Au vu des données disponibles sur la mise en œuvre du règlement, certains éléments indiquent que certains États membres pourraient utiliser le TERREG comme un outil politique pour réprimer certains types d’expressions en ligne.

Par exemple, sur les 349 injonctions de retrait émises dans l’UE entre juin 2022 et avril 2024, 249 l’ont été par les autorités allemandes à la suite des événements du 7-Octobre en Israël. Cette situation est très préoccupante compte tenu de la répression croissante en Allemagne à l’encontre de la liberté d’expression, de réunion et d’association qui vise celles et ceux qui défendent les droits des Palestiniens et Palestiniennes (notamment par des interdictions de manifester, annulations d'événements, répression d’initiatives étudiantes, etc.).

Les organisations insistent sur la nécessité urgente de mettre fin aux pouvoirs de censure disproportionnés que confère le TERREG à la police et de protéger la liberté d'expression en ligne, en particulier dans un contexte de rétrécissement de l’espace démocratique à travers tout le continent. Elles s’engagent à rechercher d’autres voies de recours afin d’obtenir le renvoi devant la CJUE de la question de la légalité du règlement TCO.


La Quadrature du Net (LQDN) promeut et défend les libertés fondamentales dans le monde numérique. Par ses activités de plaidoyer et de contentieux, elle lutte contre la censure et la surveillance, s’interroge sur la manière dont le monde numérique et la société s’influencent mutuellement et œuvre en faveur d’un internet libre, décentralisé et émancipateur.

Le European Center for Not-for-Profit Law (ECNL) est une organisation non-gouvernementale qui œuvre à la création d’environnements juridiques et politiques permettant aux individus, aux mouvements et aux organisations d’exercer et de protéger leurs libertés civiques.

Access Now défend et améliore les droits numériques des personnes et des communautés à risque. L’organisation défend une vision de la technologie compatible avec les droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression en ligne.

European Digital Rights (EDRi) est le plus grand réseau européen d’ONG, d’expert·es, de militant·es et d’universitaires travaillant à la défense et à la progression des droits humains à l’ère du numérique sur l’ensemble du continent.

ARTICLE 19 œuvre pour un monde où tous les individus, où qu’ils soient, peuvent s’exprimer librement et s’engager activement dans la vie publique sans crainte de discrimination, en travaillant sur deux libertés étroitement liées : la liberté de s’exprimer et la liberté de savoir.

Wikimédia France est la branche française du mouvement Wikimédia. Elle promeut le libre partage de la connaissance, notamment à travers les projets Wikimédia, comme l’encyclopédie en ligne Wikipédia, et contribue à la défense de la liberté d’expression, notamment en ligne.

QSPTAG #321 — 13 juin 2025

vendredi 13 juin 2025 à 17:23

Salut les marmottes !

Au Garage cette semaine, on revient sur les mesures du projet de loi « simplification » qui facilitera la prolifération d’immenses data centers, sur les robots de contrôle utilisés par la CAF, et sur le passage de la loi narcotrafic devant le Conseil constitutionnel (avec le retour de la reconnaissance faciale en embuscade).

Bonne lecture à vous !

Alex, Bastien, Eda, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi

Loi simplification : vers des data center gros comme 70 terrains de foot !

La promesse faite cet hiver par Emmanuel Macron aux investisseurs de la tech est en passe d’être gravée dans le marbre de la loi « simplification » : parmi d’autres mesures de dérégulation poussées par les milieux patronaux et industriels, l’article 15 de ce projet de loi prévoit en effet des procédures accélérées pour faciliter le déploiement de monstrueux data centers censés permettre à la France et à l’Europe de rester dans la course à l’IA. Dans le cadre de la coalition Hiatus (https://hiatus.ooo/), nous avons pourtant mené bataille pour que cette disposition soit repoussée, pour que les projets de data centers ne fassent pas l’objet de dérogation au droit à la participation du public, déjà passablement rogné dans la pratique, mais aussi au droit de l’urbanisme et de l’environnement. Contre cette fuite en avant, nous avons demandé, de concert avec d’autres associations, militant·es écologistes comme Camille Étienne, mais aussi quelques responsables politiques, la suppression de cet article 15, un moratoire sur la construction de gros data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes. Ça n’a pas été suffisant. Grâce aux voix de l’extrême droite et du Parti socialiste, le gouvernement est parvenu à maintenir cet article 15 par 71 voix contre et 33 voix pour notre amendement de suppression. Si nous avons perdu cette manche, un large front s’est néanmoins consolidé pour dénoncer la fuite en avant écocide liée à ces immenses infrastructures qui accompagnent l’essor démesuré de l’IA. La bataille ne fait que commencer !

Les robots-contrôleurs de France Travail

Dans le cadre de notre projet « France Contrôle », qui s’intéresse aux algorithmes qui accompagnent la casse sociale, on poursuit nos recherches concernant France Travail. Et on a levé un nouveau loup ! Les réformes successives du service public de l’emploi se succèdent dans le sens d’une répression toujours accrue des personnes sans d’emploi. Dans ce cadre, une partie du travail de contrôle des personnes au RSA et devant réaliser 15h hebdomadaires d’activités a été confiée à des algorithmes développés par France Travail. Après que toutes sortes de données personnelle ont été moulinées, les personnes concernées font l’objet d’une classification automatique en trois niveaux : « clôture » (pas de suspicion), « clôture potentielle » (suspicion moyenne) ou « contrôle potentiel » (suspicion forte). Les agent·es de France Travail en charge du contrôle sont ensuite invité·es à se concentrer sur les dossiers les plus « risqués », avec à la clé de possibles radiations et des personnes plongées un peu plus dans la précarité. Et ce alors qu’aucune preuve ne vient corroborer la doxa politique selon laquelle une répression accru·e des assuré·es sociaux aurait des conséquences positives pour la lutte contre la fraude et autres erreurs déclaratives.

