PROJET AUTOBLOG


Gnuzer's BLOG

Archivé

Site original : Gnuzer's BLOG

⇐ retour index

Nouvelles de la culture partageable et tout ce qui tourne autour : Wins & Fails

vendredi 11 janvier 2013 à 21:36

Article publié sur linuxfr.org.

Win : sortie de Decay sous CC-BY-NC

Decay, le film dont on parlait ici, est sorti fin novembre. Et au contraire de ce que mon commentaire pessimiste laissait craindre, le film est sous une licence autorisant la modification : la CC-BY-NC.

Des copies de l’œuvre, en différentes qualités, sont disponibles au téléchargement sur cette page : http://www.decayfilm.com/pages/download.html , en direct download ou en bittorrent. Le format utilisé est le MP4(H264+AAC), mais il ne faudra pas très longtemps je suppose pour voir apparaître des copies dans des formats de qualité qui respectent la liberté de chacun (par exemple MKV(VP8+vorbis), ou mieux : MKV(VP8+opus)).

Des sous-titres dans différentes langues devraient être bientôt disponibles ici : http://www.universalsubtitles.org/fr/videos/mbnPjuJ3GR0y/en/464311/

Le film en lui-même est un survival horror de zombies d’une heure seize, tout ce qu’il y a de plus classique : un groupe de gens qui veille dans les sous-sols du LHC au CERN, une couille dans le réacteur, on s’affole en tapant très vite n’importe quoi sur les claviers, tout est bloqué, la seule solution pour sortir est d’arpenter les kilomètres de tunnels mal éclairés et infestés de créatures affamées et pas sympathiques dont la présence résulte de ladite couille évoquée précédemment. Des cris, de l’hémoglobine, de la sueur et des coups de barre à mine.

Points négatifs : les acteurs sont mous, les dialogues sont bof, et le script pas terrible. Sur certains dialogues le son mériterait d’être retravaillé (les variations d’intensité collent pas avec l’image), mais ça, ça peut être corrigé a posteriori.

Points positifs : Qualité d’image excellente, rien à redire. Et encore, je n’ai vu que la version 720p. Le montage est correct, rien d’exceptionnel, à part peut-être la scène de plein air finale, plutôt intéressante d’un point de vue cinématographique. On notera aussi le soin apporté aux génériques de début et de fin, ainsi qu’à la musique, qui est sous licence libre CC-BY : https://archive.org/details/Decay2012OST (c’est du mp3, là encore si vous en partagez des copies, faites-le de préférence dans un format ouvert comme vorbis ou opus).

Finalement, on est un peu à l’opposé de The Tunnel [1]. Dans The Tunnel, les acteurs étaient convaincants et l’image, found-footage style oblige, était de qualité très moyenne. Mais ces deux éléments permettaient de maintenir la tension pour obtenir un vrai film d’horreur qui fait peur. Dans Decay, le passage qui m’a le plus horrifié était certainement celui de l’amphithéâtre au début, où on voit que presque tout le monde a un MacBook. Là pour le coup on était en plein dans l’ambiance « zombie ». Mais après, je n’ai pas frissonné une seule fois.

On me répondra que les auteurs de Decay ne cherchaient sûrement pas à gagner un oscar et ont créé ce projet avant tout pour le fun. Il faut avouer que ce n’est pas la première fois qu’une équipe de physiciens crée une œuvre pour le fun au CERN, avec des précédents comme le Large Hadron Rap, ou le groupe pop Les Horribles Cernettes.

Pour finir, le point qui va certainement intéresser le plus les DLFPiens : entre 0:17:23 et 0:17:33, on voit deux moniteurs afficher un écran de login qui n’est autre que celui de la distribution Scientific Linux. C’est la première fois à ma connaissance que GNU/Linux apparaît dans un long-métrage partageable n’ayant pas pour sujet GNU/Linux lui-même.

On voit aussi apparaître des shells de temps à autre, mais l’image est souvent trop floue pour savoir avec exactitude quelles sont les commandes bidons que les acteurs y entrent en fronçant les sourcils.

Devant mon peu d’enthousiasme face à ce qui s’avère être un film de zombie amateur banal dont le principal mérite est – et il faut le reconnaître – d’avoir été tourné dans un décor à 5 milliards d’euros unique au monde, certains diront que je suis un gros con râleur et rabat-joie, étant donné que quand des gens font un film amateur pour le fun sans but lucratif, je râle parce que c’est pas partageable, et quand des gens font un film pour le fun, sans but lucratif, et sous licence partageable, je râle parce que c’est amateur. Et ils risqueraient d’avoir raison.

C’est pourquoi je vais finir sur l’essentiel : cette œuvre, parce qu’elle est publiée sous une licence autorisant le partage et la modifications, constitue indéniablement un pas en avant pour la culture partageable, et mérite donc toute sa place dans la section « Win » de cet article.

Possible Win : Lancement du projet Daala par Xiph.org

La fondation Xiph.org, à laquelle on doit bon nombre de codecs et de formats multimédia ouverts et libres aimerait créer un nouveau codec vidéo pour concurrencer un futur codec de MPEG-LA : le très prometteur H265.

Pour l’instant rien n’est joué, mais si ce projet réussissait, cela serait une excellente nouvelle pour le libre, qui tient déjà le haut du pavé dans le domaine de la compression audio lossless avec FLAC, dans le domaine de la compression audio lossy avec Opus, et dans le domaine des conteneurs multimédia avec MVK. Passer numéro 1 dans le domaine de la compression vidéo avec pertes permettrait au libre de dominer le monde des formats multimédia (au moins sur le plan technique, mais avec l’adoption future des brevets logiciels en Europe, je ne me fais pas trop de souci quant à l’adoption rapide de Opus et Daala).

Possible Win : Nina Paley cherche un logiciel d’animation vectorielle libre

Il a été longtemps reproché à Nina Paley d’utiliser Flash pour ses travaux. Non pas pour des raisons éthiques (les formats SWF et FLA sont ouverts, et Nina Paley diffuse les sources de ses travaux en Flash), mais pour des raisons pragmatiques d’une part (les logiciels libres capables de reconnaître les formats Flash sont très limités), et des raisons d’image d’autre part (la porte-drapeau de la culture libre, reconnue et admirée par tant de libristes, crée ses œuvres en s’appuyant sur des technologies non-libres : ça la fout mal).

Aujourd’hui, Nina Paley a de plus en plus envie de se passer de Flash, et envisage d’utiliser un logiciel libre pour réaliser ses créations, pourvu qu’on lui en offre un qui corresponde à ses attentes. L’article de son blog est très intéressant (parmi ses doléances on trouve plein d’inconvénients typiques du modèle privateur, notamment le problème de la compatibilité des formats), elle détaille ses besoins, explique que les solutions existantes (Synfig) ne lui conviennent pas, et parmi les commentaires, on trouve les réponses de grands pontes du logiciel libre, et ce croisement des mondes du logiciel libre et de la culture libre fait plaisir à voir.

FAIL : Crypton Future Media s’ouvre aux cultures communautaires…mais en fait non.

L’annonce a fait grand bruit dans le monde de la culture partageable. Crypton Future Media embrasse la culture populaire et collaborative, et entre de plain-pied dans le XXIème siècle ! Hatsune Miku devient une référence culturelle partageable !

Ne vous réjouissez pas trop vite et gardez la tête froide. L’information n’est pas aussi belle qu’elle en a l’air.

D’une part, si on fait abstraction du corporate bullshit du CEO de Crypton Future Media et du généreux déballage d’autocongratulation qui constitue l’essentiel de l’article de blog sur creativecommons.org célébrant l’événement, il reste le titre : « Hatsune Miku rejoint la communauté Creative Commons ». Voilà. Pas la communauté du libre, pas la culture populaire, pas la communauté du partageable, non : la communauté Creative Commons.

On sait depuis belle lurette que « rejoindre la communauté Creative Commons » ne signifie pas « être libéré », « entrer dans la culture partageable », « entrer dans la culture populaire » ou « être en phase avec le XXIème siècle ». Certaines CC sont pourvues de l’horrible clause ND, qui est l’antithèse même de la culture et du partage. Pas droit aux sous-titres, aux transcripts, aux doublages, aux mashups, aux samples, aux remix, aux remasterisations, aux réinterprétations, aux adaptations, aux reprises, aux filtres, aux découpages, aux montages, aux traductions, à tellement de choses que même les personnes dont le but et simplement de donner à autrui une chance de profiter de l’œuvre, sans aller jusqu’à l’intégrer à sa culture, sont laissées de côté.

Mais dans notre cas, réjouissons-nous : la licence choisie est la CC-BY-NC, qui autorise le partage et la modification, à des fins non-commerciales. Sauf que…

Vous n’alliez bien-sûr pas imaginer que les musiques, les voix et les chansons seraient libérées. Crypton Future Media n’a mis sous CC que la vitrine qui lui permet de vendre son produit. C’est un comportement que nous allons de plus en plus rencontrer dans le futur : de la même façon que les entreprises de matériel informatique modernes et branchées fournissent des pilotes libres depuis que opensource is sexy, mais prennent bien soin de continuer à imposer des firmwares proprios pour les faire tourner afin de garder un minimum de pouvoir sur l’utilisateur, les industries de la culture vont de plus en plus libérer (ou « creative-commonsser ») les « métadonnées » de la culture, c’est-à-dire tout ce qui tourne autour des produits qu’ils vendent, sans pour autant libérer les œuvres qui constituent leur fond de commerce. Le but ? Rendre légale la pub gratuite que leur font les internautes en intégrant ces références à leur propre culture.

Et cela se confirme lorsqu’on constate que…

Q11 Is there any other rule that I need to keep in mind?

A11 When you copy or modify the Characters, please do not distort, mutilate, modify or take other derogatory action in relation to the Characters that would be prejudicial to Crypton’s honor or reputation (please see Section 4e. of the full license). Some examples of prohibited uses include use in an overly violent context or in a sexual context.

(L’emphase est de moi.)

Les connaisseurs auront bien entendu reconnu la fameuse clause anti-naziporn des Creative Commons 3.0.

(Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le terme « naziporn », sachez que c’est le terme qu’emploie Nina Paley pour se moquer des artistes effrayés par la possibilité qu’on puisse modifier une œuvre comme on le veut (« Some people ask me : « What if somebody uses your work to do naziporn ? » »). Certains auront noté la similarité godwinesque avec le terme « pédonazi », utilisé par certains activistes pour se moquer des politiciens effrayés par l’Internet.

Donc la clause anti-naziporn ne s’appelle pas officiellement clause anti-naziporn. Mais j’aime bien l’appeler comme ça.)

Si vous n’avez pas lu les licences Creative Commons, je vous conseille de le faire, on trouve des choses très drôles dedans. Et notamment la fameuse clause (4e. dans le cas de la CC-BY-NC) :

Except as otherwise agreed in writing by the Licensor or as may be otherwise permitted by applicable law, if You Reproduce, Distribute or Publicly Perform the Work either by itself or as part of any Adaptations or Collections, You must not distort, mutilate, modify or take other derogatory action in relation to the Work which would be prejudicial to the Original Author’s honor or reputation. Licensor agrees that in those jurisdictions (e.g. Japan), in which any exercise of the right granted in Section 3(b) of this License (the right to make Adaptations) would be deemed to be a distortion, mutilation, modification or other derogatory action prejudicial to the Original Author’s honor and reputation, the Licensor will waive or not assert, as appropriate, this Section, to the fullest extent permitted by the applicable national law, to enable You to reasonably exercise Your right under Section 3(b) of this License (right to make Adaptations) but not otherwise.