Loi Narcotrafic : qu’en dit le Conseil constitutionnel ?

Cet hiver, nous avons mené une autre campagne législative contre les mesures de surveillance de la loi narcotrafic. Pour rappel, cette loi, adoptée au début du printemps, prévoit notamment l’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards, l’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects », la création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées, la censure administrative de contenus relatifs aux drogues sur les réseaux sociaux, ce qui pourrait entraver des démarches de soin et de prévention des risques. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée », si large qu’elle peut en venir à couvrir des actions militantes, pourront donc faire l’objet de ces mesures. Sur ces différents sujets, nous avons fait valoir nos arguments juridiques alors que le Conseil constitutionnel était saisi de ce projet de loi par des députés. 

Celui-ci a rendu sa décision hier et, sans grande surprise, il a validé quasiment l’ensemble du texte. Seule la surveillance des adresses URL au travers des algorithmes des « boites noires » du renseignement a été censurée. L’extension de ces « boites noires » à la criminalité organisée a également été censurée, mais le Conseil constitutionnel n’a pas émis de critiques de fond sur cette extension et n’a prononcé la censure qu’en raison de la manière dont la loi était rédigée. Cette extension pourrait donc très bien faire son retour à l’avenir… De 

même, si une condition de procédure des « dossiers coffres » est jugée contraire à la Constitution, leur principe est entièrement validé. Cela permettra donc à la police de ne pas rendre des comptes sur des mesures de surveillance très intrusives. Et comble du mauvais goût, l’ancien sénateur Philippe Bas, désormais membre du Conseil constitutionnel, n’a pas jugé utile de se déporter sur ce texte alors qu’il l’avait lui-même voté lorsqu’il était encore sénateur…

Bien que le processus législatif soit terminé, la lutte contre le narcotrafic continue cependant d’être instrumentalisée par les marchands de peur du gouvernement. Après les annonces de Gérald Darmanin début mai qui, décidément, a du mal à raccrocher le costume de « premier flic de France », c’est Bruno Retaillau qui lui a emboîté le pas la semaine dernière, estimant qu’« il faudrait nous permettre pour mieux déceler les visages d’utiliser la reconnaissance faciale » en temps réel https://www.bfmtv.com/police-justice/une-revolution-penale-et-technologique-la-reponse-de-bruno-retailleau-apres-les-violences-en-marge-du-sacre-du-psg_AN-202506040174.html. La prochaine bataille contre l’expansion de la surveillance ?

Campagne de soutien 2025

Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte, aidez-nous à boucler le budget ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site : https://www.laquadrature.net/donner/.

Agenda

Retrouvez tout l’agenda en ligne https://www.laquadrature.net/agenda/

La Quadrature dans les médias

ZDNet : Des Nouvelles de Veesion ; https://www.zdnet.fr/actualites/videosurveillance-et-ia-veesion-leve-53-millions-pour-se-developper-a-linternational-476052.htm

Mediapart : Des nouvelles de Veesion ; https://www.mediapart.fr/journal/france/120625/veesion-une-start-prospere-de-la-videosurveillance-dans-le-viseur-de-la-cnil

Le Figaro : Les 800 drones de la Gendarmerie ; https://www.lefigaro.fr/actualite-france/analyse-des-scenes-de-crime-detection-des-emeutiers-800-drones-au-service-de-la-gendarmerie-20250606

Basta ! : L’utilisation de l’IA par France Travail https://basta.media/ia-et-controle-automatise-quand-france-travail-passe-en-mode-robot

Rapports de Force : L’utilisation de l’IA par France Travail ; https://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/quand-france-travail-passe-en-mode-robot-053124886

Mediapart : La censure des contenus terroristes contestée devant le conseil d’état ; https://www.mediapart.fr/journal/france/280525/la-censure-des-contenus-accuses-de-terrorisme-sur-internet-contestee-devant-le-conseil-d-etat

Le Républicain Lorrain : L’utilisation de la VSA par la ville de Metz ; https://www.republicain-lorrain.fr/defense-guerre-conflit/2025/05/23/l-ia-pour-securiser-la-ville-les-inquietudes-des-elus-de-gauche

Le Républicain Lorrain : Ce que la loi autorise en terme de VSA ; https://www.republicain-lorrain.fr/faits-divers-justice/2025/05/23/la-quadrature-du-net-qu-est-ce-que-la-loi-autorise

Les Échos : Analyse du marché de la VSA et des entreprises françaises ;  https://www.lesechos.fr/start-up/ecosysteme/les-start-up-de-la-french-tech-bousculent-le-marche-de-la-videosurveillance-algorithmique-2165053

Le Dauphiné : Analyse de la Quadrature après la décision de Moiran sur la VSA ; https://www.ledauphine.com/politique/2025/04/28/videosurveillance-algorithmique-plusieurs-centaines-de-communes-hors-la-loi

Le Relève et la Peste : Le prolongement de la VSA ; https://lareleveetlapeste.fr/le-gouvernement-francais-prolonge-la-videosurveillance-de-masse-jusquen-2027/

Radio Parleur : L’impact de la loi Narcotrafic sur les militants ; https://radioparleur.net/2025/04/03/loi-contre-le-narcotrafic-une-menace-cachee-contre-les-militant%c2%b7es/

Alternatives Économiques : L’impact de la Loi Simplification sur l’environnement ; https://www.alternatives-economiques.fr/simplification-cheval-de-troie-de-demolition-droit-de-lenv/00114695

L’Humanité : L’impact de la Loi Simplification ; https://www.humanite.fr/politique/droite/pourquoi-le-projet-de-loi-de-simplification-de-la-vie-economique-a-lassemblee-nationale-contient-des-mesures-regressives

Reflets.info : L’impact de la VSA sur la démocratie ; https://reflets.info/articles/le-braquage-democratique-de-la-vsa

L’Humanité : Utilisation de la VSA dans les bureaux de Tabac : https://www.humanite.fr/societe/cnil/des-cameras-augmentees-a-lia-pour-reconnaitre-les-mineurs-dans-les-bureaux-de-tabac-dans-le-viseur-de-la-cnil

Le Courrier Picard : Analyse de la loi Transport ; https://www.courrier-picard.fr/id616032/article/2025-03-20/fouilles-cameras-pietons-amendes-que-prevoit-la-nouvelle-loi-sur-la-securite

La loi Narcotrafic devant le Conseil constitutionnel

lundi 9 juin 2025 à 14:41

Au milieu de l’hiver, la loi Narcotrafic est arrivée à toute vitesse et, avec elle, ont déferlé des propositions sécuritaires et de surveillance qui dépassaient largement la question du trafic de stupéfiants. Avec vous, nous avons mené campagne pour alerter sur les risques de ce texte. Son examen au Parlement est désormais terminé et nous avons envoyé nos arguments au Conseil constitutionnel pour le convaincre de censurer ces dispositions dangereuses et révoltantes. Sa décision sera rendue cette semaine.

Il s’agit de l’ultime étape du processus législatif. Saisi par les députés insoumis, écologistes et socialistes, le Conseil constitutionnel doit désormais analyser si un certain nombre de mesures de la loi « Narcotrafic » sont conformes aux principes constitutionnels. De la même manière que nous avons alerté les député·es de l’inconstitutionnalité de certaines mesures lors des débats parlementaires, nous avons envoyé au Conseil constitutionnel nos critiques en ce qui concerne les dispositifs de surveillance contenus dans la loi (la contribution est accessible ici).

Des cadeaux pour le renseignement

Nous dénonçons d’abord l’extension des pouvoirs des services de renseignement. D’une part, la loi supprime l’obligation pour les services d’obtenir une autorisation explicite du Premier ministre et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) avant la transmission d’informations entre les différents services (article 1er). De ce fait, ils pourraient s’échanger beaucoup plus facilement des informations récoltées dans des contextes différents et pour des finalités différentes. D’autre part, l’échange d’information avec la justice est également assoupli (article 13), en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs, qui devrait impliquer que les services de renseignements n’ont pas à recevoir des éléments liés à des enquêtes. En effet, ils ne sont pas une autorité judiciaire et n’ont aucune compétence de répression pénale. Le mélange des genres est donc complet.

Surtout, les services de renseignement pourraient demain utiliser plus largement ce que l’on appelle les « boites noires » (article 15), ces algorithmes qui analysent un réseau pour trouver des comportements de connexion qui seraient « suspects ». Ces boites noires constituent, depuis leur création en 2015, de la surveillance de masse. Elles peuvent notamment cibler les personnes protégeant leur vie privée : lors des débats, le député Sacha Houlié, membre de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) et qui a ainsi accès à plus d’informations que ses collègues sur le fonctionnement précis des services de renseignement, expliquait que les personnes faisant attention à leur « hygiène numérique » sont la cible de ces boites noires. Le député mentionnait ainsi les personnes utilisant des « messageries cryptées » comme « Whatsapp » ou « Signal », et on suppose que ces boites noires visent également les internautes utilisant un VPN ou Tor.

Après avoir été autorisées pour la lutte contre le terrorisme puis contre les ingérences étrangères, ces boites noites pourraient, si la loi passait le filtre constitutionnel, alors être installées pour la lutte contre la « criminalité et la délinquance organisée », soit un périmètre très large. De plus, depuis une modification de 2021, ces algorithmes analysent également les adresses URL des sites consultés sur un réseau, ce qui peut donner accès à des informations très précises sur les contenus consultés. Nous avons donc rappelé au Conseil constitutionnel que cette technique de surveillance porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée, à la liberté d’expression et au secret des correspondances.

De nouveaux outils de surveillance pour la police et l’administration

Loin de se limiter aux seuls services de renseignement, la loi « Narcotrafic » dote aussi la police judiciaire de nouveaux pouvoirs de surveillance extrêmement intrusifs, dès lors qu’une affaire serait liée à la criminalité organisée. Nous avons rappelé à de nombreuses reprises que ce régime juridique d’exception, qui ne peut, en principe, être mobilisé que pour les seules enquêtes portant sur des faits très graves, est en réalité utilisé de façon très large, loin de se limiter au « haut du spectre » (pour reprendre une expression abondamment utilisée par les défenseurs de ce système) et qui, déjà aujourd’hui, fait l’objet d’utilisations abusives, notamment pour poursuivre des militant·es.