(L’emphase est de moi.)

On notera le délicieux vocabulaire utilisé (« mutilate », waow O_o) qui ferait passer la modification d’une copie d’une œuvre suivant des critères moraux trop différents de ceux de l’auteur pour une boucherie sanglante (« Le salaud, y m’a mutilé mon œuvre ! Ça fait super mal !… :’-( » ), avec cris d’horreur, coups de tronçonneuse et viande collée aux murs.

(Sur le coup j’ai cru qu’il s’agissait d’un truc similaire aux sections invariantes de la GFDL, où l’auteur doit préciser ce qu’il veut interdire, mais visiblement non, les CC 3.0 semblent avoir pour dépendance la loi du pays d’origine, ce qui, si j’ai bien compris, voudrait dire qu’une œuvre sous CC-BY ou CC-BY-SA est non-libre si l’auteur réside au Japon ou dans un pays ayant un code de l’honneur similaire ! Moi qui aime bien jouer à des jeux libres – complètement libres – en plus de fouiller dans les dossiers data pour vérifier les licences de chaque objet/asset/map/son/musique/texture je vais en plus devoir vérifier la nationalité des auteurs !)

Bon, manque de pot, je ne connais pas super bien la loi japonaise, donc je ne saurais dire avec exactitude ce que signifie « honor and reputation », mais visiblement, les législateurs japonais sont tout aussi réactionnaires que nous autres cul-serrés occidentaux puisque Some examples of prohibited uses include use in an overly violent context or in a sexual context.

Ah oui parce que le sexe, c’est quelque chose qui porte atteinte à l’honneur ou à la réputation. Au cas où vous l’auriez oublié je vous le rappelle. Saymal. Pas bien. Caca. Si vous êtes un Créateur® et que vous surprenez un jour vos personnages en train de copuler sur un imageboard, allez chercher le seau d’eau tout de suite ! Le crucifix, les gousses d’ail, les grands ciseaux, quelque chose ! Si quelqu’un tombait là-dessus, ça pourrait vous faire bobo à l’honneur ou à la réputation, on vous reprocherait de pas faire attention à vos œuvres, de ne pas tenir vos personnages en laisse dans le cyberespace, etc. On veut bien que vous autorisiez la reproduction de vos créations, mais pas devant tout le monde. Non mais.

Même chose pour le « overly violent context ». Sauf que là, en plus c’est pas précis du tout. Y a-t-il une limite précise entre le « pas trop violent » et le « trop violent » ? Est-elle la même pour tout le monde ? Ce serait bien que Crypton Future Media donne plus de détails, parce que la violence, c’est large : entre un petit doigt dans l’œil et un gros défonçage de gueule avec la morgenstern de Tanguy [2], il y a tout un éventail ! [3]

Mais il y a pire encore. En lisant cette clause, vous n’aurez pas manqué de penser aux centaines d’images dérivées d’Hatsune Miku que vous avez rencontrées en lurkant sur les imageboards. Vous vous êtes dit que cette mise sous Creative Commons n’étant pas rétroactive, ces images n’en devenaient subitement autorisées pour autant. Puis vous vous êtes dit que certaines de ces images étaient loin d’être en accord avec la clause évoquée ci-dessus (si, vous y avez pensé, ne mentez pas je le sais), notamment celles qui suivent la rule #34.

34. There is porn of it, no exceptions.

Vous savez comme moi que cette règle empirique, et peut-être plus ou moins autoréalisatrice est une exagération, ce qui est d’ailleurs confirmé par la rule #35 :

35. If no porn is found of it, it will be made.

« it », correspond donc à n’importe quel élément de l’ensemble « toutes les œuvres et références culturelles », culturelles au sens relatif du terme (= qui a été intégré comme référence dans la société ou dans un sous-groupe de taille significative au sein de cette société). Le processus d’application des rules #34 et #35 est donc étroitement lié à l’entrée d’une œuvre dans la culture : au début l’œuvre est totalement inconnue (ou connue par trop peu de monde), puis se répand progressivement dans la société jusqu’à toucher suffisamment d’individus pour qu’on puisse la considérer comme une œuvre culturelle, et finalement, une version porn apparaît au détour d’un intertube.

L’application de la rule #34 est donc indissociable du caractère culturel d’une œuvre. On sait que vouloir qu’une œuvre soit culturelle tout en en empêchant le partage via les moyens permis par la technologie est contradictoire. Vouloir qu’une œuvre soit culturelle et en empêcher la modification ou certaines formes de modification au nom du bon goût l’est tout autant.

On pourrait faire la même remarque pour les autres règles dont l’application atteste du caractère culturel d’une œuvre ou d’une référence (liste non-exhaustive) :

34.2. There are ponies of it, no exceptions.
46. There is furry porn of it. No exceptions.
63. For every male character there is a female version. No Exceptions.
63.2. For every female character there is a male version. No Exceptions.
63.3. For every asexual character there is a version for each sex. No Exceptions.
91. There is gay porn of it, no exceptions.

(On notera que la rule #34.2 repose elle-même sur une œuvre culturelle et sous-entend donc la combinaison d’au moins deux œuvres culturelles, sauf dans le cas d’une yodawgisation, enfin on ne va pas s’étendre.)

Les rules #46 et #91 sont des extensions de la rule #34, donc rien de bien nouveau. Les autres amènent des hypothèses intéressantes : on peut s’amuser à imaginer un pays ou une région du monde où la culture dominante voudrait que la ponification soit immorale. Déguiser des personnages en poneys de toutes les couleurs serait vu comme choquant, et l’auteur original se sentirait blessé dans son amour-propre honneur. Même chose pour une société où la transsexualité serait profondément choquante : l’application des rules #63 et #63.2 serait vu comme un sacrilège et nécessiterait réparation.

En choisissant la CC-BY-NC, Crypton Future Media ne fait donc pas un pas vers la culture partageable-modifiable, pas plus que les trop nombreux utilisateurs de CC-BY-NC-ND. Le studio fait même pire, puisque là où les licences de type *-ND sont neutres, la licence choisie défend une vision particulière du Bien et du Mal, permettant aux auteurs de se servir arbitrairement de leur droit d’interdiction de la modification pour tenter d’imposer leur propre morale.

[1] Dont je me suis rendu compte après vérification qu’il est sous BY-NC-ND, alors que je pensais qu’il était sous BY-NC-SA au moment où j’ai écrit cet article, donc loin de moi l’intention de lui faire de la pub. Pour ma défense, je dirai que j’ai vu The Tunnel à l’époque où je voyais la culture partageable avec des yeux de non-initié, et où le *ND ne me dégoûtait pas autant que maintenant.

[2] Private joke Linuxfr. Lurk moar si tu veux comprendre. :)

[3] À ce sujet on remarquera quelques commentaires intéressants sous l’article de creativecommons.org : https://creativecommons.org/weblog/entry/35879#comment-456823

(BTW, merci aux admins de Linuxfr pour la relecture)

Réponse à Sebsauvage

vendredi 5 octobre 2012 à 17:43

Pour ceux qui veulent reprendre depuis le début :
l’article de Sebsauvage
ma réaction sur StatusNet
sa réaction à ma réaction

J’ai l’impression que Sebsauvage a mal interprété mes bougonnements sur StatusNet, alors je vais revenir sur l’article départ en détaillant ma réaction, et en espérant sortir quelque chose de plus intelligent et de plus précis que quelques bafouilles en 140 caractères. Parce que ce n’est pas le fond de l’article qui est critiquable, mais la façon dont il est présenté.

Héberger des vidéos sur son propre serveur… sans le tuer

Quand on est un barbu et qu’on lit ça, on pense immédiatement : « peer-to-peer ! ». En effet, les vidéos sont généralement de gros fichiers, et on sait depuis belle lurette que les protocoles peer-to-peer sont les plus appropriés pour partager des gros fichiers. Pourquoi choisir un modèle où chaque nouveau téléchargeur ralentit l’ensemble, au détriment de modèles où chaque nouveau téléchargeur l’accélère ?

YouTube censure à tour de bras:

  • Entre les robots de Google qui censurent idiotement les vidéos (même des chants d’oiseaux).
  • Les industriels de la culture qui envoient des mises en demeure à Google, souvent totalement injustifiées, parfois à leur propre profit.
  • les pays qui censurent certaines vidéos (quand ils ne coupent pas intégralement YouTube).
  • et YouTube lui-même qui commence à censurer selon le bon vouloir des pays.

Quand on lit ça, on peut penser « serveur HTTP perso », mais on a bien envie de continuer à penser « peer-to-peer ». Une poignée d’IP des quatre coins du monde connectées entre elles reste quand même beaucoup moins vulnérable à la censure qu’un serveur centralisé.

Il faut sérieusement réfléchir à héberger ses vidéos soi-même. (Mitsukarenai est un expert sur le sujet, alors ma petite diatribe du jour va sûrement le faire sourire.)

En plus sebsauvage nous parle de Mitsukarenai, grand utilisateur de bittorrent (en parallèle avec la diffusion HTTP, via le webseeding). On continue à penser « peer-to-peer ».

Seulement voilà, héberger soi-même des vidéos pose des problèmes épineux:

  • Cela consomme votre bande passante vitesse grand V. Certains hébergeurs vous factureront chèrement les dépassements, d’autres couperont tout simplement votre site.

Là, en tant que barbu, on est surpris. Bin oui, pour moi « héberger soi-même », ça veut dire « héberger sur son ordinateur, chez soi ». Là effectivement on peut craindre les problèmes de débit (si 50 personnes téléchargent en HTTP une vidéo sur mon petit ADSL, je vais vite apprendre à aimer le peer-to-peer !).
Mais pour Sebsauvage, « héberger soi-même », ça veut dire « mettre soi-même ses données chez un hébergeur ». Soit.
Ça me gêne quand même un peu qu’il ne l’ait pas précisé dès le début. Comme si un Internet avec des gros centres au milieu, et des petits terminaux tout autour qui vont chercher le contenu était la structure normale de l’Internet, et qu’il était évident de penser l’Internet comme ça tant qu’on n’a pas précisé qu’on le pensait acentré.
Le plus grave étant que Sebsauvage critique ici l’un des inconvénients d’un tel système (« Certains hébergeurs vous factureront chèrement les dépassements, d’autres couperont tout simplement votre site. »), et ne propose pas comme solution de sortir d’un tel système, mais de s’y enfoncer encore plus, comme on le verra par la suite.

  • Si votre vidéo devient populaire, vous aurez des problèmes de débit (votre hébergeur peinant à servir la vidéo à tout le monde). Vous n’avez pas les CDN de YouTube pour répartir la vidéo sur différents serveurs dans le monde. Et vous n’avez probablement pas les moyens de vous payer des CDN Akamai.

Mais enfin pourquoi des CDN ?
Pourquoi la solution la plus compliquée, la plus centralisatrice et la plus illogique d’un point de vue réseau Internet ?
Pourquoi ?

WHY rageface

  • Enfin il faut que vous gériez vous-même la compatibilité entre navigateurs: Utilisation du tag video d’HTML5 ou non, codecs vidéo supportés… avouez, c’est chiant.

En arrivant là, d’une part on commence à se dire que Sebsauvage aime s’embêter pour rien (pas vraiment pour rien en fait, plutôt pour des raisons difficiles à comprendre pour un barbu), d’autre part on est de nouveau surpris. Bin oui, « héberger des vidéos », pour moi, ça veut dire héberger des fichiers vidéo, et donner la possibilité aux gens de les télécharger pour les visionner, tout simplement. Mais visiblement, pour Sebsauvage, ça veut dire « donner la possibilité aux gens de les télécharger pour les visionner dans leur navigateur ». Avec toutes les prises de tête que ça engendre (reconnaissance de la balise, codecs, fallback flash, etc.). Encore une fois, on est gêné qu’il ne l’ait pas précisé dès le début. L’article sous-entend du coup que streamer une vidéo sur le protocole http dans un navigateur est une évidence, et regarder une vidéo dans un lecteur vidéo un cas particulier, à part.

La suite de l’article détaille la procédure pour mettre en place la solution à base de video.js et de CoralCache, en 5 étapes. C’est compliqué.
Moi quand je veux partager une vidéo, je le fais en deux étapes : création du torrent, seed. (Si la vidéo n’est pas déjà dans un format ouvert, je la réencode aussi, mais ce n’est pas une obligation technique.)

Vient ensuite une démonstration. J’avais peur que cette solution m’oblige à activer javascript dans mon navigateur (comme avec Youtube), mais visiblement, je peux récupérer la lien de la vidéo sans problème pour la lire avec mon lecteur vidéo préféré. Tant mieux.

En tant que visiteur, je dirais que la solution de Sebsauvage est une bonne solution (chezmoiçamarche™). Je ne critique donc bien évidemment pas la solution que Sebsauvage a mis en place. Je ne lui reproche pas non plus de choisir une solution compliquée (‘fait ce qu’y veut). Je lui reproche plutôt la façon dont il présente les choses.
Sebsauvage n’a pas présenté sa solution comme une alternative à Youtube pour diffuser des vidéos en streaming via HTTP au sein d’une page web, mais comme une alternative à Youtube pour diffuser des vidéos. Sebsauvage, en présentant les choses ainsi, contribue à répandre l’idée que « diffuser une vidéo sur Internet » == « mettre une vidéo sur un serveur HTTP central pour que les gens viennent la lire en streaming dans leur navigateur ». Autrement dit, il contribue à la propagation de cette logique de « webbisation » du Net, cette façon de penser qui fait que désormais, quand on veut proposer un service sur Internet, on se sente obligé de le faire via le web. Video, audio, mail, chat, réseaux sociaux[1], édition de texte : tout se déplace vers le web. Comme le dit souvent Grunt sur linuxfr : on est en train de recréer TCP/IP over HTTP.

Ce que je reproche à Sebsauvage, ce n’est pas la solution qu’il propose, qui a le mérite de respecter la liberté et le confort de chacun (je peux télécharger et lire la vidéo comme je le veux, et les gens qui pensent que Internet = Web peuvent voir la vidéo dans leur browser, tout le monde est content). Ce que je reproche à Sebsauvage, c’est de laisser entendre que la solution qu’il propose est la solution n°1, plus logique, la plus évidente, voire la seule solution. Son article m’a fait tiquer, comme quatre mois auparavant l’article Convertir les vidéos YouTube en MP3 avec VLC. Bon, certes, l’idée était d’apparaître dans les résultats de Google pour « convertir+youtube+mp3 », mais pourquoi n’avoir parlé que du mp3, et pas un mot sur les autres formats existants ? Est-ce une évidence de choisir mp3 pour écouter de la musique, le choix n°1, le choix le plus logique ? N’a-t-on pas inventé de codec plus performant et plus ouvert ?

Alors entendre Germaine Michu ou l’expert-marketeux en tendance ouaibe 2.0 de la startup du coin dire que quand on veut publier une vidéo sur Internet, on doit s’assurer que le navigateur peut l’afficher et que l’hébergeur tiendra la charge, c’est assez peu alarmant, et ça permet de rigoler un bon coup entre deux recherches DHT. Entendre ça chez quelqu’un comme Sebsauvage, ça fait peur.

Bon, je termine avec quelques petits mots sur ce que Sebsauvage a publié sur son shaarli :

Si je résume ta pensée: WebM/web/HTTP=mal    MKV/P2P=bien.

Web/HTTP = bien pour diffuser du texte ou des petits fichiers. Pour le reste, il y a plus adapté, IMHO.
Si on pense en expert-marketeux, par contre, si : Web/HTTP = bien pour tout, parce que c’est la seule solution qui permet aussi facilement d’increaser ton pagerank et d’attirer tes followers sur les advertisings qui vont te permettre de payer ton host et ton Content Delivery Netoueurke. (Et la boucle est bouclée.)
Tu penses bien que si le P2P permettait d’imposer de la pub aux visiteurs tout en faisant croire qu’on veut leur bien en leur supprimant l’effort intellectuel de sortir de leur navigateur, il y a longtemps que le P2P aurait été adopté par la masse d’internautes aveuglément soumis aux décisions techniques des faiseurs de brousoufs.

Concernant WebM/MKV: Oui moi aussi j’aurais ADORÉ qu’ils choisissent un conteneur MKV au lieu de ce stupide WebM

Mais pourquoi ? :/
Qui t’interdit d’utiliser MKV ? Qui t’interdit de mettre à disposition en téléchargement un fichier MKV proprement formaté ? Pourquoi se sentir obligé d’obéir à la dictature de Google/Apple/MS/Mozilla/W3C/WHATWG/Dailymotion/Vimeo/etc. ? Pourquoi se sentir obligé d’obéir à ces géants qui ne rêvent que d’une chose, déplacer NOS systèmes d’exploitations dans LEURS pages et navigateurs web, à grand renforts de javascript privateur et bouffeurs de ressources, imposer LEURS choix techniques afin que l’évolution de NOS technologies se fasse dans LEUR sens, tendant vers un rétablissement artificiel d’une rareté et d’un verrouillage technologique si bénéfiques à LEUR business ?
Pourquoi croire que c’est le W3C qui fait le Web ? Le web, c’est ce que ses utilisateurs en font. Le débat des codecs nous fait revenir au débat des normes HTML, où tant de webmasters se plaignaient que Microsoft avait cassé le web. Non, bon sang, ce n’est pas Microsoft qui a cassé le web, ce sont les milliers de webmasters qui ont obéi à Microsoft en passant des heures à rendre leur site compatible IE pour ne pas nuire au confort intellectuel de visiteurs traités comme des eyeballs sans cervelle derrière, au lieu de dire à ces derniers que s’ils n’arrivent pas à afficher correctement leur site ils n’ont qu’à utiliser un navigateur web qui fait correctement son boulot, ce sont ces webmasters-là, tous à se plaindre de la domination de Microsoft tout en y contribuant, qui ont cassé le web.

« je ne vois pas pourquoi s’embêter à mettre un fallback en Flash »

Ça c’est ®om (rom1v) qui l’a dit. Je n’aurais même pas remarqué qu’il y avait un fallback en flash si je n’avais pas regardé le code source.

(oui dans un monde idéal tout le monde utiliserait un bon navigateur compatible HTML5/MKV ou WebM… mais on est *pas* dans un monde parfait.)

J’aime pas trop l’éternel argument « on n’est pas dans un monde parfait ». Si je demande à un politicien pourquoi il fait des discours de propagande, en utilisant des termes simples mais vides de sens, faisant appel à l’émotion plutôt qu’à la raison, en injectant, maintenant et tirant parti des idées reçues dans la tête des gens, pourquoi il choisit la méthode consistant à laisser les gens se complaire dans leur ignorance au lieu de tenter de les faire penser par eux-mêmes, il me répondra aussi :
« J’aimerais bien mais on n’est pas dans un monde parfait. Si tu obliges les gens à réfléchir et à revenir sur leurs idées reçues quand tu parles, ils zappent, ils vont voir ailleurs. Si tu attises leur peur de l’étranger, leur haine des arabes/musulmans/juifs/chômeurs/syndicalistes/patrons/actionnaires (choisis en fonction de ton bord politique), si tu leur serre les pognes avec le sourire, décore un peu la ville, distribue des chocolats dans les maisons de retraites, ils votent pour toi. Ça aussi, ça juste marche. »
Tu comprendras que je le sens moyen. Non, on n’est pas dans un monde parfait. Est-ce pour autant qu’il faut aider les utilisateurs à se complaire dans une ignorance qui est à l’origine des tares de ce monde ?

« Cet article est pathétique de « webbisation » du net »
Pourquoi, le web c’est « mal » ?

La technologie en elle-même, non. Ce que le Web est devenu, oui. Ouvre ton gros œil vert et regarde l’état déplorable dans lequel est le web depuis que les commerciaux s’en sont emparés : publicités, domain squatting, failles de sécurité, CDN, cloud computing, cookies traceurs, surabondance de javascript qui vient remplacer les plugins à la con (Flash, Java, Silverlight) qu’on avait autrefois, API et protocoles-over-HTTP pour faire du mail, de la messagerie instantanée, de l’édition vidéo ou même de la bureautique dans son navigateur pour sans cesse avoir plus de contrôle sur l’utilisateur sans même que l’on ne s’en émeuve parce que « Y’a pas de problème, ça marche sous linusque, lol. ».
Mais c’est bien la tendance que je critique, pas la technologie. Il est tout à fait possible d’intégrer la vidéo dans la page web, tout en garantissant l’accessibilité de celle-ci, tout comme tu le soulignes très justement :

Maintenant rien n’empêche de mettre, juste sous la vidéo, un lien direct vers le fichier WebM, non ?  Ça permet de le télécharger ou – magique! – de l’ouvrir directement dans ton lecteur vidéo préféré au lieu de le voir dans la page web.

(en fait y’a pas besoin de rajouter un lien : la balise video, c’est déjà un lien)

Je dois me répéter, mais le but de l’article portait sur l’inclusion de vidéos DANS UNE PAGE WEB

Oui, on le devine à la lecture, mais tu ne le précises pas d’emblée, ce qui me laisse penser que tu fais un amalgame dangereux (ou du moins qui me semble dangereux).

sans que l’internaute qui consulte n’ait à installer de logiciel supplémentaire.

Ça c’est pareil, c’est un argument qu’on entend souvent de la part des pro-100%web et que je n’aime pas trop. Avoir un système d’exploitation doté d’un navigateur mais d’aucun autre logiciel est considéré comme normal, évident. Du coup on considère que pour télécharger via bittorrent il faut « un logiciel supplémentaire ».
(Cela dit il faut noter que quand il s’agit de télécharger Blockbuster.[machin].DVDRip.TeaM.XviD, les internautes n’ont aucun mal à installer et à configurer un logiciel supplémentaire sans se plaindre que c’est trop compliqué. Idem face à un message dans le genre « You need Adaube Flash Player ». ‘fin je dis ça je dis rien.)
On a réussi à faire croire aux gens qu’il était plus intelligent d’acheter un ordinateur surpuissant et de télécharger 10 fois un lecteur vidéo quand on veut regarder 10 vidéos que de garder son vieil ordinosaure et télécharger et installer un lecteur vidéo une fois pour regarder les 10 vidéos.

Bon pour voir ma vidéo, commencez par aller télécharger le logiciel de P2P trucmuche, installez-le, pensez à ouvrir le port dans votre firewall, lancez le téléchargement de la vidéo machinchose, attendez la fin du téléchargement, puis téléchargez et installez VLC, et ouvrez la vidéo dans VLC…   Dans la pratique, personne n’ira voir ta vidéo.