Ainsi, la police pourrait, pour certaines infractions, activer à distance les micros et caméras des objets connectés (articles 38 et 39), en compromettant les appareils grâce à des failles de sécurité. Nous n’avons pas manqué de rappeler au Conseil constitutionnel qu’il a déjà déclaré ce dispositif inconstitutionnel en raison de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Aussi, la loi introduit une nouvelle procédure dénommée « dossier-coffre », ou « procès-verbal distinct », consistant à ne pas verser au dossier pénal certains actes de procédure relatifs à des mesures de surveillance (article 40). Dénoncée par les avocat·es et les magistrat·es, cette mesure porte atteinte au principe du contradictoire et au procès équitable car elle empêche les personnes de pouvoir se défendre, faute de pouvoir savoir comment cette surveillance dissimulée s’est concrètement faite et si les exigences légales ont bien été respectées.

De son coté, l’administration n’est pas en reste sur l’extension de ses pouvoirs. Les enquêtes administratives de sécurité, qui conditionnent l’accès à certains emplois, pourraient être très largement étendues à tout emploi public et privé lié à des menaces de corruption (article 54). Ces enquêtes impliquent la consultation de nombreux fichiers de police et de renseignement et reposent sur des critères opaques. Elles ont pourtant des conséquences bien concrètes puisque, pendant les Jeux Olympiques, elles ont conduit à empêcher certaines personnes perçues comme militantes par les autorités de travailler. Nous avons expliqué au Conseil constitutionnel en quoi ces discriminations fondées sur les opinions politiques portent atteinte au principe d’égalité.

Par ailleurs, la plateforme Pharos, chargée d’exiger des plateformes en ligne qu’elles censurent des contenus, aura de nouvelles compétences puisqu’elle pourra agir contre les contenus relatifs à la cession de stupéfiants (article 28). Depuis des années, nous critiquons le principe de cette censure administrative, qui permet à la police de décider elle-même de retirer un contenu sans qu’un juge n’intervienne, laissant la possibilité de multiples abus.

Une nouvelle escalade sécuritaire

Nous avons également attiré l’attention du Conseil constutionnel sur l’obligation radicalement disproportionnée faite aux opérateurs de communication électronique de conserver pendant cinq années l’identité civile de toute personne achetant des cartes SIM prépayées (article 29). Non seulement il s’agirait d’une nouvelle forme de contrôle de l’expression en ligne, mais la loi est tellement mal rédigée que ce sont tous les services de communication en ligne (notamment les messageries) qui pourraient être concernés par cette obligation de contrôle d’identité à partir du moment où certaines fonctionnalités sont payantes (comme c’est par exemple le cas pour Olvid, la messagerie plébiscitée par les macronistes).

Enfin, nous avons longuement expliqué que l’extension de l’utilisation des drones en prison (article 56) viole la Constitution, pour trois raisons. Premièrement le législateur a violé le principe de séparation des pouvoirs en confiant à l’administration pénitentiaire un pouvoir de répression pénale constitutionnellement réservé à l’autorité judiciaire. Deuxièmement, cette surveillance par drones mise en œuvre par l’administration n’est ni nécessaire ni proportionnée au regard des très nombreux dispositifs déjà existants pour surveiller les prisons. Et, troisièmement, cette nouvelle autorisation de drones prévoit qu’ils puissent être utilisés sans aucune information, publicité ou transparence, rendant impossible la moindre contestation en justice, déjà en pratique extrêmement compliquée.

Malheureusement, la loi Narcotrafic contient d’autres mesures répressives qui repoussent toujours plus loin les limites du droit et généralisent l’exception, telle que l’extension de la durée de garde à vue pour les « mules » ou les personnes arrêtées avec des substances stupéfiantes dans le sang, l’interdiction administrative de paraître dans certains quartiers, la facilitation de l’expulsion de logements, la création de la notion vague d’« organisation criminelle »… D’autres organisations ont dénoncé ces nombreux risques pour les libertés.

Si nous n’avons que des espoirs mesurés dans la future décision du Conseil constitutionnel, nous regardons aussi les prochains combats à venir. En effet, si l’obligation de mettre en place une porte dérobée au sein des messageries chiffrées a bel et bien été retirée du texte, le président de la commission des lois, Florent Boudié, a annoncé vouloir remettre le sujet sur la table. En parallèle, les ministres Gerald Darmanin et Bruno Retailleau ont brandi la criminalité organisée et le « narcotrafic » comme excuse pour rendre acceptable une potentielle légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel mais aussi justifier la confiscation extrajudiciaire des téléphones.

Quoi qu’il arrive, nous continuerons d’agir et dénoncer cette escalade vers un État de surveillance de plus en plus généralisée. Pour nous aider dans cette lutte, n’hésitez pas à faire un don !

France Travail : des robots pour contrôler les chômeurs·euses et les personnes au RSA

jeudi 22 mai 2025 à 11:11

France Travail déploie actuellement des robots visant à automatiser et massifier le contrôle des personnes inscrites à France Travail. Depuis le 1 janvier 2025, cela inclut également les personnes au RSA. Il s’agit d’une nouvelle étape du dangereux projet de gestion algorithmique des personnes sans-emplois, porté par le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy. Retour sur le contexte de cette mise en place et ses implications sociales.

Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, les contrôles réalisés par France Travail sont passés de moins de 200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024. Il y a tout juste un an, l’exécutif surenchérissait et fixait à l’institution un objectif de 1,5 million de contrôles en 20271Pour les chiffres de 2017, voir l’étude de Pôle Emploi « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » disponible ici. Pour 2024, voir « Bilan du Contrôle de la recherche d’emploi » disponible ici. Pour les annonces d’Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir voir cet article de 2017 et cet article de 2021. L’objectif de 1,5 million a été annnoncé par Gabriel Attal en 2024, voir cet article.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

C’est dans ce contexte que France Travail déploie actuellement une refonte de son processus de contrôle. Dénommée « Contrôle de la Recherche d’Emploi rénové » (ou « CRE rénové »), elle vise tant à « arriver à mettre en oeuvre 1,5 million de contrôles […] à l’horizon 2027 » qu’à prendre en compte les « évolutions introduites par la loi “Plein Emploi” ».