On peut aller plus loin dans le raisonnement. Dis à un utilisateur que s’il veut voir ta vidéo, il faut qu’il sorte du petit monde Facebook/Google/Vimeo/Dailymotion (c’est un effort intellectuel, mine de rien) et aille sur un autre site web. Dans la pratique, le nombre de gens qui verront ta vidéo sera ridicule par rapport au nombre de vues que tu auras sur Youtube. Alors c’est quoi le but : que ta vidéo soit simplement accessible ou qu’elle soit vue par le plus grand nombre de gens possible ?

il faut encore que ceux qui veulent voir ta vidéo puisse faire du P2P sur le réseau sur lequel ils sont (Oui, c’est pas possible partout).

Ah c’est sûr, une condition requise pour utiliser Internet, c’est d’avoir un accès à Internet. Pas un accès à Internet by Machin.
C’est un argument qui revient souvent : ceux qui veulent diffuser du contenu ou des services disent « les admins bloquent tout sauf le port 80, donc on met tout sur le port 80 », et les admins disent « maintenant les contenus et les services sont tous sur le port 80, donc on bloque tout sauf le port 80 ». Et constatant l’état déplorable du réseau les deux disent « on y est pour rien ».

Et puis si chacun y va de son réseau P2P préféré, on a pas fini d’installer des chiées de logiciels juste pour pouvoir obtenir les vidéos.

D’accord sur ce point. Il n’y a que peu de protocoles qui évoluent ces derniers temps (dont HTTP). Les protocoles P2P : nada. Alors qu’on ne demande pas mieux que d’avoir une vraie normalisation et de vraies évolutions de ce côté-là.

[1] Pour le coup vous allez me dire que je suis gonflé de dire ça alors que j’utilise StatusNet, qui est quand même un service Web mal foutu, bourré de javascript lourdingue, galère à mettre en place, qui souffre de problèmes de compatibilité entre les instances et dont le nœud principal Identica est CDNisé jusqu’à la moelle. Je suis complètement d’accord, StatusNet est une catastrophe, Identica encore plus. Je ne compte pas l’utiliser indéfiniment (je l’utilise de moins en en moins).

Serial encoders, soyez vigilants avec les licences partageables !

lundi 31 octobre 2011 à 19:40

Ceci est un journal-troll publié sur linuxfr.

Erratum:Vodo autorise bien la DHT sur ses torrents. Voir plus bas.

Bonjour, Nal !
Salut, moules !
Et mes DLFPiens, coincoin !

Nal, aujourd’hui je vais te raconter une petite histoire de droits d’auteur. Une vraie belle histoire comme on n’en fait plus : y’a de l’action, de l’amour, de l’infidélité, du sang, du massacre, de l’hémoglobine et des explosions, bref, tout ce qu’il faut pour un truc qui marche. :P

Péripéties…tout ça

Il y a quelques jours, j’ai installé un wiki sur un serveur. Oh, c’était pas vraiment un wiki au sens où tout le monde est autorisé à en modifier le contenu : je comptais d’abord en faire un espace d’expression et de réflexion personnel, plus malléable qu’un blog, plus adapté à des brouillons qu’à de vrais articles, plus orienté « release early, release often »… J’ai donc installé ce wiki, et j’ai commencé à éditer deux trois trucs, en interdisant la modification anonyme (fameuse méthode antispam bourrin), et sans en donner l’url à personne.

Mon idée première était de parler de culture partageable, de faire des listes d’œuvres partageables que j’aimais bien, puis éventuellement, si j’arrivais à faire un truc un peu propre, d’ouvrir mon wiki et d’appeler le reste du monde à contribuer. Le cas échéant, ce wiki resterait un espace personnel où j’aurais largué des idées en vrac.

La première chose dans laquelle je me suis lancé a été le fait de lister, sur une page, tous les contenus sous licence partageable que j’aurais rendus partageables en pratique en les convertissant dans un format ouvert. Par exemple, si je récupérais un pdf dans le domaine public disponible uniquement sur Scribd, si j’encodais en ogg une chanson sous LAL disponible uniquement en mp3, ou si j’encodais en WebM une vidéo sous Creative Commons disponible uniquement en Flash, tous ces contenus pouvaient atterrir sur mon wiki. Le but était de créer un espace pour rassembler tout ça.
J’ai commencé par créer une page dédiée à la vidéo, parce qu’il faut avouer que si encoder du mp3 en ogg est une activité plutôt frustrante, récupérer un mp4(H264+AAC) dans un bidule en flash pour le réencoder en WebM(VP8+Vorbis), en essayant de trouver le paramétrage optimal pour obtenir le meilleur rapport qualité/poids est une activité passionnante. Je trouve.
Pas vous ? Ah bon.

Bref, j’ai commencé par lister les vidéos que j’avais déjà eu l’occasion d’encoder : des conférences sous CC-BY-NC-ND, un tutoriel sous CC-BY-NC-SA, et quelques vidéos purement artistiques trouvées sur vimeo.

Parmi ces dernières se trouvaient trois vidéos de grande qualité sous CC-BY-NC-ND. J’ai d’ailleurs dû bidouiller pas mal les paramètres de ffmpeg pour perdre le moins de qualité d’image possible.
Je me suis assez vite rendu compte que ces vidéos possédaient des défauts que, dans le monde de l’encodage, il est de bon ton de rectifier avant publication. Les trois vidéos avaient des bandes noires « cinéma » en haut et en bas, et l’une d’entre elles avait des sous-titres incrustés (hardsubs) dans la bande du bas.
J’ai donc appliqué les « bonnes pratiques » de l’encodage qu’on applique déjà dans le monde du warez (sauf que là, il ne s’agissait pas de warez, mais de culture partageable), et ai rogné ces bandes noires, et recopié à la main les hardsubs dans un fichier SRT synchronisé. Je me suis même payé le petit luxe de rassembler les pistes dans un fichier MKV(VP8+Vorbis) (le conteneur WebM ne gère pas les pistes de sous-titres).

Je suis resté quelque temps devant mon résultat, plutôt satisfait de ce que j’avais réussi à obtenir, avant qu’une question commence à me hanter… Les licences de ces vidéos contenaient une clause « ND », interdisant les œuvres dérivées…

Je m’étais déjà posé la question de la légalité de l’encodage d’un fichier sous clause ND, et, une œuvre dérivée se définissant comme une transformation, une modification ou une adaptation qui constitue par elle même une œuvre de l’esprit originale susceptible d’être protégée par le droit d’auteur, j’étais à peu près sûr que l’encodage d’une vidéo ne constituais pas une œuvre dérivée, mais entrait plutôt dans la définition d’une transformation purement mécanique.
D’autant plus qu’il me paraît totalement absurde d’autoriser le partage d’une œuvre tout en interdisant qu’on la rende interopérable.

Cependant j’avais un doute en ce qui concerne le rognage et la transformation de hardsubs en softsubs. J’avais le choix entre demander conseil à un homme de loi et demander son avis à l’artiste lui-même. Sachant que l’interprétation de la chose pouvait différer selon les individus, il m’a paru plus sage de poser la question à l’artiste.

Petit problème cependant : j’avais déjà encodé les vidéos. Ce n’est pas très honnête de demander la permission de faire quelque chose après l’avoir fait… Mais d’un autre côté, si je supprimais les liens de ma page de wiki, c’eût été mentir à mon interlocuteur (qui aurait d’ailleurs pu voir dans l’historique que j’avais déjà encodé les vidéos). Je choisissais donc de laisser la page telle quelle. Ainsi, mon interlocuteur aurait pu voir par lui-même le produit final et me dire ce qu’il en pensait.

De plus, me mettre hors-la-loi ne me dérangeait pas : ce dont je voulais m’assurer, c’est que les visiteurs de ma page de wiki ne se retrouvent pas dans l’illégalité malgré eux.

(Note : je précise que sur la page de wiki se trouvaient : le fichier MP4 d’origine, le fichier WebM sans filtre, le fichier WebM sans bandes noires et le fichier MKV avec sous-titres intégrés, avec à chaque fois un descriptif des paramètres d’encodage utilisés : si un encodeur plus expérimenté voulait faire mieux, il avait toutes les données nécessaires : une vrai démarche « open source » :) )

J’ai donc contacté l’auteur via l’interface de contact de vimeo (oui, j’ai un compte vimeo, je m’en sers pour récupérer certaines vidéos). Je pensais que s’il était partisan du partage de ses œuvres (comme le laissait penser la licence CC), il m’accorderait le droit de retirer les bandes noires lors de mon encodage.
Perdu.

L’auteur fut très choqué par ma demande. Il me demanda de retirer immédiatement ces vidéos de mon wiki : il voulait en contrôler la diffusion (j’en déduisais donc que ces vidéos, contrairement à ce que la licence indiquait, n’étaient pas partageables). Il souligna que le fait d’appliquer un filtre à une vidéo (le fait de retirer les bandes noires, donc) était un énorme sacrilège au respect de l’œuvre (j’en déduisais que la clause ND interdisait donc ce type de transformation lors d’un encodage).
Il ajouta qu’il n’appréciait pas que ses vidéos soient soumises à de tels traitements (notamment le fait d’en dégrader la qualité). J’en déduisais que…euh…là j’ai pas bien compris, en fait. Vimeo dégrade lui-même la qualité en réencodant les vidéos qu’on lui envoie en MP4 HD et en MP4 SD pour le streaming. Mais bref, ne nous torturons pas les neurones avec ça, ce n’est pas important.
Enfin, il précisa que si la diffusion centralisée de son travail via vimeo est importante, c’est parce que les statistiques de visionnage de ses œuvres sont importantes dans le cadre de son travail (on peut imaginer qu’il est payé sur cette base, ou que cela lui permet de trouver plus facilement des collaborateurs). Par contre je ne sais pas si quand on lit une vidéo en bypassant le lecteur flash (via un addon ou un script greasemonkey, par exemple), c’est comptabilisé dans les statistiques de vimeo.

Première chose que j’ai faite : supprimer les vidéos et les sous-titres de mon wiki, et mettre un texte explicatif disant que les vidéos supprimées n’étaient en fait pas partageables, et qu’il ne fallait pas se fier à la licence.

Deuxième chose que j’ai faite : avertir l’auteur qu’il avait fait une erreur en choisissant ces licences, et qu’il lui fallait absolument repasser sous un copyright classique et bien préciser que la vidéo n’est pas partageable, sans quoi d’autres risqueraient de faire la même erreur que moi.

Ce qu’il fit, avant de me répondre par un nouveau message, dans lequel il déclarait que l’art pouvait être gratuit, mais pas modifié à seul but de diffusion.
Je trouve cette déclaration très intéressante, parce qu’elle met en lumière une opposition entre deux modèles éthiques et économiques caractéristique de la façon dont nous considérons l’art, et l’information en général, dans le monde numérique au 21ème siècle. Il y a d’un côté les partisans du gratuit, de l’autre les partisans du partageable. Le premier possède des valeurs éthiques faibles, mais un modèle économique fort. Le second possède des valeurs éthiques fortes, mais un modèle économique faible. Et force est de constater que, paradoxalement, le premier modèle marche bien mieux auprès du public que le second. (*)
Mais je ne vais pas faire tout un discours là-dessus, je tenais juste à pointer du doigt ce détail, parce qu’il me semble qu’il serait intéressant de le creuser.

(*) Je viens de me rendre compte d’un truc avant publication : on peut utiliser ça comme un critère de différenciation plutôt fiable entre le véritable pirate et le kévin Michu wawamaniaque. Le kévin Michu aura tendance à se réjouir le jour ou un contenu propriétaire payant devient un contenu propriétaire gratuit, alors que le véritable pirate ne verra pas de changement, car il sait que seul compte le droit de partager.

Mon interlocuteur précisa qu’une œuvre modifiée était une nouvelle œuvre. Je ne sais pas s’il parlait du fait de retirer les bandes noires ou du simple encodage.