Parallèlement était votée, en décembre 2023, la loi dite « Plein Emploi », entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Cette dernière vient modifier en profondeur les modalités du contrôle des personnes sans-emplois via deux mesures phares. La première est l’extension du pouvoir de contrôle et de sanctions des personnes au RSA par France Travail. La seconde concerne l’obligation pour toute personne suivie par France Travail – qu’elle soit au RSA ou au chômage – de réaliser 15 « heures d’activité » hebdomadaires sous peine de sanctions.

C’est dans ce contexte que France Travail déploie actuellement une refonte de son processus de contrôle. Dénommée « Contrôle de la Recherche d’Emploi rénové » (ou « CRE rénové »), elle vise tant à « arriver à mettre en oeuvre 1,5 million de contrôles […] à l’horizon 2027 » qu’à prendre en compte les « évolutions introduites par la loi “Plein Emploi” »2« Information en vue d’une consultation sur le contrôle de la recherche d’emploi rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 9 et 10 octobre 2024, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_2').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_2', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Automatisation et massification des contrôles

Pour atteindre l’objectif de massification des contrôles, France Travail mise sur l’automatisation3A noter que le CRE rénové s’accompagne aussi d’une réduction des droits des personnes contrôlées afin de réduire le temps nécessaire à un contrôle. Il s’agit de mettre en place une procédure « flash » permettant de faire « l’économie de l’entretien téléphonique » et/ou de l’envoi d’un formulaire à la personne contrôlée, deux choses qui étaient systématiques jusqu’alors lors d’un CRE. En cas d’« avertissement avant sanction », la personne contrôlée disposera de 10 jours pour justifier de sa situation. Voir « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_3').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_3', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. Début 2025, ses dirigeant·es ont ainsi annoncé que le « CRE rénové » s’accompagnerait du déploiement de « robot[s] d’aide à l’analyse du dossier » destinés à assister la personne en charge du contrôle. L’objectif affiché est de réaliser des « gains de productivité » permettant de réduire la durée d’un contrôle pour pouvoir alors les multiplier à moindre coût4« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central (CSEC) des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_4').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_4', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Pour ce faire, ces « robots » ont pour tâche de classer les personnes ayant été sélectionnées pour un contrôle selon différents degrés de « suspicion »5La sélection des personnes relève d’un autre traitement algorithmique. Elles sont le fruit de requêtes ciblées (métiers en tensions…) et aléatoires, de signalements agence ou encore d’« alertes automatiques » incluant désormais certains des flux provenant de la « gestion de la liste ». Voir le document « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_5').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_5', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); afin de guider le travail du contrôleur ou de la contrôleuse. Concrètement, ils réalisent un profilage algorithmique de la personne contrôlée sur la base de l’analyse des données personnelles détenues par France Travail.

Ce profilage prend la forme d’une classification en trois niveaux : « clôture » (pas de suspicion), « clôture potentielle » (suspicion moyenne) ou « contrôle potentiel » (suspicion forte)6Ces informations se basent sur des discussions avec des équipes de France Travail ayant eu accès aux résultats des profilages réalisés par les robots. Notons aussi l’existence d’une catégorie « erreur » pour les dossiers n’ayant pas pu être traités par l’algorithme.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_6').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_6', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. Ce résultat est alors transmis, en amont du contrôle, au contrôleur ou à la contrôleuse afin de l’inciter à se concentrer sur les dossiers considérés comme suspects par l’algorithme, tout en clôturant rapidement le contrôle pour les autres.

France Travail se réfugie dans l’opacité

À travers notre campagne France Contrôle, nous avons déjà parlé de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la première à se lancer dans ce contrôle algorithmique des populations. Le fait qu’elle soit rejointe par France Travail démontre une fois de plus pourquoi il est fondamental de s’opposer, par principe, à l’usage d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle. Mais également d’exiger la transparence autour du fonctionnement de ces algorithmes, afin de mieux pouvoir les combattre tant politiquement que juridiquement.

Dans le cas présent, cette transparence est d’autant plus importante que l’objectif d’un contrôle de la recherche d’emploi – « une appréciation globale des manquements [de la personne contrôlée] afin de sanctionner un comportement général »7« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_7').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_7', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); – est très flou et propice à l’arbitraire. L’analyse du code de l’algorithme pourrait aussi appuyer un combat juridique, tel que l’actuel contentieux contre la CNAF.

Mais sur le sujet des « robots » de contrôle – comme sur beaucoup d’autres8Une grande partie de nos demandes d’accès aux documents administratifs restent sans réponse. Nous reviendrons sur ce point dans un article dédié.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_8').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_8', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); – la direction de France Travail se refuse à toute transparence. Son directeur est allé jusqu’à déclarer à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) « qu’aucun algorithme n’est utilisé dans le cadre du « CRE rénové » […] » suite à la saisine déposée par des journalistes de Cash Investigation ayant travaillé sur ce sujet9L’avis de la CADA citant le directeur de France Travail est disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_9').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_9', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Un profilage policier

En l’absence de transparence sur le fonctionnement de ces « robots », nous ne pouvons qu’avancer quelques hypothèses sur le fonctionnement du profilage algorithmique. Côté technique, la direction de France Travail a déclaré que le « robot » n’était pas basé sur de l’intelligence artificielle, sans toutefois exclure qu’il puisse l’être à l’avenir10Propos tenus lors du CSEC de France Travail du 22 novembre 2024.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_10').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_10', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. En conséquence, le profilage serait le résultat d’opérations algorithmiques simples issues de la combinaison de différents critères construits à partir des données personnelles détenues par France Travail11On pense assez naturellement à un algorithme du type « arbre de décision ».<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_11').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_11', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Quant à la nature de ces critères, des pistes sont données par un document distribué aux équipes de contrôle de France Travail il y a quelques mois. Assumant pleinement un discours policier, la direction de France Travail y présente une « grille d’analyse » venant préciser le « niveau d’importance » de différents « indices » permettant de caractériser les « manquements » des personnes contrôlées.