Il termina en me rappelant de toujours contacter l’auteur avant de faire quoi que ce soit.
Sur ce point là je ne peux que l’approuver. J’ai merdé.

De cette mésaventure, j’ai appris deux choses importantes. Nal, ouvre grand tes hublots. Les autres aussi.

1. Une licence partageable ne reflète pas forcément la volonté de l’auteur

Ne vous méprenez pas sur le titre, il est là pour provoquer, comme d’hab’. Je ne fais bien sûr aucun procès d’intention à l’auteur à qui j’ai eu affaire : il peut avoir eu des tas de raisons de mal choisir sa licence. Peut-être que son doigt a glissé en sélectionnant sa licence, peut-être qu’il a mal compris ce que signifiait la licence CC-BY-NC-ND, peut-être qu’il a été trompé par quelqu’un qui lui a présenté cette licence comme représentative d’une valeur de gratuité, et non d’une valeur de partage…

En tout cas son dernier message, où il me remerciait d’avoir soulevé la question, laisse penser qu’il était plus dans l’erreur que dans la malveillance.

Toujours est-il qu’on touche ici du doigt un problème important. Les licences partageables peuvent être mal utilisées, et sont parfois (souvent ?) mal utilisées.

Un auteur peut parfois ignorer totalement les conséquences du choix de sa licence : vous remarquerez par ailleurs qu’à l’heure actuelle, aucune plateforme de promotion d’œuvres culturelles partageables n’utilise de sous-réseau de diffusion totalement décentralisé. C’est soit du direct download, soit du bittorrent non fédéré (limité à 1 tracker, pas de DHT…), (cf. Jamendo, Vodo, freetorrent…), bref, du Minitel. Techniquement, on est bien dans un modèle de gratuité, et non de partage. Edit: Vodo autorise bien la DHT sur ses torrents. Et même s’ils prennent toujours soin de ne mettre que leur tracker dans les torrents qu’ils publient sur leur site, les responsables de Vodo copient eux-mêmes leurs torrents chez d’autres annuaires bittorrent comme The Pirate Bay et Isohunt (et là, bien sûr, plusieurs trackers sont disponibles). Très bon point pour Vodo.

Attention je ne parle pas là des artistes opportunistes. Les artistes qui utilisent les licences partageables par pur opportunisme peuvent être un vrai problème pour la culture partageable, c’est vrai. Je connais plein de libristes qui dépriment en voyant tous ces « artistes jamendo » sortir un album démo sous Creative Commons afin de se faire connaître et d’exhiber leurs statistiques au nez des « professionnels », puis rejoindre la première grosse major venue dès qu’ils en ont l’occasion, et sortir ensuite plein d’albums sous copyright classique.

Non, là je parle des auteurs qui à priori aiment bien les licences partageables mais qui en ont une interprétation inattendue, considérant que la clause ND s’applique à toute modification, fût-elle mécanique, ou bien que la clause NC ne permet pas de mentionner une œuvre sur un blog doté d’un bouton Flattr (par exemple).

C’est pourquoi je préconise :

Ces conseils sont applicables à tous les cas où l’engagement de l’auteur dans la culture partageable n’est pas flagrant (n’allez pas envoyer des mails à Ton Roosendaal et à Nina Paley pour savoir si vous pouvez partager Elephants Dream et Copying is not Theft…). Il est recommandé de les appliquer lorsque l’auteur s’appuie sur une plateforme qui mélange licences partageables et licences propriétaires (Vimeo, Bandcamp, Myspace, Soundcloud…) : ces plateformes sont connues pour mettre en avant les licences Creative Commons comme argument publicitaire, en reniant totalement les valeurs que celles-ci sont censées véhiculer.

2. La culture partageable non-modifiable ne vaut rien

Ouais, encore un gros titre provocateur bien poilu. Et totalement assumé.

Et encore, ça aurait pu être pire, j’ai pensé écrire : « La culture non-modifiable n’est pas partageable. ». Mais ça n’aurait pas été tout à fait exact.

En fait, quand je dis non-modifiable, ici, je ne parle pas vraiment de la clause ND, mais plutôt de l’interprétation que les auteurs en font, ou plutôt peuvent en faire.
Laissons tout de suite de côté les histoires de formats : quand un auteur refuse que son travail (sous licence partageable avec clause ND) soit converti/encodé dans un format ouvert, il est idiot et son travail ne mérite pas d’être partagé. Il est évident que dans ce cas, on ne peut pas considérer objectivement l’œuvre comme partageable : une œuvre n’est pas partageable si seulement certaines personnes peuvent la lire.
Concentrons-nous plutôt sur les cas qui prêtent à confusion, comme le fait d’appliquer les bonnes pratiques du warez (rognage des bandes noires, softsubs…) à un travail partageable doté d’un clause ND. Si le droit d’encoder une œuvre est parfaitement fondé, l’interopérabilité étant une condition nécessaire au partage comme je viens de l’évoquer, le droit de « nettoyer » une œuvre ne se fonde sur aucune nécessité objective.
Pourtant, la nécessité de ne partager que des fichiers « propres » est une constante dans le monde du warez, pour ne pas dire dans le monde du partageable en général.

L’individu qui souhaite partager un fichier, que ce soit légalement ou illégalement, sera révulsé à la perspective de partager une vidéo au son décalé, contenant des hardsubs, des bandes noires ou de l’entrelacement, ou de partager un album de musique compressé dans une archive, aux fichiers mal taggués, au gain non normalisé ou bien entièrement nommé et taggué dans un jeu de caractères Windows-1251…(*)
Exactement comme un développeur serait horrifié à l’idée de partager un code source non-modifiable (comme celui de NASA World Wind, ou un autre logiciel opensource non-libre) s’il se rendait compte que celui-ci a été écrit par un Pierre Tramo ayant des pieds à la place des mains.

(*) J’espère que vous avez votre dose d’horreur pour Halloween :P

Je sais qu’il y en a ici qui pensent que je m’exprime en tant que pirate ; je tiens à les rassurer : quand je parle de culture partageable, en général, c’est dans le respect du copyright et de la volonté des auteurs. Loin de moi l’idée de pousser qui que ce soit à violer des clauses ND, ce n’est pas du tout le propos que je veux tenir ici.
Je tiens à préciser aussi que je ne parle pas ici de philosophie, uniquement de technique.

Le propos que je tiens est le suivant : une culture où on ne peut pas modifier un minimum les fichiers, les formats et les métadonnées des œuvres pour les rendre suffisamment présentables dans le but de les partager est une culture qui ne vaut rien. Tout simplement parce qu’on n’est jamais à l’abri d’un auteur qui tagguera ses albums n’importe comment, n’autorisera leur diffusion que sous forme d’archive ou bien utilisera un format de fichier vidéo merdique.

Désormais, l’attitude que j’adopte et que je préconise face à un auteur rigide sur la clause ND est une attitude à la Linus Torvalds. De même que Linus Torvalds dirait à un contributeur : « Ok, ton code fait de bons trucs, mais il est dégueulasse ? Nettoie-le, sinon je ne l’intégrerai pas dans le kernel. », il faudrait dire à un auteur : « Ok, ton œuvre est sympa, mais le fichier est malpropre ? Donne-moi la possibilité d’en faire un truc qu’on peut partager sans rougir, sinon je ne le partagerai pas. ».

Bonus : « Et la clause NC ? », me diriez-vous… « Est-elle un obstacle au partage ? »
Je n’en sais rien. Pour assurer la résilience des gros fichiers, quand je ne peux pas héberger chez moi, il m’arrive de passer par des services minitel comme Mirorii ou Multiupload, qui eux font appel à des plateformes commerciales. Je ne sais pas qui est dans l’illégalité quand on met un fichier sous CC-BY-NC sur Mirorii. L’internaute uploadeur ? L’uploadeur intermédiaire (Mirorii) ? Les plateformes commerciales elles-mêmes ? Le downloadeur ?

Épilogue

La troisième chose que j’ai faite, après ma mésaventure, a été de contacter les autres intéressés. Cette fois, je vais donner leurs noms.

Il y a d’abord le collectif Rezonance, un réseau professionnel d’échange qui organise des conférence en Suisse romande. Ce réseau est surtout connu pour avoir l’hypocrisie de proposer des conférences de Richard Stallman sous CC-BY-NC-ND au format flash+mp4, et bien sûr sans qu’aucun libriste ne s’en offusque . Un problème que j’avais déjà résolu en proposant ces conférences au format WebM sur freetorrent.fr (à l’époque j’avais encore de l’estime pour freetorrent). J’ai quand même contacté les responsables de Rezonance via Vimeo pour savoir ce qu’ils pensaient du fait que je réencode leurs vidéos, et ils se sont montrés plutôt bienveillants, me félicitant pour mon initiative et plaçant les vidéo des quatre conférences sur le revenu universel sous CC-BY-NC.

Ensuite vient aerodark, l’auteur du tutoriel « Débutez dans la 3D avec Blender », sur le Site du Zéro. J’avais encodé sa vidéo « Chapitre 3 – Prenons en main l’interface de Blender ! » en supposant que celle-ci était placée sous une licence compatible avec celle du tutoriel (c’est-à-dire CC-BY-NC-SA ou une licence moins restrictive), la vidéo étant incluse dans celui-ci. Bon, c’est pas vraiment que je considère cette vidéo comme une œuvre d’art exceptionnelle, ni que j’ai une super estime dans le Site du Zéro, dont les responsables et les contributeurs ont prouvé à de nombreuses reprises qu’ils n’en avaient rien à taper du libre et des formats ouverts (dans les actes, hein, dans le discours ils sont clean). J’espérais secouer un peu la cervelle d’aerodark en lui faisant prendre conscience qu’il y a des gens qui aimeraient accéder à des vidéos dans des formats ouverts, mais je me suis un peu merdé. Bof.

Enfin, il y a Jonathan Musset, réalisateur. Il n’a pas encore répondu à mon message, donc je vous laisse juger du bonhomme en allant sur son blog : http://www.jonathanmusset.com/ , dont je recopie ici l’en-tête parce qu’il est parlant :

We are living a very exciting moment. Digital revolution is in march, the internet is changing everything, the open source way of thinking is also making the revolution possible… This blog is about all that stuff : independent filmmaking, DSLR cinema, new amazing DSLR techniques, film production processes, directing, cinematography, editing, low budget filmmaking, the openness and the innovation of free software spirit in the filmmaking world… @jomusset

Pour ceux qui savent pô, DSLR signifie « Digital Single-Lens Reflex ». En grolfrançais : « appareil photographique reflex numérique« .

Voilà, Nal, c’est la fin de mon histoire. :) Tu peux la mettre sous la licence que tu veux : WTFPL, LPRAB, Public Domain, Domaine Public, Unlicense, Beerware, LRL, CC0, Licence fais pas chier… de toute façon c’est publié sous anonymat.

Jamendo, les creative commons et l’hypocrisie de la « culture libre »

jeudi 14 juillet 2011 à 00:05

Ceci est (encore !) un journal/troll publié sur linuxfr :

J’avais promis de râl^Wparler de Jamendo et de culture libre sous peu : promesse tenue.

Bon, qui je dégomme en premier ? Jamendo ?

Allez, va pour Jamendo.

En ces temps sombres de la piraterie, à l’heure où le Roi de France mandate corsaires et mercenaires pour teindre les mers de rouge, il est de bon goût, compagnons pirates, amis moules et autres bestioles aquatiques tapies dans les profondeurs de DLFP, de ne voguer qu’en dehors des eaux connues des cartographes du Royaume, de ne plus faire usage que de submersibles afin d’exercer en eaux sombres, ou de nous élever vers les voies encore trop peu explorées d’un certain eldorado céleste, qui paraît-il, nous rendrait libres comme l’air…

Écartons pour une fois les deux premières options et concentrons-nous sur la troisième.