Parmi ces éléments, notons notamment l’absence de périodes récentes de travail ou de formation, l’absence de mobilisation des outils numériques mis à disposition par France Travail (offres, CV ou carte de visite en ligne), l’absence de contact avec son ou sa conseiller·ère, les résultats des derniers contrôles de recherche d’emploi, l’absence de candidatures envoyées via le site de France Travail ou encore le non-respect des 15 « heures d’activité » prévue par la loi « Plein Emploi ».

Tout indique que ce travail de rationalisation du processus de contrôle aurait servi de base à la construction du « robot » lui-même. En effet, en plus du résultat du profilage, le « robot » fait remonter au contrôleur ou à la contrôleuse une liste d’éléments issus de cette grille. Ces remontées permettent alors à la personne en charge du contrôle d’apprécier la décision de classification du « robot », sans pour autant qu’il ou elle ait accès à ses règles de fonctionnement précises.

Automatisation et violence institutionnelle

Le déploiement d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle participe activement à la politique de répression et à la paupérisation des personnes sans-emplois. La massification des contrôles à laquelle contribue ce processus d’automatisation entraîne mécaniquement une hausse du nombre de sanctions et de pertes de droits associé·es.

Ainsi, d’après les documents de France Travail, 17% en moyenne des contrôles aboutissent à une radiation12Voir le tableau 1 du document Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, disponible ici. A noter que ce chiffre est passé à 20% dans les régions ayant expérimentées le CRE rénové avant sa généralisation. Voir la slide 15 de ce document présenté en Comité Social et Economique Central de France Travail le 9 octobre 2024.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_12').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_12', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. Dans l’hypothèse où ce taux resterait constant, l’augmentation de 500 000 à 1,5 million de contrôles par an implique que le nombre de radiations associées passerait d’environ 85 000 aujourd’hui à 255 000 en 202713A noter ici que l’effet de la loi « plein emploi » sur le nombre total de radiations n’est pas clair. En effet, une partie de la « gestion de la liste » – situations entraînant auparavant une radiation automatique tel que l’absence à un rendez-vous ou l’absence à formation – est transférée au CRE. Pour des statistiques sur les radiations et les sorties des personnes inscrites à France Travail est disponible ici sur le site de la DARES.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_13').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_13', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. Ajoutons que l’impact des contrôles n’est pas le même pour toutes et tous : d’après les chiffres disponibles, les personnes n’ayant pas le bac ou étant au RSA sont sur-représentées parmi les personnes radiées suite à un contrôle14Voir Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, tableau 2, disponible ici. Voir aussi le tableau 1 de l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi: l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi », Pôle Emploi, 2018.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_14').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_14', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. L’automatisation des contrôles est donc une manière d’écarter les plus précaires de France Travail.

Notons enfin, comme le rappellent cinq chercheurs et chercheuses dans le livre Chômeurs, vos papiers !15C. Vives, L. Sigalo Santos, J.-M Pillon, V. Dubois et H. Clouet, « Chômeurs, vos papiers ! », 2023. Cet essai revient sur les aspects historiques, politiques et sociologiques du contrôle dans les politiques publiques de l’emploi. Concernant l’impact des contrôles, notons l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » publiée par Pôle Emploi en 2018, qui ne permet pas de conclure, tels que les résultats sont présentés, à un quelconque impact statistiquement significatif du contrôle.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_15').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_15', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, qu’aucun travail scientifique ne vient valider le récit mis en avant par nos dirigeant·es selon lequel les contrôles favoriseraient la reprise d’emploi. Cette hypocrisie politique n’a pour fondement qu’une vision stigmatisante et infantilisante des personnes sans-emplois, visant à nier toute responsabilité collective vis-à-vis du chômage de masse et à le réduire à une problématique individuelle.

À l’inverse, ajoutent les auteurs·ices, les effets négatifs des contrôles sont largement documentés. En plaçant les personnes contrôlées dans une situation humiliante – « où au stigmate de l’assisté s’ajoute celui du tricheur »16V. Dubois, « Contrôler les assistés », Chapitre 10. Voir aussi l’article de Lucie Inland disponible ici, cet article du Monde et le rapport du Défenseur des Droits « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » disponible ici. La Fondation pour le logement des défavorisés, le Défenseur des droits et le collectif Changer de Cap ont par ailleurs collecté de nombreux témoignages décrivant la violence vécue par les allocataires lors des contrôles. Difficultés de recours, contrôles répétés, suspension automatique des prestations sociales, intrusion humiliante dans les moindres recoins de la vie privée. Nous vous invitons à lire l’ensemble de ces témoignages disponibles ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_16').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_16', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); – s’accompagnant de lourdes démarches de justification, ils induisent un effet dissuasif vis-à-vis de l’accès aux droits. En retour, ils contribuent à l’augmentation du non-recours, dont le taux est estimé à plus de 25% pour l’assurance chômage et à 30% pour le RSA17C. Hentzgen, C. Pariset, K. Savary, E.Limon, « Quantifier le non-recours à l’assurance chômage », Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, 2022, disponible ici. Céline Marc, Mickaël Portela, Cyrine Hannafi, Rémi Le Gall , Antoine Rode et Stéphanie, Laguérodie « Quantifier le non-recours aux minima sociaux en Europe », 2022, disponible ici.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_17').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_17', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. À ceci s’ajoute le fait qu’il plonge dans la précarité celles et ceux contraints·es à accepter des postes pénibles, sous-payés et précaires.