Jamendo : le business avant le partage

La plateforme numéro 1 pour la musique libre et user-friendly est, paraît-il, Jamendo. La seconde se nommerait Dogmazic. J’avais autrefois l’habitude de découvrir des artistes soit par le piratage (en piochant des trucs au pif sur les réseaux P2P ou H2H), soit par YouTube, dont il faut avouer que des fonctionnalités telles que la recherche de vidéos similaires ou la présence de vignettes qui accrochent plus ou moins l’œil du visiteur sont assez pratiques pour découvrir rapidement des artistes. Idem pour Wikipedia et ses liens vers des pages similaires ou en relation.

Les artistes « libres » étant pour la plupart peu connus, une telle user-friendliness est essentielle pour qui veut découvrir rapidement et facilement de la musique libre qui lui plaît.

Dogmazic me paraissant trop limité (tant en terme d’user-friendliness que de catalogue), je me suis tourné vers Jamendo (comme pour les logiciels, j’ai tendance à commencer par le plus user-friendly pour aller peu à peu vers le plus libre). Le site est très bon, on peut y écouter la musique en streaming, voir les commentaires des utilisateurs classés suivant leurs langues, chercher des musiques en fonction de leurs tags, du pays d’origine des artistes…

Cependant Jamendo a de gros défauts. Cette plateforme est très critiquée par les libristes pour son utilisation d’APIs Facebook, sa mise en avant du terme « musique libre de droits » au lieu de « musique de libre diffusion » ou sa candidature au label PUR.

Tout ceci ne me dérange pas : j’exécute le javascript que je veux dans mon navigateur (merci Adblock et Noscript), et, comme pour Framasoft, je n’ai rien contre ceux qui utilisent Facebook ou Twitter pour toucher le plus grand nombre. « Musique libre de droits » est dommage, mais après tout j’attache bien plus d’importance aux faits qu’aux mots : vais-je bouder mon Thinkpad parce que Lenovo prétend que Windows = Life Without Walls™ ? Quant au label PUR, si Jamendo peut piquer un peu d’argent à l’HADOPI, et accessoirement donner quelques cheveux blancs aux lobbies qui sont derrière, ça fera toujours ça de gagné.

(Note : je viens de remarquer dans les CGU que dans le site Jamendo, tout ce qui n’est pas publié par les artistes (design, logo, etc…) est complètement proprio)

En revanche, deux choses chez Jamendo sont alarmantes :

Ce n’est pas tellement étonnant que Jamendo ne réagisse pas quand on lui signale ce problème : la plateforme serait en pourparlers avec la SACEM, et tiendrait à faire bonne figure. Or, pour la SACEM, un tel comportement est très bénéfique : soit les deux acteurs arrivent à s’entendre, et dans ce cas la SACEM sera très contente que Jamendo ait commencé à promouvoir certains de ses artistes avant d’avoir eu l’autorisation officielle de le faire, soit les négociations se terminent mal, et dans ce cas la SACEM sera très contente de pouvoir attaquer certains tipiaks qui s’ignorent…

Cependant : On me signale dans l’oreillette que tout n’est pas perdu : sur le site web, le fichier streamé dans le lecteur en javascript est un fichier ogg ! Logique, puisque Jamendo n’a je suppose pas le droit d’insérer un lecteur mp3 dans ses pages web.
Il est donc possible de récupérer le fichier ogg grâce à un addon comme FlashGot (je n’ai pas trouvé comment faire en fouillant dans le code source). Mais peut-on considérer que le fichier est lisible si on doit recourir à un « hack » pour le télécharger ? D’une manière générale, quand on doit fouiller dans des bouts de code javascript (ou même HTML/CSS) imbriqués les uns dans les autres pour récupérer un contenu, s’agit-il là d’un format fermé ? Ou bien est-ce la faute du navigateur, qui devrait faire ça tout seul, sans qu’on ait besoin d’un addon ?

Ah, on me signale à nouveau dans l’oreillette que le fichier ogg streamé est en qualité 112 kbps (q3). De plus, il arrive que le player javascript ne fonctionne pas sur certaines pages.
Du coup je ne sais pas trop si on peut considérer que Jamendo propose les fichiers dans un format ouvert, mais je pense qu’on peut considérer sans se tromper que Jamendo se paie notre tronche.

Edit: Il existait un serveur de partage des fichiers OGG, dont la maintenance a été paraît-il transférée à la communauté. Les ogg sont donc toujours accessibles, un lien de téléchargement peut être fourni via une extension Greasemonkey. Mais Jamendo cache toujours ce dépôt à ses utilisateurs.

Maintenant que j’ai bien tapé sur Jamendo, voyons les licences.

Les Creative Commons, l’illusion de la liberté

Beaucoup trop de gens ou d’organismes (à commencer par la plupart des membres du réseau Jamendo) présentent les œuvres culturelles sous Creative Commons comme de la culture libre (voire de la culture « libre de droits », chez ceux qui préfèrent jouer avec les mots qu’éduquer les utilisateurs…). Cependant, comme le souligne Nina Paley, deux clauses Creative Commons sont non-libres : la clause NC (non-commercial) et la clause ND (non-derivative). Des sept licences CC existantes, trois sont des licences libres, quatre sont des licences de libre diffusion.
D’après Bohwaz, les trois quarts des œuvres présentes sur Jamendo sont sous une licence non-libre, un quart seulement est sous licence libre. En faisant une recherche rapide, j’ai trouvé 12 233 œuvres libres pour un catalogue de 49 781 œuvres (soit environ 25% d’œuvres libres), ce qui laisse penser que ces proportions sont assez stables.

Bizarrement ces proportions correspondent à peu près à l’idée que je me fais, à vue de nez, de la proportion de pirates qui créent et de pirates qui partagent. Je ne prétends pas être devin, mais d’après l’expérience que j’ai de la piraterie, je dirais que les pirates qui créent (ceux qui font des détournements et des créations illégales sur la base de culture propriétaire et les publient via 4chan ou YouTube par exemple) représentent moins d’un tiers de l’ensemble des pirates qui partagent illégalement de la culture propriétaire.
De plus, voyant promouvoir Jamendo et les Creative Commons essentiellement sur la plupart des blogs d’auto-proclamés pirates, qui la plupart du temps se moquent bien des quatre libertés et pour qui le principal avantage des Creative Commons est de pouvoir faire tourner la mule sans rien risquer, on est en droit de se poser la question : les Creative Commons n’ont-elles pas plutôt été conçues pour les pirates que pour les libristes ?

La culture « libre » : une simple extension de la piraterie ?

Il y a quelques années, j’ai vu une vidéo qui a radicalement changé ma façon de voir le monde, et dans laquelle un vieux geek barbu expliquait que le logiciel libre c’était quatre libertés autorisant l’utilisation, l’étude, le partage et la modification sans restriction non-permissive, et que ces quatre libertés étaient garanties par deux choses : la licence (qui assure l’accès aux libertés sur le plan juridique) et la disponibilité du code source (qui assure l’accès aux libertés sur le plan technique). Ces deux choses sont essentielles pour garantir qu’un logiciel est libre : sans le code source, le logiciel est privateur, sans la licence, il est au mieux strictement open-source [1].

À partir de cette définition on peut étendre le concept de « libre » à d’autres choses. Par exemple, un met est libre si on en connaît la recette, si on peut la partager et la modifier sans restriction non-permissive : le code source, c’est la recette, le compilateur, c’est le cuisinier et ses instruments (en gros, hein).
De la même manière on peut considérer que le code source d’un morceau de musique, c’est la partition, et que le compilateur, c’est le musicien avec son instrument (comparaison très grossière, là aussi).
On considérera alors qu’une œuvre est libre si son « code source » est disponible et si sa licence autorise les quatre libertés. Les licences libres sont clairement définies : des licences comme CC-BY, CC-BY-SA, CC0, LAL, WTFPL sont libres. Le « code source », un peu moins, car il est plus délicat à définir (quel est le « code source » d’un dessin ?). Cependant, il est à peu près admis par tout le monde que pour qu’une musique soit « open-source », il faut au moins que soient disponibles :

Les œuvres prétendues « libres » qui respectent ces trois conditions sont extrêmement rares. Dans le domaine de la musique, je n’en connais aucune. Il y a bien cet opéra dont je tairai le nom du créateur, sans quoi on m’accuserait encore d’encenser un vilain pirate, mais il s’agit d’une œuvre textuelle (elle est plus comparable à une pièce de théâtre qu’à une œuvre audio ou vidéo enregistrée).

Beaucoup ont tendance à diviser les gens par leur rapport à l’art en deux catégories : les libristes, pour qui l’intérêt est de pouvoir partager, étudier et modifier l’œuvre, et les pirates, pour qui l’intérêt est simplement de pouvoir partager l’œuvre (la plupart du temps). Or, les plateformes comme Jamendo axées sur la « culture libre » façon Creative Commons non seulement proposent en grande majorité des œuvres qui ne répondent pas à l’intérêt des libristes, mais en plus les quelques œuvres sous licence libre qui y sont présentes ne répondent pas aux critères techniques permettant de qualifier une œuvre de « libre ». Or, la totalité des œuvres (ou presque) présentes sur de telles plateformes ont le point commun suivant : elles sont librement partageables.

À un internaute qui demanderait de lui expliquer, rapidement mais exhaustivement, quels sont les avantages de Jamendo sur la culture propriétaire, il serait hypocrite de répondre quelque chose du genre « Ça véhicule certaines valeurs, une certaine liberté… ». Regardons la vérité en face : Jamendo et les Creative Commons, ça n’a d’autre avantage par rapport à la culture propriétaire que de donner la possibilité de télécharger de la musique gratos sans se faire choper.
C’est un truc de pirates, pas un truc de libristes.

Et encore.

Même en admettant que la culture de libre diffusion est supposée intéresser les pirates, on a du mal à voir en quoi Jamendo apporte plus de liberté aux tipiaks qu’un bon VPN.

Quand je décide d’écouter « Reise, Reise », de Rammstein, je vais sur un meta-moteur, et je trouve le fichier dans un format dégueulasse (mp3), dans un format ouvert (ogg vorbis), et dans un format lossless (flac). En cherchant bien je peux aussi trouver la version instrumentale/karaoké voire même la version orchestrale. En allant sur des sites pirates d’échange de partitions musicales, j’ai les partitions et tablatures du morceau à portée de clic. Et quand je lis le morceau dans ncmpcpp, je tape « l » et j’ai les paroles, récupérées via une liste de sites web au fonctionnement plus ou moins collaboratif, dont certains proposent même des traductions en anglais et en français.

Quand je télécharge « The Curse and the Serpent » (CC-BY-SA), de Pandemonium (SWE), je trouve le fichier au format mp3 sur le site officiel et sur Jamendo, et au format ogg vorbis sur Jamendo (les plus grands groupes sont en général seedés correctement). Pas de flac, pas de version instrumentale, pas de partitions. Edit: En fait, les fichiers flac sont disponibles au téléchargement si on achète l’album. Mais je ne sais pas si du coup les fichiers flac sont également sous BY-SA ou non. Et que dire des albums indisponibles à la vente ? On notera que ce groupe est l’un des rares de Jamendo à proposer les paroles de ses chansons. Mais celles-ci sont disponibles sur le site officiel, au format jpeg. Pas terrible pour afficher ça dans ncmpcpp.