Loi « Plein Emploi » : des contrôles aux effets démultipliés

Tout ceci est d’autant plus inquiétant à l’heure où entre en vigueur la loi « Plein Emploi », qui vient renforcer l’impact et le champ des contrôles réalisés par France Travail.

En premier lieu via l’instauration d’une obligation de 15 « heures d’activité » pour toute personne sans-emploi18Le nombre « d’heures d’activités hebdomadaires » à réaliser peut être diminué en fonction des difficultés personnelles (handicap, parent isolé…). Voir l’article 2 de la loi pour le « Plein Emploi ».<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_18').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_18', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. À la violence qu’elle entraîne en termes de niveau de contrôle et d’intrusion dans la vie privée des personnes contrôlées, cette mesure conjugue une contrainte administrative extrêmement lourde de par la difficulté que chacun·e aura pour justifier ces heures. Elle vient ainsi considérablement renforcer l’arbitraire des contrôles et, de fait, les pouvoirs de répression de France Travail. Si la difficulté qu’il y aura à (faire) respecter cette mesure pourrait la faire paraître presque illusoire, notons cependant que France Travail développe déjà un agenda partagé entre personne sans-emploi et conseiller·ère, c’est-à-dire un outil numérique dédié au contrôle de ces « heures d’activité ».

En second lieu, parce que la loi « Plein Emploi » vient étendre les prérogatives de contrôle de France Travail sur les personnes au RSA19L’obligation d’inscription concerne aussi les personnes en situation de handicap suivies par Cap Emploi et les « jeunes » accompagnés par une mission locale ayant conclu un « Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie » ou un « contrat d’engagement jeune ». Voir l’article 1 de la loi pour le « Plein Emploi ».<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_19').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_19', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });. Jusqu’alors, les sanctions relatives au RSA relevaient de la compétence du département et le retrait de son bénéfice nécessitait le passage devant une commission pluridisciplinaire dédiée. Via les « suspensions-remobilisations »20L’article 3 de la loi pour le « Plein Emploi » prévoit notamment la possibilité pour un département de déléguer le « prononcé des mesures de suspension du versement du RSA » pour les personnes dont France Travail est l’organisme référent. L’article 2 de la même loi une coopération accrue entre France Travail. Il précise aussi que France Travail est en charge du contrôle du « Contrat d’Engagement » des personnes au RSA dont il est l’organisme référent et qu’il peut proposer au Conseil Départemental des sanctions (suspension/radiation) concernant le versement du RSA. Des précisions seront apportées par décret dont une version préliminaire a fuité dans la presse.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_20').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_20', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, la loi « Plein Emploi » a désormais introduit la possibilité pour les départements de déléguer à France Travail la compétence de suspension du RSA. Dans ce cas, France Travail pourra suspendre le RSA d’une personne à la suite d’un contrôle de manière unilatérale et sans que l’avis d’une commission de contrôle de la suspension soit nécessaire.

Face au contrôle algorithmique, lutter

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la contestation monte de toute part contre le renforcement des contrôles à France Travail.

Du Défenseur des Droits à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), en passant par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE), l’ensemble des institutions de lutte contre la pauvreté critiquent vertement la loi « Plein Emploi » et ses velléités autoritaires21Voir notamment la déclaration de la CNCDH, l’avis du CNLE et cette étude publiée par le Secours Catholique, Aequitaz et ATD Quart Monde.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_21').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_21', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

De leur côté les associations de lutte contre la précarité se regroupent et dénoncent une réforme « inhumaine, injuste et inefficace », tandis que sur le terrain, les premier·ères concernées s’organisent. En Bretagne, le Conseil départemental du Finistère a ainsi été occupé par des personnes réunies en « Assemblée Générale contre la réforme du Rsa-france-travail »22Voir notamment cet appel et cet article sur leur action au conseil départemental du Finistère. Vous pouvez les contacter à l’adresse ag-rsa-francetravail-brest chez riseup.net.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_26217_2_22').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_26217_2_22', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Devant la multiplication des oppositions et la diversité des modes d’actions, nous appelons toutes celles et ceux qui refusent la destruction de notre système de protection sociale et la violence des politiques néo-libérales dont elle s’inspire à s’organiser et à rejoindre ces luttes de la manière qui leur convient le mieux.

De notre côté, nous tâcherons d’y contribuer à travers la documentation de cette infrastructure numérique de surveillance que les dirigeant·es de France Travail mettent en place dans le cadre de la loi « Plein Emploi ». Nous appelons par ailleurs les personnes ayant connaissance des critères utilisés par les robots de contrôle à nous contacter à algos@laquadrature.net ou à déposer des documents de manière anonyme sur notre SecureDrop (voir notre page d’aide ici). Si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

References[+]

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PJL simplification : déréguler l’IA, accélérer sa fuite en avant écocide

mardi 29 avril 2025 à 14:08

Ce soir ou demain seront examinés les amendements à l’article 15 du projet de loi « simplification » de la vie économique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage était sous nos pieds et les membres de la coalition Hiatus, appelle à sa suppression, et avec beaucoup d’autres actrices et acteurs de la société civile ainsi que des représentant·es politiques, à l’instauration d’un moratoire sur les gros data centers. Participez à cette bataille en vous rendant sur notre page de campagne !