Autrement dit les libertés demandées par le libriste ou le pirate sont plus facilement disponibles pour des œuvres propriétaires que pour des œuvres qui se veulent libres. Paradoxal, non ?

On critique souvent le fait que l’offre légale n’est pas à la hauteur de l’offre illégale. Il n’y a rien de plus vrai, et ça ne concerne pas que l’offre des majors.

Pour terminer, je sais qu’il existe d’autres sites de musique partageable que Jamendo, bien entendu. Il y a notamment Bandcamp, qui visiblement propose les morceaux à télécharger aux formats mp3, mp3 vbr, aac, ogg vorbis, alac et flac. La plupart du temps les chansons sont également accompagnées de leurs paroles au format texte. Le problème à l’heure actuelle c’est que le site est très lent et inutilisable sans javascript.
Si vous connaissez d’autres sites du genre qui respectent assez bien le concept de « musique libre », n’hésitez pas à les partager. ;-) Edit: il serait injuste de ne pas évoquer ici l’initiative de Dogmazic de proposer aux musiciens le partages de leurs « sources » via le logiciel SourceML.

[1] On passera sur le fait que le même geek barbu pense que les œuvres culturelles ne devraient pas être soumises aux mêmes règles que le logiciel (notamment en ce qui concerne la modification). C’est une position critiquable, mais ça n’est pas ce qui nous occupe.

[2] Il y a également d’autres points sujets à débat :
- la disponibilité des pistes séparées des différents instruments/voix
- l’utilisation d’un format qui soit libre (en plus d’être ouvert)
- la disponibilité des fichiers de travail, dans la cas de musique faite par ordinateur

Licence de ce journal : WTFPL, comme d’hab’.

Non-confession d’un pirate : pourquoi je refuse la propriété intellectuelle

dimanche 10 juillet 2011 à 23:20

Ceci est une copie du troll publié sur linuxfr. Si vous aimeriez développer en réponse à cet article une idée qui n’apparaît pas dans les commentaires de linuxfr, je vous invite à le faire ici.

Bonjour,

Je tiens dans ce journal à réagir par rapport à la discussion que phxonx, barmic et moi avons eue dans les commentaires d’un journal plus ou moins récent. Tout d’abord je tiens à préciser que ce débat fut assez bordélique : ayant perçu de l’hostilité dans les propos de mes interlocuteurs j’ai moi-même laissé des commentaires agressifs, inappropriés et bourrés de fautes d’orthographe, je m’en excuse.
C’est donc avec joie que je me plonge la tête dans le bain purificateur des propos mesurés de bayartb, qui disait il y a peu :

Il faut toujours garder en tête ce que les anciens de Usenet savaient et qu’on n’enseigne plus sur le réseau: par écrit, le sarcasme anodin devient agressif, l’ironie devient une attaque directe, le bon mot devient une caricature. Il faut le savoir quand on écrit, et le savoir quand on le lit.

Hop, ça fait du bien.

Revenons maintenant sur le débat que j’évoque : celui-ci fut mouvementé et passionné, partait dans tous les sens, nous passions du coq à l’âne assez fréquemment. Cependant il me semble avoir réussi (vers la fin) à en isoler le point épineux.

En fait, il semble que ce qui gêne les « piratophobes » (si je puis reprendre cette expression), n’est pas le fait que l’activité des pirates soit illégale, ce n’est pas non plus le fait que celle-ci soit inévitable, c’est le fait que celle-ci soit illégitime.

Ce qui est reproché aux pirates dans ce cas n’est pas d’enfreindre la loi, mais d’enfreindre un contrat : en effet l’artiste a généré sa création et l’a placée sous une certaine licence, par choix. Ce n’est pas le choix du gouvernement ou d’une autorité quelconque qu’on est supposé respecter, mais le choix de l’artiste, parce que c’est lui qui est responsable de l’œuvre : il choisit l’usage qui peut être fait de sa propriété.

J’ai mis du temps à comprendre ça.

Il s’agit là du point sur lequel nos avis divergent : je considère la propriété intellectuelle comme illégitime, mes opposants la considèrent comme légitime.
Par le mot propriété intellectuelle je regroupe les principes de brevets, de copyright et de droit des marques. En fait c’est avec ce mot que je désigne le fait de se dire propriétaire d’une idée ou d’une information.

Penchons-nous alors sur ce point. Qu’est-ce qui permet de dire si la propriété intellectuelle est légitime ou non ? Qu’est-ce qui donne le droit à un individu de dire : « Cette idée ou cette information m’appartient. » ?

Étudions pour cela le processus qui provoque l’apparition d’une idée.

Lorsque que je réfléchis, seul, et que je trouve une idée, je suis persuadé de l’originalité de cette idée. Celle-ci a pris forme dans ma tête, donc elle ne peut être due qu’à moi. Je me dis qu’elle est ma création car elle est le fruit de ma seule réflexion.

Cependant je peux être confronté à différents cas dont certains peuvent mettre en doute cet avis.

On en entend souvent parler du cas 1 dans la recherche (par exemple, pour faire une thèse, il faut sans cesse éplucher l’actualité sur le sujet, pour savoir précisément ce qui a déjà été fait) ou dans le monde des brevets (il est arrivé des cas assez risibles de personnes ou compagnies possédant les mêmes brevets, ou des brevets qui se chevauchent, et le travail des personnes chargées de savoir si une nouvelle idée n’a pas été brevetée est titanesque).

Je me souviens, quand j’étais petit, avoir observé des carrés et m’être dit quelque chose comme « Tiens, il y a peut-être un lien entre la longueur d’une diagonale et la longueur du côté du carré. ». Je n’avais pas poussé le raisonnement plus loin, d’autant plus que je ne connaissais même pas le « ² » à l’époque. Quelques années plus tard on me disait que ce lien était applicable à tous les rectangles, et portait le nom de théorème de Pythagore.

Je suis sûr qu’il y a plein de gens qui ont vécu quelque chose de similaire. En fait cela nous arrive à tous, et particulièrement lorsque nous sommes enfants : des idées germent dans nos têtes : des relations mathématiques ou logiques, des conjectures sur la structure du monde qui nous entoure, des calembours et des jeux de mots, des concepts de mondes parallèles ou de machines futuristes…puis nous nous rendons compte, un jour, que quelqu’un y a pensé avant, et avait déjà développé nos concepts un millénaire, un siècle, un an, un mois avant…parfois même une microseconde avant ( quand par exemple le professeur pose une question (de recherche, pas de connaissance) et que deux élèves répondent en même temps…ou qu’un DLFPien réagit à un propos, ôtant de la bouche les mots de tous ceux qui auront la même réaction… ;-) ).
D’une manière générale, des pyramides antiques aux brevets sur la fabrication de l’aluminium par électrolyse, des exemples d’idées similaires qui apparaissent dans deux esprits différents isolés foisonnent…

Dans ce cas, à qui appartient l’idée ? On aura tendance à dire que l’idée appartient au premier qui la trouve, et c’est pour cela que le théorème de Pythagore est le théorème de Pythagore . Cependant peut-on dire qu’il est propriétaire de cette idée ?
Le premier qui trouve un trésor en sera propriétaire, parce qu’il faut bien départager tous ceux qui en revendiquent la possession. Cependant, est-il légitime d’appliquer le même principe à une chose qui n’est pas unique, mais qui apparaît dans nos esprits ?

Plus complexe encore : imaginons qu’une idée germe dans la tête d’un premier individu, qui ne l’exprime pas, soit parce qu’il la trouve inintéressante, soit parce qu’il n’en a pas le temps ou les moyens, puis que cette idée germe dans la tête d’un autre individu, qui lui l’exprime. Dans ce cas l’idée n’appartient pas au premier, mais au second : on dira que l’idée n’appartient non pas au premier qui la trouve, mais au premier qui l’exprime. Dans le cas d’un brevet de grande valeur, les deux individus pourraient s’étriper dans une bataille juridique, dans le cas d’un commentaire sur un forum ou un blog, cela se solde en général par un « Edit: grilled ».
Dire que l’idée appartient au premier qui l’exprime semble être le seul moyen de départager les protagonistes d’un tel conflit, peut-on pourtant dire que cela est légitime ?

Le cas 3 décrit ce type de situations, très familier lui aussi, où nous pensons avoir trouvé une idée, en parlons à quelqu’un qui nous répond qu’il avait déjà entendu parler de cette idée ailleurs, puis nous réalisons qu’il s’agissait d’une idée que nous connaissions déjà mais qui nous avait échappé. Le plus amusant est quand nous constatons que cette idée, avant que nous l’oubliions, avait mené à une autre idée, puis que cette autre idée avait servi de base (consciemment ou inconsciemment) pour retrouver la précédente.
Parfois même c’est nous-mêmes qui avions trouvé l’idée de départ, avant de l’oublier, puis de la retrouver. Cette situation est d’ailleurs visiblement si familière aux DLFPiens qu’on l’a intégrée à la culture du site. Mais quand j’ai deux fois la même idée à deux moments différents (disons le 17 janvier 2002 à 19 heures et le 21 mai 2011 à 22 heures), qui est propriétaire de mon idée ? Le moi de 2002 ou le moi de 2011 ? Pourrait-on dire que j’ai trouvé une idée deux fois, au sens ou j’ai réfléchi deux fois pour la trouver ?

Le cas 2 est similaire au cas 3, sauf que dans ce cas celui qui trouve l’idée considère, à posteriori, qu’il a effectué dans sa tête tout le cheminement mental nécessaire pour recréer l’idée qu’il connaissait déjà, en partant de zéro (ou du moins d’un stade qui ne nécessite aucune connaissance de l’idée originale).

Parlons un peu de culture maintenant (et je prie mes lecteurs de m’excuser à l’avance, ma culture partageable étant extrêmement limitée, je vais devoir faire reposer une partie de mon argumentaire sur de la culture privatrice. Je vous invite à débattre dans les commentaires du caractère discriminatoire d’une telle pratique.).
Il y a un nombre titanesque d’œuvres qui correspondent au cas 4 : un artiste se sert consciemment d’une œuvre existante pour en créer une autre. Parfois grâce à des œuvres librement réutilisables (comme Ran, de Akira Kurosawa, dérivé du Roi Lear de Shakespeare, ou The Wild Horde, de Ennio Morricone, dérivé du Walkürenritt de Wagner), parfois avec l’autorisation de l’auteur ou en payant des droits (comme Rasputin de Turisas, dérivé de Rasputin de Boney M), parfois d’une façon suffisamment subtile pour qu’on ne sache pas si des droits doivent être payés ou non (comme Star Wars IV, dérivé de la forteresse cachée de Kurosawa), parfois par un vil acte de piratage (comme Steamboat Willy, de Walt Disney, dérivé de Steamboat Bill Jr., de Buster Keaton).
Parfois, une œuvre fait penser à une autre sans qu’on sache si l’auteur s’en est inspiré ou pas. Par exemple, le début The Symphony of the Dead, de Therion, me fait penser au thème des elfes d’Howard Shore, dans le Seigneur des Anneaux. De nombreux passages du dernier album de Fferyllt me font penser à Alestorm ou Nightwish. Et histoire de donner des exemples reposant partiellement sur de la culture partageable, Metal God de Mad Mav me fait parfois penser au thème de Mission:Impossible, le début de Some kind of love du même artiste ressemble à Sawdust In The Blood de Rob Zombie, Back To Hell de PhReyMusic fait penser au refrain de Europa de Globus, quant à Luminous Flesh Giants, ils sont carrément accusés de s’être inspirés de Dream Theater

Côté cinéma, il y a eu aussi cette histoire du scénario de L’Étrange Histoire de Benjamin Button, qu’on soupçonne totalement pompé sur celui de Forest Gump. Ou des scènes du dernier Transformers d’être pompées sur des scènes de The Island. Même si ici le cas du conflit juridique ne se pose pas (il s’agit du même scénariste), on est en droit de se demander si on est dans le cas 3 ou le cas 4…

En fait, l’auteur d’une idée peut seulement déterminer s’il est conscient, par contre il ne possède pas toute la connaissance du monde lui permettant de savoir si son idée est originale ou non : il ne peut pas savoir s’il est dans le cas 0, le cas 1 ou le cas 2. Et encore, cela suppose que l’auteur est capable de déterminer objectivement si la naissance d’une idée dans son esprit s’est faite sous l’influence d’autres idées ou non (différence entre les cas 2 et 3).

D’un point de vue extérieur, il est impossible de déterminer si l’auteur est conscient ou pas, donc de dire si on est dans le cas 2, le cas 3 ou le cas 4 (et cela suppose qu’on sait si l’auteur connaît l’idée d’origine, donc qu’on différencie les cas 1 et 2). Pour un groupe limité de personnes (c’est à dire qui, ensemble, ne rassemblent pas toute la connaissance du monde), il n’est même pas possible de savoir si on est dans le cas 0 ou non.

Lorsqu’il critique la propriété intellectuelle, Albert Jacquard dit qu’on ne crée pas une idée, mais qu’une idée nous vient à l’esprit, et que par conséquent le concept de propriété intellectuelle est une illusion. Ceci est un aperçu très condensé du point de vue d’Albert Jacquard, qui, je suppose, a poussé la réflexion beaucoup plus loin que moi sur le sujet. Cependant, il est intéressant de constater que le vocabulaire que l’on utilise pour parler des idées est effectivement peu favorable à l’existence d’une éventuelle propriété intellectuelle.

Je n’ai ici évoqué que les idées, mais on peut faire à peu près le même raisonnement pour traiter de tout type d’information. Par exemple, les photographes ne se prétendent pas propriétaires d’idées, mais propriétaires de la représentation d’un événement. Or, le même problème se pose : que dire de deux personnes représentant le même événement ? Que dire d’une personne assistant à une scène, au même moment qu’un photographe ou un cameraman, et qui aura dans sa tête la représentation de l’événement que d’autres auront en tête après avoir vu la capture du photographe ou du cameraman ? Si je prends la photo d’un monument sous le même angle et le même éclairage qu’une autre photo copyrightée et que je la place sous licence libre, est-ce illégitime d’utiliser librement la photo copyrightée, alors qu’on ne peut pas la différencier de la photo libre ? Ou est-ce illégitime pour moi d’avoir voulu représenter la même chose que quelqu’un d’autre avant moi ?

Le concept de propriété intellectuelle est à mes yeux un concept extrêmement flou et bancal. Mon avis personnel est que celui-ci a été créé pour faire valoir des intérêts économiques et/ou de reconnaissance (ce qui se justifiait peut-être à une époque), mais que celui-ci ne repose pas sur des bases solides et rationnelles.
Je suis de ceux qui pensent qu’une idée n’est jamais le fruit d’une réflexion partant de zéro : nos idées se construisent à partir de notre culture, de notre éducation, de l’influence de notre environnement et de ce que nous avons vécu, et de l’influence, consciente ou inconsciente, des idées qui ont été trouvées avant nous.
J’ai également l’intuition que toute idée ou morceau d’information est faite pour circuler de cerveau en cerveau dans le cyberespace, que ce soit par oral, par téléphone, par internet ou par un autre mode de transmission de pensée, et qu’on ne saurait revendiquer sa propriété dessus. Je ne sais pas si c’est cela que voulaient dire les hackers, hacktivistes et pirates cyberpunks dans leurs credo (respectivement : « l’information doit être libre », « l’information veut être libre » et « l’information est libre »), mais c’est dans cet état d’esprit que je refuse de me voir imposer le concept de propriété intellectuelle (qu’il s’agisse de brevet, de droit des marques ou de copyright), considérant celui-ci comme illégitime.

Voilà. Je sais que ce long développement ne va peut-être pas changer grand-chose sur la façon dont mes adversaires me considèrent, et considèrent le monde des pirates en général, mais je tenais à expliquer mon point de vue afin de ne pas laisser un vieux débat en suspens sur des considérations peu claires, ou ambiguës.
J’aimerais en tout cas que l’on prenne plus de recul vis-à-vis du mouvement pirate : assimiler l’internaute pirate à un consommateur écervelé et celui qui paye sa musique à un utilisateur scrupuleux me paraît erroné et caricatural. Le fait que je trouve le copyright illégitime ne plaît pas à tout le monde, j’en suis conscient. Cependant il me paraît exagéré de classer tous les pirates dans la catégorie « téléchargeur boulimique qui n’écoute que son instinct sans réfléchir à la légitimité de ses actes ». Laissons de tels stéréotypes hanter les pensées de nos politiciens plutôt que les pages de linuxfr…

Je tiens cependant à préciser que toutes les paroles de phxonx et de barmic n’ont pas été vaines. J’ai remarqué qu’ils ne portaient pas plus que moi les ayants-droit dans leur cœur, et qu’ils défendaient la théorie que ces derniers ne mourront pas par le piratage, mais par la culture partageable (enfin en tout cas c’est ce que j’ai compris). Bien que je ne partage pas ce dernier avis, cette discussion m’a donné un sacré coup de pied au cul pour m’intéresser de près à la culture partageable, chose que je m’étais promis de faire il y a bien longtemps déjà.
Cela ne signifie pas que je laisse tomber le piratage, mais comme je commence à me demander si Grunt n’a pas raison en disant que faire référence à de la culture privatrice (comme je viens de le faire ici) est aussi injuste que d’utiliser des formats fermés… Or, éradiquer la nécessité de la culture privatrice nécessite de s’imprégner de culture partageable. Les cultures sont comme des piliers qui nous supportent : lorsqu’on veut quitter un pilier pour un autre on est obligé, à un moment, de s’appuyer sur les deux à la fois. Lorsque mon pied posé sur le pilier de la culture partageable aura suffisamment d’appui, alors je pourrai détacher l’autre du pilier la culture privatrice, et perdrai la nécessité de faire appel à des références privatrices lorsque je communique avec mes semblables.
Bref, ceci prendra du temps, mais si j’y arrive ça permettra au moins de savoir que c’est possible.

Pour finir, il y a quelques points dans l’argumentaire de phxonx qui me semblent encore flous :

les pirates crackers

https://linuxfr.org/users/didrik-pining/journaux/confessions-dun-pirate#comment-1246603

Pour être tout à fait honnête, je n’ai rien contre le Cracker né. Le mec qui à 8 ans utilisait déjà discology pour contrefaire des secteurs de taille 6, qui n’a jamais été attiré par une boite de jeux en étalage avec un gros autocollant « Megastar Joystick » et qui a toujours préféré casser la protection et souiller des disquettes vierges, celui là donc, il ne me dérange pas. Généralement d’ailleurs ils sont assez discret et bien élevé. Par contre le mec qui défile avec une clef USB dans la Blu-raie pendant la Lan-Pride il me sort par les yeux.

Je ne sais pas bien ce que phxonx entend par « cracker né ». AFAIK un pirate qui casse la protection de Crysis avant de le balancer sur bittorrent est un cracker. En quoi son action est-elle plus légitime que celle du pirate qui rippe Inception et le met sur TPB ?

les actes illégitimes sans être illégaux

https://linuxfr.org/users/didrik-pining/journaux/confessions-dun-pirate#comment-1246695

Si ce qui est critiquable, c’est ce qui est illégitime et non ce qui est illégal, que penser du non-respect d’une éventuelle restriction qui serait choisie par le créateur, mais qui serait invalidée par la loi ?

Exemple : Un créateur place son travail sous une licence qui fait tomber ce travail dans le domaine public au bout de 200 ans. Cette licence n’est pas valide sur le plan légal, mais la violer légalement 70 ans après la mort du créateur irait à l’encontre du choix de celui-ci. Est-ce également illégitime ?

vie privée

https://linuxfr.org/users/didrik-pining/journaux/confessions-dun-pirate#comment-1246695

Ce que tu dis est valable pour les transitaires – ie les fournisseurs de tuyaux. Mais elle n’est pas valable pour les fournisseurs de contenus. Par exemple si je décide moi tout seul comme un grand de mettre sur youtube une video de toi et de ton/ta partenaire en train de faire crack crack, je te jure qu’il y aura des gens pour juger que cette information est nettement moins bonne qu’une autre, qu’elle ne m’appartient pas et que juridiquement elle n’a jamais été libre. A dire vrai je ne serai pas surpris que tu fasses partie de ces gens.
Là on ne parle pas de la neutralité du net (ie la poste qui refuse de t’adresser le courrier de Mme Michu); mais de respect des droits (ie moi qui intercepte le courrier de mme Michu pour le lire avant de le remettre dans la boucle). Il n’y a aucun rapport entre l’un et l’autre.

Là on parle de quelque chose qui est totalement différent : le secret. Une information qu’on garde pour soi ou qu’on partage avec un nombre restreint de gens de confiance, c’est un secret. Quand on pirate une information, on distribue quelque chose qui a été conçu pour être publié, ça ne relève pas de la vie privée. Aussi, quand on attaque quelqu’un pour avoir publié un secret, ça n’est pas grâce à une licence, mais grâce à un droit à la vie privée.

Je dirais bien qu’il est illégitime de s’attaquer à la vie privée de quelqu’un en publiant des secrets, mais ça n’aurait aucun intérêt : on est responsable de ses informations personnelles.
Il y a deux sortes d’individus : ceux qui font confiance à la loi pour protéger leurs données personnelles, et ceux qui font confiance à PGP. Dans la première catégorie on place Barabra Streisand, Laure Manaudou, Sony et le gouvernement américain. Dans la seconde on place un bon paquet de lecteurs de linuxfr dont je serais incapable de donner une identité précise. À partir de là, discuter de la légitimité du respect des licences que les premiers auraient pu mettre sur leurs données me paraît être de la masturbation intellectuelle…

Bref, je répondrais bien que si je retrouve une vidéo intime de moi sur le net, soit je m’en ficherais complètement, soit je m’en voudrais d’avoir été trop con pour la laisser fuiter, mais phxonx répondrait peut-être que je suis un cas à part…

Note : On parle de propriété intellectuelle et de vie privée dans les commentaires de cet article http://www.numerama.com/magazine/19276_2-bientot-du-piratage-de-chocolats.html (Je ne donne pas d’ancre, il y en a quatre pages et les bons commentaires sont un peu éparpillés.)

Pour terminer – parce que je sais qu’avec barmic la discussion risque de dériver vers ça, et que si on ne part pas sur des bases claires, on risque de tourner en rond -, j’aimerais redéfinir les différentes notions du mot « valeur » :

(voilà, donc si vous trollez sur la valeur d’une chose, précisez de laquelle vous parlez)

Et pour terminer vraiment :

Merci d’avoir pris la peine de lire jusqu’au bout ce pavé indigeste.

Si vous considérez comme moi qu’il est illégitime de se dire propriétaire d’une œuvre, inutile que je vous fasse l’affront de lui donner une licence. En revanche, pour ceux que mon argumentaire n’a pas convaincu ou qui respectent scrupuleusement la loi, ce texte est sous WTFPL. ;-)