Que prévoit l’article 15 ?

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.

Déréguler la tech

La loi « simplification » marque donc une étape fondamentale dans la dérégulation de l’IA, le tout au service de l’industrie de la tech et dans le contexte d’une bulle spéculative autour des data centers et d’une rivalité géopolitique croissante entre les puissances impérialistes de ce monde.

Lors du sommet relatif à l’IA organisé par la France en février dernier, la couleur était clairement affichée. Dans son allocution, Emmanuel Macron affirmait : « Si on régule avant d’innover, on se coupera de l’innovation ». Le vice-président étasunien techno-réactionnaire JD Vance, qui avait fait le déplacement à Paris, n’avait pas caché sa satisfaction : « Je suis content de voir qu’un parfum de dérégulation se fait sentir dans nombre de discussions », avait-il déclaré lors de son allocution.

En réalité, dès 2023, la France avait fait des pieds et des mains au niveau de l’Union européenne pour faire primer la sacro-sainte « innovation » sur les droits humains, dans le cadre des négociations sur le règlement IA. Aiguillée par l’ancien ministre Cédric O devenu lobbyiste en chef de la tech française, et à force de coups de pressions voulus par Emmanuel Macron, Paris était parvenu à convaincre ses partenaires européens de privilégier une approche moins-disante. Ces renoncements se sont particulièrement fait sentir sur le front des IA policières, avec la légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel et un certain nombre d’exceptions réservées aux forces de police et autres services de renseignement.

Dans le même temps, toujours au nom de l’IA, on multipliait les dispositifs dérogatoires au droit, par exemple via des mécanismes de « bacs-à-sable réglementaires ». Et c’est désormais le RGPD que certains aimeraient détricoter pour « libérer » les IA censément « entravées » par les règles adoptées pour protéger le droit à la vie privée et les données personnelles. Loin de défendre les « valeurs » associées aux droits humains, sociaux et environnementaux, l’Union européenne s’enfonce dans un suivisme mortifère face à la Chine et les États-Unis, deux puissances engagées dans une course à l’IA.

La technocratie en marche

Au nom de la « simplification », l’article 15 du projet de loi débattu par l’Assemblée nationale poursuit ce mouvement de dérégulation en rognant cette fois sur les législations environnementales et le droit à la participation des citoyens concernant les projets de gros centres de données.

Parmi ces derniers, se trouvent les immenses data centers soutenus par le gouvernement français. Dans la perspective de développer ces infrastructures, ossature du numérique dominant, et d’accélérer l’accaparement des terres, des ressources foncières, minières, hydriques et l’exploitation des travailleur·euses qu’elles impliquent, nous voyons aujourd’hui des entreprises comme RTE, normalement garantes du service public de l’énergie vanter leur collaboration avec les multinationales étasuniennes du secteur, comme Digital Realty. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit ainsi un triplement de la consommation d’électricité des data centers d’ici à 2035, soit autour de 4% de la consommation nationale.

Du côté du gouvernement, on voit dans les milliards d’euros d’investissements privés annoncés dans les data centers construits en France la confirmation du bien-fondé de sa politique de relance du nucléaire, quitte à passer sous silence les dangers et les grandes inconnues qui entourent ces programmes. Quitte aussi à engager une relance débridée de l’extractivisme minier et des prédations qui y sont liées, comme y encourage l’article 19 de ce même projet de loi « simplification ». Quitte, enfin, à museler les contestations, à s’asseoir sur le droit à la consultation du public et à rogner encore un peu plus sur les compétences de la Commission nationale du débat public, qui depuis des années demande à être saisie lors de la construction des centres de données.

À la clé, c’est d’abord l’impossibilité d’une politique de sobriété collective pour faire face aux crises sociales, climatiques et écologiques. Avec l’augmentation de la demande liée aux data centers, c’est aussi la perspective d’une explosion des prix de l’électricité, la précarité énergétique qu’elle suppose et des risques décuplés de conflits d’usage. Car, à la mesure de leurs moyens financiers, l’appétit des géants de la tech en électricité est insatiable. Il y a quelques jours, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et émissaire de la Silicon Valley à Washington, l’admettait sans détour devant une commission du Congrès étasunien au sujet du développement de l’IA :

« Ce que nous attendons de vous [le gouvernement], c’est que nous [la tech] ayons de l’énergie sous toutes ses formes, qu’elle soit renouvelable, non renouvelable, peu importe. Il faut qu’elle soit là, et qu’elle soit là rapidement. De nombreuses personnes prévoient que la demande pour notre industrie passera de 3 % à 99 % de la production totale [d’électricité au niveau mondial] (…) ».

Aux États-Unis, de nombreux producteurs d’électricité s’apprêtent ainsi à rallumer des centrales à gaz ou au charbon, ou à retarder leur fermeture face à la consommation croissante des data centers. Technofascisme et carbofascisme vont indéniablement de pair.

Contre cette fuite en avant, il faut voter contre l’article 15 du projet de loi, et soutenir un moratoire sur les gros data centers, le temps que les conditions d’une maîtrise collective des infrastructures numériques puissent être posées. La balle est désormais dans le camp des parlementaires. Retrouvez notre pour contacter vos représentant·es à l’Assemblée et peser sur leur vote !

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